Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le programme d'action et les premières mesures du Gouvernement pour la société de l'information, notamment en ce qui concerne l'éducation, la formation, la culture, la recherche et l'innovation, ainsi que la mise en place de règles déontologiques, Paris le 16 janvier 1998.

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Circonstance : Comité interministériel pour la société de l'information à Paris le 16 janvier 1998

Texte intégral

Le Gouvernement, et plus particulièrement les ministres directement concernés, vient de se réunir à l'occasion du premier comité interministériel pour la société de l'information. C'est un sujet qui a une grande importance pour notre avenir, particulièrement en ce qui concerne des secteurs d'activité économique et culturelle qui seront dans les prochaines années les plus porteurs d'emploi. On a beaucoup parlé du chômage ces dernières semaines ; ce comité interministériel devait avoir lieu la semaine dernière, la date en a été modifiée, mais il est important, au moment de faire face à des situations d'urgence, de marquer aussi que nous mobilisons l'ensemble des administrations françaises, l'ensemble des acteurs de la vie économique vers cet objectif de modernisation notamment dans des secteurs qui sont massivement créateurs d'emploi.

Il y a cinq mois, à l'université de la communication de Hourtin, j'avais dit que la préparation de l'entrée de notre pays dans la société de l'information constituerait l'une des priorités de l'action du gouvernement. J'avais donné les grandes lignes autour desquelles nous souhaitions structurer l'engagement du gouvernement dans ce domaine. Depuis, tous les ministres et toutes les administrations ont accompli un travail considérable, et je veux saluer ici leur mobilisation. Ces travaux débouchent sur le programme d'action gouvernemental pour la société de l'information dont je vous avais annoncé le principe le 25 août à Hourtin. Ce document va constituer désormais une référence pour le travail des administrations, mais aussi et surtout pour les autres acteurs de la société, qui attendent une intervention volontaire, lisible et durable de l'Etat dans ce domaine.

Le programme d'action gouvernemental pour la société de l'information présente un ensemble de priorités mais aussi de mesures concrètes, et précise la manière dont celles-ci seront mises en oeuvre. Ces priorités sont au nombre de six :

1. L'éducation et la formation,
2. La culture et notamment la présence française sur lnternet,
3. La modernisation des services publics aussi bien en interne que dans les relations avec les usagers, et c'est là notamment que réside l'effort que nous avons entrepris et parfois, déjà concrétisé, pour la simplification des formalités administratives pour les entreprises, j'y reviendrai,
4.L'importance des technologies de l'entreprises,
5. La recherche et l'innovation dans ces technologies,
6. L'enjeu de la régulation, pour protéger les utilisateurs et garantir ou mettre en place progressivement des règles déontologiques.

Certaines des actions identifiées dans ce document ont fait déjà l'objet de décisions dans la loi de finances pour 1998. Je pense, par exemple, aux mesures qui visent à encourager la création de jeunes entreprises innovantes ou encore à développer le capital-risque. Je pourrais aussi citer l'accroissement substantiel des aides à la création de contenus et de services multimédias. D'autres actions vont intervenir dans les semaines à venir.

Un débat s'engage, pendant le mois et demi à venir, à partir du rapport établi par M. Francis LORENTZ sur le commerce électronique, à la demande du ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie - rapport qui lui a été remis la semaine dernière. Ce débat permettra d'alimenter les propositions que le gouvernement formulera au cours du premier trimestre 1998 pour développer le commerce électronique. L'enjeu, nous le savons, est considérable : les recettes totales du commerce électronique en Europe pourraient atteindre près de 90 milliards de francs dès l'an 2000.

Je voudrais citer aussi la diffusion gratuite des grands textes de notre droit et la mise à disposition des formulaires administratifs sur lnternet, qui deviendront réalité dès les semaines à venir. Cela aura des conséquences importantes : ainsi, par exemple, un certain nombre de petites et moyennes entreprises, dans leurs relations avec le ministère de l'Economie, des finances et de l'industrie, pourront accéder directement, sans se déplacer, aux formulaires administratifs. Plus encore, certaines procédures pourront s'effectuer entièrement par le réseau, par exemple pour certaines aides du secrétariat d'Etat à l'Industrie dont peuvent bénéficier les entreprises. Ainsi, un petit entrepreneur, au lieu d'avoir à se déplacer jusqu'au bureau compétent de l'administration, pour remettre son dossier, compléter ses pièces, avoir à revenir, attendre d'obtenir sa subvention, pourra engager ce dialogue de manière interactive, directement avec le secrétariat d'Etat à l'Industrie, pour toute la procédure. C'est ainsi l'ensemble d'une procédure qui pourra s'effectuer par lnternet. Il s'agit donc de mesures de simplification tout à fait importantes.

Ces mesures seront renforcées par l'équipement de lieux publics en points d'accès aux services en ligne, tel que l'équipement de 1000 bureaux de poste où seront installés des ordinateurs, qui permettront d'accéder à lnternet. De même, des ordinateurs seront mis en place dans des agences locales pour l'emploi pour qu'un chômeur puisse, non seulement consulter l'ensemble des offres d'emploi, mais également taper son CV. Je crois que ces exemples montrent combien la technologie peut permettre des progrès considérables et concrets.

De la même manière, le ministère de la Culture va mettre en place une série d'espaces culture multimédias qui permettront par exemple, dans des bibliothèques, dans des centres municipaux, de consulter des cédéroms culturels, ou d'accéder aux données de la Bibliothèque Nationale.

Certaines perspectives tracées à moyenne échéance auront des conséquences majeures pour l'avenir. Ainsi, la nécessité affirmée de mettre l'administration en réseau traduit la volonté de l'Etat de se décloisonner et de mieux responsabiliser ses agents. Tout le cabinet à Matignon, par exemple, est maintenant en réseau. Quand je suis arrivé, ce n'était pas le cas, c'est-à-dire que les membres du cabinet, lorsqu'ils voulaient transmettre une note, se déplaçaient avec leur disquette ! Désormais, l'ensemble de Matignon est en réseau ; tout document peut être transféré du Ministre au conseiller, du conseiller à un autre conseiller, par notre réseau interne. Il y a une messagerie électronique interne à Matignon, et les liaisons avec plusieurs ministères, puis tous les ministères, sont en cours de développement. C'est ainsi, bientôt, l'ensemble des ministères qui sera connecté à cette messagerie électronique. lnternet doit devenir la norme pour l'administration.

Autre perspective importante, celle qui concerne l'innovation industrielle et technologique. Au-delà des technologies de l'information et de la communication, les mesures annoncées ici rejoignent une autre priorité du Gouvernement : je veux parler des actions à engager pour favoriser la recherche technologique et la diffusion de l'innovation.

A côté des mesures opérationnelles, le programme d'action est aussi l'occasion pour l'Etat de sensibiliser les acteurs à certains enjeux prioritaires. Le Gouvernement a ainsi décidé d'engager une vaste campagne pour sensibiliser et mobiliser les acteurs publics et privés, afin qu'ils prennent rapidement des dispositions préventives contre les risques liés au passage des systèmes informatiques à l'an 2000 et à l'euro. Le passage à l'an 2000 a en effet des conséquences techniques, les logiciels ne pouvant souvent pas distinguer 1900 de 2000 puisque travaillant, pour calculer les dates, sur les deux derniers chiffres ! Tout cela va représenter, en adaptations, des coûts considérables. Le ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie et le secrétaire d'Etat à l'Industrie vont ainsi mettre en place une mission légère sur les conséquences à tirer par les entreprises, pour leur informatique, du passage à l'an 2000 et à l'euro.

Tous ces points sont largement développés dans ce rapport, qui sera d'ailleurs diffusé, naturellement, sur lnternet, et qui représente un document du Gouvernement à la disposition de tous.

Je voudrais à présent donner quelques éléments sur les résultats du comité interministériel de ce matin. Le résultat fondamental, naturellement, c'est le document du programme d'action gouvernemental. Seul le Comité pouvait procéder à son approbation, même si la plupart des points, qui avaient fait l'objet d'un travail de plusieurs mois, avaient bien entendu fait l'objet d'un accord avant que ne se réunisse ce comité interministériel. Il les a sanctionnés de façon formelle, comme c'était son rôle. Certaines mesures du programme ont été précisées ce matin, lors d'échanges qui ont été, je crois, très intéressants et très fructueux, notamment sur des problèmes complexes comme la cryptologie, dont je dirai un mot tout à l'heure.

Nous avons évoqué les différents moyens que l'Etat compte engager au cours des trois prochaines années pour le chantier déterminant du développement des technologies de l'information et de la communication à l'école. Le ministre de l'Education nationale, de la recherche et de la technologie a mis en place un ensemble de mesures importantes, comme la mobilisation de formateurs pour les Instituts universitaires de formation des maîtres - les IUFM - ou l'aide à la création de contenus multimédias.

Sur l'une de ces mesures, celle qui concerne les dispositifs que l'Etat entend mettre en place pour encourager les investissements d'équipement des collectivités locales pour les établissements scolaires, une somme de 250 millions avait été annoncée à l'automne, dégagée des recettes de l'ouverture du capital de France Télécom. La décision que nous avons prise ce matin pour ce qui concerne l'Education nationale, la recherche et la technologie est de porter cet effort à 500 millions de francs. Ce qui veut dire que sur le milliard de francs qui sera mobilisé pour les nouvelles technologies, à partir de l'ouverture du capital de France Télécom, 500 millions sont dégagés pour l'école, 500 millions pour le dispositif de capital-risque mis en oeuvre par le ministère de l'Economie, des finances et de l'industrie.

Nous avons également discuté de la cryptologie, c'est-à-dire des moyens permettant d'assurer la protection de la vie privée et la sécurité des échanges électronique, en examinant l'assouplissement du cadre réglementaire en la matière. Il s'agit à la fois de protéger la vie privée et la sécurité des échanges d'informations sur lnternet. De ce point de vue, des précautions sont importantes, notamment, par exemple, pour l'échange des données sociales ou de santé. En même temps, nous devons avoir à l'esprit que l'Etat et un certain nombre de ses services ont besoin eux-mêmes de continuer à remplir leurs missions et doivent être capables, en face, non pas des utilisateurs normaux, mais d'utilisateurs "moins normaux" des nouvelles technologies, de déchiffrer des informations pour assurer que les missions de l'Etat en ce qui concerne la sécurité de nos concitoyens sont remplies. Ce sont donc des problèmes complexes.

Nous avons ainsi décidé que, pour le seuil de cryptologie modérée, nous serions dès aujourd'hui à 40 bits - pour reprendre les unités de mesure qui prévalent dans ce domaine - ; mais nous avons décidé en même temps d'aller rapidement vers le 56 bits, et vous pourrez d'ailleurs vous référer au document du programme dans la partie consacrée à la cryptologie. Le seuil de la cryptologie modérée est fixé par simple arrêté. La formule qui apparaît dans le texte doit d'ailleurs être modifiée, je vous le signale, à l'issue des arbitrages de ce comité interministériel, puisque nous ne disons plus que le seuil de la cryptologie modérée " pourra " être révisé au fur et à mesure de l'évolution de la technologie afin de préserver la capacité d'une protection efficace des utilisateurs des applications, mais qu'il " sera " révisé au fur et à mesure de cette évolution. Ainsi serons-nous en mesure de nous adapter aux évolutions de la technologie, ce qui supposera que l'Etat se dote à cet égard des moyens nécessaires.

En ce qui concerne la mise en oeuvre de ce programme, mon souci est d'assurer la cohérence de l'action publique et d'associer les autres acteurs à notre démarche. Un certain nombre de dispositions pratiques ont été prises afin d'assurer une mise en oeuvre efficace du programme d'action, vous le constaterez, par la coordination des administrations et par une meilleure anticipation des nombreuses échéances internationales en lien avec la société de l'information.

Le ministre des Affaires étrangères a particulièrement insisté sur ce point. Il a une mission de sensibilisation, d'alerte, de coordination, avec moi-même, bien sûr, pour anticiper ces échéances, particulièrement dans le cadre européen, bien sûr, mais également au niveau international.

En effet, dans un environnement où les réseaux d'information transcendent les frontières, notre action doit bien souvent se porter d'emblée au niveau international, pour mieux peser sur les grands choix qui marqueront l'évolution de la société de l'information. Le document qui est aujourd'hui rendu public devra être enrichi à partir des réactions et des propositions des autres acteurs de la société. Je voudrais, en terminant, insister sur ce point. Si ce programme d'action crée toute une série d'engagements pour l'Etat, il serait vain, dans ce domaine comme dans d'autres, de tout attendre de l'intervention publique. L'engagement des citoyens et des associations, des entreprises, des collectivités locales, est aussi déterminant si la France veut réussir pleinement son entrée dans la société de l'information. A cet égard, le débat public est essentiel, et, par conséquent, le document que le Gouvernement propose au pays a vocation à être discuté et même complété. Nous devrons ainsi nous pencher de manière précise, Ségolène Royal et Catherine Trautmann ont insisté sur ce point, sur les questions d'éthique dans la société de l'information.

Je l'avais dit à la fin de l'été, je le répète aujourd'hui : la France a tous les atouts pour jouer un rôle majeur dans l'émergence d'une société de l'information. Les années à venir seront décisives pour que nous sachions, collectivement, et de manière solidaire, en tirer parti.

Je vous précise qu'une nouvelle réunion du comité interministériel aura lieu avant la fin de l'année 1998, pour, selon la même démarche, faire un nouveau point d'étape sur l'avancement du programme d'action, sensibiliser à nouveau si c'est nécessaire les ministères et les administrations, et réexaminer nos priorités à la lumière du débat public.

Vous allez pouvoir prendre connaissance en détail de ce programme d'action très dense, en même temps que le public, puisque le document qui vous est remis est immédiatement disponible sur le site lnternet de Matignon, dont la nouvelle organisation vous sera présentée dans un instant par le Service d'information du gouvernement.

D'autre part, nous avons souhaité que vous puissiez trouver dans chaque cabinet ministériel un correspondant " société de l'information ", ainsi que dans les grandes administrations. La liste de ces correspondants vous est communiquée avec le programme d'action.

Enfin, je vous remercie et, naturellement, mes collaborateurs, notamment Jean-Noël TRONC, qui suit le dossier " société de l'information " à mon cabinet, et qui a beaucoup travaillé, se tiendront, comme chacun des correspondants "société de l'information" à votre disposition si vous souhaitez approfondir avec eux tel ou tel aspect du programme d'action.

Voilà, Mesdames et Messieurs, les informations que je voulais vous donner pour tenir les engagements que j'avais pris il y a cinq mois à Hourtin.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 juin 2001)