Interview de M. Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF, à Radio Classique le 7 septembre 2002, sur l'assouplissement de la loi sur les 35 heures par voie de décret, sur la réforme de l'Etat et la réduction des effectifs de la fonction publique, et sur l'application de la loi relative aux droits des malades et la situation des sociétés d'assurance.

Prononcé le

Média : Radio Classique

Texte intégral

GERARD BONOS : Denis KESSLER, bonjour.
DENIS KESSLER : Bonjour.
GERARD BONOS : Merci d'avoir accepté notre invitation pour cette première émission de la saison. En fait, c'est trois personnes que je devrais saluer. Bonjour d'abord au vice-président délégué du MEDEF, un vice-président qui a, on le sait, brillamment réussi sans conteste la quatrième université d'été du MEDEF. 500 participants de plus que l'année dernière, dit-on. Mais un MEDEF qui s'est payé une roche Tarpéienne tout de suite après avec un ministre des Affaires sociales visiblement peu enclin à prendre en considération les attentes des patrons. Et ressurgit le sentiment d'une paix sociale achetée sur votre dos. Alors sans entrer dans des détails techniques qui désespéreraient le plus talentueux des fiscalistes, vous nous donnerez quand même, Denis KESSLER, le sentiment des chefs d'entreprise. Bonjour ensuite au président de la Fédération des sociétés d'assurances. Il y a un an, à cette heure-ci, le monde était proche de basculer et il ne le savait pas encore. Double choc en France avec quelques jours plus tard le drame de Toulouse. Alors on va laisser de côté le lyrisme bon marché de certains pour rester sur le terrain économique. Dans ce contexte, votre secteur, on le sait, a été toujours peut-être en première ligne. Vous nous direz comment il sort de cette année de tous les cauchemars. Nul doute que ça va par ailleurs être le sujet de conversation de tous les participants du Congrès mondial de la réassurance qui a lieu la semaine prochaine à Monaco, le grand rendez-vous annuel de la profession. Tous les grands acteurs de la planète y sont présents. Bonjour enfin à l'économiste que le public connaît un peu moins peut-être. Récemment dans votre bloc-notes du FIGARO ENTREPRISE, vous évoquiez les peurs qu'engendre l'incertitude, ce qui est actuellement le cas de ce monde en suspension qui inquiète par son absence d'échéance. Vous nous direz là encore votre sentiment en ce domaine, nous dire aussi si les 2,5 à 3 % de croissance que prévoit le gouvernement pour l'année prochaine tient plus de la méthode Coué que de l'analyse économique. Voilà, Denis KESSLER, les grandes lignes de cette émission de rentrée. Alors sans plus attendre, on va aller dans le vif du sujet. Pour se faire, présents dans ce studio : Thierry ARNAUD, LA TRIBUNE ; Elisabeth CHAVELET, PARIS-MATCH ; Dominique GALLOIS, LE MONDE ; Henri GIBIER, LES ECHOS ; Valérie LECASBLE et Pierre ZAPALSKI pour RADIO CLASSIQUE. On commence bien évidemment par l'actualité je dirais économico-politico-sociale en s'adressant d'abord au vice-président du MEDEF. Alors est-ce que la douche froide du gouvernement vous a surpris ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, c'est relativement clair. Ca fait maintenant cinq ans qu'on discute de la réduction du temps de travail, j'allais dire sans doute plus puisque les projets de l'ancienne majorité avaient été connus avant les élections de 1997. Et puis, on est allé de projet en projet, de disposition en disposition, de loi en loi, de décret en décret. Ca a complètement obstrué l'horizon des chefs d'entreprise mais aussi des salariés, des syndicats, des organisations patronales, du gouvernement. C'est insupportable. Nous sommes le seul pays dans lequel nous passons d'un régime par exemple d'allègement des charges à un autre à peu près tous les deux ans quand ce n'est pas plus souvent. C'est le seul pays dans lequel les décrets fixent les contingents d'heures supplémentaires à la seule disposition du ministre. C'est le seul pays dans lequel les partenaires sociaux passent leur temps à aller voir les services, les cabinets, que sais-je encore, ou les hommes politiques pour essayer d'influencer des décisions qui les concernent directement alors que c'est eux qui devraient être en charge de tout ce qui concerne la durée, l'aménagement et la rémunération du travail. Donc, situation dans laquelle nous souhaitons sortir, je dois le dire très honnêtement. C'est, j'allais dire, une rémanence du passé. On nous a enfermés dans un système de réglementation des relations sociales qui est absolument insupportable, qui n'a pas d'équivalent dans le monde. Et je dois vous avouer que l'idée de continuer à discuter de toutes ces questions dans les conditions où on le fait, non. Nous avons besoin maintenant de visibilité, qu'on nous reconfie la responsabilité réelle de ce qui concerne les relations sociales en France, les relations salariales, que l'on fasse confiance aux partenaires sociaux dans les branches et dans les entreprises et que l'on déréglemente l'ensemble des relations sociales, je veux dire. On ne peut pas continuer à... Alors voilà un exemple, on nous dit...
ELISABETH CHAVELET : A cet égard, est-ce que le gouvernement RAFFARIN, les premières semaines d'expérience, est-ce qu'il vous déçoit ou est-ce que ça vous convient ?
DENIS KESSLER : Non, non. Je refuse et nous le refusons, nous ne jugeons pas les gouvernements, ça n'a pas de sens. Un gouvernement, il est amené à prendre un incroyable nombre de décisions dans des registres différents tant en social, fiscal, réglementaire, environnemental, que sais-je encore. Et l'attitude que nous avons au MEDEF comme organisation responsable, c'est bien entendu porter des appréciations sur les mesures, sur les dispositions et non pas sur les gouvernements, je veux dire, puisque ça serait à mon avis totalement une erreur que de juger l'ensemble d'un gouvernement sur une seule mesure. Donc, lorsqu'une mesure n'est pas bonne, lorsqu'une mesure apparaît inopportune, inefficace ou allant dans le sens contraire de l'intérêt du développement des entreprises, je crois que nous sommes tout à fait dans notre mandat que de dire mais ça ne tient pas debout, ça ne va pas et nous le disons avec beaucoup de clarté, je veux dire. Il n'y a pas deux discours, il n'y a pas un discours devant le ministre et un discours sur le perron, il n'y a pas un discours devant nos troupes et devant les pouvoirs publics. Je crois aussi que nous essayons de faire en sorte que le débat public en France soit un débat public d'une très grande transparence, d'une très grande clarté. Et donc, très honnêtement, je refuse toute appréciation sur les pouvoirs publics. En revanche, je peux vous dire que telle ou telle mesure va dans le bon sens ou au contraire ne va pas dans le bon sens. Prenons un exemple. Lorsque l'on a appris la semaine dernière que le décret augmentant le volume des heures supplémentaires n'était que provisoire ou transitoire selon d'ailleurs le thème qui a été utilisé, le cri...
PIERRE ZAPALSKI : Ce n'est pas négatif. On vous propose 180 heures.
DENIS KESSLER : Le cri qui a été " mais transitoire, et qu'est-ce qui se passe de nouveau dans un an, dans un an et demi " ?
GERARD BONOS : Jusqu'à dix-huit mois seulement.
DENIS KESSLER : On recommence à discuter. Ecoutez, notre horizon lorsqu'on embauche quelqu'un à l'heure actuelle, c'est sur des périodes qui sont longues. Et donc, c'est quoi ? Vous voyez, voilà un exemple dans lequel nous ne souhaitons pas avoir des débats récurrents sur des éléments clés de la relation que nous avons avec les salariés, point. Nous avons besoin, soit on nous dit on vous confie la responsabilité et nous l'exerçons mais nous ne supportons pas cette espèce de situation, je dis bien, de débat auto-entretenu qui donne lieu évidemment à toutes les surenchères de part et autre et qui surtout, je crois très honnêtement, obstruent l'horizon alors que nous avons besoin de quelques certitudes.
VALERIE LECASBLE : Deux choses, Denis KESSLER. La première, c'est que le décret, c'est quand même vous qui souhaitiez l'obtenir au départ, c'est-à-dire que vous vouliez que le gouvernement intervienne, première chose. Et deuxième chose, une étude du ministère des Affaires sociales qui vient d'être publiée dit que 65 % des cadres et plus de la moitié des Français au total sont contents de la réduction du temps de travail. Alors est-ce qu'il y a un écart entre ce que pensent les chefs d'entreprise et ce que pense l'opinion française ?
DENIS KESSLER : Attendez. Nous, nous avons en charge les conditions de production dans ce pays quand même. Ce que je veux dire par là, c'est que, si effectivement le gouvernement décide de doubler les salaires par une loi et que vous me dites tout le monde est très satisfait, c'est bizarre que vous ne le soyez pas, je veux dire, ce qui est bizarre, c'est non pas qu'ils soient satisfaits, ce qui est bizarre, c'est que vous considériez que nous devrions nous réjouir. Donc, je veux dire, nous sommes dans une situation dans laquelle on nous fait l'euro. Donc, on nous dit allez-y, ça y est, la liberté. On élargit l'Europe à l'ensemble des pays de l'Est, pourquoi pas. On fait des accords commerciaux à l'OMC, on s'en réjouit. Et puis après, on nous dit voilà, on augmente le SMIC de 17%, allez-y. Et on dit, attendez, il faut être cohérent, je veux dire. On joue le jeu de l'européanisation, on joue le jeu de la mondialisation mais il y a moment où une décision de ce type là pose des véritables problèmes aux producteurs, je veux dire. Nous sommes dans notre mandat. Nous ne sommes pas en charge d'autre chose que de dire " est-ce que les conditions de compétitivité sont réunies dans ce pays, de développement des entreprises, du site de production France ? " Et c'est là où, je crois, il ne faut pas se leurrer. Lorsque vous me dites " les Français sont satisfaits des 35 heures ", d'ailleurs je ne partage pas cette opinion, je le dis très honnêtement.
VALERIE LECASBLE : Non, c'est ce que dit l'étude en question.
DENIS KESSLER : Oui, oh, je veux dire, très honnêtement, ce n'est pas exactement ça. Je crois en ce qui me concerne que les Français devraient pouvoir travailler le nombre d'heures qu'ils le souhaitent et gagner l'argent correspondant au volume d'heures de travail qu'ils ont effectivement fait.
GERARD BONOS : Oui, parce que c'est moins vrai pour les ouvriers, pour certaines catégories.
DENIS KESSLER : Moins vrai pour les ouvriers quand on regarde ça dans le détail, etc., la question n'est pas là. Nous sommes justement pour la liberté, que les gens travaillent le nombre d'heures qu'ils le souhaitent et qu'ils soient rémunérés en conséquence. Ca, c'est un principe qui existe quasiment dans tous les pays. En France, c'est l'Etat qui décide du nombre d'heures légal et puis du nombre d'heures supplémentaires, puis du repos compensateur, puis de la rémunération des heures supplémentaires. Enfin, c'est une économie dite administrée.
VALERIE LECASBLE : Mais le décret, c'est vous qui le vouliez.
DENIS KESSLER : Alors pourquoi un décret, oui, pourquoi nous voulions un décret ? C'est ça qui est extraordinaire. Nous avions négocié au niveau des branches des accords qui permettaient d'avoir des heures supplémentaires. C'a été négocié, ça. Et madame AUBRY, souvenez-vous en, a décidé de s'asseoir sur ces accords pour fixer un contingent de manière totalement autoritaire qui ne tenait pas compte des décisions des partenaires sociaux. Et donc, pour permettre la négociation et c'est ça que personne n'a compris, pour permettre la négociation dans les entreprises et dans les branches, il fallait passer par le décret qui est de toute façon un décret contraignant. Et donc, pour déverrouiller le dialogue social, il fallait prendre ce décret. Le plus tôt il sera pris, le mieux ça sera. Le plus pérenne il sera, le mieux ça sera de façon à ce que l'on puisse après négocier avec les partenaires sociaux et trouver des accords qui satisfont les uns et les autres. Moi, je n'arrive pas à savoir ce que veulent les Français. Ce que je sais, c'est qu'on peut dégager l'intérêt des uns et des autres par la confrontation entre les aspirations des salariés et les contraintes des entreprises. Ca s'appelle la négociation. Lorsque l'on parvient à un accord, eh bien on sait que l'on a satisfait le point de rencontre entre les contraintes et les aspirations. Et c'est pour ça que je souhaite une économie décentralisée. Dans le domaine politique, on va vers la décentralisation et on s'en réjouit. Je crois, c'est un autre sujet. Dans le domaine social, nous sommes aussi pour la décentralisation. Nous souhaitons que les relations sociales et les relations salariales soient décidées au plus près du terrain, au plus près des gens concernés et non pas très honnêtement dans les ministères et dans les services, au bureau B12 qui décide du taux de rémunération de l'heure supplémentaire pour tous les salariés français.
HENRI GIBIER : Oui, mais justement, est-ce que rendre ce décret adaptable, ce n'est pas faciliter la négociation ? Ca, c'est une première question. Je voulais juste enchaîner avec le SMIC puisque vous l'avez déjà abordé. Quelle est votre position vis-à-vis du SMIC ? Est-ce que vous êtes pour ou contre l'harmonisation des SMIC ?
DENIS KESSLER : Alors sur le décret, il fallait évidemment prendre ce décret de façon à pouvoir rouvrir le dialogue. Alors ça va être fait. Maintenant, nous allons commencer à discuter. On souhaiterait - le projet de loi de monsieur FILLON précise que c'est les branches - nous souhaitons que ça soit aussi les entreprises parce que, très honnêtement, dans les grandes entreprises, ce n'est pas au niveau de la branche que doivent se décider ces choses là. Très honnêtement, moi, je fais confiance aux partenaires sociaux partout où ils existent. Et donc, j'ai le sentiment que dans l'idée de décentralisation du dialogue social, il faut aller au-delà de la branche, il faut aller au plus près des entreprises. Et en ce qui me concerne, j'ai toujours constaté qu'il y a du dialogue social y compris dans les PME alors qu'une espèce de vulgate française voudrait dire que, dans les PME, il n'y a jamais de dialogue social. Ceci est une erreur, c'est faux. Donc, voilà, donc première idée, ouvrons le dialogue social et puis faisons confiance aux partenaires sociaux. Sur la seconde idée du SMIC, écoutez, le SMIC à la française date d'il y a maintenant trente ans. Là aussi, on laisse à un gouvernement le soin de fixer quelque chose qui est essentiel, c'est le prix du travail non-qualifié. Mais ce n'est pas le Parlement, c'est le gouvernement. Alors on a un mécanisme qui impose une augmentation du SMIC et puis après le gouvernement en toute liberté de faire des coups de pouce. Ca a été pensé, nous étions à l'époque en zone franc avec un contrôle des changes...
GERARD BONOS : Les trente glorieuses.
DENIS KESSLER : Une époque où le problème était l'inflation et non pas la compétition internationale et il n'y avait pas la concurrence entre les différents pays. Donc, qu'est-ce que nous avons proposé ? Et nous continuons de le proposer. Nous avons besoin d'une réforme du SMIC. Nous disons sur trois points fondamentaux, nous avons besoin d'une réforme du SMIC. Nous avons souhaité, un, et nous souhaitons, un, que le SMIC soit annualisé, non pas horarisé, annualisé, c'est-à-dire que l'on dise voilà la rémunération de quelqu'un qui travaille à temps plein pendant une année, voilà la rémunération qu'il doit avoir et ça, ça me semble absolument essentiel. Deuxième idée forte, nous souhaitons que le SMIC soit fixé par une commission indépendante et non pas par le ministre ou par le gouvernement, une commission indépendante à l'instar de ce qui se passe aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni où une commission indépendante regarde les progrès de la productivité du travail faiblement qualifié et puis donne l'augmentation qui tient compte de l'ensemble des contraintes et puis de ce qu'il constate, bref. Et puis troisième idée très forte, bien entendu, il faudrait que le SMIC soit articulé avec les minima de branches de façon à renforcer la négociation dans les branches et dans les entreprises et non pas uniquement au niveau central. On nous a écarté cette réforme et on reste dans un SMIC qui ne correspond plus j'allais dire à ce qu'il est, il n'a plus d'effet. Nous avons surtout vraiment demandé qu'on distingue politique des revenus et politique des salaires. La politique des revenus, c'est l'Etat qui en a la responsabilité. Il prélève des ressources fiscales et puis il les redistribue comme il le souhaite en fonction d'impératifs de redistribution, de niveau de vie. Et qu'on ne confonde pas politique des revenus avec politique des salaires. Et là, on voit bien que, dans un certain nombre de cas, on confond les deux. En augmentant le SMIC, on dit " c'est formidable pour les smicards, c'est très bien ". Mais nous, nous sommes responsables encore une fois des questions d'emploi, de production dans ce pays. Donc, voilà pourquoi toutes ces réformes ont été écartées, nous le regrettons. Et dans la proposition qui est faite, on augmente de 17% à peu près le SMIC, c'est-à-dire 11,4 points, plus la croissance des prix sur les trois prochaines années. Même s'il y a des compensations de charges et je ne les néglige pas, facialement, c'est une augmentation extraordinaire du coût du travail peu qualifié avec un écrasement de la pyramide des salaires, avec j'allais dire des véritables problèmes pour le travail faiblement qualifié, il faut le dire.
PIERRE ZAPALSKI : Vous dites, il faut annualiser le SMIC. Mais ce n'est pas seulement donc en reporter le prix à l'heure multiplié par le nombre d'heures dans l'année. Quel est l'avantage de l'annualisation du SMIC de façon concrète ?
DENIS KESSLER : Voilà un exemple très clair. Il faut savoir que, si c'est un 13ème mois, il n'est pas tenu, on n'en tient pas compte dans le SMIC. Donc, une entreprise donne un 13ème mois. Le 13ème mois, on n'en tient pas compte dans le SMIC. Mais si le 13ème mois est lissé sur quatre mois par exemple, eh bien dans ce cas là, on en tient compte. Vous voyez bien, à force d'administrer les choses, nous disons que l'Etat devrait définir par une commission indépendante...
GERARD BONOS : Ca devient l'usine à gaz.
DENIS KESSLER : La rémunération d'un travail à temps plein que ceci soit distribué par un 13ème mois ou pas ou un 14ème mois ou pas ou une prime ou pas, l'important, c'est que tout salarié français à temps plein ait cette rémunération annuelle. Dans les branches, ce sont des minima qui sont annualisés. Et j'ajoute, et c'est là où c'est les paradoxes français, dans la Fonction publique, tout le monde est annualisé. Et j'ai les syndicats en face de moi qui viennent de la Fonction publique qui disent " c'est épouvantable que d'annualiser le SMIC dans le secteur concurrentiel ". Mais alors dans ce cas là, pourquoi est-ce qu'on ne passe pas à l'heure dans l'ensemble du secteur public ? Ah non, jamais. Mais oui. Alors j'aimerais savoir quand même, on parle sans arrêt de rapprocher les deux France, la France du secteur public, la France du secteur privé. Annualiser le SMIC, ça permettait, je crois, d'avoir une politique. Pour ceux qui connaissent la Fonction publique, vous avez des rémunérations annuelles garanties qui sont fixées par le gouvernement et qui concernent bien entendu l'ensemble de l'année. Donc, vous voyez, voilà les blocages français où, pour un espèce d'attachement à des mécanismes périmés, on se retrouve dans une situation très honnêtement qui est extrêmement préoccupante. L'augmentation brutale du SMIC sans contrepartie peut avoir des effets catastrophiques sur l'emploi des gens faiblement qualifiés.
THIERRY ARNAUD : Alors puisqu'on est un peu dans le concret et dans la mécanique, pourquoi avoir fait de ces 180 heures supplémentaires l'un de vos principaux chevaux de bataille sachant que les chiffres dont certains sont un peu anciens, c'est vrai, tentent à montrer que les entreprises globalement utilisent peu le quota d'heures supplémentaires qui sont déjà disponibles ?
DENIS KESSLER : Alors ça, c'est une merveilleuse question, Monsieur ARNAUD.
GERARD BONOS : Il vous remercie, Thierry ARNAUD, de l'avoir posée.
DENIS KESSLER : Vraiment, je trouve ça merveilleux. Il suffirait, je vais vous dire, il suffirait que 10 % des entreprises soient contraintes pour justifier le contingent de 180. Me dire globalement on ne les utilise pas, ça n'a pas de sens. Prenons un exemple. Si une grande entreprise d'aéronautique doit livrer des AIRBUS et a des pénalités très fortes s'il ne parvient pas à livrer les AIRBUS, pour des raisons X, Y ou Z n'est pas arrivé à le faire, est obligé de faire des heures supplémentaires pour pouvoir rattraper le temps perdu et ne pas perdre la commande ou ne pas être soumis à des pénalités trop fortes, eh bien il suffit qu'une entreprise en France ait besoin de le faire pour qu'on puisse l'autoriser à le faire, je veux dire par là, ce n'est pas global, une économie, c'est des milliers d'entreprises qui sont soumises à des cycles d'activités différents, des situations concurrentielles différentes et qui peuvent rencontrer des problèmes différents, point. C'est là où je suis pour la décentralisation. On a compris, je veux dire. Les costumes uniques ne vont plus à personne en France. On continue à faire des costumes uniques en disant bon, les petits, ça flottera un peu, les gros, ils seront un peu contraints mais finalement, ça va... mais non, mais non, c'est terminé, ça, ça ne marche plus. Et j'allais dire, les 180 heures, ce n'est pas une bonne mesure non plus. Nous souhaitons que ça soit déterminé dans les branches et dans les entreprises en fonction de ce que souhaitent les salariés des entreprises et des branches en question et de ce que souhaitent également ceux qui sont en charge des décisions de production. Donc, votre question en disant ah, finalement, ça satisfait une majorité, il suffit qu'il y ait une minorité qui ne soit pas satisfaite pour que, dans une économie, on les laisse faire autre chose.
DOMINIQUE GALLOIS : Je voudrais savoir comment vous voyez la rentrée sociale parce que, apparemment, tous les automnes, on annonçait une rentrée chaude. Donc, est-ce que cette année, vous pensez qu'elle va être animée ?
DENIS KESSLER : Monsieur GALLOIS, d'abord, j'aimerais disserter un peu sur ce qu'on appelle rentrée chaude. Lorsqu'on regarde les vingt dernières années, les rentrées chaudes dans le secteur concurrentiel, il n'y en a jamais eu. Dans le secteur privé, il n'y a pas de rentrée chaude. Les rentrées chaudes, ça caractérise toujours le secteur public. C'est les grandes entreprises publiques, les grands services publics, les services de l'Etat qui se mettent en grève soit collectivement, soit les uns derrière les autres et on appelle ça rentrée chaude. Mais dans le secteur des entreprises, dans le secteur que je représente avec Ernest-Antoine SEILLIERE, je vous mets au défi de me dire quand il y a eu une rentrée chaude. Le problème en France des relations sociales n'est pas dans le secteur privé alors qu'on s'évertue à vouloir en traiter. Le problème, c'est dans le secteur public. Les relations sociales dans le secteur public, c'est le degré zéro. On l'a vu d'ailleurs. Ils ne sont même pas arrivés à appliquer les 35 heures dans ce secteur là. Ils ont des relations sociales épouvantables dans tous les secteurs publics. On parle de service minimum, on n'arrive pas à appliquer ou à élaborer une nouvelle loi. Et donc, quand on me parle de rentrée chaude, je dois dire, je ne suis pas concerné. Et donc, vous me dites la rentrée chaude dans le secteur privé, il n'y en aura pas parce qu'il n'y en a pas eu et je ne pense pas qu'il y aura. S'il y en avait une, ça serait très regrettable, nous ferons tout pour l'empêcher.
DOMINIQUE GALLOIS : Et dans le secteur public ?
DENIS KESSLER : En revanche, dans le secteur public, ça concerne l'Etat. Donc, très honnêtement, il faut que l'Etat, je pense, dans sa réforme parce que, très honnêtement, c'est quand même ça qu'il faut faire maintenant, cessons de s'occuper du secteur privé, occupons-nous des vraies questions, le secteur public.
GERARD BONOS : Vous y croyez vraiment à la réforme de l'Etat ? Ca fait quinze ans qu'on en entend parler. Vous y croyez, vous Denis KESSLER, à la réforme de l'Etat ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, elle viendra parce que l'Etat est désormais en concurrence avec tous les autres Etats. Et donc, tant qu'il n'était pas en concurrence, il s'est permis de ne pas la faire mais c'est trop tard, la concurrence est le principe d'évolution et donc, je pense que l'Etat français est en concurrence avec les autres Etats, il va être obligé de bouger, qu'il le veuille ou pas. Donc, moi, je suis confiant simplement parce que, bref, il ne fallait pas faire l'Europe dans ce cas là. On y va, réforme de l'Etat. Et dans ce cas là, je le dis très honnêtement, il faut vraiment que l'Etat se modernise, se transforme dans son périmètre, dans son fonctionnement et dans les relations qu'il a avec ses salariés et dans ce cas là, il n'y aura pas de rentrée chaude. Donc, vous voyez, vous me parlez d'un sujet qui ne nous concerne pas très honnêtement. Je ne dis pas qu'il n'y aura pas ceci, delà des problèmes dans les entreprises, je veux dire encore une fois, ce n'est pas ce que je veux dire. Et quand vous regardez la courbe des conflits du travail en France, il faut savoir que nous sommes au point le plus bas des conflits du travail dans le secteur concurrentiel quand on regarde par exemple le nombre de jours perdus par faits de grèves. Alors on vit sur un mythe, la rentrée chaude, je dis simplement que ce n'est pas un problème qui concerne le secteur des entreprises privées mais qui concerne le secteur des entreprises publiques. De grâce, je veux dire, faisons les réformes de ce secteur là.
GERARD BONOS : On rappellera aux auditeurs que c'était un terme employé par Georges SEGUY tout de suite après les événements de 68. Toutes les rentrées, il les qualifiait, l'ancien patron de la CGT, de rentrées chaudes.
VALERIE LECASBLE : Une question qui vous concerne doublement. Pendant tout l'été, il y a eu un débat, est-ce qu'il faut baisser les impôts, est-ce qu'il faut baisser les charges sociales ? Donc, l'entrepreneur que vous êtes, j'imagine, voudrait qu'on baisse les charges sociales et le libéral que vous êtes et qui combat les prélèvements obligatoires voudrait qu'on baisse les impôts. On ne pourra sans doute pas tout faire. Les marges de manuvre ne sont pas très importantes. On est à quelques jours d'un arbitrage. Quel est le vôtre, Denis KESSLER ?
DENIS KESSLER : L'arbitrage est clair : il faut baisser les dépenses publiques et sociales dans ce pays. Si on ne part de la dépense, eh bien ce n'est pas la peine de croire que les baisses d'impôts, que les baisses de charges sociales seront durables et pérennes. L'illusion a complètement disparu. Ce que j'appelle l'illusion, c'est de croire que l'on peut avoir durablement des baisses de charges sans baisse des dépenses. Ca ne marche pas. Ca s'appelle la dette publique ou la dette sociale et on sait que, tôt ou tard, la dette d'aujourd'hui, ce sont les impôts de demain. Donc, non.
VALERIE LECASBLE : Oui, mais vous ne me répondez pas là.
DENIS KESSLER : Je vous réponds très exactement.
VALERIE LECASBLE : Vous répondez à côté.
DENIS KESSLER : Je ne réponds pas du tout à côté. Je dis, je crois véritablement dans les baisses de charges et dans les baisses d'impôts lorsque je verrai la baisse des dépenses publiques et des dépenses sociales. Et après, il faut faire les deux.
VALERIE LECASBLE : Oui, mais là, demain, vous feriez quoi, vous ?
DENIS KESSLER : Mais il faut faire les deux évidemment. D'ailleurs, c'est bien ce que - j'ai cru comprendre - le gouvernement s'engageait à faire. Il faut baisser les impôts directs qui sont trop élevés, il faut baisser les charges sociales sur le coût du travail tout simplement parce que nous, on ne s'en sortira pas.
GERARD BONOS : Au moins sur les bas salaires.
DENIS KESSLER : Ecoutez, pour le moment, on redéploie. Ce qu'on appelle à l'heure actuelle modification du régime des charges sociales, c'est en fait de redéployer l'allègement des charges qui était fait pour toutes les catégories de salariés vers les bas salaires pour compenser l'augmentation du SMIC. Mais je rappelle que l'allègement des charges sociales qui avait été décidé, c'était pour compenser le passage aux 35 heures. Donc, globalement, le nouveau dispositif d'allègement des charges qui nous est proposé est plus coûteux pour les entreprises. Ca renchérit le coût du travail dès lors que son salaire est supérieur à 1,7 SMIC quand bien même ces personnes seraient passées aux 35 heures et que les allègements de charges qui avaient été décidés pour elles étaient en partie pour compenser ce passage aux 35 heures. Il faut le dire avec force. On va vers un renchérissement du coût du travail dans notre pays particulièrement pour les salaires moyens et pour les salaires qui dépassent deux SMIC ou trois SMIC avec une compensation. Et cet argent est redistribué pour les gens qui sont au SMIC. Mais ça ne compensera pas entièrement même l'augmentation à l'heure actuelle du SMIC. Donc, on est dans une situation dans laquelle, je dois dire, le coût du travail va augmenter.
ELISABETH CHAVELET : Je voudrais rebondir sur votre exhortation " il faut baisser les dépenses publiques ". Alors comme vous n'êtes pas du genre habituel " il faut, y a qu'à ", je voudrais vous poser deux questions. On dit que le gouvernement va baisser de 1 600 le nombre des fonctionnaires. Donc, est-ce que c'est à la hauteur du problème ? Et deuxièmement, le problème, c'est qu'en France aucun responsable, ils disent tous il faut, il faut, il faut mais ils ne disent jamais où on pourrait baisser le nombre des fonctionnaires parce que ce n'est pas populaire de le dire. Est-ce que, vous, vous le dites ? Où faut-il baisser le nombre des fonctionnaires ?
DENIS KESSLER : Je vais répondre, au cours des dix dernières années, on a augmenté le nombre de fonctionnaires en France de 280 000. Si en un an on le baisse de 1 700, dans dix ans, on l'aura baissé de 17 000. Je ne me trompe pas. On continue au même rythme. Et donc, il y a quand même une certaine asymétrie, semble-t-il, historique entre la capacité extraordinaire de créer des nombres de fonctionnaires et l'incapacité extraordinaire à en réduire la marge. Quant aux 1 700 fonctionnaires dont on a les effectifs de réduction, en fait, il n'y a aucune suppression de poste. On ne remplace pas tous les départs à la retraite et on continue d'embaucher des gens pendant cette période là. Donc, c'est le solde dont vous me parlez. Non, il n'y a pas de politique volontariste à l'heure actuelle de réduction de la fonction publique dans ce pays, je crois qu'il faut le dire. J'espère qu'elle va venir. Le nouveau gouvernement a été mis en place il y a trois ans (sic).
ELISABETH CHAVELET : Alors qu'est-ce que vous suggérez ?
DENIS KESSLER : Mais attendez, mais dans toutes les dimensions, partout, partout, partout.
ELISABETH CHAVELET : Oui, mais concrètement.
DENIS KESSLER : Ecoutez, prenons un exemple, la METEO nationale. On a fait l'Europe. A ma connaissance, les nuages depuis que l'on a fait les accords de Schengen ne présentent plus leurs papiers lorsqu'ils traversent les frontières. S'il y avait un endroit où l'Europe devait s'exprimer, c'est de faire une METEO européenne. Alors là, les photos satellites couvrent toute l'Europe et j'avais l'impression que c'était un endroit où mettre les moyens en commun et de réduire les effectifs de fonctionnaires qui appartiennent à la METEO nationale. Vous me demandez un exemple, celui-ci. Alors nous, on nous oblige à faire l'Europe dans tous les domaines et tout de suite, etc. La METEO nationale est restée la METEO nationale.
ELISABETH CHAVELET : Il y a combien de fonctionnaires à la METEO ?
DENIS KESSLER : Il y a un nombre extrêmement, plusieurs milliers de fonctionnaires et tenez-vous bien, il y en a à peu près autant qu'à l'époque des ballons sondes alors qu'à l'heure actuelle, on décrypte des photos satellites. Donc, je veux dire, le vrai travail, je vais vous le dire, il faut appliquer à l'Etat la même détermination que, malheureusement, les entreprises doivent montrer lorsqu'elles ont des problèmes de compétitivité, etc., c'est-à-dire, je suis désolé, ça suppose de prendre les problèmes à bras-le-corps non pas avec comme seul objectif de réduire les postes, mais c'est de redéfinir les missions, de redéfinir les procédures, de redéfinir les institutions, de redéfinir les périmètres, c'est un énorme chantier. Ca ne prendra pas un an. Ce n'est pas simplement une décision du mois de septembre, j'allais dire, du nombre de postes budgétaires. C'est la réforme de l'Etat. Mais si nous ne réformons pas l'Etat, il n'y aura pas de réduction durable, j'allais dire, des charges de fonctionnement de l'Etat. J'insiste sur ce point, nous allons juger le budget. Il va nous être présenté dans quelques jours, nous allons le juger. Nous allons le juger sur plusieurs points. En tout cas, il y en a un qui est les charges de fonctionnement de l'Etat parce que ça, très honnêtement, là, il faut une volonté extrêmement volontariste et nous savons qu'il y a des immenses marges de manuvre dans le budget de l'Etat pour réduire ses frais de fonctionnement. Il faut une détermination sans faille et il faut, je crois, expliquer pourquoi, dans notre pays, c'est un impératif tout à fait catégorique.
HENRI GIBIER : Denis KESSLER, cet été, vous avez réitéré votre attachement avec Ernest-Antoine SEILLIERE à la refondation. Est-ce que vous pourriez nous dire comment vous comptez relancer ce chantier, ce vaste chantier de la refondation et sur quels sujets ?
DENIS KESSLER : Incontestablement, il y a un sujet qui est au cur de nos préoccupations, c'est la formation professionnelle, par exemple ce qu'on appelle la formation tout au long de la vie, c'est la mobilisation des compétences. Dans une économie vieillissante, une population vieillissante où nous allons être moins nombreux demain et moins nombreux en plus en âge de travailler, s'il n'y a pas mobilisation des compétences, nous savons que nous allons perdre en pouvoir, en compétitivité. Et donc là, il y a je crois pour l'ensemble des organisations de salariés, syndicats de salariés, pour nous tous, pour toutes les entreprises, il y a véritablement urgence à poursuivre le chantier de la rénovation de la formation professionnelle pour que tous les salariés français au cours de leur vie aient la possibilité de maintenir, d'acquérir, d'entretenir ou de développer leurs compétences, voilà, et ce n'est pas idéologique, c'est nécessaire de le faire. On a été bloqué malheureusement lors des précédentes négociations par l'arrivée des élections qui sont toujours perturbatrices pour le dialogue social. Les élections sont derrière nous et nous allons relancer cet énorme chantier pour permettre d'offrir à tous les salariés français l'accès à des nouvelles compétences. Voilà un exemple mais il y a d'autres chantiers. Prenons le dossier de la retraite puisque c'était l'actualité récente. Nous avons, nous, essayé de faire évoluer les régimes de retraite. Nous avons passé un an à négocier avec les organisations syndicales jusqu'au moment où nous avons appris que monsieur JOSPIN avait décidé de ne pas traiter le sujet alors même qu'il avait promis qu'il le ferait, alors même qu'il avait mis en place le Conseil d'orientation des retraites, il a décidé non, je ferai ça après les élections. Il a fallu arrêter notre démarche puisqu'il est évident qu'aménager les régimes de retraite complémentaire alors même que le gouvernement avait décidé de ne pas traiter le problème des régimes de base, eh bien il a fallu
HENRI GIBIER : Les positions étaient très éloignées aussi entre les syndicats et le patronat.
DENIS KESSLER : Oui, mais nous, nous avons fait la preuve que nous avions la volonté de négocier puisque nous avons passé beaucoup de temps, des centaines d'heures à le faire, à expliquer, à chiffrer, à faire des propositions. Alors qu'est-ce qui se passe maintenant ? Nous avons de nouveau devant nous ce chantier des retraites complémentaires que nous allons essayer de boucler dans l'année qui vient à condition que le gouvernement respecte l'engagement qui a été pris dans le discours de politique générale de mener les réformes des régimes spéciaux de fonctionnaires et du régime de base. Donc, voilà un second chantier mais il y en a d'autres bien entendu puisque nous avons la ferme intention de contribuer par la négociation à la réforme de ce pays.
THIERRY ARNAUD : On parlait, il y a un instant, de la difficulté à préparer ce budget 2003. On n'est peut-être pas très loin du moment où ces difficultés budgétaires pourraient entrer en conflit avec les engagements européens de la France. Alors s'il y avait un moment où il fallait choisir ou réviser les engagements européens de la France, se pencher sur le pacte de stabilité, quelle serait votre attitude dans ce contexte là ?
DENIS KESSLER : Je suis pour la discipline, moi, je suis pour la discipline. Très honnêtement, il faut respecter les engagements. C'est des engagements qui ont été pris par la France vis-à-vis de ses partenaires sauf si tous les pays évidemment décident de modifier - ça, c'est de leur responsabilité - les objectifs. Mais en ce qui me concerne, je ne suis pas trop pour commencer à discuter de la modification des échéanciers et des cibles alors même qu'on a pris cet engagement. C'est important, ça.
VALERIE LECASBLE : Oui, mais dans ces cas-là, on ne peut pas baisser les impôts.
DENIS KESSLER : Mais si, on peut baisser les impôts à condition...
VALERIE LECASBLE : On ne peut pas tout faire.
DENIS KESSLER : Mais à condition, Madame LECASBLE...
VALERIE LECASBLE : De réduire les dépenses de l'Etat. Mais l'effet ne sera pas immédiat.
DENIS KESSLER : C'est formidable, c'est formidable.
VALERIE LECASBLE : J'ai compris.
GERARD BONOS : Enfin !
DENIS KESSLER : C'est formidable.
VALERIE LECASBLE : Mais l'effet ne sera pas immédiat, vous le savez très bien.
DENIS KESSLER : Attendez, ça, ce n'est pas vrai non plus.
VALERIE LECASBLE : Même si on le faisait.
GERARD BONOS : Madame LECASBLE, laissez monsieur KESSLER parler.
DENIS KESSLER : Ce que dit madame LECASBLE est extrêmement important. Il y a une vulgate en France qui dit réduire les dépenses publiques, c'est très difficile, grand 2, ça prend du temps. Mais c'est incroyable. L'Etat, c'est comme une très grosse entreprise. Moi, je connais de très grosses entreprises qui, confrontées à des difficultés, arrivent en quelques semestres, en quelques mois à visiblement réduire les dépenses, prendre des décisions lourdes, restructurer, réorganiser. Ce n'est pas très plaisant, je l'avoue, mais ceci dit, c'est de temps en temps la seule condition pour que l'entreprise retrouve tonus et vivacité. Donc, c'est extraordinaire, on a développé toute une série de tabous en France qui fait que quiconque parle de réforme de l'Etat, on me dit d'abord c'est mauvais pour la conjoncture. Je maintiens, je persiste et je signe en disant que la réduction des dépenses publiques à l'heure actuelle de même que la réduction des effectifs de fonctionnaires, c'est bon pour la croissance française et c'est bon pour l'emploi global dans ce pays, c'est bon pour la lutte contre le chômage. C'est même attesté par toutes les études. Donc, allons-y. Après, on me dit oh là, là, vous n'imaginez pas, ça va être épouvantable, ça va être épouvantable d'un point de vue social. La réponse, allons-y, je veux dire. Ce n'est pas parce que ça va être épouvantable d'un point de vue social qu'il faut ne pas poursuivre la réforme de l'Etat dans toutes ses composantes et dire que la sous-préfecture de Romorantin est un tabou tel que quiconque supprimerait un poste de jardinier, ceci transformerait la situation
GERARD BONOS : Romorantin ne devient pas Pithiviers.
DENIS KESSLER : Ou Pithiviers, je vois que monsieur connaît la géographie. Merci, Elisée RECLUS. Donc, on est dans une situation dans laquelle dès que quelqu'un arrive vers la réforme de l'Etat se met en place toute une espèce d'argumentation pour dire ce n'est pas possible, c'est compliqué, c'est très long. Ce n'est pas vrai. La preuve est que les expériences étrangères que nous avons analysées dans tous les pays européens et même d'ailleurs non-européens montrent que c'est tout à fait possible, tout à fait possible. Et je suis surpris de voir que des pays nordiques pour ne pas citer sans arrêt les pays anglo-saxons ont entrepris une réforme de l'Etat - je pense à la Suède - absolument extraordinaire avec des résultats extraordinaires en quelques années. Je pourrais citer également le cas de la Nouvelle-Zélande.
PIERRE ZAPALSKI : Et quand même, il y a une sacrée différence entre l'Etat et l'entreprise parce qu'on voit mal l'Etat en train de vendre des actifs à la concurrence pour se désendetter comme peut faire une entreprise.
DENIS KESSLER : Oh, vous savez, la simple gestion du parc immobilier de l'Etat de manière un peu dynamique. Tiens, je parlais tout à l'heure de la METEO nationale. Son siège est installé au mètre carré le plus cher de France le long de la Seine dans le VIIème arrondissement.
VALERIE LECASBLE : Et on revient à la METEO nationale.
DENIS KESSLER : Mais non, mais vous me demandez des exemples parce que, après, vous dites mon discours est éthéré. J'avoue que, pour regarder les nuages, il me semble qu'il y a d'autres endroits en France que le VIIème le long de la Seine.
PIERRE ZAPALSKI : Mais je croyais qu'elle avait été décentralisée à Toulouse.
GERARD BONOS : Non, non, il y a un immense bâtiment art déco qui est magnifique.
DENIS KESSLER : Pas du tout, immense bâtiment le long de la Seine. Et donc, simplement la gestion du parc immobilier, je prends cet exemple là, est tout à fait possible, que l'Etat se désengage d'un certain nombre d'activités. Non, attendez, ça, je vais être inépuisable parce que là, encore une fois, les pistes de réforme de l'Etat sont innombrables et il faut s'y mettre le plus rapidement possible.
DOMINIQUE GALLOIS : Deux questions. Vous connaissez bien le gouvernement maintenant puisque vous discutez beaucoup avec lui. Est-ce qu'il sera capable de réduire le poids des déficits publics ? Et aussi, je voulais savoir, pour vous, qu'est-ce que ça donne d'avoir un ministre qui est un ancien patron ? Est-ce que c'est bon, ce mélange des genres ?
GERARD BONOS : Dominique GALLOIS fait allusion à Francis MER bien sûr.
DENIS KESSLER : Ah, flûte, je n'avais pas compris.
GERARD BONOS : Je précise pour les auditeurs, pas pour vous bien sûr.
DENIS KESSLER : Sur le premier point, comme je le disais tout à l'heure, je crois dans la thèse de la compétitivité globale, c'est-à-dire qu'un pays est en compétitivité, est en concurrence plus exactement avec tous les autres pays à l'heure actuelle mais dans toutes ses dimensions, c'est-à-dire qu'en fait, notre système d'éducation nationale est à l'heure actuelle en compétition avec les systèmes d'éducation nationale des autres pays, notre système universitaire, notre système de recherche, notre organisation administrative, notre système judiciaire, tout ceci rentre en résonance avec les autres pays. Ce ne sont pas des entreprises qui sont en concurrence les unes avec les autres. C'est une entreprise dans son environnement global. Ca, c'est la novation. C'est pour ça qu'on a ce déficit de compréhension de la mondialisation. La mondialisation, c'est la mise en concurrence généralisée de tous les systèmes sociaux, de tous les systèmes collectifs, de tous les systèmes dans tous leurs fonds et leurs tréfonds. Une fois que j'ai dit ça, qu'on me dit " est-ce que vous êtes confiant dans la capacité de ce gouvernement à mener les réformes de l'Etat ? ". Nolens, volens, qu'il le veuille ou non, elle aura lieu. Elle aura lieu parce qu'il n'y a pas d'autre voie parce que je le dis à l'heure actuelle, je prends un exemple, on voit une forme d'européanisation du marché des cadres à l'heure actuelle et notamment des cadres dirigeants, c'est en train de se produire. On voit les universités américaines en train de se dire mais dites-moi au moins s'il y a une possibilité de développement pour les grandes business schools américaines que de se développer en Europe et de donne des diplômes qui, finalement, joueront leur jeu sur le marché du travail. On voit bien que ceci va affecter tout le système d'éducation supérieur français et on ne va pas pouvoir continuer à avoir des écoles dont la vocation n'était que française, la plupart du temps militaires ou quand elles n'étaient pas militaires publiques uniquement pour former des fonctionnaires. On voit bien que tout d'un coup
GERARD BONOS : Vous dites ça parce que vous avez Normale.
DENIS KESSLER : Et donc, on voit, qu'est-ce qui va se passer ? On est en train de le faire, on va être obligé de changer les cursus en France, on va être obligé de changer les durées des études en France, on va être obligé de changer la façon dont les diplômes sont délivrés en France, oui, parce que et c'est un exemple que je donne. Donc, la réforme est en route. Ceci concerne quasiment tous les pans de la société. Donc, je suis confiant, je suis confiant parce que je dis bien encore une fois au développement actuel des économies, il n'y a pas d'autre voie que de faire cette réforme. Et je préfèrerais qu'on la gère. Je pense qu'elle va nous être imposée. J'aurais préféré qu'elle soit gérée. Et le grand déficit d'explication en France de par, j'allais dire, de tous ceux qui participent à l'action publique, ce n'est de ne pas passer beaucoup de temps à des citoyens je veux dire qui sont peu éclairés à l'heure actuelle de tous ces enjeux pour leur expliquer pourquoi il faut à l'heure actuelle procéder à ces extraordinaires réformes, les porter politiquement, les positiviser alors que, comme vous le savez, la plupart du temps, elles sont agitées, ces réformes, plutôt pour inquiéter, pour faire peur plutôt que de faire progresser le pays.
DOMINIQUE GALLOIS : Et alors, est-ce qu'un patron fait un bon ministre ? Parce que régulièrement, on voit que les anciens ministres ne font pas forcément des bons patrons.
DENIS KESSLER : Monsieur GALLOIS, je vais vous dire. Je lis de-ci, de-là que Monsieur MER venant de la société civile a du mal à s'intégrer à la société politique. D'ailleurs, tout l'été, nous avons eu ce type de commentaires. C'est la plus belle critique à la société politique que j'ai pu entendre alors qu'on croit que c'est une critique de la société civile. Si la société politique en France n'est pas capable d'intégrer des gens de la société civile avec leur façon de penser, d'agir, de dire la vérité, ça veut dire que la société politique est tellement loin des Français qu'elle n'arrive plus à absorber les gens de la société civile. Je n'ai jamais vu de critique plus.. alors qu'on croit que c'est une critique de monsieur MER et de la société civile, c'est une critique de la société politique. Ca voudrait dire que, dans la société politique, il y a des tas de rites, des tas de règles très, très éloignées de la façon dont les Français se comportent, agissent en société et que celui qui ne respecterait pas ces règles et ces rites et, j'allais dire, la liturgie politique se mettrait en marge de cette société politique. Je fais confiance à Francis MER et je souhaite qu'il fasse évoluer l'ensemble de la classe politique quelle qu'elle soit. Je souhaite que la classe politique s'ouvre à la société civile davantage parce que c'est une condition sine qua non de rapprochement de la classe politique des Français. Et donc, dans son action, je crois qu'il fait en partie casser des noix mais comme je le dis, c'est un peu dans son tempérament. Et très honnêtement, je suis très heureux. Ceci n'est aucune appréciation sur ce qu'il fait ou ce qu'il ne fait pas. Je dis simplement que je trouve que les critiques à l'endroit de monsieur MER venant de la classe politique me semblent, en ce qui le concerne, la plus belle preuve d'autocritique que les politiques peuvent faire.
VALERIE LECASBLE : Tout à l'heure à juste titre, vous avez montré comment le système éducatif français se mettait à l'heure de la concurrence européenne. Est-ce que vous pensez que ça veut dire pour autant qu'il faut supprimer le nombre de professeurs, diminuer, pardon, le nombre de professeurs et supprimer des postes de professeurs, d'enseignants, ce qui n'est pas le cas du budget aujourd'hui justement parce que, diminuer la dépense de l'Etat, c'est diminuer le nombre d'enseignants.
DENIS KESSLER : Je trouve ça merveilleux dans ce pays, on confond toujours les fins et les moyens et on confond éducation et nombre de professeurs dans l'Education nationale. Moi, je parle toujours d'un projet pédagogique. Qu'est-ce qu'à l'heure actuelle on doit donner à un élève pour qu'il puisse affronter le monde tel qu'il va être dans dix, quinze, vingt ou trente ans, qu'est-ce qu'il faut lui apprendre ? Qu'est-ce qu'il faut lui donner comme bagages pour pouvoir affronter la situation qu'il va devoir affronter en matière technologique, en matière de marché du travail, en matière d'insertion internationale, même en matière de valeurs ? Et c'est extraordinaire dans ce pays comme quoi on passe toujours d'un débat des fins qui est occulté la plupart du temps, qui n'est jamais véritablement traité à un débat de moyens. Il faut 3 000 postes, il faut, etc. Dans tous les domaines, je vois ça, dans le domaine de la culture, je le vois dans le domaine de l'éducation, je le vois dans le domaine de la justice et autres. Et je pense que la réhabilitation de la politique sera sans doute en France que le débat public porte d'abord et avant tout sur les fins, sur les fins plutôt que simplement sur des débats sempiternels sur les moyens dans lesquels on juge la politique au montant des crédits qui sont accordés, des postes qui sont ouverts ou des institutions qui sont mises en place. Il y a quelque chose qui ne va pas. Et je constate d'ailleurs un retard dans la vie politique française parce que je constate que, dans les autres pays très honnêtement, ils sont arrivés à organiser davantage des débats publics sur les fins dans tous les domaines.
VALERIE LECASBLE : Est-ce qu'il y a moins de professeurs dans les autres pays ?
DENIS KESSLER : Mais ce n'est pas une question du nombre de professeurs puisque, encore une fois, si on pouvait augmenter le capital humain des Français pour prendre un terme qui me vient à l'esprit ou toutes les compétences pour pouvoir durablement augmenter la croissance et augmenter le niveau de vie simplement en augmentant le nombre de professeurs, je dirais immédiatement banco, allons-y. Mais la question n'est plus là. Les professeurs en France, qu'enseignent-ils, avec quels moyens technologiques, dans quelles conditions, c'est incroyable, c'est ça, la vraie question, c'est ça la vraie question qui n'est malheureusement pas posée. Et je vois bien le rôle un peu pervers en France de débats, parce qu'ils sont souvent posés dans des termes bureaucratiques et technocratiques, ne portent que sur les moyens, ce qui permet d'évacuer tous les problèmes de fin. Et je pose la question. On s'en fout du nombre de professeurs. Où est le projet pédagogique à l'heure actuelle que va porter le gouvernement puisqu'il a la responsabilité de l'Education nationale ? Cette question là, elle concerne tous les parents d'élèves, elle concerne toute la nation. Autre exemple dans le domaine des retraites, la vraie question, c'est comment faire coexister trois ou quatre générations dans les années qui viennent de façon à maintenir une forme de cohésion, une répartition des ressources relativement harmonieuses sachant que le poids relatif des générations est en train de changer. Ca, c'est la question politique fondamentale de réforme des retraites. A la place de ça, vite, le débat va uniquement porter sur le nombre d'annuités ou les taux de cotisations, mais non, mais non. A chaque fois, et c'est un des rôles du MEDEF, nous allons poser dans tous ces domaines là des questions fondamentales sur la façon dont la société française doit se reposer la question des fins et ça, c'est la question fondamentale et je l'ai dit relativiser les moyens pour parvenir à satisfaire ses fins.
THIERRY ARNAUD : Gérard BONOS nous vantait en début d'émission vos talents d'économiste. Alors j'ai envie de vous demander votre réaction notamment aux chiffres qui sont parus cette semaine et puis vos pronostics. Est-ce qu'on est effectivement en France en 2002 sur un rythme de croissance peu ou proue de 1 % et est-ce que l'objectif ou le souhait qu'avait émis le gouvernement de voir la croissance atteindre 3 % l'an prochain est définitivement hors d'atteinte ?
DENIS KESSLER : Je ne voudrais pas commettre un péché d'orgueil parce que c'est un péché. Mais très souvent, les analyses économiques que nous avons faites se sont avérées justes pour la raison simple, c'est que, pour nous, dire voilà la conjoncture que l'on constate, voilà les prévisions que l'on a c'est un devoir, c'est un impératif encore une fois. L'année dernière, nous avions indiqué que le taux de croissance de 2002 sera infiniment plus bas que celui qui était utilisé par les pouvoirs publics pour caler le budget. Tout ceci est écrit. On s'en souvient d'ailleurs. On avait dit le taux de croissance pour 2002 serait sans doute aux alentours de 1 à 1,5 point. Immédiatement, on nous avait dit non, pas du tout, bon. Est arrivé après le 11 septembre et nous avons donné des évolutions du PIB pour l'année 2002 qui étaient révisées en baisse immédiatement. On a voté un budget l'année dernière qui était irréaliste, irréaliste en matière bien entendu de recettes, pas en matière de dépenses puisque les dépenses ont été engagées. Résultat, le PIB a augmenté beaucoup moins fortement que prévu. On va sans doute avoir une année 2002 à 1%, 1,1 extrêmement faible et nous allons avoir surtout un déficit qui va tangenter les 2,6 points du PIB et qui a augmenté de l'ordre de 15 milliards d'euros en l'espace d'un an, 15 milliards d'euros, c'est considérable. Imaginez le nombre de PME en France qui doivent bosser toute la journée pour pouvoir faire 15 milliards d'euros, tout simplement parce qu'on a été, j'allais dire, volontariste comme on dit. Mais non, il ne faut pas être volontariste, il faut être réaliste. Dans le monde moderne, il ne faut plus être volontariste, il faut être réaliste. Alors voilà, maintenant, nous sommes à l'aube du budget 2003. Très honnêtement, je ne suis pas très optimiste sur la situation économique et internationale à l'heure actuelle. Moi, je regarde tous les indicateurs. Il n'y en a pas un qui à l'heure actuelle est dans le bon sens. Il y a ces menaces géopolitiques, je pense à la guerre de l'Irak, qui très honnêtement viennent obscurcir un peu la situation. On a une situation de compétitivité prix qui s'est dégradée avec la baisse du dollar et la revalorisation concomitante de l'euro. On a une situation en Allemagne qui n'est pas vraiment très bonne. On a un ralentissement un peu partout. Les chiffres français ne sont pas extraordinaires en matière d'investissement et de consommation. Et donc, très honnêtement, je ne veux pas mettre le blues à tous les auditeurs de RADIO CLASSIQUE mais très honnêtement, la situation économique n'est pas très bonne. Dans ces circonstances là, je crois qu'il faut être prudent et ne pas parier sur une croissance qui ne serait pas au rendez-vous. Et c'est une espèce de devoir de prudence qui s'impose. Alors vous allez me demander un chiffre, moi, je crois que si on atteint 2 % en 2003, très honnêtement, ça voudra dire que nous aurons été heureux.
ELISABETH CHAVELET : Compte tenu de ces chiffres, est-ce que vous pouvez confirmer ce qu'on suppute, à savoir qu'il y a dans les tiroirs beaucoup de plans de licenciement actuellement en France et qu'est-ce que vous allez faire, vous MEDEF, pour essayer de limiter les dégâts ?
DENIS KESSLER : Alors en France d'abord, écoutez, Madame CHAVELET, c'est extraordinaire, on organise le bruit médiatique autour des licenciements puisque la loi nous oblige de faire des plans de licenciement, c'est-à-dire, plutôt que d'avoir des ajustements d'effectif réguliers si jamais il y a des variations puis embaucher, nous sommes un pays dans lequel on ne peut licencier qu'en bloc. Résultat, on organise le choc social par la loi. Est-ce que vous savez ça ?
ELISABETH CHAVELET : Dans tous les pays, c'est comme ça, il y a des plans, des charrettes.
DENIS KESSLER : Mais pas du tout, mais pas du tout. Dans tous les autres pays, on peut très bien
ELISABETH CHAVELET : Aux Etats-Unis, on entend dire il y a 15 000 chez MOTOROLA, 10 000 chez je ne sais pas qui.
DENIS KESSLER : Ils peuvent aux Etats-Unis à la fois réduire les effectifs un par un ou de le faire collectivement mais ils ont le choix. En France, on ne peut pas procéder à autre chose qu'à des plans collectifs de licenciement. Avec la loi de modernisation sociale, c'est encore mieux. Là, on est obligé de jouer du tam-tam j'allais dire de toutes les manières à chaque fois qu'on est obligé de procéder à des réductions d'effectifs. Donc évidemment, beaucoup de résonance sociale et je ne le nie pas et on a une situation qui perturbe l'ambiance, la situation. Vous allez me dire, est-ce que je suis au courant de plans sociaux, je ne suis pas au courant de plans sociaux. Ceci relève des entreprises. Mais en ce qui me concerne, avec une conjoncture qui semble à l'heure actuelle aussi ralentie que celle que je peux anticiper, avec une situation de concurrence aussi tendue que celle que l'on voit à l'heure actuelle, je vais dire très honnêtement, il faut faire très attention à la conjoncture et je ne peux pas complètement écarter à l'heure actuelle une remontée du chômage en France. Alors ce n'est pas une prévision. Je dis simplement, dans les hypothèses, on ne peut pas écarter à l'heure actuelle une remontée du chômage avec éventuellement des difficultés d'entreprises.
DOMINIQUE GALLOIS : Monsieur KESSLER, les assureurs ont décidé de résilier les contrats des hôpitaux et des cliniques. A ce jour, des cliniques ne sont plus assurées depuis le 1er septembre et la plupart des contrats seront terminés fin octobre. Donc, je voulais savoir ce qu'il en était, quelle était votre position et si vous allez vous retourner vers l'Etat pour que soient assurées ces cliniques ? Et finalement, il y a peut-être un paradoxe, vous plaidez l'entreprise privée et vous vous retournez vers l'Etat dès qu'il y a un problème d'assurance.
DENIS KESSLER : Ca, c'est fort de café, alors, ça, c'est vraiment très fort de café. L'Etat prend une loi, ça s'appelle la loi KOUCHNER, fait voter au Parlement. Avant le vote de cette loi, nous disons que cette loi va détruire le marché de l'assurance de responsabilité civile en matière de maladie. Pourquoi ? Parce qu'elle élargit la notion de responsabilité dans le domaine médical à des points nulle part atteints dans aucun autre pays. Quand vous demandez à quelqu'un de porter un risque de manière illimitée dans les montants, de manière quasiment illimitée dans le temps et de prendre en charge tout, y compris les maladies nosocomiales, eh bien, vous arrivez et ça, c'est la loi qui le fait, à simplement qui veut prendre ce risque. On met un risque d'abord sur les professions de santé, sur les cliniques et puis après, on dit mais les assureurs le prendront. Mais personne ne veut prendre ce risque. La preuve, c'est que ceux qui se sont retirés du marché sont des assureurs étrangers qui font ça dans leur propre pays mais qui ne veulent plus le faire en France. Le seul endroit à l'heure actuelle où il y a un problème de responsabilité civile et médicale, c'est notre pays. Mais si dans vingt ans, trente ans, vous voyez bien le problème, on vient rechercher la responsabilité d'un médecin, d'un thérapeute, d'une clinique, d'un chirurgien, d'un obstétricien en lui disant mais regardez ce que vous avez fait il y a trente ans et je donne une indemnisation de plusieurs millions d'euros à quelqu'un parce qu'il a été une victime de ce que vous avez fait il y a vingt ans, mais qui peut prendre ce risque ? Ni le médecin, ni l'obstétricien, ni la clinique, ni nous. Donc, c'est bien joli de faire des lois. C'est la loi qui a cassé le marché, qui a dévitalisé le marché et après, on nous reproche le marché, non. Nous, notre métier, c'est de donner des garanties. Les boulangers font du pain. Quand un boulanger ne peut plus faire de pain, c'est grave pour le boulanger. Quand un assureur dit je ne peux plus donner ma garantie alors même que c'est son métier, c'est grave pour l'assureur et c'est grave pour la personne qui cherche des garanties qui ne les trouve pas. Donc, nous disons à l'Etat modifiez la loi. Oui, cette loi a été mal conçue, mal préparée, mal pensée. Modifiez la loi sur un certain nombre de points pour recréer les conditions d'un marché.
DOMINIQUE GALLOIS : Combien de cliniques ne sont plus assurées aujourd'hui ?
DENIS KESSLER : Non. Alors aucune clinique n'est pas assurée aujourd'hui puisque la plupart des résiliations, c'est au 1er janvier que commencent les contrats d'assurance.
GERARD BONOS : 2003.
DENIS KESSLER : Mais la loi veut qu'on les résilie plusieurs mois à l'avance pour résiliation au 1er janvier prochain. Et donc, il semblerait qu'il y ait à peu près une clinique sur deux à l'heure actuelle dont les contrats ont été résiliés, donc la résiliation prenant effet au 1er janvier prochain. Je suis très honnêtement en contact à l'heure actuelle avec à la fois le ministère des Finances et le ministère de la Santé pour essayer de trouver une solution qui passera, je ne vous le cache pas, par des modifications et par des amendements à la loi de monsieur KOUCHNER qui n'a pas été pensée Alors vous savez, je suis très à l'aise sur ce dossier là parce que, si on n'avait pas dit ça avant le vote de la loi, pendant le vote de la loi et après le vote de la loi, je veux dire, on pourrait découvrir des choses que nous n'aurions pas vues. Mais ce n'est pas le cas du tout. C'a été voté, j'allais dire malheureusement, en toute connaissance de cause. Vous savez là aussi, sur la préparation de la loi puisque nous parlions de la réforme de l'Etat, quand vous regardez, vous comparez le processus législatif dans les autres pays, la façon dont on légifère en France pose véritablement problème. Les public hearing, la façon dont procèdent nos éditions, les études d'impact, les comparaisons internationales, tout ça n'est pas versé. Les amendements arrivent et la plupart du temps, on légifère mal dans ce pays. La preuve, on est sans arrêt obligé de refaire des lois. La preuve qu'on légifère mal, c'est quasiment toutes les lois qui ont été passées au cours de ces dix dernières années ont été retoquées soit au Conseil d'Etat avant, soit au Conseil constitutionnel après. On légifère mal. On ne légifère pas, j'allais dire, en ayant l'idée que la loi, c'est fondamental. Alors après, on les modifie, après on les amende, après mais ce n'est pas possible de faire ça. L'Etat qui nous donne des leçons produit, il est chargé de produire des lois, il les produit mal. C'est comme si une grande entreprise d'automobiles sortait des autos où systématiquement il y a des défauts. Donc, dans nos revendications et on le voit sur la loi des 35 heures puisqu'on est déjà en train de la remettre à l'ouvrage alors qu'elle vient d'être votée, nous demandons là aussi une réforme en profondeur du processus législatif dans lequel nous demandons que la loi soit pensée, comparée, " bench-markée ", excusez-moi, étalonnée dans tous ses aspects de façon à ce que ses effets pervers ne se manifestent pas après et que, après dans la précipitation Autre exemple d'une mauvaise législation, nous sommes le pays dans lequel on multiplie en permanence les plans de crise, les ordonnances, les plans d'urgence dans tous les domaines. Donc, vous voyez, on a donc un système j'allais dire politico-administratif finalement relativement incertain. Et donc, moi, j'aurais souhaité très honnêtement que les cliniques ne se posent pas ce problème mais qu'on ne se retourne pas vers moi, soyons sérieux, qu'on se retourne vers ceux qui ont changé un régime de responsabilité de manière déraisonnée.
HENRI GIBIER : Nous sommes à quatre jours du triste anniversaire du 11 septembre. Quelle est la principale leçon avec le recul avec tout ce qui s'est passé dans le secteur que vous tirez de cet événement considérable pour la profession d'assurance ?
DENIS KESSLER : On a fait face, Monsieur GIBIER, on a fait face. Vous vous rendez compte le coût. C'a été 100 milliards de dollars de destruction, sans doute la moitié à peu près en biens assurés, donc 50 milliards de dollars, eh bien on a fait face, on a fait face. Je veux dire par là, c'est que les contrats ont été honorés, que les indemnités ont été versées, que ceux qui sont décédés, les familles de ceux qui ont été décédés ont bénéficié bien entendu d'une prise en charge. On a fait face. Le système assuranciel et réassuranciel puisque les réassureurs étaient là, on a fait face. Après, il a fallu subir l'explosion AZF. Après, il a fallu subir deux crises financières dont la seconde n'est à mon avis pas encore achevée. On a fait face. Donc, je crois qu'il faut quand même rendre
GERARD BONOS : Toutes les compagnies..., il ne va pas y avoir une compagnie qui va...
DENIS KESSLER : Il y en a une seule qui... Depuis le 11 septembre, la question précise sur le 11 septembre, une seule compagnie qui était une compagnie japonaise a fait défaut mais j'allais dire, formidable démonstration de la capacité d'un système à prendre un choc et on l'a fait. Donc, voilà un exemple. Deuxième conséquence, pour les risques de grande ampleur, les risques de guerre, le système assuranciel ne marche pas. C'est la preuve, je crois qu'on a toujours dit qu'on peut absorber des grands chocs sauf ceux qui sont créés par décision collective, ça s'appelle la guerre. L'attentat du 11 septembre était véritablement un acte de guerre en temps de paix. Et c'est la raison pour laquelle il a fallu trouver des nouveaux dispositifs qui ont été mis en place en France au 1er janvier de l'année dernière, qui ont été mis en place en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis tout simplement parce que le système de marché ne peut pas prendre en charge des catastrophes comme les guerres. Donc, voilà.
PIERRE ZAPALSKI : Il va falloir aussi faire face aussi aux mutations climatiques parce qu'il ne se passe pas une semaine sans que vous ayez une catastrophe. Dès qu'il y a un orage, il y a quelque chose comme à St-Raphaël.
GERARD BONOS : Oui, mais ça, c'est parce que c'est sa région, c'est pour ça.
PIERRE ZAPALSKI : Dans le nord aussi.
DENIS KESSLER : Vous avez raison. La nature des risques que l'on doit affronter à l'heure actuelle sont inimaginables. On a parlé des risques de ce que j'appelle l'hyper terrorisme et non pas le terrorisme, l'hyper terrorisme. Nous devons faire face à des problèmes technologiques. AZF, c'était quand même incroyable je veux dire par son importance.
GERARD BONOS : D'un mot, là aussi, tout le monde a été indemnisé, c'est réglé ?
DENIS KESSLER : Mais oui, mais oui, je veux dire, nous allons faire un retour d'expérience que nous présentons cette semaine. Nous mettons tout à la disposition du public. On a fait face là encore une fois à cette situation là. Mais vous parlez des événements climatiques. Il faut savoir qu'à l'heure actuelle, ce qui menace la planète, c'est bien les catastrophes naturelles. 75 % des sinistres indemnisés dans le monde au titre de l'assurance de dommages sont liés à des événements naturels. Finalement, je vais vous dire une chose bizarre, il y a ce que fait l'homme et ce que fait Dieu dans le jargon des assureurs, les actes of God. Ce que fait Dieu, c'est les catastrophes naturelles, les tremblements de terre, les inondations, les typhons, les ouragans, que sais-je encore. Et puis il y a ce que fait l'homme lorsqu'il crée des produits nouveaux, lorsqu'il crée des usines, lorsqu'il crée des avions avec beaucoup de gens dedans, etc. Eh bien, il faut savoir quand même qu'au niveau de la planète en 2002, 75% des destructions, des sinistres, des catastrophes, c'est lié au fonctionnement de la planète et c'est relativement inquiétant.
VALERIE LECASBLE : Une bonne partie des actifs des assurés sociaux sont placés par les compagnies d'assurance en Bourse. Est-ce que la baisse brutale et durable de la Bourse peut mettre en danger la solvabilité de certaines d'entre elles notamment en France ?
DENIS KESSLER : Je ne crois pas. Je ne crois pas parce que, par construction là aussi, beaucoup de choses ont été écrites, par construction si vous voulez, les assureurs utilisent le cash-flow courant, c'est-à-dire les primes qui rentrent pour verser les sinistres courants. Les actifs bien souvent assurent la solvabilité en cas de sinistre majeur et ils sont là pour ça et c'est une protection supplémentaire. Les fonds propres au-delà des actifs permettent de rajouter encore une nouvelle sécurité. Et donc, la question posée " est-ce que les évolutions en Bourse posent des problèmes de solvabilité, c'est-à-dire d'incapacité des assureurs à faire face au règlement des sinistres ? ", la réponse est non.
VALERIE LECASBLE : Et de rentabilité ?
DENIS KESSLER : En matière de rentabilité, au cours des années passées, lorsqu'il y avait des revenus financiers, on baissait les primes pour répercuter les plus-values boursières et de faire bénéficier aux assurés de tarifs plus bas. Comme nous avons moins de plus-values financières, il y a une revalorisation des primes d'assurance pour deux raisons, d'abord il y a plus de risques, on vient de les citer, hyper terrorisme, augmentation des catastrophes naturelles, que sais-je encore, et deux, moins de revenus financiers. Eh bien, c'est vrai qu'en période de basses eaux financières, l'équilibrage des marchés d'assurance se fait par une augmentation des tarifs. Enfin, les réassureurs eux-mêmes ont pris des chocs extraordinaires. La grande tempête de 1999 en France a quand même coûté aux alentours de 45 milliards de francs puisque nous parlions en franc à l'époque. Tout ceci est absorbé par le marché mais il faut reconstituer les provisions. Donc, je le dis très honnêtement, nous sommes à une période dans laquelle les cycles d'assurance se redressent. Ce redressement, ça s'appelle des relèvements de tarifs et de primes tout simplement parce que nous avons moins de plus-values financières et nous avons plus de risques à absorber.
GERARD BONOS : Merci, Denis KESSLER, merci d'avoir accepter d'être le premier invité de cette saison radiophonique pour QUESTIONS ORALES. La semaine prochaine, c'est Pascal LAMY, le commissaire européen en charge du Commerce qui sera dans ce studio et dans ce fauteuil. D'ici là, je vous souhaite une excellente semaine à l'écoute de RADIO CLASSIQUE, une bonne rentrée puisqu'il en est encore temps et je vous dis à samedi prochain à douze heures précises.
(Source http://www.medef.fr, le 11 septembre 2002)