Texte intégral
Radio Classique - 8h15
H. Laurent Ce n'est pas le tout de se faire ovationner, comme l'a été J.-P. Raffarin, mardi, à Tours, à l'occasion de la réélection d'E.-A. Seillière au Medef, encore faut-il "délivrer", comme on dit dans le jargon des entrepreneurs. Vous êtes le ministre de centaines de milliers de PME ; vous avez indubitablement contribué à changer le climat. Les chefs d'entreprise et le Gouvernement ne se regardent plus en chiens de faïence. Mais les patrons vous demandent aujourd'hui de faire beaucoup et vite. Allez-vous les décevoir ?
- "Ils ont raison d'être impatients. La réforme, c'est quelque chose qui doit se faire tout de suite, rapidement. Nous sommes engagés dans une bataille économique, et il faut la gagner. Nous pouvons, la France, être le moteur de l'Europe. On voit bien, aujourd'hui, que l'Allemagne est un peu essoufflée cette grande éolienne qui injectait la croissance en Europe, en Allemagne, tire maintenant un petit peu la patte. Il faut que la France prenne le relais et pour cela, il faut une nouvelle politique de croissance active - ce que j'appelle cette politique de croissance active - qui nécessite la mobilisation de toutes les forces, le facteur travail mais également le capital, et notamment soutenir l'investissement dans les entreprises. Nous n'avons pas assez de fonds propres dans nos entreprises, et c'est tout l'objet du projet de loi que je prépare, qui va être soumis au Parlement, puis il sera ensuite suivi de nombreux textes et initiatives, qui permettront de drainer l'épargne des Français vers les entreprises."
Rappelons rapidement l'essence même de ce projet de loi.
- "Trois objectifs. Premier objectif : développer la création d'entreprises. Nous avons 2,4 millions d'entreprises en France, nos voisins britanniques en ont 3,4 millions. Nous créons deux fois moins d'entreprises qu'en Espagne et, dans les années 80, nous avions à peu près un flux de 200 000 naissances par an, alors que nous n'en sommes plus qu'à 175 000 C'est vous dire à quel point, aujourd'hui, il y a une faiblesse de la natalité des entreprises. Or c'est important, les entreprises nouvelles, parce que ce sont les jeunes pousses qui feront l'économie de demain. Lorsque vous regardez le Nasdaq ou le Stock Exchange à New York, vous vous apercevez que près de la moitié des entreprises, les plus importantes entreprises américaines, n'existaient pas en 1960, alors que notre CAC 40, lui, ce ne sont pas de vieilles dames, mais ce sont des entreprises qui existent depuis très longtemps. Donc, cette capacité qu'a l'économie américaine de se renouveler en permanence, il faut que nous puissions, aujourd'hui, l'acquérir."
Concrètement, comment faire pour booster cette natalité ?
- "Il faut d'abord que ce soit beaucoup plus simple de créer une entreprise, il faut également pouvoir avoir accès..."
Cela fait vingt-cinq ans qu'on le dit...
- "Cela fait vingt-cinq ans qu'on le dit, c'est vrai, et je n'en fais pas un plat. Il faut également, et c'est très important, mieux accompagner les créateurs. Un créateur solitaire, c'est un créateur qui va mourir, avec une chance sur deux de ne pas passer le cap de la première ou de la deuxième année. Il faut également drainer de l'argent vers les nouveaux projets et, pour cela, nous inventons un quatrième circuit de financement. Vous connaissez les circuits de financement : la Bourse, l'autofinancement, ce qu'on appelle le love money - l'argent des proches -, et vous avez les banques, et les banques dit-on, ce n'est pas toujours vrai, aujourd'hui, sont un peu frileuses."
Elles le sont.
- "Elles le sont, mais les banquiers ce sont des marchands, ils vendent de l'argent à un prix. S'ils considèrent qu'il n'y a pas preneur pour ce prix, ils ne vendent pas cet argent. Il faut arrêter de faire le procès perpétuel des banquiers, je crois que ce n'est pas de la saine économie. En revanche, il faut essayer de drainer l'épargne des Français vers les PME. Le taux d'épargne en France est très élevé : 17 % du revenu disponible brut, c'est parmi les plus élevés d'Europe. Et pour autant, cet argent - et ça, c'est quand même assez paradoxal - sert essentiellement à payer les dépenses courantes de l'Etat. Ce n'est pas la bonne utilisation de l'épargne des Français. Il faut drainer l'épargne des Français vers les PME, parce que cela construit l'avenir."
Où est la réforme de l'Etat qu'on nous promet ?
- "Juste une seconde, pour vous donner un exemple très précis de ce que nous allons faire : un foyer fiscal qui mettra jusqu'à 40 000 euros dans une société, bénéficiera de 10 000 euros de réduction de l'IRPP. Réduction de l'IRPP, pas réduction de l'assiette de l'IRPP. Et 10 000 euros en moins sur la feuille d'impôt, ce n'est quand même pas négligeable. Il y aura le même avantage pour ce qui concerne les fonds d'investissement de proximité, que nous allons mettre en place, qui seront des fonds d'investissements territoriaux, qui permettront par exemple aux Alsaciens, s'ils ont envie de financer les PME alsaciennes, de bénéficier d'un avantage fiscal. 20 000 euros investis égalent 5 000 euros de réduction de l'IRPP et une exonération totale des plus-values assorties. Donc, on n'aura pas mieux comme outil d'incitation à l'investissement."
Quid de l'impôt sur la fortune ? Cela ne fait pas partie, sûrement, de votre projet de loi ?
- "Sur la fiscalité du patrimoine, essayons de dédramatiser. Il ne faut pas aborder l'économie avec des tabous politiques. Quel est l'objectif que je poursuis ? C'est essayer de trouver de l'argent frais pour les PME. Et j'utiliserai toutes les possibilités fiscales qui me permettront de drainer cet argent vers nos PME. Et donc, la fiscalité du patrimoine, comme la fiscalité du revenu seront examinées au moment du débat parlementaire sur le projet des initiatives économiques."
Mais cela ne fait pas partie de votre projet de loi ?
- "Pour l'instant, il n'y a pas de mesure dans le projet de loi sur la fiscalité du patrimoine, mais nous y réfléchissons, et je sais qu'un certain nombre de parlementaires de l'UMP vont me faire des propositions. Donc, j'attends qu'ils me fassent ces propositions."
Et votre majorité est prête à accepter cela ?
- "Dès lors que leurs propositions iront dans le sens de l'emploi, de l'investissement, de la création de richesses, je les regarderai favorablement."
Le ministre de la consommation, que vous êtes aussi, doit s'arracher les cheveux. On a vu, il n'y a pas très longtemps, il y a quinze jours, l'un des plus grands aéroports d'Europe bloqué. On a vu des autoroutes bloquées lors des grands retours de vacances, et tout ceci, semble-t-il, par manque d'organisation, d'information, de communication. Est-ce encore tolérable ? Est-il légitime, aujourd'hui, que tout ceci se traduise, en définitive, par une admonestation du ministre des Transports en direction d'Aéroports de Paris, et point final ?
- "D'abord, qu'est-ce que c'est que le consommateur en France ? On a parfois le sentiment qu'il y a d'un côté, le consommateur, dès qu'il s'agit d'un produit ou d'un service privé, et puis, dans un certain nombre d'autres secteurs, ce n'est plus un consommateur, ça devient un usager, et là, ses droits sont inférieurs, notamment en termes d'information."
C'est la même chose un usager et un consommateur ? Où est la différence ?
- "Eh bien, moi, je considère qu'un usager c'est un consommateur. La différence, à l'heure actuelle, elle est en termes de droits. Trop souvent, on néglige les droits de l'usager. Prenez l'exemple des autoroutes, c'est patent. On peut également penser à ADP..."
A la SNCF...
- "On peut également penser à tous les grands secteurs, ceux qu'on appelle de services collectifs marchands, dans le secteur des transports mais également le secteur de l'énergie, de la distribution de l'eau. Dans le secteur de la téléphonie, je suis très attentif, à l'heure actuelle, aux relations qui s'établissent entre les consommateurs de téléphonie, qui un marché en grande expansion, et les producteurs des services téléphoniques. Donc, il faut améliorer les droits du consommateur dans ces secteurs."
Il faut que, il faut que ....
- "Aujourd'hui même, je réunis le Conseil national de la consommation, qui est une sorte de parlement de la consommation, avec d'un côté les producteurs, de l'autre, les associations de consommateurs, qui sont un peu sous-estimées en France, alors qu'elles font un très bon boulot d'information, de diffusion de données, et je crois qu'il faut reconnaître ce travail. Je vais travailler avec elles pour qu'on améliore les droits des consommateurs dans ce secteur des services collectifs marchands."
Ce qui veut dire concrètement ?
- "D'abord, première chose, l'exigence absolue d'information la plus rapide possible. Il n'est pas normal que des consommateurs se trouvent dans une situation de difficultés, comme on l'a vu sur les autoroutes, et ne soient pas informés. Donc, sur un marché libre, la première condition pour le consommateur, c'est la transparence du marché et son information."
Et quand il y a déficit d'information ?
- "Il faut qu'il y ait des informations, et que lorsqu'il y a une carence en matière d'information, il y ait une sanction. Nous allons réfléchir à ce sujet pour améliorer rapidement les choses, de concert, avec G. de Robien, qui est très sensible à cette question."
Il y a les droits des consommateurs, mais le droit du consommateur ne se limite pas simplement à plus d'information ou à une meilleure information possible. Il y a toute une palette sur laquelle le ministre de consommation [pourrait intervenir]. Par exemple, on parle souvent des crises alimentaires. On a le sentiment que vous intervenez beaucoup à l'occasion des crises alimentaires, tout ce qui est très spectaculaire, mais tout ce qui ne se voit pas, au fond, les consommateurs que nous sommes, avons l'impression d'être fort dépourvus.
- "D'abord, sur les crises alimentaires, c'est vrai que nous avons amélioré nos dispositifs d'intervention, et notamment d'information. Encore une fois, dans le secteur de la consommation, la clé, le ressort, c'est la qualité de l'information. Je donne un exemple : on a levé l'embargo sur le boeuf britannique, les Français peuvent s'interroger. Eh bien, est en train de se mettre en place, à l'heure actuelle, le décret que j'ai pris et qui oblige les producteurs de viande bovine à donner la traçabilité la plus complète sur le lieu de production du boeuf, sur son lieu d'élevage et sur son lieu d'abattage. Et dans les cantines scolaires, à l'heure actuelle - et c'est la première fois que cela se passe - les parents, les pères, les mères peuvent savoir ce que leurs enfants consomment dans leurs assiettes. Il n'y a pas que ce sujet. Il y a un sujet qui me préoccupe beaucoup, c'est le problème des accidents domestiques. Vous avez vu qu'au mois de décembre, on a beaucoup parlé des accidents de la route, et il y a tout lieu de le faire, et le pouvoir des mots n'est pas à négliger. On apprenait ce matin que le nombre de morts en décembre a chuté de 30 %. Je touche du bois, pourvu que cela dure ! Mais c'est aussi le résultat de cette campagne médiatique que le Gouvernement a lancée sur ce sujet. Je crois qu'il faut faire la même chose, en ce qui concerne les accidents domestiques. Je vous rappelle : 18 000 victimes, tous les ans, d'accidents domestiques. Et pas de petits accidents, souvent des accidents très difficiles. La plupart de ces accidents, d'ailleurs, ont lieu dans la maison, 24 % dans la cuisine - la cuisine, lieu de tous les dangers. Il faut, là encore, informer, parce que les gens ne font pas assez attention. Ils prennent des risques inutiles. Vous connaissez l'accident traditionnel de la casserole d'eau bouillante posée sur le réchaud et qui est attrapée par l'enfant par le manche, parce que le manche dépassait... Il faut de l'information. Il faut que les gens soient vraiment attentifs à leur propre santé, dans les gestes de la vie quotidienne, là où bien souvent leur attention se relâche. Et ça, c'est une campagne que nous allons lancer, une campagne d'information nationale, qui sera lancée au cours de cette année. Et je vais en décider, là encore, ce matin même, dans le cadre du Conseil national de la consommation. Et puis, un autre sujet qui, je crois, a une autre dimension : c'est celui du développement durable. Vous savez que le président de la République en a fait une cause essentielle de la France, le développement durable. Mais là encore, ce sont des mots. Qu'est-ce qu'il y a derrière ?"
En quoi cela vous concerne-t-il ?
- "En quoi cela nous concerne ? Cela nous concerne en ce que la société de consommation est en train de changer. La société de consommation a 50 ans, elle est née en 1950. Aujourd'hui, les consommateurs demandent autre chose au produit : pas seulement du prix, pas seulement de la qualité et de l'utilité, mais ils attendent, je crois, des informations..."
Croyez-vous, vraiment ?
- "Je pense que cela progresse. [Ils attendent des informations] sur trois choses : l'impact de la production sur l'environnement, les conditions sociales dans lesquelles les produits sont fabriquées, et les conditions éthiques dans lesquelles ces produits sont fabriqués. L'éthique, l'environnemental, le social, ce sont les trois critères qui définissent une consommation durable, une consommation éthique, qui peut, au fond, nous réconcilier avec le citoyen que nous sommes. Et ce que je voudrais faire, c'est élaborer un logo qui serait poser sur les produits - les informations seraient contenues dans ce logo - : un logo "développement durable". Et, pour cela, il faut faire un énorme travail d'information. Il faut savoir comment les produits sont fabriqués, dans quelles conditions. Dans le cadre d'une mondialisation économique, celle que nous vivons, ce n'est pas simple, il faut avoir des informations très précises sur les sources, sur les lieux de production, et nous allons travailler sur ce sujet, également, je l'annonce ce matin. Donc, ce programme de la consommation, il me paraît aujourd'hui essentiel et l'ensemble des acteurs de la consommation sont très mobilisés."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 janvier 2003)