Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, sur le projet de réforme de décentralisation et les transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités locales, en particulier en région Ile-de-France, Port-Marly (Yvelines) le 24 janvier 2003.

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Circonstance : Réunion des Assises des libertés locales d'Ile-de-France, à Port-Marly (Yvelines) le 24 janvier 2003

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Les Assises des Libertés Locales en Ile de France ne sont pas l'ultime répétition d'un débat convenu dont les conclusions seraient prévues à l'avance. Elles constituent un moment important.
Important au même titre que l'est votre affluence. Je suis heureux, très profondément heureux, de vous rencontrer si nombreux, et manifestement impatients de vous exprimer.
Je tiens à remercier mes collègues du Gouvernement d'être présents. Ils ont tenu à être là pour vous écouter sur une question qui est pour l'ensemble du Gouvernement une priorité. Ils sont nombreux eux aussi.
Je ne citerai qu'un nom, celui de Patrick DEVEDJIAN, afin de le remercier pour l'important travail qu'il effectue.
Je veux également remercier nos hôtes et tous ceux qui vont prendre la parole dans ce débat.
Chacun va s'exprimer aujourd'hui avec la force de ses convictions. Et, je veux vous dire que c'est avec plaisir que j'entends les avis s'aiguiser et parfois s'enflammer. La décentralisation n'est pas un sujet juridique ou technique, voué au consensus frileux. Ses enjeux dépassent largement les cercles de l'administration et des élus. Il est politique au sens le plus profond, le plus authentique, le plus noble du terme.
En cette nouvelle année, l'occasion m'est donnée de vous rappeler nos bonnes résolutions d'Avril dernier après le tonnerre des dernières élections présidentielles. Elles concernent tous les responsables politiques. Les Français ont manifesté leur volonté de voir la France se transformer, se libérer des scléroses qui inexorablement freinent les projets, les ambitions et naturellement le progrès. L'immobilisme n'est jamais une stratégie. Seule l'action est compatible lorsque l'on exerce des responsabilités au sein du Gouvernement de la France.
La décentralisation est le meilleur vecteur pour moderniser la France. Pourquoi ? Car, le centralisme, l'excès de centralisation, expliquent qu'à chaque volonté de changement quel que soit le Gouvernement et la majorité du moment les résistances s'organisent, et freinent le mouvement dont notre pays a besoin.
Le projet décentralisateur de Jean-Pierre RAFFARIN, je l'approuve, je le partage, je le soutiens. Il sera toujours temps de marquer un temps de répit quand les Français auront retrouvé le chemin des urnes et de l'initiative. Ce qui n'est pas encore acquis c'est le moins que l'on puisse dire. Acceptons de ne pas nous focaliser sur une actualité uniquement Française. Passionnons-nous pour ce qui marche au delà de nos frontières. La décentralisation a été un facteur important dans la modernisation de l'Espagne, le redressement du Royaume-Uni, la réunification de l'Allemagne.
N'oublions les enjeux du débat.
Un pays qui ne sait pas se réformer est promis à la régression. Cette réalité nous a été rappelée brutalement : l'attractivité de la France, sa compétitivité ont reculé ces dernières années. Et ce constat n'a pas épargné la région Ile de France qui créé chaque jour un peu moins d'emplois que ses grandes voisines européennes.
Il n'y a pas de fatalité à cette évolution. La France est dotée de richesses spécifiques, dont la première est la formidable créativité des Français et leurs capacités d'initiative. Cessons de l'épuiser dans les procédures tatillonnes, dans la complexité et la longueur des démarches.
Le combat pour la décentralisation est fondamentalement politique.
Je voudrais que chacun mesure l'enjeu démocratique de cette réforme. Je n'ai pas oublié que 5 millions de Français ont voté pour l'extrême droite, tandis que 8 millions n'ont pas estimé nécessaire de participer au débat démocratique. Considérer ce message comme un agacement passager conduirait certainement à de mauvaises surprises lors des prochaines élections.
Dans une démocratie, le postulat de base est simple : la vérité appartient aux citoyens. Nous ne les avons certainement pas assez écoutés. Ils nous l'ont fait comprendre. C'est pourquoi le Gouvernement a proposé une nouvelle démarche, celle d'écouter avant de décider.
Nous achevons la première étape qui trouvera son point d'orgue le 28 février prochain lors de la synthèse nationale des Assises des libertés locales à Rouen. Chacun aura pu s'exprimer. Et en s'appuyant sur cette concertation qui aura rassemblé 30 000 personnes, le gouvernement proposera au printemps au Parlement de décentraliser de nouvelles compétences et d'autoriser certaines expérimentations.
Le Gouvernement retiendra d'abord les propositions les plus consensuelles et les plus porteuses de véritables simplifications. Je pense par exemple au Revenu Minimum d'Insertion et aux routes pour les Départements, à la formation professionnelle et à l'animation de la politique économique pour les Régions.
Ce seront des transferts généraux qui vous confieront plus de responsabilités, qui donneront plus d'efficacité à l'action publique et qui simplifieront les procédures pour le citoyen.

S'agissant de l'éternelle question du financement, nous sommes prêt à aller loin en organisant des transferts de recettes fiscales. Et, je pense plus particulièrement au transfert d'une partie de la Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers. Mais nous avons été plus loin en conférant des garanties constitutionnelles aux collectivités locales pour que la décentralisation ne soit pas une nouvelle fois un jeu de dupes. Vous savez qu'une fois la révision constitutionnelle adoptée, le texte fondateur des institutions reconnaîtra que la France est une République dont l'organisation est décentralisée, et qu'il n'y aura pas de transferts de compétence sans transferts des moyens correspondants.
A ceux qui s'inquiètent en se remémorant le passé, je poserai seulement une question : quelles garanties supérieures à celle qu'offre la Constitution fallait-il présenter ? Le juge constitutionnel pourra annuler une disposition qui serait jugée inéquitable en matière de financement.
Il n'est pas question aujourd'hui de brider la réflexion ou d'inverser le débat. Celui-ci appartient à la gauche comme à la droite, aux collectivités comme à l'Etat, aux élus comme aux citoyens. Il peut porter sur tous les champs de compétence. L'important c'est que nous parvenions à aller de l'avant.
Vous avez posé la question de la spécificité de l'Ile de France dans tous les ateliers. Vous avez proposé que les transports collectifs soit transférés à la région. Ce transfert serait pleinement logique. Il est temps sur ce sujet de revenir au droit commun et de donner compétence pleine et entière aux collectivités locales. Profitez de cette possibilité pour poser et tenter de résoudre des questions importantes pour le quotidien. Comme celle qui permettrait aux jeunes franciliens de pouvoir le samedi soir passé 1 heure du matin de rentrer chez eux en métro ou d'engager un véritable débat sur le prix des transports en commun comparé aux coûts générés par nos gigantesques embouteillages.
Vous avez proposé des expérimentations institutionnelles pour améliorer la concertation entre Paris et la région. Ces questions méritent effectivement d'être posées et débattues aujourd'hui. Sans tabou. Je suis loin d'être convaincu que notre organisation est aussi performante que possible. Qui est responsable de l'environnement, de la pollution, de la circulation dans notre Région ? Tout le monde donc personne !
Sur des sujets aussi fondamentaux, le dogmatisme est à proscrire. Ces Assises vont révéler ce que vous attendez. Elles nous permettront d'identifier les compétences qui peuvent être immédiatement transférées et celles dont on ne sait pas encore qui doit les exercer. La question se pose par exemple pour la prise en charge du logement étudiant car les besoins sont immenses en Ile de France. Dans ce cas, la voie pourra être celle de l'expérimentation.
A ce propos, on a dit parfois affirmé que les expérimentations allaient rendre l'organisation de la France "incompréhensible". Je dois dire que je suis quelque peu surpris car cela voudrait dire que l'organisation actuelle est simple et connue de tous
Je veux affirmer une nouvelle fois que ce n'est pas la diversité qui menace notre cohésion nationale. Au contraire, c'est la rigidité des structures qui met en cause l'unité nationale. La diversité de la France est une donnée qui ne pourra jamais se fondre dans des schémas institutionnels simplistes. Est-il besoin d'y revenir ? Ainsi Il n'y aura pas de grand soir des départements ou des communes. Ce serait une hérésie sociale et une amnésie historique.
Les bienfaits de la décentralisation et de la diversité sont une évidence.
D'ailleurs il y a une contradiction évidente à affirmer à juste raison que les problèmes sont complexes, et à tirer la conclusion que les solutions peuvent être simples voire simplistes, et surtout uniques. L'expérimentation va nous permettre d'ouvrir de nouvelles voies, de tenter des expériences inédites, de nous confronter à la réalité avant de généraliser.
Les exemples étrangers sont éloquents. Cessons de les ignorer au seul motif que la France serait marquée du sceau de la spécificité. Le seul pays à être encore centralisé est la France. Est-ce un atout ? est-ce un handicap ? Pour ma part, j'ai la réponse, dont je suis convaincu.
Le Gouvernement vous invite aujourd'hui à l'audace. N'ayez crainte de la diversité car elle nous permettra de trouver la voie de l'efficacité.
Le débat de la décentralisation se pose naturellement avec une acuité toute particulière en Ile de France.
La première région de France est de fait la première concernée. Plus de 11 millions d'habitants, 21 % de la population active et presque 30 % du PIB national. Les chiffres parlent d'eux même. Les problématiques ne sont pas celles des autres régions. L'Ile de France doit être comparée aux grandes mégalopoles européennes que sont Londres ou Berlin. Il faut faire un peu de lumière sur ces réalités pour que la "spécificité" de l'Ile de France ne soit pas une excuse à la passivité.
N'oublions pas que les enjeux de la décentralisation ont ici une dimension nationale. Il serait faux de considérer l'Ile de France comme une région privilégiée. L'insécurité y est plus forte avec une conséquence, qui est que la prévention comme la sanction s'imposent plus qu'ailleurs - 40 % des quartiers sensibles sont ici. L'environnement est un peu plus dégradé. Les logements sont un peu plus petits et un peu moins nombreux. Les temps de transport sont un peu plus longs et difficiles.
S'il faut avoir de l'imagination, de l'initiative et des projets, c'est en Ile de France. Il faut en avoir pour ses habitants, pour ses entreprises. Mais il faut aussi en avoir parce que l'Ile de France est à l'évidence un moteur décisif du dynamisme de notre pays. Tous les atouts supplémentaires dont on peut la doter sont en même temps des atouts pour l'avenir de la France.
On me dit aussi que l'Ile de France est différente. On en tire la conclusion qu'il faudrait être prudent. J'admets l'observation mais pas la conclusion. La prudence est une vertu tant qu'elle ne cache pas la frilosité. Je sais fort bien les spécificités de notre région, la première d'entre elle étant d'héberger les institutions de la République.

Pour autant, je crois qu'il faut être ouvert aux propositions et ambitieux. Les Franciliens ont les mêmes aspirations que nos concitoyens. Ils ont le droit à une réforme également ambitieuse. Ils doivent avoir des institutions qui fonctionnent de la façon la plus efficace possible.
J'ajouterai que le débat qui nous réunit est celui des collectivités avec l'Etat non contre l'Etat. Il ne s'agit pas de dépecer l'Etat pour renforcer les collectivités.
En premier lieu, cela n'aurait aucun sens aux yeux des Français. Peu importe "qui fait quoi". Seul importe "qui le fait mieux". La querelle institutionnelle est une question dépassée qui n'intéresse pas nos concitoyens.
Les communes et le département sont les mieux placés pour assurer des services de proximité comme celui des crèches ou de l'accueil des démunis. La région et l'Etat ont plutôt vocation à assurer la cohérence des territoires et leur développement équilibré.
Par exemple, vous avez proposé que la région soit chargée du transport public. C'est une position de bon sens. N'hésitez pas à vous interroger sur le bon niveau d'exercice des compétences dans des domaines tels que l'enseignement supérieur, les universités, la santé, le secteur hospitalier ou encore le tourisme.
En second lieu, je sais combien les collectivités ont besoin de l'Etat. Non pas d'un Etat anonyme, déshumanisé et lointain. Mais d'un Etat présent, à l'écoute, capable d'agir aussi rapidement qu'elles.
Le temps où l'Etat centralisé décidait méticuleusement de tout, contrôlait scrupuleusement les projets, mais était incapable de faire reculer la délinquance est révolu.
Les Français veulent plus de sécurité, de cohésion nationale et d'équité. Nous leur devons un Etat excellent dans ses domaines régaliens, domaines que je résumerai en un mot : le contrôle du respect de la loi.
Les Français veulent plus de proximité, de souplesse et de simplicité. Nous leur devons une administration locale de l'Etat qui réponde rapidement et d'une seule voix à leurs demandes. Une administration responsable, forte, capable de décider seule pour agir sans en référer systématiquement à Paris. La décentralisation doit donc s'accompagner d'une ambitieuse réforme de l'Etat territorial. Un Etat capable de parler au niveau local d'une seule voix et non pas avec des interlocuteurs multiples. Un Etat qui aura des marges de manuvre budgétaire par rapport aux administrations centrales. Je réaliserai la globalisation des crédits dans toutes les préfectures en 2004 - Un Etat qui s'occupera exclusivement de ce pourquoi il est fait et sur quoi il ne doit pas, il ne doit plus décevoir.
L'Etat local a besoin de plus de cohérence autour de l'administration régionale, et départementale. Il a besoin de plus de marges de manuvre pour proposer ses objectifs et décider des moyens. En même temps, il doit être plus étroitement soumis à l'obligation de rendre compte de ses résultats.
Le principe est simple : la stratégie est nationale, l'action est locale. Il a été souvent répété. Il doit maintenant être appliqué. Je veux aussi dire aux fonctionnaires de l'Etat qu'ils n'ont rien à craindre de la décentralisation. Au contraire, il faut diminuer les rigidités entre les administrations pour permettre aux fonctionnaires de pouvoir choisir entre les différents métiers de l'Etat, et, aller de l'un à l'autre.
Vous le constatez, que ce soit nos concitoyens, nos élus ou nos administrations, l'objectif est identique : chacun doit se sentir pleinement investi de sa mission et savoir qu'il peut faire un peu plus pour son pays.
Les objectifs du débat étant posés, je vous invite à de l'audace dans vos propositions.
Nous sommes tous tenus à une obligation qui transcende les partis politiques et les opinions de chacun : l'exemplarité et la hauteur de vue.
Cette réforme ne nous revient pas. Elle a été lancée par les lois Defferre. Elle a été poursuivie par les Gouvernements successifs de Gauche comme de Droite. Elle doit trouver un nouvel élan et se prolonger sous les législatures qui viennent car nous la voulons permanente.
Cette réforme ne nous appartient pas. Notre priorité est de défendre les intérêts des Français, non ceux des institutions que nous représentons.
Aujourd'hui, l'occasion vous est donnée de vous exprimer avec franchise, sans craindre de déranger. Cette liberté n'a qu'une seule borne : satisfaire les attentes de nos concitoyens.
C'est à eux que nous nous adressons. C'est par eux que nous serons jugés. Voici un vrai défi démocratique. Et je suis fier de vous le proposer.



(source http://www.interieur.gouv.fr, le 27 janvier 2003)