Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Je souhaiterais avant de commencer vous remercier très chaleureusement pour votre présence nombreuse, pour votre engagement, pour l'attachement que vous montrez à l'esprit de réforme.
Permettez-moi aussi de saluer le vice-ministre tchèque de l'Intérieur, Monsieur POSTRANECKY et mes quinze collègues du Gouvernement qui sont venus vous témoigner l'importance qu'ils accordent à la décentralisation.
Lors des premières Assises des Libertés locales à Nantes, le 18 octobre 2002, nous n'avions pas caché nos craintes que la décentralisation suscite un consensus mou ou des expressions partisanes.
Tel ne fut pas le cas. Depuis quatre mois, nous vivons grâce à vous, élus, fonctionnaires, membres de la société civile, un moment fort de la démocratie. Je suis heureux qu'ensemble nous ayons fait mentir les chantres de la fin du débat politique en France. Si des querelles partisanes s'expriment encore, elles m'apparaissent dérisoires et très éloignées de la hauteur de vue des débats qui ont eu lieu sur la décentralisation.
L'objectif de cette réunion de synthèse est de construire ensemble un nouveau projet pour la France.
Aujourd'hui, nous devons répondre à une question : est-il possible de dégager une majorité autour d'un projet de modernisation de la France qui l'emporte sur les réflexes partisans habituels ?
Je suis convaincu que cette majorité existe. Au risque de vous surprendre, j'ai eu beaucoup de plaisir à entendre des avis tranchés. J'ai apprécié à leur juste valeur les critiques passionnées car je suis persuadé que le premier frein au développement d'un pays est l'atonie.
Il est d'ailleurs aujourd'hui des absences bien surprenantes. Après avoir participé à toutes les Assises, après avoir exprimé clairement leur point de vue - et les débats n'en ont été que plus intéressants - je m'étonne que les responsables de l'opposition n'aient pas même voulu connaître nos propositions. Soit, ils sont rongés d'incertitudes ; soit, ils sont déjà convaincus par nos propositions. Je crois déjà connaître la réponse.
Il nous appartient de transformer cette réunion en une étape incontournable de la modernisation de la France.
Je veux que chacun d'entre vous mesure combien les querelles partisanes sont dérisoires face à l'enjeu. C'est celui de la réforme contre l'immobilisme, du progrès contre le déclin, de la démocratie contre l'extrémisme.
N'oublions pas la stupeur des élections présidentielles d'avril dernier. Ce sont 13 millions de Français qui ont défié la démocratie. Aucun parti n'est sorti victorieux, ni indemne de cette douloureuse expérience. Mesurons bien aujourd'hui l'ampleur du défi que nous devons relever avec tous les partis républicains et avec tous les Français.
Une Nation moderne est une Nation qui revendique la décentralisation. Tout comme un Etat moderne se refuse à tout vouloir régenter, mais cherche d'abord à mieux exercer ses missions.
Regardons le développement de l'Espagne et le retour du Royaume Uni depuis dix ans. Regardons la façon dont l'Allemagne a su intégrer la RDA. Regardons le développement industriel italien. Et, constatons que la France est le dernier des grands pays européens où la centralisation existe encore. N'y a-t-il pas un lien entre cette particularité et le fait que l'attractivité de la France et sa compétitivité aient baissé par rapport à ces pays ?
Certains affirment que l'on ne peut pas aller plus loin vers la décentralisation compte tenu de la fameuse "spécificité" française. Je leur demande de m'expliquer en quoi cette "spécificité" est un avantage si elle nous empêche de nous développer et si elle freine tous les projets ? Nous voulons construire une "spécificité française" positive qui soit synonyme de progrès et non d'immobilisme.
La réforme est fondamentalement politique au sens le plus grand et le plus noble du terme.
Cette réforme, le projet décentralisateur de Jean-Pierre RAFFARIN, je le soutiendrai fortement car je sais qu'il redonnera de l'oxygène aux projets locaux et donc du souffle à la démocratie. Ce projet, quel est-il ?
L'idée est simple. La décentralisation est le meilleur moyen de moderniser notre pays car les réformes se sont toujours heurtées aux résistances centralisatrices et à la pesanteur des forces de l'immobilisme.
Nous savons fort bien que les Français ne sont pas conservateurs. Au contraire, ils débordent de créativité et d'initiatives. Mais, les structures centrales, administratives, politiques et même économiques sont toujours plus enclines au statu quo qu'à l'innovation.
Or, qu'elle peut-être la légitimité de cet Etat si enclin à freiner les projets, si propice à multiplier les procédures et commissions administratives et en même temps incapable d'assurer ses premières missions comme par exemple celle de la sécurité des Français ?
La réforme inverse la logique : la décentralisation est le principe, la centralisation l'exception.
Dans le même esprit, la méthode a été inversée. Nous connaissons tous les limites des réformes imaginées dans le secret des bureaux et proposées sans autres alternatives. Elles sont toujours timides, parfaites sur le papier mais éloignées des réalités et inadaptées car non partagées.
Il faut réfléchir autrement pour proposer davantage d'audace. Les plus à même d'imaginer sont bien les élus locaux, les associations, les entreprises et nos concitoyens. Nous avons fait le pari de leur faire confiance et de leur demander leurs propositions. Et aujourd'hui je peux dire que nous avons eu raison.
Les Assises des Libertés locales sont une réussite. Elles ont remis à l'honneur le débat démocratique et politique.
Plus de 55 000 personnes y ont participé dans toute la France, en métropole comme Outre-mer. Jamais les salles ne furent vides ou placides. Avec Patrick DEVEDJIAN qui a participé à toutes les Assises, nous pouvons témoigner que les débats ont été passionnants et passionnés.
Je me souviens encore de la perplexité de certains lorsque je les invitais à aborder toutes les questions y compris la fusion de régions. Eh bien les débats ont eu lieu sans effusions dramatiques ! Il n'y a pas eu de débat idéologique mais des demandes réalistes, pratiques et constructives.
Les échanges ont été riches. Le débat n'a pas été celui du nouveau Gouvernement contre l'ancien, ni de la Droite contre la Gauche, ni du secteur privé contre le secteur public, ni des élus contre l'Etat, ni des communes contre les départements ou des départements contre les régions. Il y a eu parfois des réticences ou des heurts. Mais, toutes les tendances ont pu s'exprimer avec la force de leurs convictions. Ce fut le débat des Français dans toute leur diversité.
Ceci conforte, si besoin en était, ma conviction que les Français sont profondément et personnellement impliqués dans la vie de leur pays. Il existe une ferveur civique à laquelle nous devons répondre et que nous devons encourager.
Quelles aspirations se sont exprimées ?
Le premier constat s'impose avec évidence : nos concitoyens sont profondément décentralisateurs. 55 000 participants ont exprimé près de 600 propositions. Alors même que la politique de la décentralisation est engagée depuis plus de vingt ans, force est de constater qu'il y a bien un second acte de la décentralisation à engager.
Or, cette conviction est partagée par tous au-delà du cercle de l'administration et des élus. Un chiffre l'illustre avec force : plus du tiers des demandes de décentralisation émanent de la société civile.
Les Français souhaitent aussi la réforme par l'expérimentation.
Ce ne sont pas moins d'une centaine de demandes qui se sont exprimées. Je suis heureux que la logique de l'expérimentation ait autant d'adeptes car elle doit nous permettre de chercher le meilleur niveau de responsabilité mais aussi et surtout d'évaluer nos choix.
L'expérimentation et l'évaluation partent du principe que ce n'est pas que l'action qui compte mais également ses résultats.
Nous ferons des expérimentations en nombre limité mais audacieuses pour des politiques dont l'identification du niveau adéquat de responsabilité fait encore débat.
La question se pose dans le domaine agricole par exemple pour la gestion des programmes régionaux de développement agricole.
Il n'y a pas de consensus sur les questions de développement durable telles que la gestion du patrimoine naturel ou les actions de lutte contre le bruit.
On observe également que les débats ont été partagés s'agissant du transfert des agents techniques et ouvriers spécialisés chargés de l'entretien dans l'enseignement supérieur - les TOS - ou de l'exécution des décisions relevant de la protection judiciaire de la jeunesse.
Ce sont autant de domaines où le Premier Ministre pourra choisir la voie de l'expérimentation.
Je veux aussi vous dire que la décentralisation n'est en rien la négation de l'Etat. Bien au contraire, une puissante demande de présence de l'Etat s'est exprimée.
Chacun a bien compris qu'il n'y a rien à gagner d'une opposition entre le public et le privé. La performance n'est pas une qualité réservée au secteur privé. De même, nous n'avons rien à gagner à un affrontement entre des collectivités dynamiques et un Etat sclérosé.
La logique du progrès doit se partager du sommet de l'Etat jusque dans chaque commune. Soyons réalistes, on ne peut imaginer une société où l'administration d'Etat, l'administration locale et le secteur privé évoluent à des rythmes différents et dans des voies opposées. Si l'un progresse plus lentement, tous devront s'aligner sur son rythme, et ce n'est pas satisfaisant.
La décentralisation s'accompagnera logiquement d'une réforme ambitieuse de l'Etat autour de quatre principes.
D'abord, l'Etat territorial aura la responsabilité d'atteindre des objectifs locaux identifiés dans le projet territorial de l'Etat. Celui-ci ne sera plus la collection de projets ministériels mais bien un projet interministériel cohérent, local, financé par une enveloppe globale à la disposition des décideurs locaux. Ceux-ci pourront décider et affecter des moyens à un projet sans en référer systématiquement aux administrations centrales.
Deuxième principe, l'Etat territorial sera organisé à son échelon régional autour de cinq ou six pôles correspondant aux grandes politiques de l'Etat dans la région. Le lien entre le niveau régional et le niveau départemental sera révisé car naturellement les priorités de l'Etat au niveau régional doivent s'imposer au niveau départemental.
Troisième principe, l'Etat parlera d'une seule voix, celle du préfet. C'est une nécessité car demain plus qu'hier l'Etat aura un rôle d'évaluation et de contrôle. Et surtout lors des transferts de compétence, il aura un rôle déterminant d'aide, de conseil et d'appui aux collectivités.
Quatrième principe, le service public de l'Etat sera un véritable service de proximité dont la vocation est de simplifier la vie de nos concitoyens. Dans cet esprit, les sous-préfectures ont vocation à rassembler en leur sein les services de l'Etat et pourquoi pas ceux d'autres administrations. Je pense par exemple aux services de l'emploi ou à des points de contact pour les allocations familiales. Il est aussi indispensable de permettre à chacun d'obtenir des documents administratifs aussi bien dans une sous-préfecture, qu'une mairie ou encore sur Internet.
C'est une promesse d'efficacité et d'accessibilité. C'est aussi l'annonce d'un travail beaucoup plus riche et stimulant pour tous les fonctionnaires.
Cette réforme de l'administration territoriale va s'inscrire très rapidement dans les faits car elle ne peut être que parallèle à la décentralisation. Aussi le projet de loi sur la décentralisation présenté au Printemps comprendra un volet "administration territoriale de l'Etat".
Un autre constat s'impose avec force : la décentralisation doit clarifier les responsabilités et simplifier la vie de nos concitoyens.
Peut-on penser une politique d'insertion des personnes titulaires du RMI quand plus de sept interlocuteurs sont chargés de les suivre ? La réponse s'impose avec évidence - dans ce domaine, il faut reconnaître que nous ne pouvons que faire mieux !
Notre objectif est de rendre la décentralisation plus lisible et plus efficace grâce à deux questions : quelles sont les politiques exigeant plus de proximité ? Quelles sont les politiques exigeant plus de cohérence ?
Les propositions faites lors des Assises, qui fonderont l'acte II de la décentralisation, ont été claires. Nous pouvons identifier quatre grands domaines.
Le premier domaine de décentralisation qui est revendiqué est celui de l'action sociale. Domaine où le département s'impose aux yeux de tous comme le niveau adéquat de responsabilité.
L'action sociale, c'est-à-dire prioritairement l'insertion et naturellement le Revenu Minimum d'Insertion mais également des outils tels que les fonds d'aide aux jeunes.
Souvent est revenue aussi l'idée que le département soit le chef de file pour toutes les actions concernant les personnes âgées et les personnes handicapées.
Le deuxième domaine de décentralisation unanimement identifié est la formation.
Tout au long de la concertation, la formation professionnelle s'est imposée comme un champ de responsabilité de la région. Le principe a déjà été posé. Les collectivités demandent maintenant que l'Etat se retire effectivement de ce champ où il conserve la maîtrise des principaux outils. Je pense notamment à la commande publique à l'AFPA, aux fonds d'aide à la formation professionnelle ou encore aux dispositifs d'information et d'orientation.
Les régions ont aussi souhaité être plus étroitement associées aux grandes décisions de l'Etat qui ont un impact sur leur politique locale de formation professionnelle, comme à la carte des formations professionnelles ou encore la définition des priorités locales de la politique de l'emploi.
Dans ce domaine, il est grand temps que l'Etat cesse de reprendre d'une main ce qu'il a donné de l'autre. Puisque à l'évidence les régions sont l'échelon pertinent de la formation professionnelle, donnons-leur les moyens d'agir.
De même, tous les participants ont réclamé que la décentralisation de la formation initiale soit enfin achevée. Là encore, certaines incohérences ont été dénoncées. Quelle logique y a-t-il à avoir décentraliser la gestion des bâtiments scolaires sans donner de droit de parole aux collectivités sur la carte scolaire ? sans leur transférer les agents techniques et ouvriers spécialisés chargés de l'entretien ? sans leur laisser la responsabilité du logement étudiant ? sans donner aux Universités la liberté de passer des convention avec les collectivités ? Ces questions se posent avec d'autant plus de pertinence qu'il s'agit bien là de décisions qui influencent fortement la vie locale, et elles sont posées par les élus.
Enfin, nous avons relevé une très forte convergence autour d'un troisième domaine : le développement et l'aménagement local.
La région fait l'unanimité comme la collectivité chef de file du développement économique local tant pour gérer les aides aux entreprises, à l'artisanat, à l'agriculture, au commerce, que pour gérer les fonds européens ou décider de grands projets d'aménagement locaux.
Tous ont également souhaité que soit menée à son terme la décentralisation des infrastructures. Un point fait consensus depuis le début : les routes nationales. Et puisque les voies de communication routières ont été décentralisées, on comprend difficilement pourquoi les canaux, les ports ou les aéroports locaux ne le seraient pas.
Au-delà de ces trois domaines principaux, beaucoup de demandes se sont exprimées pour achever la décentralisation des compétences dans les domaines du sport, de la culture ou du tourisme.
Au terme de cet exposé, je voudrais vous faire partager deux points extrêmement positifs de ces Assises.
Tout d'abord vous pouvez constater donc que les débats n'ont pas abouti à la cacophonie. Au contraire, il y a un consensus fort autour de l'organisation de grands blocs cohérents, un consensus que partage le Gouvernement.
En second lieu, personne dans ces débats n'a souhaité que l'Etat abandonne ses responsabilités premières. Il restera présent sur les questions d'intégration, de lutte contre la grande exclusion, ou encore pour gérer les infrastructures d'intérêt national. Il est même souhaité qu'il récupère certaines compétences telles que la maîtrise des grandes politiques de santé publique.
Je voudrais maintenant écarter deux craintes car j'ai à cur que tous partagent notre confiance dans l'avenir.
Tout d'abord les moyens : la décentralisation n'est pas un jeu de dupes. Les transferts de financement et de personnels correspondront aux ambitions de la décentralisation. Notre engagement sur ce point est sans équivoque puisque nous avons confié au juge constitutionnel le soin d'y veiller.
S'agissant des moyens financiers l'idée déterminante des différentes orientations avancées est de ne pas accroître la part des dotations de l'Etat dans les ressources des collectivités locales. De fait, la logique est bien de transférer une partie d'un impôt d'Etat dynamique, comme la Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers.
Vous savez également que Jean Paul DELEVOYE a entamé la concertation avec les syndicats. Nous devons saisir cette occasion pour donner plus de réalité au principe de l'unité de la fonction publique. Travailler aussi bien dans une administration d'Etat que dans une administration locale doit être un élément valorisant de sa carrière, non une épreuve administrative et personnelle. Dans le même esprit, il ne peut et il ne doit pas y avoir un statut noble de l'Etat et un sous statut de la fonction publique territoriale. Tous participent avec la même conviction et la même efficacité au service public.
Je veux aussi souligner un élément fondamental : loin de contester une collectivité en particulier, le débat les a toutes confortées.
Nos concitoyens ont clairement rejeté les solutions institutionnelles simplistes. La commune a été plébiscitée comme le lieu historique de solidarité. Le département est l'institution chargée des services de proximité. La région est l'espace pertinent du développement économique. Enfin, l'intercommunalité s'est imposée tout au long des travaux.
Ceci ne veut pas dire que partout le statu quo institutionnel soit souhaité. Nous n'excluons pas une évolution institutionnelle en Corse. Certains départements ou régions ont demandé à se regrouper. Nous y sommes ouverts.
Je suis heureux que ce grand débat ait définitivement mis un terme à certaines idées fausses. Ce n'est pas la diversité institutionnelle et l'enthousiasme des 500 000 élus locaux qui menacent notre cohésion. Bien au contraire, c'est la rigidité des structures, le monolithisme de la pensée et l'atonie qui mettent en cause l'unité nationale.
Au terme de ces débats, je voudrais vous dire tout l'optimisme qu'ils me procurent. A l'évidence, la méthode choisie a été la bonne. A l'évidence, le second acte de la décentralisation et la réforme de l'Etat sont des sujets qui intéressent les Français.
Au-delà, j'en retiens que le désengagement civique n'est pas une fatalité inéluctable. Les Français ont manifestement envie de s'investir dans la vie de leur commune, de leur département, de leur région et donc de leur pays. C'est une formidable leçon qu'il nous faut retenir pour l'avenir. N'ignorons pas cette aspiration, cette volonté de chacun d'être un élément de la cohésion nationale et du progrès.
L'avenir de la France peut aujourd'hui prendre la bonne voie. Je vous y invite.
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 4 mars 2003)
Je souhaiterais avant de commencer vous remercier très chaleureusement pour votre présence nombreuse, pour votre engagement, pour l'attachement que vous montrez à l'esprit de réforme.
Permettez-moi aussi de saluer le vice-ministre tchèque de l'Intérieur, Monsieur POSTRANECKY et mes quinze collègues du Gouvernement qui sont venus vous témoigner l'importance qu'ils accordent à la décentralisation.
Lors des premières Assises des Libertés locales à Nantes, le 18 octobre 2002, nous n'avions pas caché nos craintes que la décentralisation suscite un consensus mou ou des expressions partisanes.
Tel ne fut pas le cas. Depuis quatre mois, nous vivons grâce à vous, élus, fonctionnaires, membres de la société civile, un moment fort de la démocratie. Je suis heureux qu'ensemble nous ayons fait mentir les chantres de la fin du débat politique en France. Si des querelles partisanes s'expriment encore, elles m'apparaissent dérisoires et très éloignées de la hauteur de vue des débats qui ont eu lieu sur la décentralisation.
L'objectif de cette réunion de synthèse est de construire ensemble un nouveau projet pour la France.
Aujourd'hui, nous devons répondre à une question : est-il possible de dégager une majorité autour d'un projet de modernisation de la France qui l'emporte sur les réflexes partisans habituels ?
Je suis convaincu que cette majorité existe. Au risque de vous surprendre, j'ai eu beaucoup de plaisir à entendre des avis tranchés. J'ai apprécié à leur juste valeur les critiques passionnées car je suis persuadé que le premier frein au développement d'un pays est l'atonie.
Il est d'ailleurs aujourd'hui des absences bien surprenantes. Après avoir participé à toutes les Assises, après avoir exprimé clairement leur point de vue - et les débats n'en ont été que plus intéressants - je m'étonne que les responsables de l'opposition n'aient pas même voulu connaître nos propositions. Soit, ils sont rongés d'incertitudes ; soit, ils sont déjà convaincus par nos propositions. Je crois déjà connaître la réponse.
Il nous appartient de transformer cette réunion en une étape incontournable de la modernisation de la France.
Je veux que chacun d'entre vous mesure combien les querelles partisanes sont dérisoires face à l'enjeu. C'est celui de la réforme contre l'immobilisme, du progrès contre le déclin, de la démocratie contre l'extrémisme.
N'oublions pas la stupeur des élections présidentielles d'avril dernier. Ce sont 13 millions de Français qui ont défié la démocratie. Aucun parti n'est sorti victorieux, ni indemne de cette douloureuse expérience. Mesurons bien aujourd'hui l'ampleur du défi que nous devons relever avec tous les partis républicains et avec tous les Français.
Une Nation moderne est une Nation qui revendique la décentralisation. Tout comme un Etat moderne se refuse à tout vouloir régenter, mais cherche d'abord à mieux exercer ses missions.
Regardons le développement de l'Espagne et le retour du Royaume Uni depuis dix ans. Regardons la façon dont l'Allemagne a su intégrer la RDA. Regardons le développement industriel italien. Et, constatons que la France est le dernier des grands pays européens où la centralisation existe encore. N'y a-t-il pas un lien entre cette particularité et le fait que l'attractivité de la France et sa compétitivité aient baissé par rapport à ces pays ?
Certains affirment que l'on ne peut pas aller plus loin vers la décentralisation compte tenu de la fameuse "spécificité" française. Je leur demande de m'expliquer en quoi cette "spécificité" est un avantage si elle nous empêche de nous développer et si elle freine tous les projets ? Nous voulons construire une "spécificité française" positive qui soit synonyme de progrès et non d'immobilisme.
La réforme est fondamentalement politique au sens le plus grand et le plus noble du terme.
Cette réforme, le projet décentralisateur de Jean-Pierre RAFFARIN, je le soutiendrai fortement car je sais qu'il redonnera de l'oxygène aux projets locaux et donc du souffle à la démocratie. Ce projet, quel est-il ?
L'idée est simple. La décentralisation est le meilleur moyen de moderniser notre pays car les réformes se sont toujours heurtées aux résistances centralisatrices et à la pesanteur des forces de l'immobilisme.
Nous savons fort bien que les Français ne sont pas conservateurs. Au contraire, ils débordent de créativité et d'initiatives. Mais, les structures centrales, administratives, politiques et même économiques sont toujours plus enclines au statu quo qu'à l'innovation.
Or, qu'elle peut-être la légitimité de cet Etat si enclin à freiner les projets, si propice à multiplier les procédures et commissions administratives et en même temps incapable d'assurer ses premières missions comme par exemple celle de la sécurité des Français ?
La réforme inverse la logique : la décentralisation est le principe, la centralisation l'exception.
Dans le même esprit, la méthode a été inversée. Nous connaissons tous les limites des réformes imaginées dans le secret des bureaux et proposées sans autres alternatives. Elles sont toujours timides, parfaites sur le papier mais éloignées des réalités et inadaptées car non partagées.
Il faut réfléchir autrement pour proposer davantage d'audace. Les plus à même d'imaginer sont bien les élus locaux, les associations, les entreprises et nos concitoyens. Nous avons fait le pari de leur faire confiance et de leur demander leurs propositions. Et aujourd'hui je peux dire que nous avons eu raison.
Les Assises des Libertés locales sont une réussite. Elles ont remis à l'honneur le débat démocratique et politique.
Plus de 55 000 personnes y ont participé dans toute la France, en métropole comme Outre-mer. Jamais les salles ne furent vides ou placides. Avec Patrick DEVEDJIAN qui a participé à toutes les Assises, nous pouvons témoigner que les débats ont été passionnants et passionnés.
Je me souviens encore de la perplexité de certains lorsque je les invitais à aborder toutes les questions y compris la fusion de régions. Eh bien les débats ont eu lieu sans effusions dramatiques ! Il n'y a pas eu de débat idéologique mais des demandes réalistes, pratiques et constructives.
Les échanges ont été riches. Le débat n'a pas été celui du nouveau Gouvernement contre l'ancien, ni de la Droite contre la Gauche, ni du secteur privé contre le secteur public, ni des élus contre l'Etat, ni des communes contre les départements ou des départements contre les régions. Il y a eu parfois des réticences ou des heurts. Mais, toutes les tendances ont pu s'exprimer avec la force de leurs convictions. Ce fut le débat des Français dans toute leur diversité.
Ceci conforte, si besoin en était, ma conviction que les Français sont profondément et personnellement impliqués dans la vie de leur pays. Il existe une ferveur civique à laquelle nous devons répondre et que nous devons encourager.
Quelles aspirations se sont exprimées ?
Le premier constat s'impose avec évidence : nos concitoyens sont profondément décentralisateurs. 55 000 participants ont exprimé près de 600 propositions. Alors même que la politique de la décentralisation est engagée depuis plus de vingt ans, force est de constater qu'il y a bien un second acte de la décentralisation à engager.
Or, cette conviction est partagée par tous au-delà du cercle de l'administration et des élus. Un chiffre l'illustre avec force : plus du tiers des demandes de décentralisation émanent de la société civile.
Les Français souhaitent aussi la réforme par l'expérimentation.
Ce ne sont pas moins d'une centaine de demandes qui se sont exprimées. Je suis heureux que la logique de l'expérimentation ait autant d'adeptes car elle doit nous permettre de chercher le meilleur niveau de responsabilité mais aussi et surtout d'évaluer nos choix.
L'expérimentation et l'évaluation partent du principe que ce n'est pas que l'action qui compte mais également ses résultats.
Nous ferons des expérimentations en nombre limité mais audacieuses pour des politiques dont l'identification du niveau adéquat de responsabilité fait encore débat.
La question se pose dans le domaine agricole par exemple pour la gestion des programmes régionaux de développement agricole.
Il n'y a pas de consensus sur les questions de développement durable telles que la gestion du patrimoine naturel ou les actions de lutte contre le bruit.
On observe également que les débats ont été partagés s'agissant du transfert des agents techniques et ouvriers spécialisés chargés de l'entretien dans l'enseignement supérieur - les TOS - ou de l'exécution des décisions relevant de la protection judiciaire de la jeunesse.
Ce sont autant de domaines où le Premier Ministre pourra choisir la voie de l'expérimentation.
Je veux aussi vous dire que la décentralisation n'est en rien la négation de l'Etat. Bien au contraire, une puissante demande de présence de l'Etat s'est exprimée.
Chacun a bien compris qu'il n'y a rien à gagner d'une opposition entre le public et le privé. La performance n'est pas une qualité réservée au secteur privé. De même, nous n'avons rien à gagner à un affrontement entre des collectivités dynamiques et un Etat sclérosé.
La logique du progrès doit se partager du sommet de l'Etat jusque dans chaque commune. Soyons réalistes, on ne peut imaginer une société où l'administration d'Etat, l'administration locale et le secteur privé évoluent à des rythmes différents et dans des voies opposées. Si l'un progresse plus lentement, tous devront s'aligner sur son rythme, et ce n'est pas satisfaisant.
La décentralisation s'accompagnera logiquement d'une réforme ambitieuse de l'Etat autour de quatre principes.
D'abord, l'Etat territorial aura la responsabilité d'atteindre des objectifs locaux identifiés dans le projet territorial de l'Etat. Celui-ci ne sera plus la collection de projets ministériels mais bien un projet interministériel cohérent, local, financé par une enveloppe globale à la disposition des décideurs locaux. Ceux-ci pourront décider et affecter des moyens à un projet sans en référer systématiquement aux administrations centrales.
Deuxième principe, l'Etat territorial sera organisé à son échelon régional autour de cinq ou six pôles correspondant aux grandes politiques de l'Etat dans la région. Le lien entre le niveau régional et le niveau départemental sera révisé car naturellement les priorités de l'Etat au niveau régional doivent s'imposer au niveau départemental.
Troisième principe, l'Etat parlera d'une seule voix, celle du préfet. C'est une nécessité car demain plus qu'hier l'Etat aura un rôle d'évaluation et de contrôle. Et surtout lors des transferts de compétence, il aura un rôle déterminant d'aide, de conseil et d'appui aux collectivités.
Quatrième principe, le service public de l'Etat sera un véritable service de proximité dont la vocation est de simplifier la vie de nos concitoyens. Dans cet esprit, les sous-préfectures ont vocation à rassembler en leur sein les services de l'Etat et pourquoi pas ceux d'autres administrations. Je pense par exemple aux services de l'emploi ou à des points de contact pour les allocations familiales. Il est aussi indispensable de permettre à chacun d'obtenir des documents administratifs aussi bien dans une sous-préfecture, qu'une mairie ou encore sur Internet.
C'est une promesse d'efficacité et d'accessibilité. C'est aussi l'annonce d'un travail beaucoup plus riche et stimulant pour tous les fonctionnaires.
Cette réforme de l'administration territoriale va s'inscrire très rapidement dans les faits car elle ne peut être que parallèle à la décentralisation. Aussi le projet de loi sur la décentralisation présenté au Printemps comprendra un volet "administration territoriale de l'Etat".
Un autre constat s'impose avec force : la décentralisation doit clarifier les responsabilités et simplifier la vie de nos concitoyens.
Peut-on penser une politique d'insertion des personnes titulaires du RMI quand plus de sept interlocuteurs sont chargés de les suivre ? La réponse s'impose avec évidence - dans ce domaine, il faut reconnaître que nous ne pouvons que faire mieux !
Notre objectif est de rendre la décentralisation plus lisible et plus efficace grâce à deux questions : quelles sont les politiques exigeant plus de proximité ? Quelles sont les politiques exigeant plus de cohérence ?
Les propositions faites lors des Assises, qui fonderont l'acte II de la décentralisation, ont été claires. Nous pouvons identifier quatre grands domaines.
Le premier domaine de décentralisation qui est revendiqué est celui de l'action sociale. Domaine où le département s'impose aux yeux de tous comme le niveau adéquat de responsabilité.
L'action sociale, c'est-à-dire prioritairement l'insertion et naturellement le Revenu Minimum d'Insertion mais également des outils tels que les fonds d'aide aux jeunes.
Souvent est revenue aussi l'idée que le département soit le chef de file pour toutes les actions concernant les personnes âgées et les personnes handicapées.
Le deuxième domaine de décentralisation unanimement identifié est la formation.
Tout au long de la concertation, la formation professionnelle s'est imposée comme un champ de responsabilité de la région. Le principe a déjà été posé. Les collectivités demandent maintenant que l'Etat se retire effectivement de ce champ où il conserve la maîtrise des principaux outils. Je pense notamment à la commande publique à l'AFPA, aux fonds d'aide à la formation professionnelle ou encore aux dispositifs d'information et d'orientation.
Les régions ont aussi souhaité être plus étroitement associées aux grandes décisions de l'Etat qui ont un impact sur leur politique locale de formation professionnelle, comme à la carte des formations professionnelles ou encore la définition des priorités locales de la politique de l'emploi.
Dans ce domaine, il est grand temps que l'Etat cesse de reprendre d'une main ce qu'il a donné de l'autre. Puisque à l'évidence les régions sont l'échelon pertinent de la formation professionnelle, donnons-leur les moyens d'agir.
De même, tous les participants ont réclamé que la décentralisation de la formation initiale soit enfin achevée. Là encore, certaines incohérences ont été dénoncées. Quelle logique y a-t-il à avoir décentraliser la gestion des bâtiments scolaires sans donner de droit de parole aux collectivités sur la carte scolaire ? sans leur transférer les agents techniques et ouvriers spécialisés chargés de l'entretien ? sans leur laisser la responsabilité du logement étudiant ? sans donner aux Universités la liberté de passer des convention avec les collectivités ? Ces questions se posent avec d'autant plus de pertinence qu'il s'agit bien là de décisions qui influencent fortement la vie locale, et elles sont posées par les élus.
Enfin, nous avons relevé une très forte convergence autour d'un troisième domaine : le développement et l'aménagement local.
La région fait l'unanimité comme la collectivité chef de file du développement économique local tant pour gérer les aides aux entreprises, à l'artisanat, à l'agriculture, au commerce, que pour gérer les fonds européens ou décider de grands projets d'aménagement locaux.
Tous ont également souhaité que soit menée à son terme la décentralisation des infrastructures. Un point fait consensus depuis le début : les routes nationales. Et puisque les voies de communication routières ont été décentralisées, on comprend difficilement pourquoi les canaux, les ports ou les aéroports locaux ne le seraient pas.
Au-delà de ces trois domaines principaux, beaucoup de demandes se sont exprimées pour achever la décentralisation des compétences dans les domaines du sport, de la culture ou du tourisme.
Au terme de cet exposé, je voudrais vous faire partager deux points extrêmement positifs de ces Assises.
Tout d'abord vous pouvez constater donc que les débats n'ont pas abouti à la cacophonie. Au contraire, il y a un consensus fort autour de l'organisation de grands blocs cohérents, un consensus que partage le Gouvernement.
En second lieu, personne dans ces débats n'a souhaité que l'Etat abandonne ses responsabilités premières. Il restera présent sur les questions d'intégration, de lutte contre la grande exclusion, ou encore pour gérer les infrastructures d'intérêt national. Il est même souhaité qu'il récupère certaines compétences telles que la maîtrise des grandes politiques de santé publique.
Je voudrais maintenant écarter deux craintes car j'ai à cur que tous partagent notre confiance dans l'avenir.
Tout d'abord les moyens : la décentralisation n'est pas un jeu de dupes. Les transferts de financement et de personnels correspondront aux ambitions de la décentralisation. Notre engagement sur ce point est sans équivoque puisque nous avons confié au juge constitutionnel le soin d'y veiller.
S'agissant des moyens financiers l'idée déterminante des différentes orientations avancées est de ne pas accroître la part des dotations de l'Etat dans les ressources des collectivités locales. De fait, la logique est bien de transférer une partie d'un impôt d'Etat dynamique, comme la Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers.
Vous savez également que Jean Paul DELEVOYE a entamé la concertation avec les syndicats. Nous devons saisir cette occasion pour donner plus de réalité au principe de l'unité de la fonction publique. Travailler aussi bien dans une administration d'Etat que dans une administration locale doit être un élément valorisant de sa carrière, non une épreuve administrative et personnelle. Dans le même esprit, il ne peut et il ne doit pas y avoir un statut noble de l'Etat et un sous statut de la fonction publique territoriale. Tous participent avec la même conviction et la même efficacité au service public.
Je veux aussi souligner un élément fondamental : loin de contester une collectivité en particulier, le débat les a toutes confortées.
Nos concitoyens ont clairement rejeté les solutions institutionnelles simplistes. La commune a été plébiscitée comme le lieu historique de solidarité. Le département est l'institution chargée des services de proximité. La région est l'espace pertinent du développement économique. Enfin, l'intercommunalité s'est imposée tout au long des travaux.
Ceci ne veut pas dire que partout le statu quo institutionnel soit souhaité. Nous n'excluons pas une évolution institutionnelle en Corse. Certains départements ou régions ont demandé à se regrouper. Nous y sommes ouverts.
Je suis heureux que ce grand débat ait définitivement mis un terme à certaines idées fausses. Ce n'est pas la diversité institutionnelle et l'enthousiasme des 500 000 élus locaux qui menacent notre cohésion. Bien au contraire, c'est la rigidité des structures, le monolithisme de la pensée et l'atonie qui mettent en cause l'unité nationale.
Au terme de ces débats, je voudrais vous dire tout l'optimisme qu'ils me procurent. A l'évidence, la méthode choisie a été la bonne. A l'évidence, le second acte de la décentralisation et la réforme de l'Etat sont des sujets qui intéressent les Français.
Au-delà, j'en retiens que le désengagement civique n'est pas une fatalité inéluctable. Les Français ont manifestement envie de s'investir dans la vie de leur commune, de leur département, de leur région et donc de leur pays. C'est une formidable leçon qu'il nous faut retenir pour l'avenir. N'ignorons pas cette aspiration, cette volonté de chacun d'être un élément de la cohésion nationale et du progrès.
L'avenir de la France peut aujourd'hui prendre la bonne voie. Je vous y invite.
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 4 mars 2003)