Texte intégral
Mesdames,
Messieurs,
Chers amis américains,
Il y a quelques mois, vous m'aviez demandé de co-présider - avec mon collègue Jean-Jacques Aillagon - vos travaux sur le financement et la gestion de la culture aux Etats-Unis et en France et de les accueillir à Bercy.
J'ai été très honoré de cette proposition. Je l'ai accepté avec enthousiasme. En effet, la tenue de ce colloque, sur ce thème, au ministère des finances, au moment où le gouvernement français s'engage sur la voie d'un élargissement majeur de l'action du mécénat et des fondations, me semble en elle-même un signal fort de l'évolution des mentalités en la matière.
Ces journées sont un signal. Elles sont aussi un symbole : deux fondations, l'une américaine, l'autre française, organisant un colloque dans les murs du ministère des finances, avec la participation du ministre de la culture et du ministre du budget, c'est une conjonction qui illustre votre propos : c'est bien de synergies et d'interdépendances des sources privées et publiques dont on parle !
Permettez-moi de saluer cette initiative qui revient aux organisateurs, la French-American Foundation et le Centre Français des Fondations. Mes remerciements vont à leur président respectif, Michael Patterson et Francis Charhon.
L'ambassade des Etats-Unis à Paris a aussi été d'un soutien précieux dans cette initiative.
Ces deux journées ont été un succès. Un triple succès en vérité : celui de la richesse des débats, celui de l'intérêt qu'ils suscitent, celui enfin de son insertion parfaite dans l'actualité. Il faut prolonger ce succès et le faire partager au plus grand nombre. C'est dans cet esprit que j'ai le plaisir de vous annoncer que notre ministère éditera les actes de ce colloque.
J'en viens maintenant à vos travaux. La trentaine d'interventions de ces deux journées a couvert le champ du débat de l'interdépendance des sources privées et publiques de financement et de gestion de la culture aux Etats-Unis et en France. Au-delà des idées reçues qui feraient s'opposer nos modèles respectifs, ce travail comparatif a décrit, les différences entre nos systèmes, mais aussi les évolutions qui les font se rapprocher.
L'interrogation qui a traversé vos débats se résume à la question suivante : la France, comme les Etats-Unis, va-t-elle financer une action culturelle identique avec des modes de financement différents ?
Je souhaite apporter une contribution à ce débat à travers mon expérience de ministre du budget, de réformateur et d'élu local.
Enjeu budgétaire
A l'évidence, le thème du financement de la culture est un enjeu budgétaire. Chacun sait que la France a depuis longtemps une politique publique ambitieuse en la matière, qui se traduit par des moyens financiers importants, en croissance.
Les chiffres ont été évoqués par Randy Cohen et Jean-François Chougnet. Ce qui frappe immédiatement, c'est la nécessité de chiffres globaux. Vous aurez noté que la dépense budgétaire en faveur de la Culture en France dépasse largement les 2 490 M du seul budget du ministère de la Culture et de la communication. Elle atteint en fait 6 230 M, soit plus du double, si l'on agrège les financements de l'ensemble des ministères sur ce sujet. Il faut y ajouter les taxes et impôts directement affectés à ce secteur, soit 2 730M.
Qu'en est-il aux Etats-Unis ? La somme non exhaustive des financements budgétaires fédéraux directs en la matière y atteint en comparaison 1 450 M$.
S'agissant des financements non étatiques, c'est-à-dire la contribution des collectivités locales, des personnes privées mais aussi des entreprises, l'information est plus parcellaire.
Il reste que là où le mécénat des entreprises et des particuliers est évalué à 300 M en France, il est estimé à 12 140 M$ aux Etats-Unis...
Au-delà de cet écart, je tire deux leçons de l'exemple américain :
- à l'instar de la France, les financements des collectivités locales, y compris des Etats, sont des éléments importants et stables du financement de la Culture ;
- à l'inverse de la France, mais dans un rapport qui est presque de 1 à 100 au sein des contributions privées au secteur culturel, les contributions des particuliers sont deux fois plus importantes que celles des entreprises.
Ce rapide panorama illustre les marges dont disposent les deux systèmes.
Afin de poursuivre, il nous faut toutefois lever immédiatement une ambiguïté, celle de la substitution des financements.
L'exemple des financements des collectivités locales montre clairement que chacun des partenaires finance des choses différentes en fonction de ses objectifs propres. Ainsi, c'est à mon sens une erreur d'analyse de penser que les financements non étatiques viendraient se substituer, comme mécaniquement, au manque de moyens affectés par l'Etat.
Le second volet budgétaire est celui de la fiscalité. J'ai noté avec intérêt que plusieurs intervenants faisant de la disposition fiscale de 1917 aux USA. En ouvrant une déduction de l'impôt sur le revenu du fait d'un don à un musée ou à une organisation non lucrative, elle est l'acte de naissance du mécénat privé, dont on mesure la destinée.
Le Gouvernement français va porter les déductions fiscales des particuliers et des entreprises à un niveau élevé : 60% de l'impôt. On peut espérer que ce signal de 2003 sera à la France ce que celui de 1917 a été aux Etats-Unis pour le mécénat.
Enjeu de Réforme
Vous savez peut-être que le ministre du budget est aussi celui de la réforme budgétaire. J'ai conduit, dans un passé récent, la réforme de notre constitution financière.
Cette petite révolution de nos principes budgétaires emporte déjà des conséquences très concrètes pour les décideurs et gestionnaires.
- Elle oblige à formuler des objectifs de politiques publiques ;
- Elle oblige à s'engager sur un niveau de performance ;
- Elle incite à la responsabilité, les gestionnaires ;
L'énoncé de ces principes et objectifs me conduit à les relier à vos débats. En effet, je suis persuadé que la multiplicité des sources de financement de l'action culturelle aura les mêmes effets de responsabilisation par une plus grande exigence d'évaluation des donateurs.
En France, la croissance du mécénat que nous stimulons par la fiscalité et la part toujours plus grande que prennent les collectivités locales, aura, j'en suis sûr, pour conséquence une plus grande transparence, une plus grande responsabilité, une plus grande efficacité de la gestion de ce secteur.
On ne peut pas imaginer un mécénat sans objectifs, sans évaluation. Je suis certain que cette évolution sera un levier de réforme pour les administrations, les établissements et les structures existantes de ce secteur.
Au-delà, le développement de ces nouvelles ressources, comme nous le montre l'expérience américaine, aura pour corollaire le développement de l'action privée dans la gestion de la Culture. Comme l'a rappelé le président Jacques Chirac mercredi dernier, c'est passer " d'une culture de suspicion à une culture de confiance " face à l'implication des particuliers, des entreprises, des fondations, des associations dans la vie culturelle.
Dans cette perspective, j'ai noté avec grand intérêt l'action et le nombre (2 100) des " private operating foundations " aux Etats-Unis.
Enjeu local et décentralisation
Le dernier orateur, John Kreidler a évoqué la dimension territoriale du financement des activités culturelles.
Avec mon expérience d'élu local, au Sénat et à la tête de la belle ville d'Alençon, communauté de 50 000 habitants au coeur de la Normandie, je voudrai y faire écho.
L'action culturelle locale a effectivement comme fondements l'insertion, l'identité et la formation. En d'autres mots, l'accès du plus grand nombre à la culture.
Ces objectifs conditionnent des pratiques qui sont complémentaires de l'action de l'Etat et mobilisent souvent l'intérêt de structures privées non lucratives. C'est par exemple le cas en matière de pratique amateur ou de formation.
Pour autant, le souci d'identité et donc de fierté vis-à-vis d'un patrimoine commun ou d'une excellence dans un domaine artistique exercé localement, incite les collectivités à s'approprier les formes les plus élaborées de l'art.
C'est dans ce sens que la décentralisation annoncée par le Gouvernement touchera aussi le domaine culturel : le développement du financement et de la gestion privée de l'action culturelle sera un facteur d'enrichissement de la décentralisation.
Au terme de mon propos, quelques réponses me semblent pouvoir être apportées à la question que nous nous posions d'entrée de jeu -la France, comme les Etats-Unis, va-t-elle financer une action culturelle identique avec des modes de financement différents ? Trois pistes peuvent être explorées :
- Financièrement, le mécénat et la gestion privée ne sont pas seulement des substituts à l'action de l'Etat ;
- le développement du mécénat porte en lui des réformes profondes de l'action des entités publiques qu'il pourrait aider. C'est particulièrement le cas pour l'essor d'entités privées d'actions culturelles, comme les fondations ;
- 3e réponse : le niveau local a déjà expérimenté les conséquences positives d'un financement multiple ; l'évolution de la décentralisation, du mécénat et des fondations va relancer l'initiative.
Merci de votre attention.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 14 mars 2003)
Messieurs,
Chers amis américains,
Il y a quelques mois, vous m'aviez demandé de co-présider - avec mon collègue Jean-Jacques Aillagon - vos travaux sur le financement et la gestion de la culture aux Etats-Unis et en France et de les accueillir à Bercy.
J'ai été très honoré de cette proposition. Je l'ai accepté avec enthousiasme. En effet, la tenue de ce colloque, sur ce thème, au ministère des finances, au moment où le gouvernement français s'engage sur la voie d'un élargissement majeur de l'action du mécénat et des fondations, me semble en elle-même un signal fort de l'évolution des mentalités en la matière.
Ces journées sont un signal. Elles sont aussi un symbole : deux fondations, l'une américaine, l'autre française, organisant un colloque dans les murs du ministère des finances, avec la participation du ministre de la culture et du ministre du budget, c'est une conjonction qui illustre votre propos : c'est bien de synergies et d'interdépendances des sources privées et publiques dont on parle !
Permettez-moi de saluer cette initiative qui revient aux organisateurs, la French-American Foundation et le Centre Français des Fondations. Mes remerciements vont à leur président respectif, Michael Patterson et Francis Charhon.
L'ambassade des Etats-Unis à Paris a aussi été d'un soutien précieux dans cette initiative.
Ces deux journées ont été un succès. Un triple succès en vérité : celui de la richesse des débats, celui de l'intérêt qu'ils suscitent, celui enfin de son insertion parfaite dans l'actualité. Il faut prolonger ce succès et le faire partager au plus grand nombre. C'est dans cet esprit que j'ai le plaisir de vous annoncer que notre ministère éditera les actes de ce colloque.
J'en viens maintenant à vos travaux. La trentaine d'interventions de ces deux journées a couvert le champ du débat de l'interdépendance des sources privées et publiques de financement et de gestion de la culture aux Etats-Unis et en France. Au-delà des idées reçues qui feraient s'opposer nos modèles respectifs, ce travail comparatif a décrit, les différences entre nos systèmes, mais aussi les évolutions qui les font se rapprocher.
L'interrogation qui a traversé vos débats se résume à la question suivante : la France, comme les Etats-Unis, va-t-elle financer une action culturelle identique avec des modes de financement différents ?
Je souhaite apporter une contribution à ce débat à travers mon expérience de ministre du budget, de réformateur et d'élu local.
Enjeu budgétaire
A l'évidence, le thème du financement de la culture est un enjeu budgétaire. Chacun sait que la France a depuis longtemps une politique publique ambitieuse en la matière, qui se traduit par des moyens financiers importants, en croissance.
Les chiffres ont été évoqués par Randy Cohen et Jean-François Chougnet. Ce qui frappe immédiatement, c'est la nécessité de chiffres globaux. Vous aurez noté que la dépense budgétaire en faveur de la Culture en France dépasse largement les 2 490 M du seul budget du ministère de la Culture et de la communication. Elle atteint en fait 6 230 M, soit plus du double, si l'on agrège les financements de l'ensemble des ministères sur ce sujet. Il faut y ajouter les taxes et impôts directement affectés à ce secteur, soit 2 730M.
Qu'en est-il aux Etats-Unis ? La somme non exhaustive des financements budgétaires fédéraux directs en la matière y atteint en comparaison 1 450 M$.
S'agissant des financements non étatiques, c'est-à-dire la contribution des collectivités locales, des personnes privées mais aussi des entreprises, l'information est plus parcellaire.
Il reste que là où le mécénat des entreprises et des particuliers est évalué à 300 M en France, il est estimé à 12 140 M$ aux Etats-Unis...
Au-delà de cet écart, je tire deux leçons de l'exemple américain :
- à l'instar de la France, les financements des collectivités locales, y compris des Etats, sont des éléments importants et stables du financement de la Culture ;
- à l'inverse de la France, mais dans un rapport qui est presque de 1 à 100 au sein des contributions privées au secteur culturel, les contributions des particuliers sont deux fois plus importantes que celles des entreprises.
Ce rapide panorama illustre les marges dont disposent les deux systèmes.
Afin de poursuivre, il nous faut toutefois lever immédiatement une ambiguïté, celle de la substitution des financements.
L'exemple des financements des collectivités locales montre clairement que chacun des partenaires finance des choses différentes en fonction de ses objectifs propres. Ainsi, c'est à mon sens une erreur d'analyse de penser que les financements non étatiques viendraient se substituer, comme mécaniquement, au manque de moyens affectés par l'Etat.
Le second volet budgétaire est celui de la fiscalité. J'ai noté avec intérêt que plusieurs intervenants faisant de la disposition fiscale de 1917 aux USA. En ouvrant une déduction de l'impôt sur le revenu du fait d'un don à un musée ou à une organisation non lucrative, elle est l'acte de naissance du mécénat privé, dont on mesure la destinée.
Le Gouvernement français va porter les déductions fiscales des particuliers et des entreprises à un niveau élevé : 60% de l'impôt. On peut espérer que ce signal de 2003 sera à la France ce que celui de 1917 a été aux Etats-Unis pour le mécénat.
Enjeu de Réforme
Vous savez peut-être que le ministre du budget est aussi celui de la réforme budgétaire. J'ai conduit, dans un passé récent, la réforme de notre constitution financière.
Cette petite révolution de nos principes budgétaires emporte déjà des conséquences très concrètes pour les décideurs et gestionnaires.
- Elle oblige à formuler des objectifs de politiques publiques ;
- Elle oblige à s'engager sur un niveau de performance ;
- Elle incite à la responsabilité, les gestionnaires ;
L'énoncé de ces principes et objectifs me conduit à les relier à vos débats. En effet, je suis persuadé que la multiplicité des sources de financement de l'action culturelle aura les mêmes effets de responsabilisation par une plus grande exigence d'évaluation des donateurs.
En France, la croissance du mécénat que nous stimulons par la fiscalité et la part toujours plus grande que prennent les collectivités locales, aura, j'en suis sûr, pour conséquence une plus grande transparence, une plus grande responsabilité, une plus grande efficacité de la gestion de ce secteur.
On ne peut pas imaginer un mécénat sans objectifs, sans évaluation. Je suis certain que cette évolution sera un levier de réforme pour les administrations, les établissements et les structures existantes de ce secteur.
Au-delà, le développement de ces nouvelles ressources, comme nous le montre l'expérience américaine, aura pour corollaire le développement de l'action privée dans la gestion de la Culture. Comme l'a rappelé le président Jacques Chirac mercredi dernier, c'est passer " d'une culture de suspicion à une culture de confiance " face à l'implication des particuliers, des entreprises, des fondations, des associations dans la vie culturelle.
Dans cette perspective, j'ai noté avec grand intérêt l'action et le nombre (2 100) des " private operating foundations " aux Etats-Unis.
Enjeu local et décentralisation
Le dernier orateur, John Kreidler a évoqué la dimension territoriale du financement des activités culturelles.
Avec mon expérience d'élu local, au Sénat et à la tête de la belle ville d'Alençon, communauté de 50 000 habitants au coeur de la Normandie, je voudrai y faire écho.
L'action culturelle locale a effectivement comme fondements l'insertion, l'identité et la formation. En d'autres mots, l'accès du plus grand nombre à la culture.
Ces objectifs conditionnent des pratiques qui sont complémentaires de l'action de l'Etat et mobilisent souvent l'intérêt de structures privées non lucratives. C'est par exemple le cas en matière de pratique amateur ou de formation.
Pour autant, le souci d'identité et donc de fierté vis-à-vis d'un patrimoine commun ou d'une excellence dans un domaine artistique exercé localement, incite les collectivités à s'approprier les formes les plus élaborées de l'art.
C'est dans ce sens que la décentralisation annoncée par le Gouvernement touchera aussi le domaine culturel : le développement du financement et de la gestion privée de l'action culturelle sera un facteur d'enrichissement de la décentralisation.
Au terme de mon propos, quelques réponses me semblent pouvoir être apportées à la question que nous nous posions d'entrée de jeu -la France, comme les Etats-Unis, va-t-elle financer une action culturelle identique avec des modes de financement différents ? Trois pistes peuvent être explorées :
- Financièrement, le mécénat et la gestion privée ne sont pas seulement des substituts à l'action de l'Etat ;
- le développement du mécénat porte en lui des réformes profondes de l'action des entités publiques qu'il pourrait aider. C'est particulièrement le cas pour l'essor d'entités privées d'actions culturelles, comme les fondations ;
- 3e réponse : le niveau local a déjà expérimenté les conséquences positives d'un financement multiple ; l'évolution de la décentralisation, du mécénat et des fondations va relancer l'initiative.
Merci de votre attention.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 14 mars 2003)