Interview de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre mer, dans "Inter Entreprises" du printemps 2003, sur la loi de programme pour l'outre mer, destinée à favoriser l'emploi et l'investissement et permettre le développement durable de l'outre mer.

Prononcé le 1er janvier 2003

Intervenant(s) : 

Média : Inter Entreprises

Texte intégral

Inter-Entreprises : Quelle est l'idée directrice qui a accompagné la mise en forme de ce projet de loi de programme de 15 ans pour l'Outre-mer ?
Brigitte GIRARDIN : Le projet de loi de programme pour l'outre-mer est la traduction au plan législatif de tous les engagements pris par le Président de la République au cours de la campagne présidentielle. L'idée directrice de ce projet est de favoriser le développement économique durable. Les mesures proposées visent à répondre à un double problème de l'outre-mer : un coût du travail et un coût du capital trop élevés. Aussi les exonérations de charges sociales sont-elles renforcées afin d'accroître la compétitivité des entreprises, pour qu'elles produisent plus et créent ainsi plus d'emplois durables, notamment pour les jeunes. De même, le nouveau système de défiscalisation de la loi de programme, plus simple à mettre en uvre et plus transparent pour les investisseurs, doit susciter la relance de l'investissement. Enfin, les mesures visant à renforcer la continuité territoriale entre les collectivités d'outre-mer et la métropole sont destinées à favoriser une meilleure mobilité des personnes et des biens.
Inter-Entreprises : Votre projet de loi corrige et amplifie la LOOM, notamment à travers l'éligibilité de nouveaux secteurs comme le transport aérien et le transport maritime dans les DOM, et la majoration de 0,1 point du taux d'exonération. Cependant, de nombreux secteurs gros pourvoyeurs de main d'oeuvre demeurent hors système : transport terrestre, gardiennage, environnement, stations services, secteurs souvent hors lois sociales et fiscales dans nos départements. Or, leur désorganisation pénalise le bon fonctionnement de l'ensemble (qu'arrivera-t-il si un car de touristes tombe dans un ravin et que l'on découvre que ce transporteur n'était pas assuré, que le chauffeur employé " au noir " parce que les conditions du marché ne permettent pas une exploitation normale ?). Ne serait-il pas temps de changer l'approche et que l'exonération devienne la règle le temps que les PIB de ces régions se rapprochent de celui de la Corse voire de celui de la France métropolitaine, en précisant expressément les secteurs qui ne seraient pas éligibles ?
Brigitte GIRARDIN : La logique retenue en matière d'exonérations de charges sociales est d'abaisser prioritairement le coût du travail dans les secteurs d'activité particulièrement soumis à la concurrence extérieure. C'est la raison pour laquelle le projet de loi de programme propose de renforcer ces exonérations dans les secteurs tels que l'industrie ou l'agriculture.
S'agissant des secteurs que vous citez, lesquels n'ont pas à subir de concurrence externe, je pense que les conditions de leur développement et de leur organisation existent localement : la demande est forte et, pour y répondre, les entreprises doivent pouvoir se structurer, en appliquant les lois fiscales et sociales en vigueur. Faire de l'exonération de charges sociales la règle, comme vous le proposez, conduirait à des effets d'aubaine qui ne sont pas souhaitables.
Inter-Entreprises : Lors de votre passage, vous avez déclaré que le concept de zone franche arrivait à ses limites. Or, 44 nouvelles zones franches urbaines (ZFU) ont été instaurées en France fin janvier dernier et les élus corses bataillent pour que la zone franche globale applicable chez eux soit prolongée. Les socioprofessionnels de plusieurs départements d'outre-mer préconisent la mise en place de zones franches globales de type Corse pour donner un coup de fouet économique à leur région : quelles sont les difficultés qui empêchent la mise en place de ce système dans les DOM ?
Brigitte GIRARDIN : Permettez-moi tout d'abord de rappeler ce que recouvre cette notion de zone franche, en ayant bien présent à l'esprit les deux types de " franchises " à savoir fiscale ou douanière.
Les franchises fiscales, c'est-à-dire celles consistant en des exonérations totales ou partielles d'impôts, sont de la compétence législative nationale même si, bien sûr, dès lors qu'elles pourraient porter atteinte à la libre concurrence elles font l'objet d'examen par la Commission européenne.
Les franchises douanières, comme l'ensemble de la réglementation douanière, relèvent quant à elles de la pleine compétence communautaire. A cet égard, il me paraît intéressant de relever que dans ce domaine les autorités communautaires distinguent - pour les favoriser - les régions ultrapériphériques, donc les DOM.
Sur la partie fiscale, comme vous le savez, les entreprises des DOM disposent d'un éventail déjà large d'avantages soit à titre général soit issu de la loi de 1986 pour ce qui est des zones franches. Sans les citer tous, je rappelle par exemple les possibilités d'exonération pour 10 ans d'impôt sur les sociétés pour celles en extension ou qui se créent, l'abattement d'un tiers sur les résultats, le mécanisme spécifique de récupération de TVA, les exonérations de taxe professionnelle propres aux zones franches ainsi bien sûr que les aides fiscales à l'investissement que la loi de programme va d'ailleurs améliorer.
C'est pourquoi il me paraîtrait utile que les acteurs économiques explorent davantage la piste des franchises douanières comme l'on fait nos amis portugais à Madère et aux Açores et espagnols aux Canaries. En effet, la réglementation communautaire permet également dans les DOM la non application des conditions économiques normalement exigées.
Par ailleurs, la valorisation des activités implantées dans ces zones passe par exemple par la possibilité qui pourrait être offerte aux DOM de bénéficier d'un régime de droits nuls pour des marchandises destinées au final au marché communautaire. Un dispositif semblable existe au profit de Madère et des Açores.
Il y peut y avoir là, me semble-t-il, des créneaux intéressants pour nos DOM. Il faut bien sûr que les produits en cause et leur transformation soient bien identifiés et les projets étayés d'études économiques et de marché. Je serais pour ma part tout à fait prête, en liaison avec mon collègue ministre du Budget, à soutenir auprès des autorités communautaires les dossiers qui pourraient nous être présentés.
Je suis en revanche sceptique sur la mise en place dans les DOM de zones franches globales qui priveraient les collectivités locales des recettes qui leur sont nécessaires pour répondre à leurs missions.
Enfin, en ce qui concerne les zones franches urbaines, je veux rappeler qu'il en existe dans chaque DOM, voire parfois deux comme en Guadeloupe (Pointe-à-Pitre et Basse-Terre).
Inter-Entreprises : Vous avez signalé que les décrets d'application de la loi de programme devraient intervenir d'ici l'automne : les mesures contenues dans ce dispositif seront-elles rétroactives au 1er janvier 2003, comme cela a été le cas pour la LOOM notamment en termes d'exonération de charges, afin que des effets se fassent sentir dès l'exercice 2003 ?
Brigitte GIRARDIN : Les mesures de la loi de programme s'appliqueront, ainsi qu'il est logique, une fois que la loi aura été promulguée et les décrets d'application adoptés. Il conviendra en outre que ces textes aient été validés par la Commission européenne sur les thèmes qui la concernent.
Inter-Entreprises : En matière de défiscalisation, l'article 26 précise que, tant que la loi de programme ne sera pas votée, ce sera la loi Paul 2001 qui s'appliquera. Ce dispositif est moins avantageux : cela n'équivaut-il pas à un gel des investissements outre-mer sur six mois, voire sur l'ensemble de l'année 2003 ?
Brigitte GIRARDIN : L'information donnée sur le projet de loi de programme est suffisamment large et transparente pour que les investisseurs puissent se déterminer en conséquence et choisir en toute liberté le moment où ils investiront.
Inter-Entreprises : L'article 27 rend solidaires toutes les personnes concernées par un dossier de défiscalisation, du vendeur de matériel, en passant par la banque, le gestionnaire du dossier, le locataire : ne pensez-vous pas que ce principe fera fuir les investisseurs ?
Brigitte GIRARDIN : La rédaction de l'article 27 posait effectivement problème et nous l'avons revue. L'objet de cet article est ainsi, non de pénaliser les investisseurs, mais simplement de prévoir des sanctions pécuniaires, en cas de fraude fiscale avérée. Il n'y a donc là rien qui remette en cause le dispositif lui-même.
Inter-Entreprises : Dans le projet de loi de programme, le montant de la rétrocession demeure à 60%. Pour les projets d'un montant inférieur à 300 000 euros insérés dans des SNC multiprojets se pose le problème de l'équilibre financier pour les gestionnaires qui doivent assurer pendant cinq ans le suivi comptable, juridique et financier de ces structures : n'y a-t-il pas un risque de voir les investisseurs se désintéresser des petits projets ?
Brigitte GIRARDIN : L'abaissement du taux de rétrocession pour les petits projets est un souhait exprimé tant par les entreprises, et en particulier les plus petites, que par les spécialistes des montages pour les dossiers d'aides fiscales. En effet, le taux de 60 % qui a été introduit de façon indifférenciée par la loi Paul, pénalise les plus petits projets - ceux inférieurs à 300 000 - qui dans ces conditions ont du mal à trouver des investisseurs intéressés.
J'ai conscience de ce problème et nous verrons lors du débat parlementaire comment faire évoluer le texte actuel pour l'améliorer.
Inter-Entreprises : L'agrément au premier euro inscrit dans le projet de loi de programme ne risque-t-il pas d'être fatal à certains secteurs qui n'y étaient pas soumis auparavant, tels que les petites exploitations ?
Brigitte GIRARDIN : Les secteurs pour lesquels le respect de la réglementation communautaire le rend nécessaire (transports, agriculture, pêche maritime et aquaculture et autres qui font l'objet de règles communautaires spécifiques) font désormais l'objet d'un agrément au premier euro, de même que, compte tenu de leurs particularités, les investissements relatifs à des concessions de service public local ou à des opérations de rénovation/réhabilitation hôtelières. Toutefois, la dispense d'agrément dont bénéficiaient les sociétés exerçant depuis plus de 2 ans outre-mer et dont l'investissement financé par apport externe est inférieur à 150 000 est maintenue, ce plafond étant même porté à 300 000 .
Inter-Entreprises : Quels effets attendez-vous de la loi de programme, et quand commenceront-ils à être perceptibles selon vous ?
Brigitte GIRARDIN : Ainsi que je vous le disais au début de cette interview, la loi de programme est destinée à favoriser l'emploi et l'investissement et permettre ainsi un développement économique durable de l'outre-mer. Je constate pour ma part que la simple annonce de ce projet de loi crée d'ores et déjà une dynamique et instaure un climat de confiance. Les effets de cette loi de programme se feront sentir dès 2003 et connaîtront leur plein effet en 2004 et 2005.
Propos recueillis par Francette Rosamont

(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 25 mars 2003)