Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur l'élaboration d'un projet de loi en faveur du développement économique des territoires ruraux, Sédières le 7 septembre 2003.

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Circonstance : Journées nationales des villages organisées par l' Association SOS villages, à Sédières (Corrèze) le 7 septembre 2003

Texte intégral

Madame la Présidente, chère Corinne DESASSIS,
Chère Bernadette CHIRAC,
Messieurs les Ministres, chers Jean-Paul DELEVOYE et Jean-Jacques AILLAGON,
Monsieur le Délégué général, cher Nicolas JACQUET,
Monsieur le Président du Conseil général, cher Jean-Pierre DUPONT,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec un plaisir tout particulier que je viens aujourd'hui en Corrèze évoquer avec vous l'avenir de la ruralité et sa contribution à l'équilibre de notre territoire. Je le fais avec une émotion particulière en ce château de Sédières, dont la beauté retrouvée, doit beaucoup à votre action, Madame CHIRAC, ainsi qu'à celle de Jean-Jacques AILLAGON.
Je ne peux également m'empêcher de penser aux belles pages, pour beaucoup intemporelles, que de nombreux écrivains de l'Ecole de Brive ont écrit sur la campagne française, je pense à Richard MILLET, à sa Gloire des Pyphres et à l'excellent Ma vie parmi les autres, à Denis TILLINAC et a son Spleen en Corrèze, à Henri CUECO, à Christian SIGNOL ou au très fameux Claude MICHELET.
Je n'oublie pas également que c'est en Corrèze, à l'occasion d'un discours prononcé près d'ici, à Ussel, que le Président de la République, Jacques CHIRAC, avait souhaité préciser, durant sa campagne pour l'élection présidentielle, sa vision d'un développement économique des territoires ruraux.
Je connais enfin l'engagement de l'association SOS Villages en faveur du renouveau de la ruralité, et veux vous dire, Madame la Présidente, toute mon estime et mon soutien pour le combat essentiel que vous menez.
Cette journée intervient alors que le Gouvernement vient de donner, il y a quelques jours, une forme très concrète aux engagements du Président de la République.
C'est, en effet, le 3 septembre dernier que j'ai présenté en Conseil des ministres le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, avant qu'un Comité Interministériel d'Aménagement et de Développement du Territoire, présidé par le Premier Ministre, Jean-Pierre RAFFARIN, leur soit entièrement consacré.
Après plusieurs années d'une politique d'aménagement du territoire qui était essentiellement tournée vers les zones urbaines, le Gouvernement a engagé, suivant les souhaits du Président de la République, une nouvelle dynamique au profit des territoires ruraux.
C'est, d'ailleurs, dans cet esprit qu'il faut comprendre la décision de faire du Ministère de l'Agriculture un département désormais en charge des affaires rurales.
Depuis lors, le Gouvernement a voulu " entendre la voix trop souvent méconnue du réel ", pour reprendre la belle expression de René GIRARD.
Pour mieux apprécier la nature des difficultés vécues sur le terrain et des initiatives qui s'y développent, Jean-Paul DELEVOYE - que je salue - et moi avons chacun reçu les représentants des grandes associations d'élus locaux. Outre l'ensemble des Organisations Professionnelles Agricoles, nous avons également consulté la plupart des organisations professionnelles qui participent de l'activité économique du monde rural. Enfin, nous avons souhaité, recueillir les propositions des différents acteurs de la ruralité.
Des groupes de travail, largement ouverts, ont parallèlement travaillé sur des thèmes spécifiques : la pluriactivité, les groupements d'employeurs, les sociétés d'économie mixte, l'agriculture de groupe, l'action sociale, la politique en faveur de la montagne et du pastoralisme, les services aux publics, la rénovation du patrimoine bâti, ou la protection des espaces agricoles péri-urbains.
Ces différents rapports et auditions ont permis de dresser un portrait précis du monde rural et des politiques conduites en sa faveur.
Il ressort de ces observations et de nos expériences que si, comme on pouvait le pressentir, le monde rural a beaucoup évolué, il offre désormais des visages multiples.
Depuis l'après-guerre, nos campagnes ont connu d'importants bouleversements. Exode rural, vieillissement de la population, désertification des campagnes, progression de la friche, enclavement des territoires, Daniel HALEVY avait naguère donné un titre à ce constat univoque : " La terre meurt ".
Beaucoup paraissaient s'être résignés à l'idée que le monde rural devait ainsi se vider progressivement de sa population au profit des villes, comme si rien ne pouvait empêcher ce mouvement inexorable. Tout au plus, espérait-on ici ou là pouvoir le retarder. On persistait ainsi à opposer, dans la grande tradition du Tableau de la France de MICHELET ou de VIDAL de la BLACHE, une France urbaine dynamique à une France rurale condamnée au déclin.
Certes, en moins d'un siècle, la France est devenue essentiellement urbaine, et chacun sait que les agglomérations urbaines concentrent désormais 80 % de la population sur le tiers du territoire métropolitain.
Mais, le monde rural conserve une importance que ne résument pas ces seuls chiffres : diversité de nos terroirs, richesse de notre espace, rôle du monde rural dans l'équilibre de notre pays.
L'agriculture et la forêt conservent une place centrale dans l'aménagement et le développement des territoires ruraux.
- Les surfaces agricoles occupent toujours plus de la moitié du territoire national, et les agriculteurs demeurent le " coeur battant " de nos campagnes. Gestionnaires de l'espace rural, ils contribuent à la qualité de l'environnement, des paysages et du cadre de vie.
- De son côté, la forêt, qui occupe plus du quart du territoire national et emploie 500 000 actifs, contribue fortement à l'attractivité des territoires ruraux. Sa gestion et sa protection doivent être toutefois améliorées, comme l'actualité vient de nous le rappeler de façon hélas dramatique.
En outre, le monde rural et les problèmes auxquels il est confronté sont de plus en plus divers et ne se prêtent pas à un constat univoque :
- A la limite des villes, une part croissante - soit environ le tiers - des terres agricoles se trouvent soumises à la pression croissante de l'urbanisme et de la spéculation foncière. Il en résulte de fréquents conflits d'usage.
- Souvent sous l'influence des centres-bourg, d'autres espaces ruraux, où l'activité entrepreneuriale est importante et où la population progresse, se développent et créent des richesses. Entre 1975 et 2000, cette frange de nos espaces ruraux, a gagné près d'un demi-million d'habitants. La croissance des emplois y est, certes, moins forte que celle des résidences, mais elle témoigne d'une diversification de l'activité rurale, dans laquelle l'agriculture ne représente en moyenne qu'un dixième des emplois. Dans de nombreux villages, un tissu social plus équilibré se reconstruit peu à peu. Et nos compatriotes sont chaque année plus nombreux à s'y établir, à la recherche d'une qualité de vie qu'ils ne trouvent plus dans les métropoles urbaines.
- A l'opposé, les communes les plus isolées, notamment celles situées en zones de montagne, continuent à perdre des habitants. Beaucoup d'entre elles voient leurs espaces agricoles progressivement abandonnés et souffrent - comme ce fut le cas jadis au temps de l'électrification ou de l'adduction d'eau - d'une mauvaise connexion aux réseaux modernes de communication. Avec le développement des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC), cette coupure prend une nouvelle forme : la fracture numérique. La solidarité nationale devra continuer à s'exercer dans ces cantons qui continuent à se dépeupler et où l'emploi agricole recule, sans que d'autres activités ne viennent prendre le relais.
A dire vrai, ces différentes facettes du monde rural ont peu de choses en commun, sinon que beaucoup de leurs habitants partagent, à des degrés divers, un certain sentiment d'abandon. Car cela fait de nombreuses années que le monde rural ne se trouve plus au coeur des préoccupations et que - beaucoup me l'ont dit dans la cinquantaine de départements que j'ai visités depuis un an - la politique d'aménagement du territoire a délaissé le monde rural.
Initiées dans les années 60, les premières politiques conduites de manière résolue par Michel DEBRE, Olivier GUICHARD ou Jérôme MONOD, lorsqu'il était Délégué à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale, sont venues rééquilibrer notre territoire et conjurer le " scénario de l'inacceptable " décrit par Jean-François GRAVIER dans son ouvrage Paris et le désert français. Mais au fil du temps, les approches et les intervenants se sont multipliés : les collectivités locales - régions, départements, communes - les intercommunalités, les pays et massifs ont mis en oeuvre des politiques sans toujours trouver les dispositifs nationaux ou européens d'accompagnement souhaitables. En se détachant des conditions et des structures de la production agricole, cette politique a été progressivement intégrée dans la politique globale d'aménagement du territoire et les mesures prises en faveur du développement économique local. Cette évolution a pu faire craindre à que " la société ne sachant pas que faire des espaces ruraux, ait été tentée de les traiter ", comme l'écrivait Edgar PISANI, " par la norme, parce que celle-ci se substitue alors au projet ". Or, l'Etat doit, en ce domaine, veiller à toujours faire prévaloir le projet sur la norme. Car la maîtrise de l'espace ne saurait se réduire à une technique ; c'est une politique.
Et cette politique doit, si elle veut tenir compte de la diversité du monde rural, adapter ses outils à la situation particulière de chaque territoire et accompagner les projets locaux d'aides à la création de richesses et d'emplois.
Garant de la cohésion nationale et de l'équité territoriale, l'Etat doit à la fois préserver la diversité des territoires ruraux, participer à leur valorisation économique, sociale et environnementale, et définir les principes de leur développement durable.
Favoriser le développement économique des territoires en déclin démographique, protéger les espaces agricoles et naturels périurbains, améliorer l'attractivité des territoires, assurer l'égalité d'accès aux services aux publics, protéger certains espaces spécifiques ou sensibles, favoriser une pratique équilibrée de la chasse, prendre en compte les problèmes spécifiques des zones de montagnes et adapter les établissements publics appelés à intervenir en milieu rural, tels sont les objectifs poursuivis par ce texte.
Sans me livrer à un exposé exhaustif de ses différentes dispositions, je souhaiterais en évoquer quelque-unes parmi les plus significatives de la volonté du Gouvernement en ce domaine.
Afin de conforter le développement économique des territoires en déclin démographique, il est prévu d'aménager le dispositif des Zones de Revitalisation Rurale, en actualisant les zonages et en prenant en compte les intercommunalités à fiscalité propre. Diverses mesures de nature fiscale et financière viendront soutenir les activités agricoles et touristiques, en allégeant les procédures administratives. Enfin, des dispositions en faveur de l'emploi s'attachent à promouvoir les groupements d'employeurs, à renforcer l'accès des saisonniers à la formation professionnelle, à élargir les possibilités de cumul d'un emploi public et d'un emploi privé et à simplifier les règles de rattachement aux régimes sociaux pour les pluriactifs non salariés.
Afin de protéger les espaces agricoles et naturels périurbains, le projet de loi permet aux régions qui le souhaiteront de créer, en accord avec les communes et intercommunalités, des périmètres de protection et d'aménagement des espaces agricoles et naturels périurbains. Le projet de loi prévoit que les Conseils régionaux y disposeront d'un droit de préemption, afin d'assurer une surveillance foncière et le maintien de prix des sols compatibles avec l'activité agricole.
Afin d'améliorer l'attractivité économique des territoires, il est proposé un ensemble de dispositions, visant à augmenter l'offre de logements en favorisant la rénovation du patrimoine bâti. Il est notamment proposé d'augmenter la déduction forfaitaire sur le revenu des loyers pour les logements situés en Zones de Revitalisation Rurale. Le projet renouvelle, d'autre part, le dispositif de l'aménagement foncier, pour le simplifier et en faire un outil adapté à la préservation de l'environnement.
Afin de garantir l'égalité d'accès aux services au public, il est prévu d'adapter le régime juridique des " Maisons de service public " pour y accueillir des services privés, dans le respect des règles de la concurrence. L'installation des professionnels de santé en milieu rural sera également encouragée : il est proposé, à cette fin, de coordonner les aides des diverses collectivités territoriales aux professions médicales pour favoriser l'exercice en cabinet de groupe, ainsi que la constitution de pôles de soins. Il est également prévu, pour favoriser l'installation des vétérinaires chargés de mission de police sanitaire en milieu rural, de les exonérer pendant deux ans de taxe professionnelle.
Afin de préserver certains espaces spécifiques ou sensibles, le projet de loi introduit, tout d'abord, des incitations fiscales pour favoriser la restructuration et la gestion durable des forêts privées. Le projet de loi aménage également certaines dispositions existantes de façon à encourager les pratiques pastorales remplissant des fonctions économiques et environnementales, telles que la lutte contre l'embrouissallement. Enfin, grâce à une fiscalité adaptée et des programmes d'actions spécifiques, le projet permet une meilleure reconnaissance des zones humides comme patrimoine naturel et facteur de régularisation de l'écoulement des eaux.
Afin de valoriser la chasse dans le respect d'un équilibre entre l'agriculture, la forêt et les activités cynégétiques, le projet de loi comporte plusieurs dispositions répondant d'une part, à l'accroissement des populations de grands gibiers - cause de dégâts croissants - et d'autre part, au déclin des populations des petits gibiers de plaine : l'élaboration de schémas départementaux de gestion cynégétique et de plans de chasse, une meilleure couverture des dépenses de protection contre les dégâts de gibier et une meilleure organisation de la lutte contre sa prolifération.
Afin de prendre en compte les problèmes spécifiques de zones de montagne, le projet de loi actualise la loi de 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, pour tenir compte notamment de la décentralisation et de la diversité des territoires de montagne et permettre un meilleur équilibre entre développement et protection. Il est notamment prévu de favoriser la coordination des structures administratives concernées par la gestion d'un même massif montagneux.
Enfin, les capacités d'intervention des établissements publics partenaires des territoires ruraux et, au premier chef, des Chambres d'Agriculture et des établissements d'enseignement agricole, seront renforcées.
Comme vous le voyez, le Gouvernement a cherché, à travers ce projet de loi, à lever un certain nombre de freins au développement des territoires ruraux, de façon à libérer les énergies et les initiatives de leurs acteurs, tout en exerçant la solidarité nationale au profit des territoires les plus fragiles et en veillant à ce que leur développement soit durable. En aucun cas, il ne s'agit d'opposer le monde rural au monde urbain, mais, au contraire, d'aider les territoires ruraux à rattraper certains retards de développement, à répondre aux aspirations de leurs habitants, et à éviter une homogénéisation des espaces qui verraient les villes et les campagnes se ressembler et progressivement se confondre.
Au-delà de ces dispositions, législatives, le Premier ministre a voulu compléter la mobilisation du Gouvernement en faveur es territoires ruraux par un certain nombre de mesures et d'orientations arrêtées à l'occasion du CIADT.
Je me contenterai ici de n'en mentionner qu'une seule qui intéresse directement le département de la Corrèze : le lancement, dans votre département, d'une expérience pilote décidée en décembre dernier pour mieux répondre aux besoins des habitants du monde rural en service public. Il devrait y trouver matière à conforter son attrait et la qualité du cadre de vie qu'il offre à ses habitants.
Madame la Présidente,
Chère Bernadette CHIRAC,
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Délégué général,
Monsieur le Président du Conseil général,
Mesdames, Messieurs,
Ce " bouquet rural ", que le Gouvernement vient de décider, traduit son ambition pour nos territoires ruraux. Les dispositions du projet de loi et les différentes dispositions décidées à l'occasion du CIADT sont parfaitement indissociables, et ce sont de leurs effets conjugués que nous espérons un développement à la fois durable et équilibré de nos territoires ruraux.
Garant de l'espace national et du temps long dans un contexte marqué par le rôle croissant en la matière des collectivités locales et de l'échelon européen, l'Etat marque ainsi sa volonté de continuer à y jouer tout son rôle. Essentiellement un rôle de " facilitateur ", s'attachant selon les cas à réguler, redistribuer, accompagner ou fédérer les initiatives locales et les projets de terrain. Aux antipodes d'une approche déclamatoire, ce projet de loi en faveur du développement des territoires ruraux, d'une apparence souvent technique, entend offrir à tous leurs acteurs - collectivités locales, exploitants agricoles, entreprises - des facilités et des moyens pour préserver l'unité française, restaurer l'égalité des chances au profit de nos concitoyens qui y vivent et y travaillent, et refonder avec l'ensemble des Français un pacte de solidarité et de développement.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 8 septembre 2003)