Déclaration de M. Marc Blondel, secrétaire général de Force Ouvrière, sur la position de FO concernant les principaux thèmes d'actualité : les retraites, les fonds de pension, le chômage, l'assurance-chômage, l'emploi, la précarité, la sécurité sociale, la réforme du dialogue social, la décentralisation et la régionalisation, Paris le 13 septembre 2003.

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Circonstance : Meeting de rentrée de la Confédération Générale du Travail - Force Ouvrière au Zénith de Paris le 13 septembre 2003

Texte intégral

Mes chers camarades,
Bienvenue au meeting de rentrée de la Confédération Générale du Travail - Force Ouvrière !
La décision de cette mobilisation a été prise par le Comité confédéral national de juillet.
Il s'agissait, après les imposantes grèves et manifestations du début de l'année, de faire le point.
Et parce que notre organisation est à l'écoute de ses militants, de ses syndicats, parce que le temps de rendre compte est nécessaire pour permettre à chacun de comprendre et ensuite de mobiliser, ce meeting n'est pas seulement un traditionnel meeting de rentrée.
Mes chers camarades, la question des retraites et des pensions, couplée à la décentralisation de l'État, a déclenché un des plus grands mouvements de protestation sociale que notre pays ait connu depuis longtemps.
Presque aussitôt après, nous avions à déplorer une des plus grandes catastrophes sanitaires que nous ayons jamais vécue. Plus de dix mille personnes âgées sont décédées.
Et maintenant, le gouvernement annonce qu'il va ouvrir le dossier de l'assurance-maladie de la Sécurité sociale, c'est-à-dire du pilier du système de santé dans ce pays.
Et, parallèlement, après avoir modifié la Constitution, voici que la réforme de l'État, c'est-à-dire la régionalisation, est présentée comme l'axe principal de l'action des pouvoirs publics.
Mes chers camarades, quand on analyse le contenu de tous ces faits, on a le sentiment d'être pris dans une spirale infernale.
Oui, j'estime que tous ces évènements sont liés par un fil ou par un autre. Même si le Premier ministre n'est évidemment pas responsable de la canicule, on ne peut pas ignorer l'état de sous-équipement du système hospitalier.
On ne peut pas considérer la loi Fillon sur les retraites comme un progrès, mais bien comme un des plus importants reculs sociaux de ces dernières années. Et dès lors, on peut tout redouter de la réforme sur la Sécurité sociale que nous prépare maintenant M. Mattei.
Mais, mes chers camarades, on nous dit que toutes ces questions sont liées à des réformes :
- La réforme des retraites;
- La réforme de l'État;
- La réforme de l'hôpital;
- La réforme de l'enseignement;
- La réforme de la Sécurité sociale.
La réforme, on vous dit !
Et comme le français est une langue précise, on sait bien qu'une réforme est, en principe, quelque chose de positif, lié à un progrès, une amélioration.
Et qui peut être contre améliorer les choses, si peu que ce soit ?
Et, comme il faut bien préciser, voilà que l'on nous gratifie d'un parti de la réforme et que ceux qui l'approuvent deviennent, d'un coup, d'un seul, des "réformistes" !
Mes chers camarades, il y a là une déviation du sens d'un mot qui est effarante.
Car nous, à Force Ouvrière, nous nous sommes toujours réclamés du camp du réformisme, c'est-à-dire du syndicalisme qui revendique le progrès social.
Et aujourd'hui, nous nous trouvons face à une tentative concertée de "détricotage" de tous les acquis sociaux qu'en aucun cas, mes chers camarades, nous ne pouvons ni ne voulons accompagner !
Il ne suffit pas de s'affubler de l'étiquette de réformiste pour en être un ! J'en veux pour preuve la loi sur les retraites.


LES RETRAITES
Mes chers camarades, la loi Fillon est un recul social ! Et, pour tout dire, une contre-réforme. Depuis toujours, la CGT-FO estime que la question des retraites est d'abord un choix de société: quelle place voulons-nous pour nos anciens ?
Voulons-nous qu'ils soient rejetés vers la misère et la précarité ? Ou voulons-nous qu'ils soient des êtres humains à part entière ?
Dans le premier cas, c'est le renvoi à la charité privée ou publique. C'est la transformation, comme le propose le gouvernement, du lundi de Pentecôte en journée de la charité obligatoire !
Et cela sans garantie aucune pour le niveau de vie des retraités. La réforme Balladur a privé de près de 12 % de leurs revenus l'ensemble des retraités du régime général ! Et cela continue !
Si, au contraire, nous voulons leur conserver leur dignité, alors, il faut revenir sur les éléments de cette réforme. Et d'abord dénoncer ce dogme selon lequel les dépenses sociales seraient l'ennemi de l'emploi.
Entrer dans cette logique suppose la remise en cause du financement des retraites par le biais des cotisations sociales, c'est-à-dire par le biais du salaire différé.
C'est là le fondement du pacte passé entre les générations. Chaque salarié cotise et le produit est immédiatement réparti entre tous les bénéficiaires. En contrepartie, chaque cotisant se voit crédité de droits qu'il pourra, à son tour, faire valoir quand il prendra sa retraite.
Il n'y a pas de déperdition dans ce système, l'argent circule du cotisant au retraité et est rapidement remis en circulation, au bénéfice de l'ensemble de l'économie.
Et c'est bien là la question qui tenaille les partisans du libéralisme actuel: comment détourner tout cet argent vers le capital, vers la Bourse et les fonds de pension ?
Mais le patronat, aidé par les gouvernements qui se sont succédé, a obtenu des résultats conséquents contre les salaires.
C'est ainsi que la part des salaires dans les richesses créées a baissé de plus de dix points en vingt ans. Elle est passée de 72,5 % en 1982 à 64,31 % en 2002, selon les comptes de la nation.
Et bien sûr, la part consacrée à l'actionnariat, aux fonds spéculatifs, bref, à la Bourse, a augmenté dans une proportion exactement inverse !
Or, mes chers camarades, c'est bien pendant cette même période que l'on a découvert les "nouveaux pauvres" -l'expression n'est pas de moi- et connu l'explosion du chômage et de la précarité ?
N'y a-t-il vraiment aucun lien de cause à effet entre cette découverte et le développement de la bourse, celui de la bulle spéculative sur les nouvelles technologies ? Ce qui est en jeu, c'est le choix du libéralisme contre la solidarité, de l'individualisme contre le collectif !
Car le choix de diminuer le salaire compromet tout le financement de la protection sociale, l'assurance-maladie, l'assurance-chômage, les aides sociales et familiales, et bien sûr les retraites.
Toute la propagande gouvernementale a consisté à nous faire croire qu'il n'y a plus de sous dans les caisses de la Sécurité sociale et qu'il faut donc que l'on se serre la ceinture.
Mes chers camarades, supposons que le partage salaires/profit ait été maintenu dans les proportions atteintes en 1982. On aurait fait rentrer, en 2001, 59 milliards d'euros sur le compte de la Sécurité sociale, dont 12 milliards pour les retraites. C'est-à-dire, mes chers camarades, que le fameux déficit n'existerait pas !
Sur toute la période depuis 1982, c'est plus de 200 milliards d'euros qui seraient rentrés dans les régimes de retraite. Autrement dit, le fonds de réserve des retraites serait devenu inutile.
Mes chers camarades, le préambule du projet de loi Fillon nous informait que les régimes de retraite sont menacés d'un déficit de 43 milliards d'euros en 2020 et que c'est pour cette raison qu'il faut changer le droit à la retraite.
Et voilà donc la fameuse réforme que ce gouvernement nous impose: abandonner l'équivalent de 43 milliards d'euros de nos droits !
Cet argent, ce sont les droits que nos aînés ont acquis, ce sont les droits que nous sommes en train d'acquérir. On nous explique: avec la réforme que fait la loi, ces droits-là vous seront refusés !
C'est inacceptable, mes chers camarades, et nous ne l'avons pas accepté et nous continuerons à ne pas l'accepter !
Et puis, compte tenu de ce que j'ai dit précédemment, qu'est-ce que 43 milliards ?
On a calculé que cela représentait 3 % de la richesse produite par l'ensemble des travailleurs résidant en France durant l'année 2001. Est-ce qu'une telle discussion est impossible alors qu'il s'agit de l'avenir de millions de personnes ?
Le gouvernement, répondant à la demande du patronat, a préféré jouer sur le seul critère de l'allongement de la durée des cotisations.
Il a tenté de diviser, de dresser les salariés du privé contre ceux du public en n'hésitant pas à travestir et à mentir.
Et pour cela, il n'a pas hésité à employer les grands moyens ! Des cabinets de communication ont été recrutés à coups de millions pour conditionner les salariés. Il s'agissait de les persuader que la réforme était de toute façon inéluctable. Ce sont d'ailleurs les mêmes officines qui uvrent pour persuader les salariés des entreprises privatisables de leur intérêt pour une telle opération.
Et pour les retraites, il a donc fallu travestir la vérité en laissant filtrer que le régime général allait verser 800 milliards d'euros aux fonctionnaires.
Alors qu'il n'y a pas de régime de fonctionnaires et qu'il s'agissait d'un transfert intéressant, y compris des régimes de non-salariés.
Et puis, mes chers camarades, le mensonge a été employé sans vergogne pour tenter la division.
C'est ainsi qu'au mois de mars le ministre des Affaires sociales déclarait que porter à plus de quarante ans la durée de cotisation des salariés du privé n'était pas nécessaire.
Nous savons maintenant ce qu'il en est : 41 ans en 2012, 41 3/4 en 2020, et on peut parier que ce n'est pas fini !
Mes chers camarades, tout cela n'est pas le fruit du hasard.
Quand le représentant du MEDEF chargé des retraites estime que tout le monde doit travailler sept ans de plus, il vise bien les salariés du privé. Et le président du MEDEF a même insisté pour que les fonctionnaires ne soient pas les seuls concernés par la loi. Ils savent bien, eux, que ce que perdront les fonctionnaires ne sera pas répercuté sur le privé.
Le but du patronat est clair: faire baisser ce qu'il appelle les charges sociales, c'est-à-dire faire baisser le salaire différé, au nom de la compétitivité et de la concurrence mondiale.
Et dès le début de l'année, le Premier ministre en donnait l'assurance au patronat en participant à l'assemblée générale du MEDEF à Tours. Devant l'assemblée, il réitérait la promesse faite par son prédécesseur et le président de la République à la Conférence européenne de Barcelone au mois de mars 2002.
Cet engagement, c'était celui de prolonger de cinq ans la durée moyenne du travail pour tous les salariés, dans toute l'Europe: en Autriche, en Allemagne, en Italie ! Peu importe aux yeux des employeurs et des gouvernements si deux salariés sur trois sont au chômage quand ils font valoir leur retraite.
Exiger d'eux un an, deux ans etc. de cotisations supplémentaires, cela signifiera leur verser une retraite diminuée.
Quant à la fonction publique, quel torrent de calomnies, de contrevérités, n'a-t-on pas déversé sur elle ! Mais là aussi, ce n'est pas un hasard dû à la personnalité de tel ou tel homme public. Le pacte de stabilité qui lie tous les gouvernements européens à des objectifs de déficit budgétaire les conduit à faire pression sur les dépenses publiques par tous les moyens.
Et comme le montant des pensions civiles et militaires est une dette inscrite au grand livre de la dette de l'État, elle limite les marges de manuvre budgétaire. Alors, on entend tel ministre déclarer qu'il faut ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux, et tel autre tout faire pour que ceux-ci cotisent plus longtemps !
Même la Cour des comptes s'en est pris aux retraites des fonctionnaires féminines, mes chers camarades ! Elles auraient trop de bonifications par enfant, elles partiraient trop tôt ! Or, ce sont elles qui ont les salaires les moins élevés, et donc les retraites les moins importantes.
Mes chers camarades, ce gouvernement a une curieuse conception de l'égalité ! Faut-il rappeler que c'est le gouvernement de M. Balladur qui a créé l'inégalité entre privé et public en allongeant à quarante ans la durée de cotisation pour les salariés ? Et il faudrait combattre une inégalité par encore plus d'injustice ?
Non, mes chers camarades, nous l'avons dit et répété, si nous demandions 37,5 ans pour tous c'est parce que cela correspond à la durée moyenne d'activité dans ce pays. Tout allongement de celle-ci aboutit forcément à diminuer le montant des retraites.
Alors oui, mes chers camarades, ce n'était pas acceptable et il fallait se battre.
Et dans ce combat, nous avons pris toute notre place en recherchant l'unité de toutes les organisations sans pour cela compromettre notre indépendance d'action et de jugement.
Dès le 6 janvier, nous avons adopté une déclaration avec les six autres confédérations et fédérations syndicales.
Il était en effet évident, dès le départ, que le gouvernement n'entendait pas négocier et qu'il voulait passer en force. La recherche du rapport de force était indispensable et c'était l'aspiration de tous les salariés.
Les 114 manifestations du 1er février ont rassemblé un demi-million de personnes ! Nous ne nous étions pas trompés sur la colère des travailleurs de ce pays devant un projet d'une telle iniquité !
Et dans les cortèges, mes chers camarades, nos mots d'ordre ont été repris, au-delà de nos rangs !
Le gouvernement a eu beau essayer de faire entériner par les conseils économiques et sociaux régionaux ses projets, l'unité a fait capoter la manoeuvre.
Oh ! bien entendu, nous avons eu droit à une grande concertation, de groupe de travail en groupe de travail, pour le régime général ici, pour la fonction publique ailleurs. Mais, en fait, tout cela relevait de la communication, de la propagande, c'est-à-dire de la poudre aux yeux ! Car, je le dis, nous avons toujours, au niveau de la Confédération comme des fédérations de Fonctionnaires, nous avons toujours été prêts à de véritables négociations !
Malheureusement, mes chers camarades, nous avons eu, tout au long du dossier, le sentiment que tout était bouclé et que le problème du Premier ministre n'était que celui de l'habillage. Quelles confédérations se laisseraient finalement attirer dans la barque du gouvernement ?
Aussi, mes chers camarades, la Confédération a pris ses responsabilités et j'ai indiqué dès le début mars que Force Ouvrière se préparait à la grève début avril, car il était évident que le gouvernement traînait en longueur. Dans le même temps, nous avertissions le gouvernement, dans les groupes de travail, les contacts que nous avions, que le projet qu'il présentait ne pouvait nous satisfaire.
Le 3 avril, une centaine de manifestations ont eu lieu dans tout le pays, augmentant encore la mobilisation. Mais dans le même temps, la stratégie des autres organisations se dessinait. La CFDT se rapprochait des thèses gouvernementales en se limitant à quelques revendications telle la retraite à la carte.
Quant à la CGT, elle inaugurait la tactique du saute-mouton, lançant un mois et demi à l'avance une journée d'action et veillant à faire rentrer les salariés entre-temps. Aussi, dès les projets du gouvernement définitivement connus, la Confédération a indiqué que le plan Fillon méritait une riposte à hauteur du recul social qu'il prétendait imposer aux salariés de ce pays.
La mobilisation se poursuivait de plus belle le 1er mai et, le 13 mai, se déroulait la plus imposante mobilisation que nous ayons connue de mémoire de militant. Près de deux millions de manifestants dans toute la France !
Vous le savez tous, mes chers camarades, jamais nous n'avions autant rassemblé dans nos cortèges, que ce soit à Paris, Marseille, mais aussi dans chaque ville, camarades du public et du privé confondus.
Et cette journée, Force Ouvrière l'avait souhaitée comme démonstration de force, y compris en l'imposant à la CGT qui aurait souhaité manifester un dimanche. Nous avons, partout et toujours, poussé à la mobilisation dans l'unité.
Le lendemain, le ministre appelait à une séance de négociation qui se réduisit en fait à quelques modifications cosmétiques: la dégradation du niveau des retraites restait programmée.
Vous le savez, mes chers camarades, le 15 mai, nous avons été trahis. François Chérèque a conclu l'inacceptable, ce qui, même dans sa propre maison, passe très mal.
Une riposte immédiate s'imposait en prenant l'appel des cheminots du 19 mai comme pivot. Mais la CGT s'en gardait bien et donnait rendez-vous au 25 mai. Dix jours plus tard, mes chers camarades !
Et elle verrouillait en prenant bien garde de faire rentrer les cheminots dès le 20 mai.
Bernard Thibault était en train de mériter l'épithète d'"opposant raisonnable", dont allait le gratifier François Fillon un mois plus tard.
Car, si les manifestations des 19 et 25 mai ont été tout aussi imposantes, il était clair qu'il fallait donner un élan supplémentaire à la mobilisation.
Or, mes chers camarades, la Confédération Force Ouvrière y était prête. Notre Comité confédéral national d'avril avait donné mandat pour recourir à la grève générale interprofessionnelle. Et le 10 juin, notre Commission exécutive déclarait à nouveau que seule la grève générale interprofessionnelle, dans l'unité d'action, pouvait amener le gouvernement à la table des négociations !
Nous avons pris nos responsabilités, nous avons appliqué le mandat !
Mais, mes chers camarades, le 12 juin, à Marseille, nous avons pu mesurer que la CGT, elle, a pris la responsabilité de ne pas appeler à la grève générale. Et ceci, alors même que c'était l'attente de tous les travailleurs qui étaient là, militants et syndiqués de toutes organisations, non-syndiqués, tous étaient prêts !
Mes chers camarades, ce constat ne doit pas nous décourager car même si nous n'avons pas gagné, nous n'avons pas perdu !
Car la réalité, c'est que la contre-réforme de M. Fillon est bâtie sur un compromis bancal et de fausse sécurité. On nous dit qu'aucune retraite ne sera inférieure à 85 % du SMIC ! Ceux qui nous disent cela n'ont aucune idée de ce que c'est, de vivre avec 85 % du SMIC. Et puis, ces 85 % sont prévus à la liquidation, mais ils seront vite laminés par l'évolution des prix qui sera désormais la seule référence d'indexation. Que vaudra cette garantie après quinze ans de retraite: 65 % ? Comment vivre avec cela ?
C'est clair, mes chers camarades, on nous prépare les retraités pauvres de demain.
Cette baisse concernera toutes les catégories de retraites du fait de l'abandon de l'indexation sur les salaires. Là aussi, quand on nous dit qu'avec la réforme les retraites ne baisseront pas, on nous ment !
Et nous dire que la grande victoire de la CFDT, c'est d'avoir fait rentrer les primes des fonctionnaires dans le calcul de la retraite, là encore on nous trompe. Le calcul sera limité à 20 % du traitement indiciaire et chacun sait que les fonctionnaires catégorie C n'y gagneront pratiquement rien ! De plus, la création d'une caisse autonome est le prélude à la destruction du code des pensions et du statut de la fonction publique.


LES FONDS DE PENSION
Et puis surtout, mes chers camarades, cette réforme n'est pas financée. Je vous rappelle que son équilibre suppose que le chômage baisse à 4,5 %. Nous en sommes à 9,6 %, mes chers camarades, et ça ne fait qu'augmenter !
Le plus inquiétant, c'est que le gouvernement s'appuie en fait sur une hypothèse qui est celle d'un retournement démographique qui amènerait naturellement à la diminution du nombre de chômeurs. Mais pour l'instant, rien ne le vérifie.
Cela veut donc dire que lorsque le gouvernement nous explique qu'il va récupérer les cotisations de l'assurance-chômage pour la vieillesse, il nous raconte des histoires !
Cela signifie une chose: dans cinq ans, au moment de la révision des paramètres de liquidation des retraites, prévue par la loi, on nous dira qu'il n'y a plus de sous ! Et, à nouveau, on nous expliquera qu'il faut allonger la durée de cotisation, ou alors baisser les pensions.
Le scénario est déjà fait, mes chers camarades !
Et c'est à cela que les libéraux, les partisans de la mondialisation veulent nous amener.
Ils veulent nous expliquer: Voilà, les retraites vont donner de moins en moins, alors il faut compléter avec de la capitalisation !
Et dans la loi, malgré ce qu'a osé affirmer François Chérèque, tous les outils pour mettre en place la capitalisation sont prêts !
Mes chers camarades, c'est à croire qu'ils n'ont jamais entendu parler d'Enron ! Plus de 12 000 salariés, en une seule journée, ont perdu d'un coup leur emploi, leur retraite et leur avenir !
On nous cite le cas des États-Unis comme exemple. Mais les travailleurs américains de plusieurs grandes entreprises: Enron, Worldcom, etc. ont fait leurs calculs. Les faillites de ces sociétés ont coûté aux salariés qui y travaillaient, qui avaient confiance, 200 milliards de dollars, et ce n'est qu'un exemple, mes chers camarades !
En Europe, les Pays-Bas sont les champions des fonds de pension. La chute de la Bourse a fait perdre près de 67 milliards d'euros aux 900 fonds de retraite existants.
Non, mes chers camarades, nous ne voulons pas connaître cela chez nous, même rebaptisé fonds de pension "à la française" ! Car les fonds de pension, c'est le règne du chacun pour soi.
Comment ceux qui seraient au SMIC, ou peu s'en faut, au moment de leur retraite auraient-ils eu les moyens de capitaliser ? Escroquerie que tout cela !


LE CHÔMAGE

Mes chers camarades, je le disais à l'instant, le chômage remonte régulièrement. Mais, on nous le garantit, l'emploi est la préoccupation numéro un du gouvernement.
Si je connais bien nos ministres, cela veut dire que l'on va beaucoup en parler, beaucoup communiquer, mais que l'on ne va rien faire !
Avez-vous remarqué, mes chers camarades ? La fameuse "Task Force" dont il fut tellement question l'an passé vient de couler ! Le haut fonctionnaire qui en avait la responsabilité (et sa personnalité n'est pas en cause), vient de quitter la passerelle sur la pointe des pieds ! "Monsieur Plans sociaux", le responsable de la "Task Force" contre le chômage, a fait le constat qu'il était impuissant à endiguer la marée !
Après Danone, Lu, Métaleurop, Air Lib, Arcelor, Giat Industrie, EADS, voici maintenant Yoplait, Singer, Comilog et Tati.
Tous nos ministres nous disent: la machine économique va repartir, vous allez voir ! Et on taille dans les dépenses publiques, et on baisse les impôts directs, ce qui profite surtout aux plus aisés; alors qu'on manque d'argent par exemple pour l'hôpital ! Et en attendant, mes chers camarades, il nous tombe deux plans sociaux par semaine.

L'EMPLOI

J'ai rencontré le Premier ministre hier ,sur la question de l'emploi en particulier. Il nous a informés que se tiendrait bientôt un sommet européen -je ne sais pas quand- qui allait se pencher sur la question.
Le problème qui se poserait serait de savoir comment redonner du souffle à la politique de l'emploi au niveau de l'Europe. Il s'agirait de dire que cette question, y compris celle de la désindustrialisation, concerne l'ensemble des pays de l'Union européenne.
Mes chers camarades, s'il s'agit de ne plus se contenter de laisser jouer la règle du marché, comme l'ont fait tous les gouvernements jusqu'à présent, on ne peut que s'en féliciter. Mais si la solution est à nouveau d'injecter une dose de flexibilité et de baisses des charges dans l'économie, la situation ne fera qu'empirer.
Si l'on regarde la situation de l'emploi, on s'aperçoit que tous les secteurs sont touchés et surtout l'industrie, qui n'arrête pas, depuis trois ou quatre ans, de détruire des emplois. Mais les services, le commerce, en perdent également: 25 000 dépôts de bilan au premier semestre, mes chers camarades. Avec de très gros chiffres d'affaires, qui représentent donc autant de rentrées d'argent en moins pour l'État.
Mes chers camarades, la désindustrialisation de ce pays m'inquiète car l'industrie est la condition de l'indépendance politique et économique d'un pays.
Le secteur public lui-même n'est pas épargné. À la SNCF, le plan Starter va ajouter 1 350 suppressions d'emplois aux 1 270 qui étaient déjà prévues pour 2003. Et la direction de la SNCF justifie cela par un plan d'économie de 100 milliards d'euros afin de compenser, dit-elle, les pertes dues aux grèves de mai et juin.
Tous les prétextes sont bons, mes chers camarades, alors que la vraie raison, c'est la recherche de la rentabilité à tout prix. Et il n'est pas jusqu'à La Poste qui ne prévoit des licenciements dans sa filiale de distribution de colis TAT Express.
Oui, mes chers camarades, c'est une spirale infernale ! Elle découle des décisions de délocalisation vers l'Asie ou les pays de l'Est. Elle découle de la déréglementation à l'échelle internationale encouragée par le Fonds monétaire international et l'Organisation mondiale du commerce.
Et ce qui est dramatique, c'est que, malgré nos interventions, malgré la présence des gouvernements de la plupart des pays au Bureau international du travail, les pouvoirs publics continuent de marteler le même dogme: baisser les charges ! Le Premier ministre annonçait encore récemment qu'il allait faire baisser celles-ci d'un milliard supplémentaire.
Un milliard de moins pour le social ! Pour la protection sociale, les retraites, la formation professionnelle. Et donc encore moins de consommation alors que c'est la seule chose qui maintienne l'économie à flot.

L'ASSURANCE-CHÔMAGE

Et comme si cela ne suffisait pas, le MEDEF et la CFDT s'en sont pris à l'UNEDIC avec l'accord de décembre 2001.
Nous avions dit que l'accord entériné par le gouvernement d'alors allait compromettre grandement les finances du régime d'assurance-chômage. Hélas, nous avions raison !
Nous avions dit que le PARE serait une machine à exclure les chômeurs. Hélas, nous avions encore raison !
Une note de l'UNEDIC nous l'a confirmé: ce sont près de 613 000 chômeurs qui, en 2004 et 2005, seront moins indemnisés. Des milliers de chômeurs vont recevoir leurs avis bientôt. Et dans le même temps, une étude officielle nous confirme qu'en 2002 à peine un salarié sur deux passé par une cellule de reclassement a retrouvé un emploi. Et que dire de ceux qui n'ont même pas eu droit à cet égard ?
Et puis les ASSEDIC, sous l'impulsion patronale et cédétiste, pratiquent l'activation des dépenses passives. Indemniser un chômeur ne suffit pas, il faudrait lui faire comprendre qu'il doit retravailler, comme si ce n'était pas leur aspiration ! Quel mépris pour les demandeurs d'emploi, mes chers camarades !
Mais le résultat de cette activation, on l'a appris, il y a quelques jours, c'est 15 000 personnes radiées pour absence aux contrôles. Et ce contrôle, il faut le préciser, a été fait essentiellement par téléphone ! Mes chers camarades, si ce n'est pas de l'exclusion sociale, alors qu'est-ce donc ? Est-ce que ces 15 000 travailleurs auraient d'un seul coup retrouvé un emploi ?
Et au-delà, mes chers camarades, nous savons maintenant que ce sont 250 000 travailleurs qui seront radiés au 1er janvier 2004 par l'application de l'accord de l'UNEDIC. L'activation des dépenses, c'est officiellement moins de chômeurs, mais des milliers de personnes sont renvoyées vers l'inconnu. Qui peut encore douter que c'était bien là la finalité ultime du PARE ?
Non, mes chers camarades, ce gouvernement ne fait rien pour l'emploi, il se contente de travailler la présentation des chiffres, bref de ravaler la façade.
Et ce n'est pas la question des intermittents qui modifiera notre jugement. À la façon dont les responsables de l'UNEDIC ont attaqué le régime des intermittents du spectacle, techniciens et artistes, on a envie de se dire: mais qu'est-ce que les gens du spectacle leur ont fait ?
Car le pire, c'est que les profiteurs du système sont les patrons eux-mêmes ! Et malgré les froncements de sourcils du ministre, ils continueront comme avant. Mais il y aura quelques milliers de techniciens et d'artistes qui seront renvoyés à l'incertitude.

LA PRÉCARITÉ

Mais, Mes Chers Camarades, la précarité de l'emploi, ce n'est pas pour le patronat un simple accident. Non, c'est un système !
L'idéal pour le MEDEF, c'est de maintenir un volant de chômage qui permette de peser sur les revendications salariales, de contenir l'évolution de la masse salariale et de refuser les augmentations de salaire. Et en même temps, cela lui permet de disposer d'un vivier de travailleurs habitués à la précarité, totalement flexibles. Quand ils ont besoin de quelqu'un, ils l'embauchent en une minute; quand c'est fini, c'est le licenciement minute !
Mes Chers Camarades, c'est du véritable chantage social ! Car il deviendrait en quelque sorte indécent de revendiquer des hausses de salaire. Ce langage-là, on nous l'a tenu pendant longtemps en opposant salaire et emploi. En quelque sorte, des parents qui revendiqueraient des hausses de salaires prépareraient le chômage de leurs enfants ! En oubliant que c'est le partage entre salaire et profit qui est en cause, non celui entre salaire et emploi.
Et en oubliant que c'est le pouvoir d'achat qui constitue le soutien essentiel de l'économie actuelle.
Et tout cela va de pair avec une mobilité maximale. Que dire de ces salariés auxquels on propose, en cas de fermeture, un emploi à des centaines de kilomètres, voire à l'étranger ? Est-ce une mobilité choisie ou imposée ?
Nous avons ainsi des patrons qui veulent des travailleurs nomades et un gouvernement qui reproche aux Français de ne pas être à côté de leurs vieux parents pour les assister pendant la canicule. Se rendent-ils seulement compte de ce qu'est la vie de la France d'en bas, ceux qui nous gouvernent ?
La précarité n'est pas seulement la conséquence de la désindustrialisation. C'est devenu un mode de gestion des relations du travail, qui s'accompagne d'un délitement du droit du travail, un affaiblissement de l'inspection du travail et de remises en cause incessantes des conventions collectives.
Il est assez regrettable d'avoir à constater que la réforme envisagée de l'inspection du travail est loin de concourir au renforcement des pouvoirs des inspecteurs.
Or, les atteintes au droit de grève, les atteintes au droit syndical, les violations de conventions collectives se multiplient dans les entreprises. Et, mes chers camarades, à Saint-Nazaire, des ouvriers de multiples nationalités construisent le Queen Mary II. Parfois, il n'ont comme contrat de travail qu'un bout de papier et leurs employeurs leur confisquent même leur salaire !
Sommes-nous en France ? dans un pays dit de droit ? est-ce que l'antisyndicalisme va devenir la pratique habituelle au moment où tout le monde parle du développement du dialogue social ?
Oh ! bien sûr, on nous dit que le gouvernement est intervenu pour Alstom. Et encore, ce n'est pas gagné puisque Bruxelles n'est pas d'accord ! Voilà que les libéraux nationalisent ! Mais nous avons compris qu'il s'agit surtout d'empêcher la déconfiture des banques créancières. Bref, les banquiers font payer le contribuable ! On privatise les bénéfices, mais on socialise les pertes !
Mais dans ce cas, mes chers camarades, il ne peut y avoir qu'une seule exigence: l'arrêt des plans sociaux à Alstom !
De la même manière, il est inconcevable que les pouvoirs publics continuent vers la privatisation de services publics et d'entreprise nationale. La vente des bijoux de famille, c'est un palliatif qui n'a qu'un temps.
La privatisation d'Air France, d'EDF-GDF n'aurait pour effet que de participer un peu plus au mouvement de dérégulation généralisée qui règne dans le secteur. Aux États-Unis, des compagnies entières ont disparu et le secteur est en crise. N'y a-t-il pas des leçons à en tirer ?
Peut-on continuer à faire des moulinets pour proposer une politique européenne de l'emploi à Bruxelles et laisser le champ libre aux privatisations à Paris ?
Privatiser, c'est licencier !
Et ce n'est pas la suppression annoncée de 5 000 postes dans la fonction publique qui fera quoi que ce soit pour l'emploi. À ce sujet, j'ai d'ailleurs indiqué au Premier ministre qu'il serait souhaitable qu'on examine d'abord quelles sont les missions que l'État entend faire assumer à ses fonctionnaires.
Alors, mes chers camarades, la politique de l'emploi de ce gouvernement brille, disons-le, par son inexistence ! Et ce n'est pas en peignant les statistiques que ce gouvernement y changera quelque chose.


LA SÉCURITÉ SOCIALE

Et puis, il y a la Sécurité sociale.
Mes chers camarades, j'ai rencontré, il y a quelques jours, M. Mattéi, avec une délégation du Bureau confédéral et des fédérations. Le langage du ministre est d'une grande prudence.
Il nous parle d'un retour au paritarisme véritable, écarte l'étatisation de la Sécurité sociale par l'État, etc. Il veut même envisager de travailler à la clarification des responsabilités entre l'État et la Sécurité sociale.
Et bien sûr, on va se concerter ! On a jusqu'à la fin de 2004 pour cela.
Cela est bel et bien, mes chers camarades, et bien sûr la Confédération et les fédérations FO iront parler avec les pouvoirs publics et faire valoir leurs arguments.
Mais, mes chers camarades, ce sera avec la plus grande méfiance. Le gouvernement a senti le vent du boulet au cours du premier semestre et ne veut pas prendre le risque de déclencher une nouvelle mobilisation. Il va faire traîner les choses et saucissonner les problèmes.
Et puis, disons-le tout net, il y aura en 2004 des consultations électorales politiques.
Mais, mes chers camarades, nous avons pris connaissance du rapport Chadelat, et même si ce n'est qu'une étude, nous avons le sentiment qu'il est déjà une référence pour un grand nombre de spécialistes du dossier. Selon M. Chadelat, il faudrait que l'assurance-maladie obligatoire s'en tienne à un panier de soins, une liste limitée de traitements et de médicaments pris en charge. Une autre partie serait prise par les complémentaires, également sur la base d'une liste limitative. Et tout le reste serait renvoyé au marché, c'est-à-dire aux mutuelles et aux compagnies d'assurances ! Et bien sûr, on prendrait prétexte du déficit de la Sécu pour nous dire qu'elle rembourse trop de choses et qu'il faut ôter tel ou tel médicament du panier de soins, telle ou telle prise en charge, etc. Derrière cela, les assureurs viendraient bien sûr nous proposer d'intervenir à la place de la Sécu, moyennant finances, bien entendu !
Mes chers camarades, on nous dit que ce n'est qu'une étude. Mais les 650 médicaments qui ont été rayés de la liste des spécialités remboursables, c'est bien du réel ! Et 70 autres viennent de suivre ! Et les fermetures de centres de paiement de la Sécurité sociale, de ses centres d'examen et de ses centres de santé, c'est bien du réel ! Mais, nous dit-on, il faut responsabiliser les assurés et les malades. Qu'est-ce que ça veut dire ? Un député nous l'explique: "Il faut en finir avec le tout gratuit en matière de remboursement de soins !" Qu'est-ce que ça veut dire le "tout gratuit" ? Quand un salarié est inscrit à la Sécurité sociale, est-ce qu'il ne cotise pas ? À la maladie, à la vieillesse, au chômage, etc. ? Il n'y a rien de gratuit à la Sécurité sociale, il y a du salaire différé qui sert à financer la médecine de ville, l'hôpital, les radiologues, etc. Et quand un salarié est pris en charge ou remboursé de sa pharmacie, il ne bénéficie pas d'une quelconque gratuité, assimilable à de la charité, il bénéficie de la contrepartie de ses cotisations, donc de ses droits !
Mes chers camarades, ce député se croit déjà dans un autre système où nous serions renvoyés à l'assurance individuelle et à la charité publique ou privée en ce qui concerne les indigents. Nous n'en voulons pas ! Nous voulons que les malades puissent se soigner librement et que les médecins soient libres de leurs prescriptions !
Et, mes chers camarades, cela nous renvoie encore une fois au sort des personnes âgées. Est-ce que, quand on est vieux, on deviendrait un peu moins estimable, un peu moins un être humain, un peu moins un citoyen ? Voilà qu'au mois de juillet nous apprenons que la Caisse nationale d'assurance-maladie vient de signer avec MG France un accord visant à réduire à cinq médicaments au maximum les ordonnances destinées aux personnes de soixante-dix ans et plus. On nous parle d'effet iatrogène, d'interaction des médicaments entre eux. Si on comprend bien, cet effet n'existerait pas la veille et se manifesterait instantanément le lendemain de notre soixante-dixième anniversaire !
Décidément, mes chers camarades, la CFDT a une dent contre les anciens. Non seulement, elle donne son accord à la loi sur les retraites, qui va irrémédiablement tirer les ressources des vieux travailleurs vers le bas. Non seulement elle approuve les mesures qui vont les faire rester au travail plus longtemps. Mais en plus, à soixante-dix ans, elle les met au rationnement de médicaments !
Mes chers camarades, c'est également la raison pour laquelle je m'inquiète du projet de création d'une cinquième caisse de Sécurité sociale, chargée de financer la dépendance. La Confédération Force Ouvrière, sur ce sujet, n'est à la traîne de personne. Nous organisions des conférences sur la question dans les locaux de l'avenue du Maine quand d'autres ne s'y intéressaient pas.
Car c'est vrai, mes chers camarades, on vit de plus en plus vieux, et c'est tant mieux ! Et il faut oser dire que c'est grâce à la médecine moderne, bien entendu, mais surtout grâce à la Sécurité sociale ! Mais il est vrai que la dernière période de vie nécessite des soins attentifs, un entourage et une compétence particulière. C'est donc le problème encore une fois de savoir dans quelle société on veut vivre. Est-ce que l'on va vers une prise en charge collective, où les coûts devraient donc être répartis sur l'ensemble de la collectivité au nom de l'égalité des citoyens ?
Ou est-ce que l'on va vers une prise en charge individualisée où l'accueil se fera en fonction des moyens des retraités ou de ceux de leurs enfants et de leur famille en général ?
Pour nous, la réponse est claire: la Sécurité sociale a été conçue pour accompagner les assurés sociaux de leur naissance à leur mort, indépendamment de leurs origines, de leur état de santé, de leurs moyens. C'est pourquoi nous avons toujours envisagé la dépendance comme un risque relevant de l'assurance-maladie, au même titre que la maladie, l'invalidité ou les accidents du travail.
Bien sûr, cela coûte de l'argent. Et donc, nous sommes prêts à regarder cela, à le négocier avec les employeurs et les professions médicales touchant à ce domaine. Nous ne fuirons pas cet aspect des choses car c'est de la dignité de nos anciens qu'il s'agit !
Mais créer une caisse à part, une caisse qui serait financée par quoi au fait ? L'impôt ?
Les contributions des collectivités locales ? Ce serait encore de l'impôt. Ou peut-être un point ou deux de CSG ? Ce serait toujours de l'impôt. Ah oui ! j'oubliais. Le lundi de Pentecôte. "À condition que tout le monde paie", a dit le premier Ministre. Et comment calculera-t-il le produit de cette journée puisque le lundi est payé normalement et que les salaires font l'objet de cotisations ? Une taxe sur les salaires ? Ce sera donc encore et toujours de l'impôt !
Mes chers camarades, la Sécurité sociale, ce n'est pas seulement deux mots au fronton des caisses d'assurance-maladie, de retraites, d'allocations familiales, etc. C'est un lien financier direct entre la cotisation et le droit à prestation de celui qui cotise. Si nous sommes contre la fiscalisation, c'est parce que c'est la notion même du salaire différé qui disparaît. Nous avions dénoncé, à juste titre, l'arrivée de la Contribution sociale généralisée comme un impôt, et donc comme une remise en cause du salaire différé ! Et je vous rappelle que l'assiette de la CSG a beau être élargie, elle repose toujours à 87% sur les épaules des seuls salariés. Alors, je préfère que l'on discute d'une augmentation de la cotisation, sachant que cela inclut évidemment la cotisation patronale. Car le plus clair, dans cette brillante idée de journée de travail pour les vieux, c'est que c'est le patronat qui applaudit des deux mains ! Pensez donc : une journée de production en plus, sans contrepartie ou presque ! Monsieur Seillière a toute raison d'être satisfait de ce gouvernement !
Mes chers camarades, l'idée d'une cinquième caisse ne me plaît pas car je crains qu'elle ne devienne une sorte de caisse balai, chargée de financer tant bien que mal ce que le patronat ne voudra plus financer par le salaire différé. Et ce que je crains aussi, c'est que l'on fasse comme pour les médicaments, en y rattachant toutes les personnes âgées à partir d'un certain âge; ce serait alors la caisse des indigents, mes chers camarades !
Et donc, ce serait, si c'est cela l'intention cachée des pouvoirs publics, le contraire de la sécurité sociale solidaire et égalitaire ! Ce serait, comme le lundi de Pentecôte, la charité publique obligatoire !
Mes chers camarades, M. Mattéi a raison de se montrer prudent sur la Sécurité sociale, car aujourd'hui comme hier, il y a des choses que nous ne pourrions pas accepter.
Et en particulier sur l'hôpital. Non, mes chers camarades, les médecins et les infirmiers n'ont pas failli à leur mission pendant la canicule, mais ils ont été débordés ! Débordés par les suppressions de services et d'hôpitaux entiers, découlant des restructurations - on devrait dire destructions - des différents plans hospitaliers. Débordés par la fermeture de lits en période estivale. Débordés par les postes vacants alors que des milliers d'emplois auraient dû être créés à la suite de la mise en place des 35 heures.
Mes chers camarades, nous faisons venir des infirmières de l'étranger. Et la fonction publique hospitalière n'arrive pas à payer correctement son personnel pour le garder ou le renouveler. Au passage, mes chers camarades, j'indique que la carrière d'une infirmière en milieu hospitalier dure rarement plus d'une quinzaine d'années avant qu'elle ne se réoriente, tant le métier est dur.
Mais, mes chers camarades, cela n'empêche pas le ministre de la Santé de penser à la "gouvernance" de l'institution hospitalière. Et cette gouvernance, c'est la porte ouverte à la libéralisation. Et là aussi, on nous promet de la méthode, de la concertation, des groupes de travail, etc.
Tout cela a un air de déjà vu, mes chers camarades ! Car là aussi, les réformes envisagées sont dictées par des considérations économiques, celles qui sont liées à la baisse des déficits publics. C'est encore une fois la préoccupation majeure: respecter les contraintes économiques européennes du Pacte de stabilité et de croissance. Et le résultat, c'est que les gestionnaires des hôpitaux sont obligés de jongler avec les dépenses pour arriver à boucler les fins de mois. Et que dire du parc hospitalier ? Le taux de vétusté dépasse les 50 %, c'est-à-dire qu'un hôpital sur deux devrait être reconstruit ou totalement rénové. Est-ce qu'il n'y aurait pas là de quoi relancer tout un secteur de l'industrie ? Certes, on nous promet des investissements, mais à dose rationnée. En fait, selon nos camarades hospitaliers, les crédits suffiraient à peine à la rénovation des CHU dont l'activité est essentielle au maintien de la qualité de la médecine dans ce pays.
Et bien sûr, on a une solution toute trouvée: faire appel au secteur privé, là aussi, pour fournir l'hôpital, les locaux, l'équipement, etc. Et l'autre volet de la solution, ce sera de développer la tarification à l'activité, actuellement à l'essai dans une soixantaine d'hôpitaux.
Or, les risques sont grands, mes chers camarades. On risque de voir s'établir une distinction entre les services rentables et ceux qui ne le sont pas. Les premiers vont bien sûr attirer l'activité privée, mais qui voudra prendre en charge les plus coûteux ? Et parmi les plus coûteux, il n'y aurait pas, par hasard, ceux qui s'occupent des vieux ? On ne peut pas aussi se demander si les gestionnaires ne vont pas être tentés de baisser les coûts en diminuant la qualité des soins ou en sélectionnant les malades les moins chers... ?
Et, mes chers camarades, pour couronner le tout, une étude de l'OFCE -l'Observatoire français de la conjoncture économique- estime que la tarification à l'activité pourrait entraîner la suppression de l'équivalent de 10% des postes de la fonction publique hospitalière. Ça veut dire 80 000 postes de moins !
Qu'est-ce qu'on veut, mes chers camarades ? Que tout ce qui est rentable aille au privé et que le non-rentable soit rejeté vers un hôpital public exsangue ? L'été 2003 a été dévastateur avec 10 000 morts, et sans doute beaucoup plus. Mais les prochaines saisons, canicule ou pas, risquent d'être encore plus dévastatrices Bien sûr, le ministre nous assure que la santé n'est pas une marchandise. Mais alors, pourquoi ouvrir la porte au privé toute grande, pourquoi autoriser la remise en cause des statuts et laisser les Agences régionales d'hospitalisation poursuivre imperturbablement les restructurations, etc. ? Dans ce gouvernement, il y a ce qu'on dit, et il y a ce qu'on fait ! Je veux également souligner quelque chose s'agissant des personnels, que ce soit à l'hôpital, dans les services publics, à la Sécurité sociale. À chaque fois, on associe l'intéressement aux projets de réforme qui nous sont imposés. On cherche à faire que les personnels de ces services participent eux-mêmes à la dislocation des services publics, de l'hôpital, de la Sécurité sociale et, in fine, de leur propre statut ! Et puis, on cherche à faire pénétrer les méthodes du privé dans la gestion quotidienne de services qui n'ont pas de vocation à être commerciaux. Dans la Sécurité sociale, la CNAMTS a inventé un nouveau métier, celui de délégué de l'assurance maladie. Cela consisterait à aller démarcher les médecins, les professionnels de santé, pour les convaincre de signer des contrats de bonne pratique. Les représentants de la Sécurité sociale iraient démarcher les médecins pour leur demander de soigner moins, de dépenser moins, de prescrire moins.
C'est un renversement complet de la nature de la relation de la Sécurité sociale avec les malades, mes chers camarades. Il ne s'agit plus de faciliter l'accès au droit, ce qui est la mission des employés de la Sécurité sociale. Il s'agit de mettre sur pied un service de régulation de la consommation médicale pour serrer la vis !

DÉCENTRALISATION ET RÉGIONALISATION

Eh bien, mes chers camarades, il va falloir rappeler que les conventions collectives sont des textes contraignants pour tout le monde, du personnel aux directeurs. Ils n'ont pas une valeur relative ou variable selon les circonstances ou les personnes qui les appliquent. Ils ont une valeur générale et nationale. Mais, mes chers camarades, il est vrai que l'exemple vient de haut.
Car, depuis le 17 mars, nous sommes dans une république décentralisée. Le congrès de Versailles a sanctionné cette entorse à l'un des principes majeurs de la république. C'est donc l'ouverture à la régionalisation. Et comme s'il fallait que tout le monde comprenne, le Premier ministre nous en assenait un exemple en décentralisant la gestion de 120 000 personnels techniciens de l'Éducation nationale aux régions. Balayées, les garanties de ces fonctionnaires quant à leur affectation et la nature de leur employeur ! Les voilà en quelque sorte attachés à leur établissement scolaire et cédés avec les meubles.
Bien sûr, on nous donne toute garantie qu'on ne touchera à rien les concernant. Et comme la mobilisation des agents, enseignants ou non, dans l'Éducation nationale a tétanisé le ministre, on nous dit que la décision est suspendue, reportée, etc.
Mais, mes chers camarades, elle n'est pas annulée ! Et dans une interview récente, le Premier ministre en maintient le principe !
Oui, mes chers camarades, la mobilisation reste plus que jamais de circonstance si nous voulons faire respecter les droits de nos camarades sous statut. Et que dire des 5 600 surveillants supprimés et du non-remplacement des 20 000 aides-éducateurs ? Le ministre a annoncé leur remplacement par des assistants d'éducation, mais cela laisse près de 5 000 postes non pourvus, sans parler de la différence de statut des nouveaux embauchés par rapport aux surveillants. On nous parle à longueur de journée des problèmes de violence à l'école publique et voilà qu'on fait l'économie de 5 000 postes destinés à l'encadrement des enfants. Où est la cohérence ? Surtout, mes chers camarades, que l'on nous annonce un baby-boom ! Bien sûr, pour l'instant les enfants arrivent en maternelle, mais dans trois ans, ils seront en primaire. Est-ce que l'on va prévoir les choses ? La natalité d'une classe d'âge, on peut la connaître à l'avance et prendre des dispositions. Ou est-ce que l'imprévoyance va devenir un système de gouvernement de la maternelle à la maison de retraite ?
Mais, mes chers camarades, la question de la décentralisation/régionalisation dans l'enseignement recouvre d'autres problèmes. Car l'objectif de tout cela, c'est le recrutement local, en fonction des académies, autrement dit des régions. Et on nous jure pour le moment que, bien sûr, les programmes resteront nationaux de même que les diplômes. Mais si on tend un peu l'oreille, on a vite fait d'entendre, au niveau des régions, qu'il y aurait quand même lieu d'adapter les programmes aux "spécificités locales", de tenir compte de telle ou telle filière, de tel ou tel bassin d'emploi. C'est d'autant plus tentant que, les régions ayant déjà hérité de la responsabilité de la formation professionnelle, certains de leurs dirigeants se demandent bien pourquoi ils ne superviseraient pas toute la filière de la formation.
Mes chers camarades, le ministre Ferry se propose d'ouvrir un grand débat sur les missions de l'école. Si l'on en croit une de ses interviews, pour lui, il faut hiérarchiser et affirmer les finalités. Et pour cela, choisir entre: former des gens heureux ? former des élèves qui vont trouver un métier ? transmettre des savoirs ? transmettre les valeurs de la République ? Je précise qu'il donne l'énumération dans cet ordre.
Mes chers camarades, le ministre est sans doute un écrivain de talent et un homme intelligent, mais il fait fausse route. Si, aujourd'hui encore, je porte toute mon estime à mon vieil instituteur, c'est parce qu'il m'a transmis du savoir et, de manière quasi simultanée, les valeurs républicaines. Mais jamais, au grand jamais, cet homme intègre ne se serait permis de faire rentrer dans les têtes des gamins sa recette du bonheur avec ce que cela suppose de subjectivité ! Oui, sans doute, M. Ferry sait la recette du bonheur - encore que, en ce moment, ce n'est pas sûr -, mais elle n'a aucune valeur universelle et n'a donc pas pour objet d'être enseignée à l'école.
Quant au deuxième principe: "Des élèves qui vont trouver un métier". On croirait entendre M. Seillière lui-même ! Tout ce qui sert à trouver un métier serait bon ? Mais lequel ? Et le reste: le latin, la littérature, la géographie, l'histoire... au feu ? Et la philosophie aussi peut-être ?
Mes chers camarades, quand j'ai rencontré M. Raffarin avec la Fédération de l'enseignement, je lui ai expliqué que le rôle des enseignants n'est pas seulement de garder les enfants mais aussi de transmettre la culture et le savoir et que c'était un fondement de notre système républicain.
La République, mes chers camarades, est la garante de l'égalité à travers l'application de mêmes règles, droits et devoirs à l'ensemble des citoyens. Si le projet de régionalisation est poussé jusqu'à ses ultimes conséquences, nous risquons fort de nous retrouver avec vingt-deux républiques différentes, chacune faisant valoir son droit à l'expérimentation, à l'adaptation des règles, etc. Certes, l'issue du référendum en Corse donnera peut-être à réfléchir à nos dirigeants. Ceux-ci semblent avoir découvert avec stupeur que nos concitoyens préféraient encore tenir les avantages de la république que courir après les promesses de la décentralisation.
On nous dit que la décentralisation, c'est la gestion au plus près. Mais les bureaux de poste disparaissent les uns après les autres des petits villages. On répartit le postier entre deux ou trois permanences. Plus personne ne sait quand La Poste est ouverte. Donc, la fréquentation baisse : résultat, on ferme les deux ou trois permanences maintenues ! Et la réforme territoriale de La Poste bat son plein: suppression de centres de tri, suppression de centaines d'emplois, etc.
Là comme ailleurs, la décentralisation n'est qu'un prétexte à des économies de structure et, à terme, aux économies budgétaires tout court !
Ainsi, le ministre de la Fonction publique nous informait en juillet que l'on allait lancer dans quelques départements de "nouvelles formes d'accès aux services publics". A priori, la meilleure façon de pouvoir accéder à un service public, c'est d'avoir une agence, une caisse, un bureau à proximité. Va-t-on nous annoncer des réouvertures, la création d'annexes, que sais-je ? Non, M. Delevoye préconise "la coopération entre services publics" et "des partenariats publics-privés". Il faut vous dire, mes chers camarades, que les accords de coopération en question ont été signés entre des caisses de Sécurité sociale, l'UNEDIC, l'AFPA, des entreprises nationalisées et les chambres professionnelles, autrement dit le patronat local !
Ainsi, si la régionalisation de la Sécurité sociale ou de l'UNEDIC conduit à fermer des caisses, il sera toujours possible d'aller au guichet de la chambre de commerce et d'industrie réclamer ses indemnités journalières de Sécurité sociale ou ses allocations de chômage. Ce sera commode ! Mes chers camarades, j'ai parlé au début de cette intervention de spirale infernale à propos des multiples projets qui, d'une façon ou d'une autre, menacent notre niveau de vie.
J'ai conscience que le tableau que je dresse a de quoi effrayer. Pourtant, chacun d'entre nous, ce soir, connaît bien une partie de ce tableau ! Qu'on travaille dans le public, dans le privé, qu'on soit à la recherche d'un emploi ou retraité, nous pouvons tous mesurer, à un niveau ou un autre, ce qui va et ce qui ne va pas. Mais, mes chers camarades, le tableau global est celui d'un délitement de nos conditions de vie et de travail: on s'attaque à la Sécurité sociale, on s'attaque aux retraites, on s'attaque à l'assurance-chômage, on néglige la politique de l'emploi, les salaires stagnent, asphyxiant le financement de la protection sociale, la pauvreté et la précarité augmentent. Il y a un lien entre tout cela, comme il y en a un entre les milliers de décès de nos anciens et l'état financier, organisationnel et humain du système social et sanitaire. Ce lien, c'est la recherche du profit à court terme, c'est le rendement de 15% de l'actionnaire contre le salaire des employés. Ce lien, c'est la recherche de la flexibilité maximale contre les garanties qui protègent et assurent la cohérence d'une société ! Ce lien, c'est le pacte de stabilité de l'Union européenne qui corsète les budgets publics et empêche les gouvernements de relancer la consommation donc l'économie par une politique de dépenses publiques bien pensée.
Mes chers camarades, tant que, dans le secteur privé comme dans le secteur public, les travailleurs seront considérés comme une variable d'ajustement, un paramètre économique, les choses ne feront qu'empirer ! Mes chers camarades, parce que nous sommes attachés aux conventions collectives, parce que nous sommes attachés aux dispositions statutaires, nous ferions presque figure de conservateurs !
J'ai le sentiment, bien au contraire, que c'est en nous battant pied à pied pour la défense et l'amélioration, bien entendu, de celles-ci que nous faisons oeuvre utile. Il y a un lien direct entre le statut du postier ou de l'agent de sécurité sociale et le service rendu.
Et les conventions collectives ne sont pas un boulet pour l'économie car elles garantissent le pouvoir d'achat des producteurs, qui sont aussi des consommateurs, mais elles garantissent aussi que les conditions de concurrence sont égalisées dans une même branche professionnelle.
Et je n'ai pas le sentiment que les baisses d'impôts annoncées par le gouvernement vont améliorer les choses. Elles vont renforcer le taux d'épargne, qui est déjà un des plus élevés d'Europe, à 17 % des revenus. Cela n'aidera nullement les foyers modestes à s'en sortir.
Ce qu'il nous faut, mes chers camarades, ce n'est pas un petit peu d'impôt en moins, mais beaucoup de salaire en plus ! Pour financer le système social de protection solidaire et égalitaire, pour relancer la consommation, donc la demande d'équipements et la fabrication de ceux-ci, pour permettre la création d'emplois nouveaux, en particulier ceux qui sont liés à l'entourage du troisième âge, leur prise en charge sanitaire, médicale, sociale.
Et pour cela, la finalité ultime du syndicalisme, encore et toujours, sera de revendiquer !

REVENDIQUER, MOBILISER, NÉGOCIER !
Oui, mes chers camarades, négocier. Mais à condition de pouvoir conclure librement et engager sa signature. Aussi, je m'inquiète à deux titres.
Premièrement, en ce qui concerne la réforme du dialogue social que nous promet le ministre du travail. Celle-ci pourrait se traduire par une modification de la liste des organisations considérées comme représentatives, donc par son allongement.
Mais, parallèlement, le ministre, appuyé en cela par certaines centrales syndicales, voudrait appliquer la règle majoritaire. Cela voudrait dire qu'un accord ne serait valable, en interprofessionnel ou dans une branche, ou dans une entreprise, que s'il est signé par une majorité d'organisations syndicales.
Mes chers camarades, cela voudrait dire deux choses.
Premièrement, qu'il ne serait plus possible de signer un accord national en interpro sans la CGT, voire la CFDT. Deuxièmement, que nous devrions compter, au niveau des entreprises, avec des syndicats autonomes, voire des syndicats maison.
Mes chers camarades, il y a quelque chose de paradoxal à vouloir développer les accords contractuels en s'appuyant sur une des organisations qui a le moins contracté au cours de son histoire. Et c'est également paradoxal de vouloir éclater la négociation, au niveau local, entre représentants de confédérations, d'autonomes et de syndicats suscités par le patron.
Et je m'inquiète également à un deuxième titre, découlant des effets de la régionalisation. Il est déjà des conseils régionaux qui réfléchissent, eux aussi, à la négociation sociale ! On nous proposerait demain des négociations régionales, mes chers camarades, entre employeurs de la Région et syndicats de la Région, sous l'égide du conseil régional concerné.
Cela veut dire que nous aurions des accords régionaux qui devraient trouver une place entre les accords nationaux, de branches ou locaux.
Mes chers camarades, ces deux éléments sont inquiétants car ils menacent toute l'architecture de la négociation que nous connaissons. La régionalisation pourrait, en fonction des circonstances, permettre à tel ou tel regroupement d'employeurs d'obtenir au niveau local ce qui n'aurait pu l'être au niveau national en s'appuyant sur une conjonction d'organisations syndicales.
Cela voudrait dire, mes chers camarades, qu'à terme les conventions collectives elles-mêmes seraient remises en cause, ou tout le moins, deviendraient des coquilles vides !
Ce serait le résultat du dialogue social nouvelle manière et de la république nouvelle manière !
Le rôle du syndicalisme, du moins celui auquel nous nous référons, est lié au fédéralisme. C'est-à-dire qu'il est lié à un ensemble de relations organisées au plan national.
Ce qui fait vivre une convention collective, un statut, ce qui lui donne sa respiration, c'est la négociation au plan national. Si cette respiration est confisquée aux niveaux régional et local, nous asphyxierions les textes nationaux, nous les rendrions obsolètes.
Et bien sûr, cela rendrait encore plus stratégiques les négociations régionales.
Mais dans dix ans, quinze ans, que vaudraient les garanties prévues dans les accords juridiques nationaux ? Plus grand-chose, j'en ai peur. Les références juridiques seraient éclatées, atomisées, et le droit social, qui n'est déjà pas simple, deviendrait un maquis juridique où seuls les spécialistes locaux s'y retrouveraient.
Mes chers camarades, cela serait grave pour l'existence des fédérations et des confédérations. Si tout se passe au niveau local, à quoi servira le cadre national ! Si les confédérations et les fédérations ne sont plus les acteurs majeurs de l'évolution des accords patronat-salariat, elles risquent fort, sinon de disparaître, du moins d'être réduites à un rôle de clubs d'influence.
Oui, je l'ai dit, mes chers camarades, nous voulons revendiquer, mobiliser, négocier.
Revendiquer, pour tous nos mandants et pour l'ensemble des salariés, en n'acceptant pas que les travailleurs et la société tout entière soient morcelés en îlots juridiques pratiquant des règles différentes !
Mobiliser, en nous appuyant les uns les autres, tel secteur épaulant tel autre, pour ne pas que la division entre régions, conventions locales, accords d'entreprise n'aboutisse à rendre impossible la solidarité ouvrière. Négocier, oui, partout où c'est possible et toujours, mais pour tirer les choses vers le haut, pas vers le bas. C'est cela le rôle du syndicalisme: agglomérer les espoirs, les attentes et leur donner corps pour produire du droit, des garanties supplémentaires.
Mes chers camarades, vous serez lundi dans vos entreprises, vos services. On vous demandera comment s'est passé ce meeting, ce que j'ai dit, etc. On vous demandera ce que FO va faire, s'il va déclencher ceci ou cela, etc. Alors dites leur que ça ne se passe pas comme ça, que personne, à Force Ouvrière, n'est dispensé de réfléchir et de proposer. Soyez à l'écoute de ce qu'ils ressentent, de ce qu'ils veulent, de ce qu'ils craignent. Non, mes chers camarades, un mouvement ne se décide pas d'en haut !
Mais si vous leur expliquez la retraite, si vous leur parlez du chômage, de la Sécurité sociale, de la situation des hôpitaux, vous les intéresserez car vous leur monterez qu'ils ne sont pas seuls devant la spirale infernale. Et si, jour après jour, réunion après réunion, le syndicat et les salariés ne se posent plus qu'une question: Mais alors, qu'est-ce qu'on fait ?
Alors, mes chers camarades, vous leur direz que Force Ouvrière est une organisation qui pratique l'indépendance syndicale et la liberté de détermination. Vous leur direz que ses seules références sont celles du syndicalisme confédéré et de la Charte d'Amiens et que s'ils sont prêts à se mobiliser, c'est que nous le sommes aussi !
Oui, mes chers camarades, la situation sociale de ce pays est grave, mais j'ai confiance ! J'ai confiance parce que j'ai vu la formidable capacité de mobilisation des travailleurs de ce pays, parce que nous n'avons jamais été aussi nombreux dans nos propres cortèges, parce que nous avons été bien souvent l'élément moteur et que nos mots d'ordre ont été repris plus qu'à leur tour !
Alors, lundi, dans vos services, vos usines, portez bien haut le drapeau de Force Ouvrière. Vous prouverez à tous ceux qui pensaient nous voir disparaître après 1989, comme une erreur de l'Histoire, qu'ils avaient tort !
Car, en refusant d'être à la traîne de qui que ce soit, en pratiquant l'indépendance, nous n'avons d'autre intérêt que ceux des salariés que nous défendons !
Oui, mes chers camarades, "Revendiquer, mobiliser, négocier". Indépendants nous sommes, indépendants nous resterons !
Vive la CGT-Force Ouvrière !



(source http://www.force-ouvriere.fr, le 23 septembre 2003)