Interview de M. Dominique Perben, ministre de la justice, à LCI le 3 juillet 2003, sur le projet de loi concernant le statut pénal du Chef de l'Etat, la surpopulation carcérale et le programme de construction de prisons, les peines alternatives à l'incarcération, l'éventuelle grâce de José Bové et sur ses projets concernant la mairie de Lyon.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser-. Bonjour D. Perben.
- "Bonjour."
Vous avez présenté hier, en Conseil des ministres, le projet de loi sur le futur statut pénal du chef de l'Etat. C'est un texte qui oscille entre immunité et destitution. On prévoit la gravité relative et la gravité particulière. Mais qui appréciera si c'est relatif ou particulier ?
- "D'abord, pourquoi un texte constitutionnel sur le statut pénal du président ? Parce que c'est un engagement du candidat J. Chirac qui avait souhaité, après des jurisprudences un peu contradictoires entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, clarifier les choses. Et donc il avait nommé une commission présidée par le professeur Avril, un constitutionnaliste, pour répondre à deux questions. La première : faut-il réformer la constitution ? La réponse de la commission a été " oui ", il faut la réformer ; et deuxièmement, pour écrire quoi ? Alors qu'est-ce qu'il y a dans ce projet puisque le gouvernement, à travers moi, a repris intégralement les propositions de la commission Avril. Il y a essentiellement..."
Intégralement, il n'y avait rien à apporter, rien à modifier ?
- "Le débat parlementaire éventuellement modifiera les choses, mais l'engagement du président avait été de dire : je nomme un certain nombre d'experts indépendants, ils me font des propositions, je les reprends à mon compte. Donc c'est ça l'esprit de la démarche, c'est ce que nous avons fait. Alors qu'est-ce qu'il y a dans ce texte ? En réalité une chose très importante, qui permet de dire très clairement, quel que soit le délit que l'on peut reprocher à un homme devenu Président de la République, [qu'] il sera jugé par les tribunaux ordinaires. Soit le délit n'est pas d'une excessive gravité et il sera jugé après la fin de son mandat, étant précisé, bien sûr, que la prescription est arrêtée pendant la durée du mandat. Autre hypothèse, l'infraction, le délit est manifestement incompatible avec la dignité de la fonction, à ce moment-là, le Parlement en prend acte, à travers une procédure un petit peu lourde, le vote dans chaque Assemblée. Puis un vote au Congrès, à bulletins secrets, destitue le président, mais ne le juge pas, et ce sont les tribunaux ordinaires qui le jugent. Donc"
Il ne faudra pas préciser les cas ?
- "C'est l'appréciation justement de..."
Mais dans la loi ?
- "Non, le texte constitutionnel étant lui-même suffisamment précis, puisqu'il s'agit de délits manifestement contraires à la dignité de la fonction.."
Vous pensez à quoi ?
- "Des comportements qui, sur le plan personnel, délictuel, sur le plan pénal, seraient d'une telle gravité que cela bloquerait le fonctionnement des institutions. Je crois qu'il faut bien comprendre que dans cette affaire, seul l'autre pouvoir issu du suffrage universel, pouvait prendre une telle décision de destitution. J'ajoute que la conséquence de cette destitution sera d'enclencher une nouvelle élection présidentielle dans les 35 jours. C'est donc vraiment une procédure qui respecte l'idée que c'est le suffrage universel dans la 5ème République, dont est issue la légitimité politique, c'est très important."
Oui, mais ce projet suscite beaucoup de réserves auprès des politiques.
- "Quelques réserves ; beaucoup, on ne peut pas dire ça !"
Parmi des personnages éminents, dont le président de l'Assemblée, dont A . Juppé qui est ancien Premier ministre, qui s'interroge.
- "A . Juppé s'est interrogé sur la définition de ce qui est manifestement incompatible avec..."
Voilà, moi aussi !
- "J'ai déjà eu l'occasion de répondre là-dessus. La formule est tout de même très forte, " manifestement incompatible ", c'est quelque chose de fort, et dans une affaire comme celle-là, j'ai déjà mené des débats sur des textes constitutionnels, le débat parlementaire, ce que nous allons échanger, les exemples que je serai peut-être amené à donner à ce moment là, ce que diront d'autres parlementaires, seront très importants pour fixer d'une manière plus précise la définition du texte qui, peut-être, sera davantage précisé."
Je crois qu'on en a vraiment besoin parce que sinon l'ambiguïté demeurera. M. le ministre, les prisons sont surpeuplées actuellement. Il semble qu'il y ait un débat sur l'opportunité de libérer ou non de manière anticipée des délinquants condamnés à des peines relativement courtes. Est-ce que c'est pour que les statistiques ne bougent pas, pour éviter les récidives, qu'on garde les gens en prison ?
- "D'abord quelle est la situation ? Depuis deux ans, c'est-à-dire depuis avant l'alternance politique, qui remonte à un an comme vous le savez, le nombre de détenus en France a augmenté de 14 000, c'est-à-dire qu'on est passé de 46 000 détenus à 60 000 détenus, donc c'est une progression absolument considérable qui a commencé en 2001, avant le changement politique, et que j'ai évidemment essayé d'analyser. Ce qu'il faut savoir, c'est que la part la plus importante dans l'augmentation de ce nombre de détenus, porte sur des gens qui ont commis des crimes, donc des fautes extrêmement importantes, et ce n'est pas, comme on pourrait peut-être l'imaginer, la petite délinquance qui, tout à coup, vient peupler les prisons. Il ne s'agit pas de ça."
C'est la criminalité qui a explosé ?
- "C'est la criminalité, et les gens à la fois prévenus et condamnés, pour des faits de crimes qui augmentent le plus, c'est une augmentation de 33 %, alors que s'agissant des délits, on est à une augmentation de l'ordre de 18 %, donc on voit bien qu'il y a plutôt un alourdissement des motifs d'emprisonnement. C'est un premier point, parce que ça veut dire que ce phénomène n'est sans doute pas provisoire, qu'il est sans doute durable. Alors quelle conclusion en tirons-nous ? D'abord nous avons lancé un programme de constructions de prisons, dont les ouvertures sont prévues pour 2006, 2007. Donc cela ne nous règle pas le problème d'aujourd'hui. Deuxièmement, je lance tout un programme d'alternatives à l'incarcération, j'avais demandé à J.-L. Warsmann de travailler pour moi là-dessus. Nous allons développer le bracelet électronique, les peines type travail d'intérêt général, la semi-liberté, tous ces dispositifs qui nous permettront, ou plutôt qui permettront aux magistrats..."
Mais ça ce sont des annonces, mais finalement on ne voit pas les choses se mettre en place.
- "Ce sont des annonces... ! Le bracelet électronique, il n'y en avait pas il y a six mois pratiquement."
Il y en a combien aujourd'hui ?
- "On en est à 350, j'espère être à 700 en fin d'année, et entre 2 000 et 3 000 l'année prochaine. Le dispositif monte très rapidement en puissance, et sur les travaux d'intérêt général je pense que nous allons pouvoir faire la même chose. Je vais également simplifier les procédures de décision des juges d'application des peines pour qu'ils puissent prendre leurs décisions plus rapidement. Enfin, je suis en train de mettre en uvre un plan d'urgence qui permettra, au début 2004, d'avoir des structures d'accueil pour les gens en tout à fait fin de peine, ou les gens en semi-liberté, pour dégager de la place dans nos établissements."
Alors La question c'est : J. Bové va-t-il être libéré pour le 14 juillet ? Il y a eu une fuite, une de plus, pardonnez-moi.
- "Je ne sais pas s'il s'agit d'une fuite, mais en tout cas c'était une erreur."
Vous n'appelez pas ça une fuite ?
- "Je ne crois pas que ce soit une fuite, puisque j'ai cru comprendre qu'on me faisait dire que j'avais donné un avis négatif, or mon avis je ne l'ai pas donné."
J'ai cru comprendre que c'était le rapport technique qui avait été.. qui précède les décrets de grâces.
- "Dans les ministères il y a beaucoup de rapports techniques, mais ce qui compte dans une affaire comme celle-là, c'est l'avis que le Garde des Sceaux donne personnellement au Président de la République."
Vous le donnerez quand ?
- "Je le donnerai dans les prochains jours."
[...]
Et vous ne voulez pas me dire ?
- "Non.."
C'est un prisonnier encombrant ?
- "Mon avis appartient évidemment au Président de la République ; je ne crois pas que ce soit un prisonnier particulier encombrant, il reçoit beaucoup de visites, c'est tout, donc ça complique un petit peu le fonctionnement de la prison mais.."
Beaucoup de parlementaires qui vont le voir.
- "Notre droit permet à tout député, tout sénateur, de visiter les établissements pénitentiaires, donc bien sûr nous appliquons la loi et je souhaite que les parlementaires l'appliquent également, c'est-à-dire qu'ils respectent les règles. Lorsqu'on rentre en prison, on rentre ni avec des téléphones portables, ni avec des appareils photographiques."
Vous avez l'ambition de devenir maire de Lyon. On dit que la dernière fois, vous vous y étiez pris un peu tard et donc vous n'avez pas pu poser votre candidature, cette fois-ci vous vous y prenez à temps puisque les municipales c'est en 2007. Avant de battre la gauche il faut fédérer la droite, comment est-ce que vous allez vous y prendre ?
- "Oui, ma démarche est à la fois une démarche personnelle et politique. Une démarche personnelle parce qu'en vérité, c'est pour moi un retour chez moi puisque j'ai passé toute mon enfance et mon adolescence à Lyon, où j'ai fait mes études. J'y ai d'ailleurs travaillé ensuite ultérieurement avec C. Béraudier, C. Millon et M. Noir, au Conseil Régional. Puis, je suis parti à Chalon pour cette aventure politique pendant une vingtaine d'années, que vous connaissez. Aujourd'hui, je souhaite revenir à Lyon, pour ces raisons personnelles, mais aussi pour des raisons politiques, parce que j'ai été très triste en 2001 de voir que les divisions de la droite et du centre avaient abouti à l'élection d'un maire socialiste à Lyon, et je pense que cette grande ville, qui a des atouts considérables, qui est une des rares très grandes métropoles européennes, soit gérée de cette façon là, et donc je veux, au cours de ces quatre années, construire une dynamique collective, faire en sorte que tous ceux..."
Et vous entendre avec C. Millon ?
- "M'entendre avec tous ceux qui veulent que ça change à Lyon, sans exclusive particulière. Je crois qu'il appartiendra ensuite à chacun de se déterminer. Je souhaite être une sorte de catalyseur des énergies, et effectivement faire en sorte que Lyon soit de nouveau une grande ville gérée par la droite et le centre."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 juillet 2003)