Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur la réforme de la transmission des entreprises et celle des successions et sur la volonté du gouvernement de veiller à ce qu'une directive communautaire ne mette pas en cause le statut d'officier public et ministériel des notaires, Paris le 19 mai 2004.

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Circonstance : Congrès des notaires de France à Paris le 19 mai 2004

Texte intégral

J'ai d'un seul coup une ambition pour le Code civil ! Madame la présidente, Monsieur le président, Monsieur le ministre, mon cher ami Alain, Alain LAMBERT, Mesdames et Messieurs les magistrats, Mesdames, Messieurs. Madame la présidente, il ne m'a pas échappé que votre congrès était bien organisé. Vous avez invité le garde des Sceaux pour conclure l'introduction, et le Premier ministre pour introduire la conclusion ! Donc j'apprécie beaucoup cette organisation, et je vous félicite. Dans notre milieu, la politique, il est assez rare de voir des gens présidents pour quatre jours, mais j'imagine la charge et je voudrais vous féliciter et vous dire aussi à vous, Monsieur le président, combien je suis heureux d'être parmi les notaires de France aujourd'hui, et de saluer également les quarante-trois délégations étrangères qui participent à votre congrès. Sérieux, social et moderne, je n'en doutais point, mais chaleureux, je m'en réjouis et je vous en remercie. Quant à votre générosité vis-à-vis du droit anglo-saxon, je ne m'y attendais pas, mais je salue cette ouverture d'esprit.
J'ai souhaité être avec vous, aujourd'hui, pour ce 100e congrès car il constitue le symbole de la mobilisation constante de votre profession au service de la France, et c'est pour cela que je suis avec vous. Il faut, en effet, souligner la pérennité du notariat français. Depuis 1891, la réunion du Congrès des notaires ne s'est interrompue que le temps de la parenthèse tragique des deux conflits mondiaux, et donc je voudrais vraiment vous saluer comme les représentants à la fois de force d'innovation mais aussi de traditions et vous souhaiter, à vous les quatre mille notaires qui ont été associés à ce congrès, vous dire combien nous sommes heureux de vous souhaiter un bon anniversaire, et de saluer l'apport irremplaçable qu'est celui de vos professions au service de notre intelligence juridique nationale et européenne. Un seul chiffre, d'ailleurs, suffit à démontrer cette vitalité, vous avez participé depuis l'avènement de la Ve République à pas moins de soixante réformes législatives qui ont été en partie inspirées, en grande partie commentées et souhaitées, quelquefois subies, par votre profession. Je voudrais donc saluer ce rôle important des notaires aux confins donc de la tradition, et de l'innovation.
Et il faut dire combien, je crois qu'il est important de donner à des professions comme les vôtres toute notre importance, à un moment où notre société semble chercher ses repères face à la complexité grandissante. Je crois qu'il serait vain de vouloir, dans les sociétés modernes, promettre toujours la simplification totale. Au fond, seules les dictatures sont des régimes très simples. Si on veut traiter chaque citoyen pour ce qu'il est, avec ses droits et ses devoirs, si on veut écouter les avis des uns et des autres et de cette multiple diversité qui est inscrite dans notre société, il nous faut produire une organisation faite de nuances et de différentes. Et donc il nous faut des professionnels de la complexité, des médiateurs humains qui soient capables de comprendre l'organisation sociale complexe, soient capables de simplifier la vie des citoyens. Et ce qui compte, c'est la simplification de la vie des citoyens, ce n'est pas forcément la simplification d'une société qui serait souvent la méconnaissance de la différence, et du droit de la personne. Et donc vous, comme d'autres professions, avez un rôle particulièrement important à jouer pour la sécurité juridique évidemment, mais pour cette relation à la société des citoyens qui ont besoin d'être réconfortés face à une organisation nationale et européenne qui sera toujours plus complexe, il faut le dire, car la promesse du contraire est une illusion.
Il faut donc organiser, pour le citoyen, cette capacité de saisir sa place dans la société en ayant confiance dans des professionnels capables de représenter l'histoire, les traditions, notamment la force de notre droit. Mais aussi capables de comprendre la nécessité des temps modernes, et puis aussi capables d'assumer cette relation personnelle, ce rôle médiateur essentiel dans l'exercice de votre métier. Votre métier est d'autant plus important que nous avons besoin de vous, et c'est pour ça que votre rôle est essentiel et j'y reviendrai tout à l'heure. Vous êtes acteurs du service public puisque nous avons des exigences vis-à-vis de votre profession, en tant qu'Etat et des intérêts, en tant que Nation. Nous avons besoin de vous, notamment dans une période où nous avons à assumer le début d'une reprise économique et donc d'engager un certain nombre de réformes, et notamment auprès des entreprises qui sont les lieux de création de richesses les plus importants de notre pays, en période de croissance, et dans cette mobilisation qui nous anime pour l'emploi. Et nous voyons bien que pour la création d'entreprises et notamment pour la reprise d'entreprises, il est nécessaire de modifier fondamentalement un certain nombre de nos règles pour rendre le patrimoine plus libre, et plus capable de circuler. Et pour faire en sorte qu'on puisse sortir d'un certain nombre de lourdeurs et de pesanteurs qui paralysent, retardent, freinent la capacité créative, économique et sociale de nos concitoyens.
Nous allons nous engager pour une réforme de la transmission des entreprises, comme nous nous sommes engagés dans une action forte pour la création d'entreprises. Nous sommes face à une réalité démographique qui est posée à la société française, celle qui nous conduit à entrevoir, dans les prochaines années, le départ de 550 000 chefs d'entreprise qui vont cesser leur activité et pour lesquels nous devons veiller à ce que notre contexte juridique organise mieux les transmissions et permettent ainsi, aux entreprises, d'avoir un avenir et notamment un avenir en matière d'emplois. Nous sommes en train de préparer, pour le deuxième semestre, un ensemble de mesures destinées à accompagner cette transmission d'entreprises. Il va s'agir naturellement de sujets que vous connaissez. Je ne parle pas ici particulièrement de la revalorisation de l'apprentissage et de l'alternance, je crois qu'il est pourtant important de mettre en place dans l'entreprise, d'ores et déjà, le successeur et d'être capable d'accueillir progressivement ceux qui deviendront les animateurs de l'entreprise. Je pense qu'il nous faut adapter nos financements pour permettre de mieux orienter l'épargne des Français, notamment les placements de l'assurance vie vers les entreprises.
Enfin, je pense qu'il nous faut faire évoluer nos règles fiscales, une réflexion s'impose à l'évidence sur notre fiscalité des transmissions qui sont en fait davantage adaptées à la transmission du bien classique et immobilier, qu'à la transmission d'entreprises. Aujourd'hui, le paiement des droits pèse, in fine, sur ce qu'est la substance même de l'entreprise qui se trouve fragilisée avec les risques de reprise, voire ce qui est souvent insupportable de démantèlement, ce qui évidemment pénalise et la croissance, et l'emploi. A tous ces titres, vous êtes parfaitement dignes donc de votre qualité d'officier public et ministériel puisque vous êtes partenaires de ce bien commun qui est le développement économique et social, la cohésion économique et sociale, de notre pays. C'est, en effet, pour conférer l'authenticité aux actes et leur donner une force probante particulière, que vous exercez des prérogatives de puissance publique déléguées par l'Etat. Vous êtes ainsi liés à l'Etat à la fois par la cause et par la méthode, par la procédure, ce qui, je crois, vous donne une place toute particulière et qui exige pour l'Etat une attention elle aussi particulière. Je voudrais saluer notamment votre engagement international et votre capacité à faire rayonner, comme vous le disiez tout à l'heure, Monsieur le président, notre droit latin et notre capacité, ainsi votre capacité, au sein de l'Union internationale du notariat latin à influencer de notre culture, de notre histoire, de nos expériences, les droits des pays avec lesquels vous travaillez. Je salue les performances que vous avez réalisées. Notamment en relisant le discours qu'on m'a gentiment préparé, j'ai pu noter que vous aviez réussi même à faire adhérer la Chine, en 2003, à l'Union internationale du notariat latin. Salut l'artiste ! Je crois que ceci est très important.
Evidemment, je tiens à le souligner, notamment pour les pays qui entrent dans l'Union européenne ou qui se préparent à y entrer. Je crois qu'il est très important d'avoir ce travail, ce rayonnement pour notre droit, pour non seulement leur apporter des sécurités, des organisations juridiques, démocratiques, des capacités de vivre ensemble mais aussi naturellement, pour rendre ces capacités nationales compatibles avec ce qu'est la tradition historique, juridique de l'Union européenne. Je voudrais saluer les résultats remarquables que vous avez obtenus, notamment dans tous ces pays issus du bloc soviétique où vous avez pu ainsi inspirer leur organisation juridique. Je sais qu'il reste du travail à faire, mais je salue ces démarches parce qu'elles montrent qu'on peut être au fond enraciné dans les territoires de France, des professions qui pourraient être qualifiées d'individualisme, qui pourraient être qualifiées d'être des structures plus ou moins autonomes et donc parfois, repliées sur elles-mêmes. Vous voyez tout ce que pourraient dire des adversaires. D'abord, moi, j'aime bien les structures de cette nature, même si vous avez parlé tout à l'heure de libéral, avec une connotation négative, mais c'était dans un autre sens.
Je voulais vous dire combien je suis très sensible à votre organisation professionnelle, votre mise en réseau et la conscience de l'intérêt général que vous développez et notamment au nom du droit, qui est une cause qui touche la pensée française, notre pensée universelle et les efforts que vous faites pour être présents à l'international, pour des professions comme les vôtres ; c'est plutôt rare et ça mérite d'être salué. Je salue aussi votre action en Afrique auprès de nos amis africains, pour l'harmonisation des droits des affaires et également vos actions, je le disais, en Chine, mais aussi en Extrême-Orient, à Hanoi, à Shangaï et dans plusieurs sites de cet Extrême-Orient avec lequel vous avez su tisser des liens de coopération efficaces. Nous pouvons tous nous réjouir de cet engagement et c'est pourquoi je voudrais, à nouveau, vous dire combien je souhaite que dans l'avenir, vous puissiez, tout en ayant cette compréhension que vous avez avec le droit anglo-saxon, participer à cette bataille de la diversité culturelle, qui est une bataille, vous le savez, chère au cur du président de la République et à l'ensemble des autorités publiques françaises. Mais qui est une bataille qui doit être livrée tous les jours, par toutes les formes de combat, notamment avec les nouvelles technologies qui sont une source de pénétration culturelle particulièrement importante et qui font que notre pays doit, bien sûr, être mobilisé sur ces sujets pour ne pas être absent. Car quelquefois, vous le savez, le médium fait le message et c'est pour ça que nous devons être attentifs à ce que ces médias de la société de l'information puissent être accessibles à des structures françaises, à des professionnels français, à des professionnels européens et leurs alliés. De manière à ce qu'on puisse, au travers de cette nouvelle technologie, faire exister les valeurs qui sont les nôtres et qui sont fondées sur le respect de tous et sur notre diversité.
Enfin, je voudrais vous dire quelques mots, puisque nous avons parlé des nouveaux pays de l'Union européenne, de cette Union européenne. J'ai cru comprendre lors de votre congrès, dans les bruits qui s'échappent de cette salle, que vous étiez inquiets sur une proposition de directive relative au service dans le marché intérieur qui a été présentée par la Commission européenne le 13 janvier dernier. Ces bruissements ont été très largement entendus. Quand vous voulez sortir de la discrétion, vous savez le faire ! Je vois bien que cette proposition de directive prévoit ce qu'on pourrait appeler un démantèlement progressif des obstacles à la libre circulation des services, selon un calendrier provisoire qui s'achèverait en 2007, mais je vois bien aussi qu'il peut y avoir derrière toute cette organisation, cette pensée, je dirais même, de l'Union européenne sur ce sujet, une assimilation contestable qui pourrait aboutir à une remise en cause de votre statut et plus particulièrement de votre qualité d'officier ministériel. C'est, je crois, un élément très important. Moi, je suis très attaché à votre statut d'officier ministériel comme je suis très attaché à ce que dans la société française, dans notre République, au sein de notre Nation, des professions libres et indépendantes soient porteurs d'une part de l'intérêt général. Je crois que c'est essentiel. Vous n'êtes pas les seuls mais c'est, je crois, un élément très important et c'est utile. C'est utile évidemment pour l'Etat, mais c'est utile pour la société. D'ailleurs, pour que la société comprenne que l'Etat n'a pas le monopole de l'intérêt général, l'Etat a à assumer une fonction d'être le garant de l'intérêt général. Mais il n'aime pas l'exclusivité de l'intérêt général et chaque acteur, dans la société, porte un petit peu de l'intérêt général. Même s'il n'est pas officiellement reconnu, le médecin porte un peu de l'intérêt général, l'avocat, mon cher bâtonnier, porte un peu de l'intérêt général, tous les acteurs de la société ont, en part, une conscience de l'intérêt général. Vous, cette part-là est reconnue, et elle est reconnue parce que vous avez des missions déléguées, parce que vous avez un statut reconnu et spécifique qui fait qu'entre l'Etat et vous, il y a un lien qui est un lien statutaire officiel que nous voulons préserver et qui, au fond, appartient à l'histoire de notre Nation. Et de ce point de vue-là le principe de subsidiarité devrait pouvoir s'appliquer. Et cela fait partie de ce qui doit être protégé.
Je suis un Européen convaincu, mais je suis attaché à ce qu'il puisse être défendues des valeurs auxquelles la France est elle-même attachée. C'est pour cela que je dis avec fermeté que la France est engagée, le président de la République, le Gouvernement, pour veiller à ce que cette directive ne puisse pas mettre en cause le statut d'officier public et ministériel, et que ce statut soit donc exclu du champ de la directive, de manière à ce qu'il puisse être protégé et que nous gardions notre originalité fondée sur la diversité que nous demandons à être respectée. On m'avait donc bien informé de votre attente ! Soyez vraiment assurés de ce soutien qui est stratégique pour notre pays, mais qui est aussi un soutien de conviction. Quelques mots sur les projets du Gouvernement que je voudrais évoquer devant vous, et notamment à propos de la part très active que vous avez pris aux travaux préparatoires de la réforme du droit des successions. C'est un sujet important, ce droit constitue le seul volet du droit de la famille à n'avoir pas fait l'objet d'une refonte globale depuis 1804, et donc nous avons là un certain nombre de travaux à mener. Certes, quelques textes épars ont aménagé certains aspects de la matière, notamment en 2001 sur les droits du conjoint survivant et des enfants adultérins, mais aucune véritable réforme d'ensemble n'a pu être menée à ce jour. Alors désireux d'adapter ce droit aux changements économiques mais aussi sociaux, tout en tenant compte des préoccupations des concitoyens confrontés à l'épreuve du décès de l'un de leur proche, le garde des Sceaux a donc engagé une large consultation qui s'est traduite par l'envoi d'un questionnaire à chaque notaire de France. Vous avez été nombreux à répondre à ce questionnaire et à formuler vos propositions, et ainsi à manifester un vif intérêt pour cette réforme, dont j'attends qu'elle puisse permettre un règlement plus rapide des successions, et une réelle consécration de la liberté de véritablement disposer de son patrimoine. C'est ainsi que le partage à l'amiable sera privilégié, et la procédure d'acceptation elle-même simplifiée. De même, la possibilité de faire des donations partages sera élargie, et les conditions de transmission de l'entreprise, je vous le disais, seront facilitées. Le notaire, acteur essentiel du bon déroulement de la liquidation et du partage des successions, disposera donc d'outils juridiques nouveaux pour lui permettre de mener à bien sa mission. Je pense en particulier à l'administration de la succession qui pourrait lui être confiée, mais aussi à la faculté qui doit lui être reconnue de représenter un co-partageant négligeant pour débloquer le partage de la succession. Ce co-partageant-là étant ainsi représenté par un professionnel qui peut assurer la succession, et éviter ces délais que nous connaissons aujourd'hui, et qui font souffrir beaucoup de familles.
Le projet de loi issu de ces consultations est en cours de finalisation. Il vous sera soumis, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, très prochainement. Je voudrais aussi vous dire un mot sur la réforme du dispositif de protection des majeurs actuellement qui est en cours d'élaboration. Vous le savez, la loi du 3 janvier 1968 a défini les grands principes de notre droit des incapables majeurs ; la subsidiarité, la proportionnalité de la mesure de protection, l'intervention des familles, contrôles du juge. Il ne s'agit pas, pour nous, de remettre en cause ce qui nous paraît ici fondamental et au fond que personne ne conteste, mais d'affirmer avec vigueur que les évolutions démographiques, sociales et économiques, pourraient mettre en péril dans quelques années, au fond quand on regarde l'évolution de notre société, l'ensemble du dispositif. C'est pourquoi il nous faut repenser l'articulation du droit de la protection des majeurs, avec la prise en charge sociale des personnes vulnérables en limitant l'intervention du juge aux seules hypothèses d'inaptitude avérées, tout en maîtrisant l'augmentation du coût financier pour l'Etat. Car il ne vous a pas échappé que l'Etat n'était pas très riche. Dans le cadre juridique ainsi défini dès 1968, il faut tracer de nouvelles voies et mettre en place de nouvelles procédures qui soient plus respectueuses encore de la personne, et aussi de ses droits. Votre profession aura à jouer dans cette perspective, Monsieur le président, un rôle moteur et déterminant dans les toutes prochaines semaines. Je pense particulièrement au mandat de protection futur qui sera confié aux notaires, par la personne, avant qu'elle ne perde son discernement. Ce mandat permettrait la désignation d'une personne de confiance qui sera chargée, ainsi, d'agir en son nom dans les actes de la vie civile, qu'il s'agisse, par exemple, de la gestion de son patrimoine ou de la protection de sa personne.
Au total, c'est donc un projet que nous voulons innovant, avec de multiples dimensions sociales, économiques et juridiques. Je me réjouis que ce soit l'occasion d'un nouveau partenariat entre l'Etat et les notaires et qu'ensemble, nous aboutissions à un texte qui puisse répondre aux besoins de notre société. Au fond, tout ce partenariat-là exprime une véritable confiance des pouvoirs publics dans votre profession. Je vous le dis, à un moment où la confiance est un élément majeur de l'organisation de notre société. Au fond, quand on regarde l'ensemble des métiers, on voit combien, dans notre société, il y a des inquiétudes sur les pertes de repères. Vous interrogez les agriculteurs aujourd'hui, ils vous disent qu'ils sont inquiets de savoir ce que sera leur métier, quel est le sens de leur métier pour demain. Ils étaient en charge de l'alimentation du monde, aujourd'hui on voit que d'autres objectifs apparaissent, d'autres méthodes, d'autres métiers apparaissent. C'est vrai des enseignants qui voient leur rôle remis en cause, parfois, avec un changement de nature, avec une autre forme de l'autorité, avec les problèmes de sécurité. C'est vrai des médecins à la ville, à la campagne, leur métier est en train de changer, les urgentistes ne voient plus les gens qui sont simplement accidentés avec brutalité, mais ils voient aussi simplement ceux qui ont, à un moment ou à un autre, besoin de rencontrer un médecin et qui veulent le rencontrer rapidement.
Tous les métiers changent, la société est en train de vivre des mutations très rapides, la société de l'information accélère tous ces changements, nous sommes dans une société en grand mouvement, il nous faut donc développer des messages de confiance, des structures de confiance, des relations de confiance. Vous avez une place particulière dans l'organisation sociale, d'abord parce que vous êtes implantés dans tout le pays, d'abord parce que vous venez d'une tradition que chacun connaît et reconnaît, parce que vous êtes aussi les représentants de quelque chose qui nous est supérieur. C'est-à-dire le droit, et que vous êtes enfin des animateurs de relations humaines et donc des gens qui ont les deux proximités, britanniques et françaises, du mot confiance et confidence, cette capacité à avoir cette proximité-là. Je voudrais vous dire que nous avons besoin de développer ces relations de confiance dans la société française, face à la montée des individualismes, face à la montée des égoïsmes, face à la montée de tout ce qui isole la personne. Nous sommes dans une société d'information où la solitude se développe et se multiplie. Il nous faut donc créer des liens, valoriser les professions intermédiaires. Je me méfie toujours de tous ceux qui veulent simplifier notre organisation sociale, en supprimant les corps intermédiaires avec des logiques directes de la conception à la consommation sans passer par tous ces liens qui, au fond, sont les liens qui organisent la confiance d'un pays, qui, au fond, sont les liens qui structurent les relations sociales d'un pays. C'est pour ça que les professions comme les vôtres sont essentielles dans notre organisation de la société, pour accompagner les mutations.
Vous savez, on a vraiment besoin dans les années qui viennent de cet accompagnement du citoyen face à tous les problèmes, y compris juridiques, qui vont se poser. Nous sommes un pays qui, souvent, tourne très longtemps autour des sujets, on l'a vu sur les retraites, on le voit sur un certain nombre de sujets. Pendant trente ans, on fait des rapports et d'un seul coup, on se met à traiter des problèmes. Je me souviens, quand j'étais étudiant, on lisait SERVAN-SCHREIBER sur le défi cybernétique, sur les défis américains, sur les grands défis de la société de l'informatique. On aurait un jour des petits téléphones sur lesquels on pourrait en même temps communiquer par écrit, et en même temps regarder la télévision. Tout cela, on en a parlé trente ans et ça entre dans la société en deux ans. Deux ans où on modifie profondément les relations humaines et notamment le lien social qui devient un lien animé par des forces très rapides, des forces de mutation. Et les citoyens se sentent fragilisés dans toutes ces mutations. C'est pour ça que la société a besoin de droit, que la société a besoin de structures, que la société a besoin de liens, que la société a besoin de confiance. C'est pour ça que vous avez un rôle d'intérêt général dans cette société. A un moment où tout peut, pour la France, aujourd'hui, être une perspective de confiance parce que l'économie repart d'un bon pied et la consommation se tient bien, les investissements redémarrent. Nous avons une situation qui aujourd'hui, par rapport à de nombreux pays, est une situation qui doit permettre la confiance. Nous avons cette capacité-là de vivre un pays que nous bâtissons nous-mêmes, à une condition, c'est qu'il nous faut bien retrouver le goût de l'avenir, l'ambition de l'avenir. Cette ambition du futur qui mobilise un peuple, il n'y a pas de goût de l'avenir sans société de confiance, il n'y a pas de société de confiance sans professionnels de la confiance. C'est pour ça que j'étais heureux, aujourd'hui, de vous retrouver.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 27 mai 2004)