Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur et porte-parole du gouvernement, sur la réforme de l'Etat et le calendrier de la mise en oeuvre de la décentralisation, Paris le 22 avril 2004.

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Circonstance : Réunion des préfets à Paris le 22 avril 2004

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Préfets,
S'il est un sujet sur lequel vous attendez légitimement de connaître les intentions du nouveau Gouvernement, c'est sûrement celui de la décentralisation.
Je voudrais vous dire, d'emblée, que cette réforme capitale, voulue et explicitée par le Premier Ministre dès sa prise de fonctions il y a deux ans, va être poursuivie et menée à son terme avec une détermination totale.
Vous savez avec quelle énergie le Premier Ministre, Nicolas Sarkozy et Patrick Devedjian ont initié cette réforme. L'acte II de la décentralisation a été voté en première lecture par chaque Assemblée. C'est l'aboutissement d'une première étape : un travail considérable a été accompli, à travers les Assises des libertés locales, lancées par mon prédécesseur, et que vous avez organisées avec beaucoup de succès. Puis le Parlement a permis d'améliorer de façon importante le texte, par un débat riche et fructueux.
Les jours qui ont suivi le second tour des élections régionales ont donné lieu, j'en ai bien conscience, à un peu de confusion. L'opposition, forte de ses nouvelles conquêtes, s'est prise à rêver de je ne sais quel système fédéral -voire de créer des "contrepouvoirs"- pour reprendre la formule d'un président de région nouvellement élu. Certains membres de la majorité parlementaire ont, quant à eux, émis des craintes quant à la lisibilité du projet tel qu'il est aujourd'hui.
Voilà pourquoi Dominique de Villepin et moi-même avons eu à cur de franchir le plus vite possible ce cap préalable avec le vote solennel du texte en première lecture. C'est chose faite. Il nous reste donc maintenant à parler de l'avenir.
Je voudrais aujourd'hui le faire devant vous en mettant les choses à plat pour vous indiquer les lignes précises de la politique que je mènerai sous l'impulsion et aux côtés de Dominique de Villepin dans ce domaine.
I. Les objectifs de la réforme sont clairs
1) Nous poursuivons la réforme avec une détermination totale
Je connais vos interrogations et vos inquiétudes, et c'est pourquoi je veux vous dire avec fermeté : il n'est pas question pour le Gouvernement de laisser la réforme s'enliser. Notre objectif est clair : ne pas retarder le texte.

Nous devons en effet répondre aux attentes des Français, qui ne cessent de nous demander une réforme de l'Etat et une modernisation de nos institutions, pour plus d'efficacité publique.
Vous, vous le savez bien. On ne décentralise pas par idéologie, ni parce que c'est la mode, ni pour faire plaisir à telle ou telle catégorie d'élus, mais en ayant pleinement conscience des intérêts à long terme de notre pays, avec pour seul souci celui de l'efficacité publique : élu de terrain depuis 1995, dans une ville qui concentre toutes les difficultés de la France d'aujourd'hui, j'ai conscience comme vous que le premier souci des Français n'est pas de savoir qui exerce telle ou telle compétence. Ils veulent que le service qu'on leur rend soit le meilleur possible, et que ce soit fait au juste coût.
Le texte que nous proposons, dans ses grandes lignes, nous permet d'être au rendez-vous pour répondre à ces attentes, tout en veillant à la nécessaire affirmation de l'autorité de l'Etat.
2) Le calendrier sera tenu
Le vote en première lecture ayant été acquis, dans les deux assemblées, nous sommes aujourd'hui au milieu du gué : le nouveau contexte politique nous amène naturellement à avoir un échange approfondi avec les nouvelles associations d'élus.
Cette importante concertation vient d'être initiée par le Premier Ministre, en direction des parlementaires comme des élus locaux. Le Premier Ministre, respectueux du suffrage universel, a reçu le 19 avril les Présidents de Conseils régionaux. Le dialogue va se poursuivre, afin de lever les malentendus et les inquiétudes des uns et des autres.
Pour autant, le Premier Ministre a été très clair, en fixant le calendrier : vote de la loi organique le 18 mai, puis 2ème lecture du projet de loi aussi rapidement que possible, après une période de concertation, LFI 2005 à l'automne, pour application effective des premiers transferts à compter du 1er janvier 2005.
Le Premier Ministre a également précisé l'esprit de cette concertation : ouverture aux propositions d'améliorations, de simplifications, de clarifications. Mais il n'est pas question de remettre en cause le processus de décentralisation dans son ensemble tel qu'il a été engagé depuis deux ans.
3) Concernant les transferts de compétences, il faut faire la part des choses :
- il y a ce qui est déjà décentralisé, comme le RMI/RMA qui a été confié aux départements depuis le 1er janvier 2004 ; il y a ce qui ne peut plus être remis en cause dans son principe comme le transfert des routes ou le transfert des TOS. On ne reviendra pas sur les décisions négociées, annoncées ou mises en uvres et sur lesquelles les fonctionnaires se sont déjà beaucoup préparés. On peut en revanche discuter de telle ou telle modalité d'application.
- et puis il y a ce qui est ouvert à la discussion. Les divergences de vues entre le Sénat et l'Assemblée Nationale, qui sont apparues lors de la discussion en première lecture, laissent penser qu'il y a matière à améliorer encore le texte d'ici son examen en seconde lecture.
Sur ces bases, les transferts proposés répondront à une volonté de cohérence et de clarté dans l'exercice des compétences. Il va de soi qu'en aucun cas la décentralisation ne doit se traduire par un gonflement global des effectifs des fonctionnaires ou par une augmentation de la fiscalité.
II. D'importants chantiers sont devant nous
Dans la perspective de la deuxième lecture, 3 pistes doivent être suivies :
1) clarifier et simplifier un texte que deux ans de débats ont rendu trop long et trop complexe. Une loi n'est une bonne loi qu'à la condition de pouvoir être comprise par tous. Elle n'est applicable qu'à la condition d'être simple et claire. Je vais donc, avec l'aide de la Direction Générale des Collectivités Locales et de nos collaborateurs, prendre la plume mais aussi les ciseaux !
2) adopter une démarche pragmatique de la décentralisation, fondée sur le rôle et les moyens réels des collectivités publiques dans la France d'aujourd'hui, en renonçant aux schémas théoriques : je pense par exemple à l'idée des blocs de compétence, devenue le faux débat par excellence. Dans certains cas, l'exercice des compétences, classé par catégorie de collectivités, va de soi : l'aide sociale, les routes, les lycées, les collèges. Dans d'autres -la politique de la ville par exemple- les financements croisés sont inévitables car les partenariats sont multiples. Il ne s'agit pas, en effet, de bouleverser encore une fois les institutions, entreprise qui serait coûteuse et aventureuse, mais de chercher à améliorer le service que nous devons à nos concitoyens.
3) procéder à un double rééquilibrage de la réforme : rééquilibrage entre les différentes collectivités territoriales, rééquilibrage entre les collectivités et l'Etat :
- rééquilibrage entre les différentes collectivités locales :
La définition des compétences de chaque échelon devrait nous conduire à renforcer les transferts de compétences vers la commune et les différentes formes d'intercommunalité, qui sont un peu oubliées dans l'état actuel du texte. L'échelon local est le plus connu des Français, qui savent bien que c'est à ce niveau que se décident les conditions de leur vie de tous les jours. Je pense par exemple au rôle des maires dans la politique de la ville, dans le domaine de la prévention, dans le domaine de l'emploi, en partenariat avec les préfets. Il y a là quelques pistes à explorer.
- rééquilibrage entre les collectivités et l'Etat :
Je crois nécessaire de revenir à l'objectif prioritaire qu'avait exprimé Jean-Pierre Raffarin à l'été 2002 : utiliser la décentralisation comme un levier de la réforme de l'Etat, et pour cela renforcer la déconcentration, comme va vous le préciser dans quelques instants Dominique de Villepin et donner par là même davantage de lisibilité au rôle de l'État au plan local.
III. Notre ligne de conduite sur la question sensible du financement de la décentralisation
- Une approche réaliste du financement est nécessaire si l'on veut vraiment donner toutes ses chances à la décentralisation. Et ce pour une raison simple : nous avons un devoir de loyauté vis à vis des collectivités locales. Sinon, les élus ne nous feront pas confiance. Mon objectif est, dans ce domaine, d'apporter dans l'année 2004 des réponses précises sur le plan technique et lisibles sur la plan politique : c'est une des conditions pour obtenir le vote de ce texte au Parlementet pour réussir la décentralisation.
- Cela exige de respecter trois principes :
- la transparence
- l'autonomie
- la compensation à l'euro près.
1) Effort de transparence tout d'abord.
- Il s'agit d'établir un calcul honnête du montant des charges transférées. D'où la démarche de la CCEC. Le projet de loi liberté et responsabilités locales prévoit les modalités de calcul de ces montants et l'intervention d'une Commission Consultative d'Evaluation des Charges (CCEC) réformée, composée d'élus et de représentants de l'Etat, mais présidée désormais par un élu, garantissant une juste compensation financière des charges transférées.
- Mais soyons clairs jusqu'au bout. L'effort de transparence qui nous guide nous commande de rappeler aux élus que c'est dans les lois de finances futures qu'ils trouveront les montants précis correspondant aux transferts de ressources. Ce n'est pas nous qui avons décidé cela : c'est, vous le savez, ce que prévoit la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF), adoptée le 1er août 2001.
2) Le second principe est celui de l'autonomie.
- La loi organique qui sera discutée en mai constitue une avancée considérable car elle vient concrétiser la garantie désormais inscrite dans la Constitution d'autonomie financière des collectivités locales.
- Elle fixe les contours de l'autonomie financière des collectivités locales en garantissant notamment le fait que les ressources propres des collectivités devront désormais représenter une part déterminante dans leurs ressources totales. Elle garantit en particulier que le niveau d'autonomie atteint en 2003 constitue un seuil au-dessous duquel ne pourra être ramenée la part des ressources propres.
3) Le troisième principe c'est celui de la compensation à l'euro près.
- C'est là-dessus que le pacte de confiance que propose l'Etat aux collectivités locales est le plus sensible. C'est là-dessus que le Premier ministre entend aussi imprimer sa marque en parlant de garantie. L'annonce du transfert d'impôts d'Etat, comme la TIPP, constitue évidemment une avancée majeure.
- Elle permet de proposer en contrepartie aux régions, un moratoire fiscal d'au moins 3 ans.
- Elle exige de travailler parallèlement à deux autres questions sensibles pour ce qui concerne les finances locales :
- La réforme des dotations, d'une part. Le Comité des finances locales va discuter dès la semaine prochaine d'un pré-rapport sur la base duquel il remettra très rapidement ses propositions au Gouvernement sur la réforme des dotations.
- La réforme de la taxe professionnelle, d'autre part. Cette réforme visera à rendre cette taxe à la fois plus juste et plus efficace. Il s'agira de donner aux territoires les moyens de leur développement économique, au service de la création d'activités, et en fait de la préservation et de la création d'emplois. Nous avons la conviction que, dans le contexte actuel d'ouverture des économies, l'ensemble des acteurs économiques, à commencer par les collectivités locales, doivent se repositionner. La fiscalité locale est un outil majeur pour à la fois dynamiser l'activité et l'emploi dans les territoires, mais aussi pour éviter les délocalisations.
CONCLUSION :
- Notre calendrier est à la fois ambitieux et réaliste : tout doit être réglé dans l'année. Les délais initiaux doivent être tenus. Le tout, naturellement, dans un climat de concertation et de pragmatisme : le dialogue et l'écoute seront notamment au cur de cette période qui vient de s'ouvrir à l'issue du vote solennel du texte relatif aux libertés et responsabilités locales en première lecture, le 14 avril, et en attendant l'examen de ce texte en seconde lecture.

- L'objectif est que vous puissiez préparer les transferts dès l'automne, conformément à ce qui était annoncé par Nicolas Sarkozy et Patrick Devedjian. Il vous appartiendra également de rassurer les personnels, qui ont pu être inquiets, sur les garanties que leur apporte le texte. Le Premier Ministre a ainsi souhaité que le meilleur accueil puisse être réservé aux agents qui seront désormais gérés par les départements et par les régions.
- Je voudrais pour finir vous rappeler l'essentiel du message du Gouvernement : cette réforme est nécessaire au pays, et c'est pourquoi nous la mènerons avec efficacité et détermination.
- Elle ne sera réussie qu'à la condition d'être claire, soucieuse d'efficacité et correctement financée : c'est ce à quoi nous nous employons.
- Je compte sur votre engagement personnel dans la phase de mise en uvre de la réforme pour l'aider à vivre dans vos régions et départements, et pour créer les conditions d'un partenariat harmonieux et efficace des différentes administrations publiques pour un meilleur service rendu à nos concitoyens.

(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 27 avril 2004)