Interview de M. François Baroin, porte-parole de l'UMP, à France 2 le 5 novembre 2003, sur les enjeux du débat sur la laïcité et l'opportunité d'une législation interdisant le port du foulard islamique à l'école, la suppression d'un jour férié pour financer les prestations aux personnes âgées et la préparation des élections régionales au sein de la majorité.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard -. F. Baroin est avec nous, ce matin, pour vérifier deux informations dans la presse de ce matin. La première information, c'est que J. Chirac, aurait décidé de soumettre la question du voile islamique au Parlement, de faire un loi, et ce, dès janvier prochain. Vous confirmez ?
- "Aucune qualité pour confirmer naturellement cette information. Je sais simplement que le débat est en cours, qu'il y a deux missions actuellement qui travaillent, l'une, qui a été mise en place par le président de la République, qui s'appelle la Commission Stasi, devant laquelle, d'ailleurs, A. Juppé et moi-même nous nous sommes présentés la semaine dernière pour affirmer la position de l'UMP, c'est-à-dire, en effet, la demande d'une loi dans le cadre de l'école, pour protéger nos enfants de toutes pressions extérieures à dominante religieuse ou autre, et puis, il y a une mission parlementaire qui est présidée par J.-L. Debré, et dont le rapport doit être rendu à la fin novembre. Juste des éléments d'information : la mission parlementaire rendra ses travaux probablement début décembre, la mission Stasi d'ici à la fin de l'année. Et nous attendrons naturellement la position du président de la République en début d'année prochaine."
Et donc, tout serait prêt pour une loi qui serait discutée au Parlement en janvier, c'est ça que ça veut dire ?
- "Rappelons juste très rapidement les enjeux : le débat autour de la laïcité, c'est le débat autour de la liberté, la liberté pour les croyants et les non-croyants, de vivre leur culte ou leur doute, ou leur scepticisme comme ils l'entendent. Et dans la plus grande, je dirais liberté, sans pressions et sans ostentation. Alors, il y a le cas particulier de l'école, vous avez le domaine de la sphère publique, et puis il y a la sphère privée. C'est autour de tout cela que ce débat doit irriguer la société. C'est le sens de ces commissions et de ces missions. Et puis, il faudra ensuite arbitrer. Il y a en tout cas une évidence, c'est qu'en l'état actuel des textes, s'agissant de l'école, la Cour européenne, si elle était saisie, pourrait condamner la France à la réintégration de jeunes filles voilées, si nous prenons cet exemple. Ce qui signifierait naturellement, une forme d'humiliation pour les établissements scolaires. Un affaiblissement immense du principe de laïcité donc de la liberté dans notre pays. Et puis, c'est aussi une certaine conception de la communauté nationale qui serait également en cause."
Selon vous, il faut une loi ?
- "De toute façon, depuis six mois que j'ai remis un rapport au Premier ministre en la matière, avec toutes les positions qui d'ailleurs ont été prises, oui. Je suis arrivé à la conclusion que, si nous voulons protéger et préserver ce principe de laïcité, si nous voulons lutter contre le communautarisme, qui n'est pas une identité française et qui n'est pas le projet politique auquel pour ma part je crois, qui est plutôt le projet de l'intégration, alors oui, naturellement, il faut un texte, au moins dans l'école, et puis probablement un Code de la laïcité qui pourrait être une sorte de prêt-à-penser de ce qu'est le droit en matière d'application de la laïcité dans notre pays. Je rappelle que la France, à l'égale peut-être de la Turquie, de façon spectaculaire, qui est un pays à majorité musulmane, ou la Tchéquie, qui répond à d'autres normes, sont quelques rares exceptions à avoir un degré constitutionnel de laïcité, c'est-à-dire un degré très élevé de liberté dans une neutralité de l'Etat. C'est, je crois, cela qu'il faut retenir."
Cette loi dirait quoi ? Certains proposent par exemple, d'interdire le couvre-chef tout simplement à l'école. C'est une bonne idée ?
- "Oui, c'est une piste, oui. Le couvre-chef aurait le mérite déjà de supprimer toutes les casquettes, dans tous les sens, qui sont d'ailleurs des éléments de reconnaissance. Vous savez qu'il y a aussi un débat sur l'uniforme. Uniforme il existe, il s'appelle "Nike", il s'appelle "Adidas", il s'appelle "Puma" - pardon de faire de la publicité involontaire pour ces marques - mais en même temps, c'est un élément de référence. Selon qu'on a la casquette dans un sens, on a tels types de comportement. Ce sont des éléments de pression sur les parents, très forts. Ce sont des éléments également de marginalisation pour certains enfants dans certains cas, lorsqu'ils n'ont pas les moyens d'avoir ces vêtements. Donc, c'est une piste. Alors, ensuite, le périmètre et la voilure de ce texte, je crois que ça n'est pas tranché. Il y a le débat entre "ostentatoire ou visible", s'agissant des signes religieux. Est-ce qu'il faut mettre à l'intérieur également tout signe d'appartenance, sociale, politique ou autre ? C'est le cas pour les fonctionnaires, la neutralité est exigée. Est-ce que l'Education nationale est un service public comme les autres ? C'est la vraie question. Pour moi, la réponse est "oui". En conséquence, est-ce que les élèves sont des usagers d'un service public comme un autre ? La réponse est "non". C'est la raison pour laquelle on peut, en effet, définir un périmètre plus strict, pourquoi pas le couvre-chef"."
L'autre information du matin, c'est que J.-P. Raffarin devrait trancher dans le débat sur le jour férié à supprimer. C'est un débat qui avait créé un grand cafouillage gouvernemental. On semble s'orienter vers un jour flottant, c'est-à-dire qu'il n'y aurait pas un jour déterminé, ce sont les entreprises qui choisiraient elles-mêmes le jour. C'est la bonne solution ?
- "Il y a plusieurs pistes là-dessus. D'abord, je rappelle que ce n'est pas non plus "l'enfant trouvé" de la semaine dernière, ce débat sur le jour férié."
C'est le cafouillage qui est de la semaine dernière...
- "Dès la fin de la canicule, cette piste a été évoquée. Rappelons l'esprit : l'idée, c'est une journée de plus travaillée pour financer la solidarité vis-à-vis des personnes âgées. Cela prend ensuite plusieurs formes : il y a le développement des moyens pour les maisons de retraite, des moyens pour l'organisation de santé publique, les hôpitaux, et puis il y a la solidarité pour financer toute une série de prestations. Est-ce que c'est un jour férié ? La Pentecôte, c'est un jour au fond de repos d'une fête religieuse, donc cela pose moins de difficultés qu'un autre pont. Est-ce que c'est un jour de RTT, ce qui a été la proposition d'A. Juppé par exemple et de l'UMP ? C'est également une piste intéressante. Est-ce que c'est un jour à la carte ? Je crois que ce qui compte, c'est de retenir qu'il faudra de toute façon travailler une journée de plus, gratuitement, pour financer la solidarité vis-à-vis de nos aînés."
L'actualité du jour, c'est l'UDF et F. Bayrou qui va aujourd'hui présenter ses chefs de file pour les régionales. A l'UMP, vous souhaitiez l'union. Cela veut dire qu'aujourd'hui, F. Bayrou et l'UDF ne sont plus dans la majorité ?
- "Il y a deux éléments depuis quinze jours : l'abstention de F. Bayrou et de ses amis parlementaires sur le Budget, et puis la présentation des listes aux régionales. Il y a deux choses ; il y a l'inscription dans une logique d'un bloc majoritaire pour cette législature. Je rappelle que l'UDF dit deux choses à l'UMP : vous êtes hégémonique, et en même temps, nous souhaitons quelque chose à parité. L'hégémonie, en quelque sorte, et je récuse ce terme, elle ne vient pas de nous : ce sont les Français qui, en 2002, ont tranché et ont voulu cette grande formation de la droite et du centre, qui s'appelle aujourd'hui l'UMP et qui marche, qui fonctionne, qui irrigue et qui anime les les débats sur les retraites, sur l'Education nationale, sur la laïcité par exemple. Et, s'agissant des régionales, on a un mode de scrutin qui pousse à l'union et qui ne pousse pas à la division."
Je repose la question : est-ce que Bayrou va se mettre aujourd'hui en marge de la majorité ?
- "Je l'ai déjà dit également : il n'est pas contestable que, lorsqu'on appartient à la majorité et qu'on s'abstient sur l'acte essentiel d'un gouvernement qui est le Budget, c'est un demi rendez-vous avec l'opposition. Ce n'est pas à nous de clarifier notre position. Nous souhaitons que l'UDF reste dans la majorité, elle a beaucoup à apporter. F. Bayrou a sa trajectoire personnelle par ailleurs respectable, mais il n'est pas contestable, il n'est pas douteux que des listes séparées... Et je crois qu'il faut aussi gagner en lisibilité, sinon ni Descartes ne pourra retrouver ses petits ni notre électorat ne pourra retrouver également ses candidats lors de ces élections régionales. Et l'union à la carte, qui risque de se dessiner, sera difficilement visible. Alors on le constate, on le regrette, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'à l'UMP, nous sommes d'ores et déjà en campagne."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 novembre 2003)