Texte intégral
Comme je prends la parole pour la seconde fois depuis le début de ces États généraux, je vais me permettre de m'adresser à vous, sans protocole, en vous disant très simplement : Mesdames et Messieurs, chers collègues et amis.
Au terme de cette matinée de débats, je tiens, tout d'abord, à vous remercier tous très chaleureusement pour votre participation et plus encore pour la richesse et la franchise de nos échanges sur des sujets complexes et parfois délicats.
Je me réjouis d'avoir pu contribuer, avec le concours actif de tous vos sénateurs, à la naissance d'un tel dialogue qui constitue un pas important vers la recherche de solutions équilibrées et pérennes.
Sans revenir, rassurez-vous, sur l'ensemble des questions évoquées, je voudrais simplement vous livrer mes réflexions, d'une part sur les indispensables conditions de réussite de l'acte deux de la décentralisation et, d'autre part, sur la nécessaire " ambition territoriale " de notre République.
Sur la décentralisation d'abord, je voudrais, à la fois, balayer certains " faux-semblants " et vous délivrer un véritable message d'espoir.
En tant que Président du Sénat, je me réjouis de constater que notre engagement en faveur de la relance de la décentralisation a trouvé sa consécration, son couronnement, avec l'inscription, dans le marbre de notre Constitution, de principes forts et protecteurs des collectivités locales.
En ce sens, la révision constitutionnelle du 17 mars 2003 constitue une révolution historique, une véritable révolution culturelle, pour notre pays et une promesse pour l'avenir de la décentralisation.
Face aux jacobins nostalgiques d'un centralisme dépassé, la relance de la décentralisation constitue la nécessaire bouffée d'oxygène d'une République en voie d'asphyxie, car proximité rime avec efficacité.
Ces États généraux des élus locaux de Rhône-Alpes viennent d'ailleurs confirmer une conviction intime : la décentralisation constitue un véritable " projet de société " et non une réforme technocratique ! Car on ne le dit jamais assez, ce qui est en jeu, c'est le dynamisme de notre pays, c'est la vie quotidienne des français, c'est l'avenir de nos enfants.
Action sociale, développement économique, aménagement du territoire, transports, formation, environnement, culture... autant de politiques pour lesquelles les collectivités ont fait leurs preuves ces vingt dernières années.
Je ne citerai que l'entretien et la construction des écoles, des collèges et des lycées pour lesquels les collectivités locales ont fait plus, plus vite et surtout mieux que l'État.
C'est pourquoi, j'ai été particulièrement meurtri de la " diabolisation ", le temps d'un printemps, de la notion même de décentralisation.
- NON les élus locaux ne sont pas les potentats caricaturés, à dessein, par ceux qui ne veulent pas du changement !
- NON la décentralisation n'est pas la régression sociale évoquée par les " gardiens du temple " et encore moins l'antichambre de la privatisation des services publics !
Ensemble, nous devons nous mobiliser pour que les Français s'approprient enfin cette réforme bénéfique qui libère les énergies, catalyse les initiatives et améliore l'efficience de l'action publique grâce aux bienfaits de la gestion de proximité. La décentralisation c'est, au pire, un meilleur service pour le même coût et, au mieux, un meilleur service pour un moindre coût. La proximité, c'est du " gagnant-gagnant ".
Je compte donc sur vous, mesdames et messieurs les élus locaux, pour prendre vos " bâtons de pèlerins " et expliquer à nos concitoyens les bienfaits de cette nouvelle République des territoires.
Nous devons nous mobiliser pour réduire le décalage inquiétant qui se fait jour entre, d'une part, le regard globalement positif que portent les élus locaux sur la relance de la décentralisation et, d'autre part, l'attitude plus réservée ou plus frileuse de nos concitoyens.
A défaut, la réussite de l'acte deux de la décentralisation pourrait en pâtir !
De même, il m'est impossible de laisser accréditer l'idée selon laquelle les communes seraient les grandes oubliées de l'acte deux de la décentralisation. Il n'en est rien !
D'abord, parce que les communes recevront, elles aussi, de nouvelles compétences comme la lutte contre l'insalubrité, la sectorisation des écoles, le logement des étudiants, les ports de plaisance, les aérodromes.
Ensuite, parce que la reconnaissance constitutionnelle du principe de subsidiarité et la relance de la décentralisation confortent le rôle premier de la commune comme acteur du développement économique, social et culturel de son territoire.
Enfin, parce que l'avènement de la République des territoires renforce, si besoin en était, la légitimité de la commune comme cellule de base de la démocratie, comme lieu d'expérimentation de nouvelles formes de démocratie directe et comme espace de citoyenneté au quotidien.
Dissiper ce malentendu était d'autant plus nécessaire que la notion de " chef de file ", comme modalité d'action commune, vous laisse quelque peu circonspects.
Une fois encore, je voudrais vous " rassurer " car le Sénat, fort de sa légitimité territoriale, a obtenu l'inscription dans la Constitution de l'interdiction de la tutelle d'une collectivité locale sur une autre.
Plus globalement, et sans tomber dans une naïveté béate, je voudrais vous délivrer un message d'espoir.
D'abord, si j'entends, ici ou là, quelques craintes, je crois qu'il ne faut pas se tromper de débat !
L'inscription dans notre Constitution de principes fondamentaux et fondateurs comme l'autonomie fiscale, le remplacement d'une ressource fiscale par une autre ressource fiscale ou la compensation à due concurrence des transferts de compétences, doit nous permettre d'envisager l'avenir avec davantage de sérénité.
Des lignes jaunes ont été tracées et leur franchissement pourra être sanctionné par le législateur.
C'est d'ailleurs tout le sens d'une récente décision du Conseil constitutionnel qui vient de préciser que la compensation financière d'une compétence transférée " ne devait pas se dégrader dans le temps ".
Il s'agit là d'une nouvelle garantie fondamentale qui doit vous rassurer.
Ensuite, je vous ferai un confidence : j'ai gagné un pari !, celui que j'avais fait en 1999 de la mort annoncée de la taxe professionnelle lorsque le gouvernement de l'époque avait supprimé la fraction salaires de l'assiette de cet impôt.
- Pour les entreprises, la suppression de la taxe professionnelle équivaudrait à la disparition d'une contrainte et d'un frein à l'investissement. J'espère que cette mesure produira les effets attendus en matière de relance économique et de soutien à l'emploi.
- Pour les collectivités locales, c'est la disparition d'une ressource importante (20 milliards d'euros) qui représente presque la moitié de leurs ressources fiscales.
La perspective évoquée de la suppression de la taxe professionnelle suscite une légitime inquiétude de la part des élus locaux, car elle soulève deux questions laissées sans réponse, pour l'instant.
- D'une part, l'exonération de taxe professionnelle pour les nouveaux investissements, pendant 18 mois, sera-t-elle compensée ? Il s'agit tout de même d'un manque à gagner pour les collectivités locales de l'ordre d'un milliard et demi d'euros.
Cette question a reçu une réponse positive hier au Sénat lors de la séance des questions au gouvernement.
Monsieur le Premier ministre nous a, en effet, affirmé que l'exonération de taxe professionnelle pour de nouveaux investissements productifs serait assimilée à un dégrèvement et donc intégralement compensée sur la base des taux de 2003.
- D'autre part, la chronique de la mort annoncée de la taxe professionnelle pose la question de son remplacement. En l'occurrence, deux solutions pourraient être envisagées : une dotation ou un nouvel impôt.
L'hypothèse d'une dotation de compensation serait, à l'évidence, anticonstitutionnelle, car le Sénat a obtenu l'inscription dans notre loi fondamentale du principe du remplacement d'un impôt par un autre impôt dont les collectivités locales votent le taux.
En outre, une telle solution, que je n'ose envisager, serait dangereuse, car elle viderait de sa substance le principe de l'autonomie fiscale. Par ailleurs, elle transformerait les élus locaux en gestionnaires passifs, déresponsabilisés et démotivés de dotations à la merci de Bercy.
Enfin, le remplacement de la taxe professionnelle par une dotation supprimerait l'aiguillon de l'intercommunalité que constitue la mise en commun du produit d'un impôt local.
C'est pourquoi nous voulons, au Sénat, que la taxe professionnelle soit remplacée par un autre impôt, de préférence moderne, localisable et équitable.
Alors, me direz-vous, " quel impôt ? ". Il ne s'agit pas de restaurer la patente ou l'octroi, mais tout simplement de réfléchir, sereinement et sans tabous, à un impôt sur l'activité économique, à un impôt qui permette de satisfaire un triple objectif : le maintien du lien entre les collectivités territoriales et leur environnement économique, la préservation de l'incitation à l'intercommunalité et le renforcement de la péréquation entre collectivités locales, principe désormais constitutionnel. J'ai bon espoir d'y parvenir car Monsieur le Premier ministre a souscrit, hier après-midi, à cette nécessité et à ces objectifs.
En ce sens, je me félicite que le Sénat prenne toute sa part à cette réflexion, avec la création, par sa Commission des finances, d'une mission d'information destinée à explorer toutes les alternatives à la taxe professionnelle dans le respect du principe constitutionnel de l'autonomie fiscale.
Cette réflexion devrait, me semble-t-il, être étendue à l'ensemble de la fiscalité locale dont l'architecture actuelle n'est pas à la hauteur des enjeux de la décentralisation. Le constat est unanime pour reconnaître qu'elle est injuste, archaïque et obsolète.
Il nous appartient donc de mener une réflexion imaginative, afin de doter les collectivités locales d'impôts dynamiques, équitables et modernes.
Cette exigence conditionne, à l'évidence, le succès de l'acte deux de la décentralisation.
Vous l'avez compris, après avoir obtenu des " rassurances " nécessaires sur les modalités de compensation des transferts de compétences qui entreront en vigueur au 1er janvier 2005, il est temps d'ouvrir le chantier d'une réforme d'envergure de la fiscalité locale, sans pour autant proclamer le " grand soir " de la fiscalité locale.
Cette tâche s'annonce aussi exaltante que nécessaire car la réussite de la décentralisation est subordonnée à l'établissement de relations financières saines, sûres et sereines entre l'Etat et les collectivités locales.
Permettez-moi, chers amis, d'évoquer maintenant le thème de notre seconde table-ronde, c'est-à-dire " l'ambition territoriale de notre République ". Relance de la décentralisation et aménagement du territoire vont de pair. Aujourd'hui, les élus locaux sont, en effet, devenus les premiers aménageurs des territoires.
A mon sens, il est temps, en effet, de retrouver l'esprit volontariste, le souffle et la créativité de la politique d'aménagement du territoire des années soixante, tout en l'adaptant à "l'organisation décentralisée de la République".
Seule une stratégie de reconquête, fondée sur une volonté politique forte et accompagnée de véritables moyens financiers, peut dissiper les risques de " fracture territoriale " et corriger les inégalités spatiales.
Il y a urgence à agir si l'on veut maintenir l'attractivité économique et conforter la cohésion de nos territoires.
Cette " nouvelle frontière " constitue une " ardente obligation " car l'élargissement de l'Union européenne devrait se traduire, d'ici à 2007, par la raréfaction de la " manne " des fonds structurels européens.
Alors, cessons d'être frileux et tournons nous vers l'avenir !
A mon sens, cette ambition territoriale passe par la résolution déterminée de trois exigences :
- Première exigence, nous devons parvenir à concilier autonomie locale et péréquation, principes d'égale valeur constitutionnelle. En effet, les disparités de richesse entre territoires n'ont jamais été aussi criantes et la concurrence aussi vive.
Il est donc temps de remettre à plat les nombreux mécanismes de péréquation, dont la complexité est inversement proportionnelle à l'efficacité. A cet égard, je me réjouis de la refonte en cours de la dotation globale de fonctionnement avec la création d'une DGF régionale. Mais il faut aller plus loin !
C'est ainsi que la concurrence entre péréquation et intercommunalité doit cesser ! Vous le savez bien, l'intercommunalité constitue en soi une forme de péréquation par la " mutualisation " des charges et des ressources.
L'enveloppe de l'intercommunalité doit donc être clairement " sanctuarisée ".
Au-delà, pourquoi ne pas définir un mécanisme de " convergence " de la richesse fiscale ? Ce " lissage ", par collectivité et pour chaque taxe, passerait par la " réattribution " de bases "fictives" aux collectivités les moins " favorisées ".
Il s'agit là d'une condition essentielle si l'on veut offrir aux élus les moyens d'exercer leurs nouvelles responsabilités.
- Deuxième exigence, l'État doit opérer sa mue et se recentrer sur ses missions régaliennes et son nécessaire rôle de garant de l'égalité des chances entre les citoyens et entre les territoires.
Les derniers contrats de plan ont démontré une certaine " impuissance " des représentants de l'État. Encore trop souvent, les arbitrages sont rendus dans le secret des administrations centrales, sans vision globale et parfois bien loin des réalités locales.
Dès lors, peut-on vraiment parler de contractualisation lorsque les préfets sont contraints de gérer des enveloppes préétablies ? En ce sens, les élus locaux de Rhône-Alpes sont majoritairement favorables au renforcement de la présence régionale de la DATAR.
C'est tout de même paradoxal. Moins l'État a de moyens financiers, plus il réglemente, plus il encadre l'action des collectivités locales, plus il tend la main en continuant à vouloir tout régenter et plus il considère les collectivités locales comme des " sous-traitants ".
C'est donc d'une véritable réforme de l'organisation territoriale de l'État fondée sur la subsidiarité, la déconcentration et l'interministérialité dont nous avons besoin aujourd'hui.
L'évaluation des contrats de plan à mi-parcours doit être l'occasion de définir de nouvelles règles du jeu. Dans le cadre du droit à l'expérimentation, nos responsabilités d'élus locaux doivent aussi être mieux reconnues. C'est ainsi, cher Hervé GAYMARD, que dans la perspective de votre projet de loi, je suis en train de réfléchir à une réorganisation des instances de gestion du massif des Vosges.
Je crois aussi que vous ne seriez pas non plus hostiles à expérimenter la gestion des fonds structurels afin de limiter les lourdeurs administratives et les délais d'instruction des projets.
Vous l'avez compris, la réforme de l'État est devenue une " ardente obligation ", une impérieuse nécessité.
- Troisième exigence qui découle de la précédente et constitue une priorité : nous devons nous mobiliser pour parvenir à une juste répartition des services publics sur les territoires.
Quand une école ferme, quand un bureau de poste baisse son rideau, c'est tout simplement la vie qui disparaît.
Encore une fois, nous devons unir nos forces pour mettre un terme à cette "spirale infernale".
Il s'agit d'abord d'élaborer une méthode de concertation en amont, afin d'éviter de découvrir, dans la presse, la fermeture de tel ou tel service public.
Il s'agit, ensuite, de trouver le bon équilibre entre la nécessaire mutation des services publics, pour qu'ils deviennent encore plus performants, et le respect d'un maillage pertinent du territoire, auquel nos concitoyens sont attachés.
La résolution de cette équation, délicate dans le contexte budgétaire actuel, doit passer par l'amélioration de la qualité du service rendu, le développement des maisons des services publics et la diffusion des nouvelles technologies de l'information.
Cet effort de coordination est essentiel si l'on veut parvenir à une répartition équitable de ces services sur le territoire, à un moment où le maintien de certains d'entre eux est rendu plus difficile par l'ouverture à la concurrence européenne. Il l'est encore plus si l'on veut conforter l'attractivité des territoires, enrayer la dévitalisation du monde rural et reconnaître enfin les spécificités de la montagne.
En conclusion, je voudrais vous redire ma conviction qu'il nous revient de bâtir les fondements de cette France décentralisée et de construire la République des territoires.
Il en va de l'avenir de notre pays ! Alors à nous de démontrer l'efficience de la décentralisation comme moteur d'un " vouloir-vivre ensemble " renouvelé.
Il s'agit d'un défi majeur qu'ensemble, j'en suis persuadé, nous saurons relever pour faire vivre le seul projet de société, à même de réconcilier les citoyens, les élus et l'État.
Mais, la réussite de l'acte deux de la décentralisation passe par le respect de certaines conditions en termes de moyens. Elle passe aussi et surtout par la reconnaissance de notre action irremplaçable en faveur du lien social et de l'aménagement équilibré des territoires.
Comme les précédents, ces États généraux des élus locaux de Rhône-Alpes, incarnation de la méthode sénatoriale, ne resteront pas lettre morte. Ils permettront d'alimenter notre réflexion et d'enrichir les débats qui ne manqueront pas de se poursuivre dans les mois à venir.
Mesdames et Messieurs les élus, je compte sur vous pour gagner ensemble ce pari ! Vous pouvez compter sur le Sénat, veilleur vigilant de la décentralisation et maison des collectivités locales.
Alors, ensemble, tournons nous résolument vers l'avenir pour démontrer encore une fois toute la vivacité, toute l'énergie et toute la puissance de l'armée des élus locaux entièrement dévouée au service de la République des territoires, c'est-à-dire d'une France moderne, d'une France dynamique, d'une France solidaire.
(source http://www.senat.fr, le 21 janvier 2004)
Au terme de cette matinée de débats, je tiens, tout d'abord, à vous remercier tous très chaleureusement pour votre participation et plus encore pour la richesse et la franchise de nos échanges sur des sujets complexes et parfois délicats.
Je me réjouis d'avoir pu contribuer, avec le concours actif de tous vos sénateurs, à la naissance d'un tel dialogue qui constitue un pas important vers la recherche de solutions équilibrées et pérennes.
Sans revenir, rassurez-vous, sur l'ensemble des questions évoquées, je voudrais simplement vous livrer mes réflexions, d'une part sur les indispensables conditions de réussite de l'acte deux de la décentralisation et, d'autre part, sur la nécessaire " ambition territoriale " de notre République.
Sur la décentralisation d'abord, je voudrais, à la fois, balayer certains " faux-semblants " et vous délivrer un véritable message d'espoir.
En tant que Président du Sénat, je me réjouis de constater que notre engagement en faveur de la relance de la décentralisation a trouvé sa consécration, son couronnement, avec l'inscription, dans le marbre de notre Constitution, de principes forts et protecteurs des collectivités locales.
En ce sens, la révision constitutionnelle du 17 mars 2003 constitue une révolution historique, une véritable révolution culturelle, pour notre pays et une promesse pour l'avenir de la décentralisation.
Face aux jacobins nostalgiques d'un centralisme dépassé, la relance de la décentralisation constitue la nécessaire bouffée d'oxygène d'une République en voie d'asphyxie, car proximité rime avec efficacité.
Ces États généraux des élus locaux de Rhône-Alpes viennent d'ailleurs confirmer une conviction intime : la décentralisation constitue un véritable " projet de société " et non une réforme technocratique ! Car on ne le dit jamais assez, ce qui est en jeu, c'est le dynamisme de notre pays, c'est la vie quotidienne des français, c'est l'avenir de nos enfants.
Action sociale, développement économique, aménagement du territoire, transports, formation, environnement, culture... autant de politiques pour lesquelles les collectivités ont fait leurs preuves ces vingt dernières années.
Je ne citerai que l'entretien et la construction des écoles, des collèges et des lycées pour lesquels les collectivités locales ont fait plus, plus vite et surtout mieux que l'État.
C'est pourquoi, j'ai été particulièrement meurtri de la " diabolisation ", le temps d'un printemps, de la notion même de décentralisation.
- NON les élus locaux ne sont pas les potentats caricaturés, à dessein, par ceux qui ne veulent pas du changement !
- NON la décentralisation n'est pas la régression sociale évoquée par les " gardiens du temple " et encore moins l'antichambre de la privatisation des services publics !
Ensemble, nous devons nous mobiliser pour que les Français s'approprient enfin cette réforme bénéfique qui libère les énergies, catalyse les initiatives et améliore l'efficience de l'action publique grâce aux bienfaits de la gestion de proximité. La décentralisation c'est, au pire, un meilleur service pour le même coût et, au mieux, un meilleur service pour un moindre coût. La proximité, c'est du " gagnant-gagnant ".
Je compte donc sur vous, mesdames et messieurs les élus locaux, pour prendre vos " bâtons de pèlerins " et expliquer à nos concitoyens les bienfaits de cette nouvelle République des territoires.
Nous devons nous mobiliser pour réduire le décalage inquiétant qui se fait jour entre, d'une part, le regard globalement positif que portent les élus locaux sur la relance de la décentralisation et, d'autre part, l'attitude plus réservée ou plus frileuse de nos concitoyens.
A défaut, la réussite de l'acte deux de la décentralisation pourrait en pâtir !
De même, il m'est impossible de laisser accréditer l'idée selon laquelle les communes seraient les grandes oubliées de l'acte deux de la décentralisation. Il n'en est rien !
D'abord, parce que les communes recevront, elles aussi, de nouvelles compétences comme la lutte contre l'insalubrité, la sectorisation des écoles, le logement des étudiants, les ports de plaisance, les aérodromes.
Ensuite, parce que la reconnaissance constitutionnelle du principe de subsidiarité et la relance de la décentralisation confortent le rôle premier de la commune comme acteur du développement économique, social et culturel de son territoire.
Enfin, parce que l'avènement de la République des territoires renforce, si besoin en était, la légitimité de la commune comme cellule de base de la démocratie, comme lieu d'expérimentation de nouvelles formes de démocratie directe et comme espace de citoyenneté au quotidien.
Dissiper ce malentendu était d'autant plus nécessaire que la notion de " chef de file ", comme modalité d'action commune, vous laisse quelque peu circonspects.
Une fois encore, je voudrais vous " rassurer " car le Sénat, fort de sa légitimité territoriale, a obtenu l'inscription dans la Constitution de l'interdiction de la tutelle d'une collectivité locale sur une autre.
Plus globalement, et sans tomber dans une naïveté béate, je voudrais vous délivrer un message d'espoir.
D'abord, si j'entends, ici ou là, quelques craintes, je crois qu'il ne faut pas se tromper de débat !
L'inscription dans notre Constitution de principes fondamentaux et fondateurs comme l'autonomie fiscale, le remplacement d'une ressource fiscale par une autre ressource fiscale ou la compensation à due concurrence des transferts de compétences, doit nous permettre d'envisager l'avenir avec davantage de sérénité.
Des lignes jaunes ont été tracées et leur franchissement pourra être sanctionné par le législateur.
C'est d'ailleurs tout le sens d'une récente décision du Conseil constitutionnel qui vient de préciser que la compensation financière d'une compétence transférée " ne devait pas se dégrader dans le temps ".
Il s'agit là d'une nouvelle garantie fondamentale qui doit vous rassurer.
Ensuite, je vous ferai un confidence : j'ai gagné un pari !, celui que j'avais fait en 1999 de la mort annoncée de la taxe professionnelle lorsque le gouvernement de l'époque avait supprimé la fraction salaires de l'assiette de cet impôt.
- Pour les entreprises, la suppression de la taxe professionnelle équivaudrait à la disparition d'une contrainte et d'un frein à l'investissement. J'espère que cette mesure produira les effets attendus en matière de relance économique et de soutien à l'emploi.
- Pour les collectivités locales, c'est la disparition d'une ressource importante (20 milliards d'euros) qui représente presque la moitié de leurs ressources fiscales.
La perspective évoquée de la suppression de la taxe professionnelle suscite une légitime inquiétude de la part des élus locaux, car elle soulève deux questions laissées sans réponse, pour l'instant.
- D'une part, l'exonération de taxe professionnelle pour les nouveaux investissements, pendant 18 mois, sera-t-elle compensée ? Il s'agit tout de même d'un manque à gagner pour les collectivités locales de l'ordre d'un milliard et demi d'euros.
Cette question a reçu une réponse positive hier au Sénat lors de la séance des questions au gouvernement.
Monsieur le Premier ministre nous a, en effet, affirmé que l'exonération de taxe professionnelle pour de nouveaux investissements productifs serait assimilée à un dégrèvement et donc intégralement compensée sur la base des taux de 2003.
- D'autre part, la chronique de la mort annoncée de la taxe professionnelle pose la question de son remplacement. En l'occurrence, deux solutions pourraient être envisagées : une dotation ou un nouvel impôt.
L'hypothèse d'une dotation de compensation serait, à l'évidence, anticonstitutionnelle, car le Sénat a obtenu l'inscription dans notre loi fondamentale du principe du remplacement d'un impôt par un autre impôt dont les collectivités locales votent le taux.
En outre, une telle solution, que je n'ose envisager, serait dangereuse, car elle viderait de sa substance le principe de l'autonomie fiscale. Par ailleurs, elle transformerait les élus locaux en gestionnaires passifs, déresponsabilisés et démotivés de dotations à la merci de Bercy.
Enfin, le remplacement de la taxe professionnelle par une dotation supprimerait l'aiguillon de l'intercommunalité que constitue la mise en commun du produit d'un impôt local.
C'est pourquoi nous voulons, au Sénat, que la taxe professionnelle soit remplacée par un autre impôt, de préférence moderne, localisable et équitable.
Alors, me direz-vous, " quel impôt ? ". Il ne s'agit pas de restaurer la patente ou l'octroi, mais tout simplement de réfléchir, sereinement et sans tabous, à un impôt sur l'activité économique, à un impôt qui permette de satisfaire un triple objectif : le maintien du lien entre les collectivités territoriales et leur environnement économique, la préservation de l'incitation à l'intercommunalité et le renforcement de la péréquation entre collectivités locales, principe désormais constitutionnel. J'ai bon espoir d'y parvenir car Monsieur le Premier ministre a souscrit, hier après-midi, à cette nécessité et à ces objectifs.
En ce sens, je me félicite que le Sénat prenne toute sa part à cette réflexion, avec la création, par sa Commission des finances, d'une mission d'information destinée à explorer toutes les alternatives à la taxe professionnelle dans le respect du principe constitutionnel de l'autonomie fiscale.
Cette réflexion devrait, me semble-t-il, être étendue à l'ensemble de la fiscalité locale dont l'architecture actuelle n'est pas à la hauteur des enjeux de la décentralisation. Le constat est unanime pour reconnaître qu'elle est injuste, archaïque et obsolète.
Il nous appartient donc de mener une réflexion imaginative, afin de doter les collectivités locales d'impôts dynamiques, équitables et modernes.
Cette exigence conditionne, à l'évidence, le succès de l'acte deux de la décentralisation.
Vous l'avez compris, après avoir obtenu des " rassurances " nécessaires sur les modalités de compensation des transferts de compétences qui entreront en vigueur au 1er janvier 2005, il est temps d'ouvrir le chantier d'une réforme d'envergure de la fiscalité locale, sans pour autant proclamer le " grand soir " de la fiscalité locale.
Cette tâche s'annonce aussi exaltante que nécessaire car la réussite de la décentralisation est subordonnée à l'établissement de relations financières saines, sûres et sereines entre l'Etat et les collectivités locales.
Permettez-moi, chers amis, d'évoquer maintenant le thème de notre seconde table-ronde, c'est-à-dire " l'ambition territoriale de notre République ". Relance de la décentralisation et aménagement du territoire vont de pair. Aujourd'hui, les élus locaux sont, en effet, devenus les premiers aménageurs des territoires.
A mon sens, il est temps, en effet, de retrouver l'esprit volontariste, le souffle et la créativité de la politique d'aménagement du territoire des années soixante, tout en l'adaptant à "l'organisation décentralisée de la République".
Seule une stratégie de reconquête, fondée sur une volonté politique forte et accompagnée de véritables moyens financiers, peut dissiper les risques de " fracture territoriale " et corriger les inégalités spatiales.
Il y a urgence à agir si l'on veut maintenir l'attractivité économique et conforter la cohésion de nos territoires.
Cette " nouvelle frontière " constitue une " ardente obligation " car l'élargissement de l'Union européenne devrait se traduire, d'ici à 2007, par la raréfaction de la " manne " des fonds structurels européens.
Alors, cessons d'être frileux et tournons nous vers l'avenir !
A mon sens, cette ambition territoriale passe par la résolution déterminée de trois exigences :
- Première exigence, nous devons parvenir à concilier autonomie locale et péréquation, principes d'égale valeur constitutionnelle. En effet, les disparités de richesse entre territoires n'ont jamais été aussi criantes et la concurrence aussi vive.
Il est donc temps de remettre à plat les nombreux mécanismes de péréquation, dont la complexité est inversement proportionnelle à l'efficacité. A cet égard, je me réjouis de la refonte en cours de la dotation globale de fonctionnement avec la création d'une DGF régionale. Mais il faut aller plus loin !
C'est ainsi que la concurrence entre péréquation et intercommunalité doit cesser ! Vous le savez bien, l'intercommunalité constitue en soi une forme de péréquation par la " mutualisation " des charges et des ressources.
L'enveloppe de l'intercommunalité doit donc être clairement " sanctuarisée ".
Au-delà, pourquoi ne pas définir un mécanisme de " convergence " de la richesse fiscale ? Ce " lissage ", par collectivité et pour chaque taxe, passerait par la " réattribution " de bases "fictives" aux collectivités les moins " favorisées ".
Il s'agit là d'une condition essentielle si l'on veut offrir aux élus les moyens d'exercer leurs nouvelles responsabilités.
- Deuxième exigence, l'État doit opérer sa mue et se recentrer sur ses missions régaliennes et son nécessaire rôle de garant de l'égalité des chances entre les citoyens et entre les territoires.
Les derniers contrats de plan ont démontré une certaine " impuissance " des représentants de l'État. Encore trop souvent, les arbitrages sont rendus dans le secret des administrations centrales, sans vision globale et parfois bien loin des réalités locales.
Dès lors, peut-on vraiment parler de contractualisation lorsque les préfets sont contraints de gérer des enveloppes préétablies ? En ce sens, les élus locaux de Rhône-Alpes sont majoritairement favorables au renforcement de la présence régionale de la DATAR.
C'est tout de même paradoxal. Moins l'État a de moyens financiers, plus il réglemente, plus il encadre l'action des collectivités locales, plus il tend la main en continuant à vouloir tout régenter et plus il considère les collectivités locales comme des " sous-traitants ".
C'est donc d'une véritable réforme de l'organisation territoriale de l'État fondée sur la subsidiarité, la déconcentration et l'interministérialité dont nous avons besoin aujourd'hui.
L'évaluation des contrats de plan à mi-parcours doit être l'occasion de définir de nouvelles règles du jeu. Dans le cadre du droit à l'expérimentation, nos responsabilités d'élus locaux doivent aussi être mieux reconnues. C'est ainsi, cher Hervé GAYMARD, que dans la perspective de votre projet de loi, je suis en train de réfléchir à une réorganisation des instances de gestion du massif des Vosges.
Je crois aussi que vous ne seriez pas non plus hostiles à expérimenter la gestion des fonds structurels afin de limiter les lourdeurs administratives et les délais d'instruction des projets.
Vous l'avez compris, la réforme de l'État est devenue une " ardente obligation ", une impérieuse nécessité.
- Troisième exigence qui découle de la précédente et constitue une priorité : nous devons nous mobiliser pour parvenir à une juste répartition des services publics sur les territoires.
Quand une école ferme, quand un bureau de poste baisse son rideau, c'est tout simplement la vie qui disparaît.
Encore une fois, nous devons unir nos forces pour mettre un terme à cette "spirale infernale".
Il s'agit d'abord d'élaborer une méthode de concertation en amont, afin d'éviter de découvrir, dans la presse, la fermeture de tel ou tel service public.
Il s'agit, ensuite, de trouver le bon équilibre entre la nécessaire mutation des services publics, pour qu'ils deviennent encore plus performants, et le respect d'un maillage pertinent du territoire, auquel nos concitoyens sont attachés.
La résolution de cette équation, délicate dans le contexte budgétaire actuel, doit passer par l'amélioration de la qualité du service rendu, le développement des maisons des services publics et la diffusion des nouvelles technologies de l'information.
Cet effort de coordination est essentiel si l'on veut parvenir à une répartition équitable de ces services sur le territoire, à un moment où le maintien de certains d'entre eux est rendu plus difficile par l'ouverture à la concurrence européenne. Il l'est encore plus si l'on veut conforter l'attractivité des territoires, enrayer la dévitalisation du monde rural et reconnaître enfin les spécificités de la montagne.
En conclusion, je voudrais vous redire ma conviction qu'il nous revient de bâtir les fondements de cette France décentralisée et de construire la République des territoires.
Il en va de l'avenir de notre pays ! Alors à nous de démontrer l'efficience de la décentralisation comme moteur d'un " vouloir-vivre ensemble " renouvelé.
Il s'agit d'un défi majeur qu'ensemble, j'en suis persuadé, nous saurons relever pour faire vivre le seul projet de société, à même de réconcilier les citoyens, les élus et l'État.
Mais, la réussite de l'acte deux de la décentralisation passe par le respect de certaines conditions en termes de moyens. Elle passe aussi et surtout par la reconnaissance de notre action irremplaçable en faveur du lien social et de l'aménagement équilibré des territoires.
Comme les précédents, ces États généraux des élus locaux de Rhône-Alpes, incarnation de la méthode sénatoriale, ne resteront pas lettre morte. Ils permettront d'alimenter notre réflexion et d'enrichir les débats qui ne manqueront pas de se poursuivre dans les mois à venir.
Mesdames et Messieurs les élus, je compte sur vous pour gagner ensemble ce pari ! Vous pouvez compter sur le Sénat, veilleur vigilant de la décentralisation et maison des collectivités locales.
Alors, ensemble, tournons nous résolument vers l'avenir pour démontrer encore une fois toute la vivacité, toute l'énergie et toute la puissance de l'armée des élus locaux entièrement dévouée au service de la République des territoires, c'est-à-dire d'une France moderne, d'une France dynamique, d'une France solidaire.
(source http://www.senat.fr, le 21 janvier 2004)