Déclaration de M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur et porte-parole du gouvernement, pour la présentation de la loi organique sur l'autonomie financière des collectivités territoriales, au Sénat le 1er juin 2004.

Prononcé le 1er juin 2004

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Je souhaite tout d'abord remercier les orateurs que nous venons d'entendre, ainsi que les rapporteurs Daniel HOEFFEL pour la commission des lois, et Michel MERCIER pour la commission des finances.
Je suis particulièrement heureux de vous présenter, avec Dominique DE VILLEPIN, cette loi organique.
En effet, à travers ce texte, notre Gouvernement montre une volonté politique forte. Il a pour ambition de rompre avec des pratiques passées peu transparentes, peu loyales, qui ont mis à mal l'autonomie des collectivités territoriales et qui ont surtout créé une relation de défiance entre les collectivités et l'Etat. C'est d'ailleurs l'une des principales difficultés de ce débat : " A quoi bon ", ont dit un certain nombre d'orateurs cet après midi au Gouvernement, " on ne vous croit plus. Parce que le passé plaide contre vous ! ".
Or, le seul et ambitieux objectif que l'édifice constitutionnel mis en place depuis 2003 par le Gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN est bien d'en finir avec les ambiguïtés du passé pour garantir pour l'avenir un cadre loyal pour les relations financières de l'Etat et des collectivités locales.
C'est dans cet esprit que s'inscrit la loi organique sur l'autonomie financière des collectivités locales.
Elle doit nous permettre ensemble de continuer, dans un climat de confiance retrouvé, le vaste mouvement de décentralisation que nous avons engagé, pour moderniser nos institutions et répondre à un impératif d'efficacité publique.
Je me réjouis donc de la qualité du débat que vous avez engagé aujourd'hui à ce sujet :
- il illustre, une nouvelle fois, le rôle spécifique que joue le Sénat dans nos institutions pour la défense et la préservation des intérêts des collectivités locales ;
- et il m'invite à vous apporter, en toute transparence, des réponses précises et claires aux questions que vous avez souhaité soulever.
Je retiens en effet de vos interventions un sujet principal de préoccupation : Est-ce qu'un partage d'impôt national sans vote de taux ni possibilité de modulation de l'assiette par les collectivités locales est une ressource propre au sens de l'article 72-2 de la constitution ?
Sur cette question capitale qui a déjà été soulevée lors du débat à l'Assemblée nationale et qui a, je le sais, suscité des interrogations voire l'inquiétude de certains d'entre vous, je veux vous apporter les garanties suivantes :
- De quoi parle-t-on ?
Nous parlons d'une loi organique
- qui vise à mettre en uvre une avancée historique dans l'histoire des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales,
- qui vise à définir le contenu d'une notion désormais constitutionnelle qu'est l'autonomie financière,
- qui a pour objectif de mettre en place un verrou pour qu'à l'avenir plus personne ne puisse supprimer des pans entiers de fiscalité locale d'un simple trait de plume.
Ainsi la feuille de route dévolue à cette loi organique ne s'étend pas sur un champ illimité. C'est une feuille de route précisément circonscrite à l'application de l'alinéa 3 de l'article de l'art 72.2 de la constitution. Rien de plus. Rien de moins. Mais ce qui sera décidé, sera déterminant pour l'application de la décentralisation dans l'avenir.
Je veux le dire ici clairement : aucun gouvernement ne s'est engagé avec autant de détermination dans une démarche de transparence et de loyauté aussi totale à l'égard des collectivités territoriales françaises.
- Je veux également dire ici, sans ambiguïté, que la définition des ressources propres proposée dans le projet du Gouvernement inclut des impositions de toute nature donc, inclut des impositions dont les collectivités ne fixent pas nécessairement le taux ou l'assiette. En cela, elle est conforme à l'esprit de la Constitution :
- contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit, la constitution ne restreint pas la notion de " produit d'impositions de toutes natures " aux seules ressources dont le taux ou l'assiette sont fixés par la collectivité ; c'est sans doute l'une de ses différences avec la proposition de loi constitutionnelle présentée par le président PONCELET en 2000.
- en effet, le 2ème alinéa de l'article 72-2 de la constitution est sans équivoque sur ce point,
- il indique que les collectivités "peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi PEUT les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine" ;
- Voilà. Tout est dit. Et tout est là : il n'y a donc pas d'obligation constitutionnelle à ce que les collectivités locales fixent le taux de leurs recettes fiscales pour que ces dernières soient des ressources propres.
- Cette lecture a d'ailleurs été confirmée par le Conseil d'Etat, lorsqu'il a examiné le projet de loi organique ;
- il n'aurait pas manqué d'alerter le Gouvernement s'il avait eu une lecture différente de la constitution.
De plus, vous savez bien qu'un partage d'impôt national, même sans vote de taux, constitue de vraies ressources, évolutives et dynamiques qui se distinguent par leur nature des dotations :
- Cette différence a d'ailleurs été soulignée par le président HOEFFEL qui indique dans son rapport : " il est vrai que de telles recettes ne sauraient être assimilées à des dotations de l'Etat () alors que la modification des modalités de calcul peut permettre à l'Etat d'alléger sa charge financière en diminuant le montant des sommes versées aux collectivités territoriales, toute modification de l'assiette ou du taux d'un impôt partagé en traînerait une diminution de ses propres recettes".
- C'est en effet une garantie supplémentaire qui a été soulignée par votre rapporteur : l'Etat n'a aucun intérêt à modifier à la baisse le taux des impôts qu'il partagera à l'avenir avec les collectivités ;
- dans le même ordre d'idée, une autre garantie tout aussi forte, me semble-t-il, est celle de l'article 34 de la Constitution qui donne au Parlement le pouvoir de voter le taux et l'assiette des impôts nationaux. Cela concerne aussi les impôts qui seront partagés entre l'Etat et les collectivités territoriales.
=> En résumé, la lecture de l'article 72-2 de la constitution est claire. : les impôts partagés avec les collectivités sont des ressources propres.
De plus, le Gouvernement ne peut pas agir sur le taux de ces impôts sans le Parlement. Il est difficile de donner une plus grande garantie aux collectivités territoriales.
Voilà pour les arguments de droit. Ils me paraissent extrêmement solides.
Mais je veux maintenant vous emmener avec moi sur un argument de fait, lié à l'application de ce que l'on pourrait appeler - avec le sourire - le principe de réalité.
Réfléchissons ensemble un instant à ce qui se passera concrètement si la définition proposée par le Gouvernement n'est pas retenue.
- sur ce sujet, nous sommes à la croisée des chemins, et j'appelle chacun à faire preuve de bon sens et d'esprit de responsabilité.
D'abord, il y a l'Europe, à laquelle nous sommes tous profondément attachés. Chacun sait ici que la Commission dans son infinie sagesse travaille à la demande des Etats membres à une harmonisation des taux nationaux. Admettons, même discrètement, que c'est un peu contradictoire avec une modulation systématique au niveau des collectivités locales.
Et puis il y a la situation du paysage fiscal Français. Nous avons trois jours de débat : cela nous donne tout le temps de réfléchir ensemble à la liste des impôts d'Etat qui pourraient être transférés avec possibilité de vote de taux. Ca ira vite ! La liste est courte : TIPP pour les régions ; TCA pour les départements. Et après ? Je n'en ai pas trouvé beaucoup d'autres.
=> En résumé,
- Si on n'accepte pas que le transfert d'un impôt sans pouvoir de fixer les taux soit une ressource propre, qu'est-ce que cela veut dire ?
- Cela veut dire qu'on se condamne à n'avoir plus de marge de manuvre financière, et donc à avoir de grandes difficultés pour que nos successeurs puissent proposer de nouvelles étapes dans la décentralisation.
Mais j'ai bien compris que le Sénat a conscience de cette dernière difficulté. C'est pourquoi certains d'entre vous proposent d'abandonner la référence à l'année 2003 pour fixer le taux d'autonomie en dessous duquel il ne sera pas possible de descendre.
Ils proposent de le fixer de manière uniforme à 33 %.
Je comprends bien leur motivation louable liée au constat d'une impossibilité de maintenir les taux de 2003 si on retient leur définition des ressources propres.
Mais je ne peux adhérer à cette proposition pour plusieurs raisons :
Je ne peux y adhérer car elle revient à faire avaliser l'idée que seuls les impôts dont les collectivités fixent le taux sont des ressources propres et j'ai expliqué tout à l'heure pourquoi cette analyse ne me paraissait pas conforme à la constitution
Je ne peux pas y adhérer car fixer un taux unique revient forcément à fixer un taux beaucoup plus bas que celui de 2003 notamment pour les communes et les départements ;
- En effet, le taux qui sera constaté en 2003 sera, je vous le rappelle, d'environ :
- 53 % pour communes et groupements ;
- 51,6 % pour les départements ;
- 35,5 % pour les régions.
- Or, comme je vous l'ai dit en toute franchise tout à l'heure, nous devrons à l'avenir transférer des impôts sans pouvoir de taux aux collectivités territoriales pour compenser les transferts de compétences.
- les taux de 2003 ne pourront être garantis durablement par le Gouvernement
Je ne peux y adhérer car je crains que cette proposition, fondée sur de bons sentiments, ne porte en fait atteinte à l'autonomie financière des collectivités territoriales en fixant ce taux de manière uniforme à 33 %.
- Comment garantir en effet aux collectivités que de futurs Gouvernements ne céderont pas à la tentation de supprimer de la fiscalité locale qu'elles perçoivent actuellement ;
- pour les communes et les départements, la marge de manuvre est très grande entre 33 % et environ 50 %, cela ne vous a pas échappé ;
- cette solution me semble aboutir donc au résultat inverse de celui que nous recherchions ensemble avec la modification de la constitution.
De plus, fixer un taux unique pour les trois grandes catégories de collectivités présenterait de nombreux autres inconvénients.
On ne tiendrait compte :
- ni de l'hétérogénéité actuelle des niveaux d'autonomie financière des catégories de collectivités locales,
- ni des types de compétences exercées par chacune de ces collectivités qui sont, vous le savez, très diversifiées,
- ni du fait chaque niveau de collectivité supporte des charges de nature différente et a une structure budgétaire particulière.
C'est pour toutes ces raisons que le projet du gouvernement me semble réellement plus protecteur des collectivités territoriales et que je propose de retenir comme seuil plancher de l'autonomie financière de l'année 2003 avec la définition des ressources propres incluant les partages d'impôts entre l'Etat et les collectivités locales.
C'est à l'évidence ce seuil plancher qui en tant que tel constitue l'une des avancées les plus significatives de cette réforme constitutionnelle et donne un contenu très concret à la notion d'autonomie financière.
Pour terminer, je voudrais évoquer trois points.
* Tout d'abord, le pouvoir pour les collectivités de voter les taux des impôts est un pouvoir récent puisque c'est la loi du 10 janvier 1980 qui a institué le vote direct du taux des impôts directs locaux par les collectivités.
Et encore cette liberté est-elle très restreinte et encadrée par des règles de liens entre les taux. Ce n'est qu'à partir de 2002 et, plus encore en 2003, que ces restrictions ont été progressivement assouplis. Et cet assouplissement n'a pas que des supporters (entreprises).
* En deuxième lieu, je voudrais rappeler ce que disait Pierre MAUROY, président de la commission pour l'avenir de la décentralisation, devant la commission des lois de l'Assemblée Nationale le 29 mai 2001.
Il y a plaidé, "pour l'instauration d'impôts nationaux dont le produit servirait à financer les régions et les départements ", et il faisait état à cette date de "la réticence du ministère des finances " face à une telle proposition.
Or, cette proposition, le gouvernement de M. RAFFARIN l'a mené à son terme, et les impôts nationaux sont dorénavant transférés aux collectivités ; des impôts dont la base est évolutive pour fournir les indispensables marges de manuvre aux collectivités.
* Enfin, je ne voudrais pas que ce débat, sans doute très technique, ne nous cache les objectifs fondamentaux de ce projet de loi organique. Le Premier Ministre l'avait dit, ici même, lors de la présentation du projet de loi "responsabilités locales" le 28 octobre 2003 ; le gouvernement vous a donné "la plus belle de toute les garanties juridiques : la constitution ! Et ajoutait-il "c'est la meilleure garantie qu'un gouvernement puisse offrir, et aux assemblées, et à l'ensemble des acteurs locaux ".
Cette réforme, rappelons-le doit permettre l'expression de la dynamique d'une action publique proche du citoyen et une crédibilité dont il nous faut nous inspirer pour réformer l'ensemble de notre appareil national.
C'est, disait-il une démarche double de "cohérence et de proximité" car "un pays comme la France ne peut pas se passer de l'exigence de la cohérence car à défaut, nous irions vers la dispersion, voire l'éclatement".
Pierre MAUROY ne disait pas autre chose me semble-t-il lorsqu'il affirmait que la décentralisation constitue une réforme essentielle car justement elle permet de donner "un nouveau souffle aux institutions républicaines ".
Et, puis, Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Regardons au-delà de nos frontières :
- dans 10 pays de l'Union sur 15, les dotations représentent la part principale des ressources locales : entre 35 et 64% de l'ensemble des recettes locales. Voyez l'Allemagne, avec ses puissants "Länder", les dotations en représentent 51 % et seulement 18 % de fiscalité propre. Qui conteste aujourd'hui l'autonomie des "Länder" ?
- Si la plupart des Constitutions modernes font références aux libertés et à l'autonomie locales, peu nombreuses sont celles qui mentionnent les finances locales, toujours en termes assez généraux et jamais en posant des exigences aussi précises que celles du texte français, notamment en ce qui concerne la structure des recettes.
La décentralisation consiste à apporter de l'efficacité publique pour tous les échelons locaux. Pour être plus visible, plus crédible vis à vis de nos concitoyens, il nous faut avoir des autorités locales bien identifiées, fortes et qui collaborent bien entre elles et avec l'Etat.
Le gouvernement, je vous l'ai dit, se place résolument dans un rapport de confiance et de responsabilité avec les collectivités : il leur donnera les moyens nécessaires pour quelles puissent exercer pleinement leurs compétences, dans les meilleures conditions, au meilleur prix et surtout au plus grand bénéfice de nos compatriotes ; c'est, vous en conviendrez, l'enjeu d'un Etat moderne. Et c'est cela qu'attendent les Français.
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 5 juillet 2004)