Texte intégral
Entretien à Focus le 29 mai :
Focus : Pourquoi le chancelier Gerhard Schröder a-t-il été le premier chancelier allemand à être invité aux commémorations du débarquement allié ?
Michèle Alliot-Marie : Tout d'abord, cette première est le résultat de la réconciliation de nos deux peuples. En outre, ce geste symbolique pourrait également encourager d'autres pays, qui sont actuellement confrontés à la guerre. 'Regardez, ces deux pays, qui ont fait face à la guerre au-delà des siècles, peuvent aujourd'hui se retrouver.' De plus, nous pouvons ainsi démontrer que les relations ennemies ne sont pas éternelles.
Focus : Pourquoi la France n'a-t-elle pas fait ce geste important plus tôt ?
Michèle Alliot-Marie : Plusieurs gestes significatifs ont déjà eu lieu depuis le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer. Pourtant, ce soixantième anniversaire a une particularité : il se peut que cela soit l'un des derniers anniversaires auxquels des soldats, ayant participé au débarquement, puissent encore assister.
Focus : Comment avez-vous personnellement vécu la réconciliation ?
Michèle Alliot-Marie : Comme je suis née après la guerre, je n'ai heureusement connu ces antagonismes qu'à travers les livres d'histoire. Lorsque je me suis intéressée à la politique, l'amitié franco-allemande et la reconstruction de l'Europe étaient pour moi une évidence. Lorsque, plus tard, je suis devenue Secrétaire d'État chargée de l'enseignement, quelque chose m'est venu à l'esprit : pourquoi n'essayerions-nous pas de faire un livre d'histoire franco-allemand ? Et que s'est-il passé ? 17 ans plus tard, ce livre n'existe toujours pas C'est extrêmement particulier.
Focus : Un projet semblable n'a-t-il pas été proposé au Premier ministre ?
Michèle Alliot-Marie : Effectivement, mais cela ne change pas le fait que, jusqu'à présent, cela n'a pas abouti. Ce serait là un pas très significatif. Les cours d'histoire sont toujours enseignés d'une façon très nationale et l'on y fait des présentations personnelles où règne l'interprétation. Il serait intéressant de faire ces présentations de façon critique.
Focus : Au moins, Paris et Berlin sont unis en ce qui concerne l'Irak. Pourra-t-on lire un jour dans les livres d'histoire " l'unité régnait au sein de la vieille Europe " ?
Michèle Alliot-Marie : (riant) Je pense que le secrétaire d'État américain qui a gravé l'expression " vieille Europe " dans nos esprits, regrette de l'avoir utilisée. Lors de la conférence internationale de Munich sur la sécurité, il s'est défendu en expliquant qu'il n'avait pas été bien compris. L'Europe dont je parle, jouit à la fois de la sagesse des anciens et de la modernité.
Focus : Et que dit cette sagesse de la situation actuelle en Irak ?
Michèle Alliot-Marie : La publication des photos montrant les tortures et l'attentat contre le chef de gouvernement irakien ont dégradé la situation de façon dramatique. Il y a peu de temps, j'étais en voyage dans les pays du Golfe et les autorités étaient très soucieuses. Non seulement, les soldats étrangers sont agressés, mais la réaction de la population à l'égard des forces d'occupation a également empiré tout comme les tensions entre les Irakiens se sont accentuées. Tous ces points rendent la situation extrêmement instable et violente.
Focus : Et vous n'allez, en aucun cas, y envoyer de troupes ?
Michèle Alliot-Marie : Non, un envoi de troupes n'est pas à l'ordre du jour. Mais, nous avons déjà démontré que nous étions prêts à participer à la reconstruction. La phase d'occupation doit être clairement marquée d'une rupture pour que l'on puisse faire la différence avec la phase de reconstruction. Les Irakiens doivent le plus vite possible recouvrir une totale " souveraineté ". Lorsque ce sera le cas, et seulement à ce moment, nous pourrons commencer à envisager la perspective d'un engagement militaire.
Focus : Une souveraineté ne peut-elle pas naître d'un État religieux islamique ?
Michèle Alliot-Marie : J'ai posé la même question en octobre 2002 à mes partenaires américains : Powell, Rice et Cheney : " Et que se passerait-il à la suite d'une action militaire ? ". Ils ont répondu alors: " Ensuite, viendra la démocratie. ". A la suite de quoi je demandai : " Oui, et comment réussit-on à instaurer la démocratie dans un pays aussi compliqué que l'Irak ? "
Focus : Et quelle a-été la réponse?
Michèle Alliot-Marie : Qu'ils n'avaient pas bien réfléchi à la situation. Aujourd'hui, ils considèrent nos conseils avec plus de sérieux qu'autrefois.
Focus : Pourrait-il être possible que les États-Unis ne prennent pas les Européens au sérieux car l'Europe n'a pas de Défense indépendante ?
Michèle Alliot-Marie : Je pense qu'ils commencent à prendre la Défense européenne très au sérieux. C'est vraisemblablement pourquoi ils ont fait preuve de tant de résistance lorsque nous nous sommes unis autour de la Cellule autonome de Planification et de Commandement. Depuis des années, les États-Unis demandent aux Européens d'être capables de se défendre seuls. Aujourd'hui, ils constatent que nous l'avons fait, et désormais, il leur semble que cela va trop vite ou trop loin.
Focus : Mais il reste beaucoup à faire
Michèle Alliot-Marie : Naturellement, le but est que, d'ici 2010, tous les pays européens soient capables de maîtriser les interventions à l'étranger.
Focus : Jusqu'à présent, le Chancelier Schröder a souhaité obtenir un siège permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU. Comment estimez-vous les chances allemandes ?
Michèle Alliot-Marie : Ce qui est sûr, c'est que nous devons discuter de la fonctionnalité du Conseil de Sécurité après les évènements qui ont précédé la guerre en Irak. Il est vrai que certains grands pays comme l'Allemagne ne sont pas représentés et ce n'est plus conforme au monde multipolaire d'aujourd'hui. On doit trouver une solution à ce sujet. Et il est fortement souhaitable que plus de pays possédant la " sagesse des anciens et la modernité " soient représentés.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 3 juin 2004)
Entretien à Frankfurter Allgemeine Zeitung le 2 juin :
FAZ : Le Général de Gaulle avait décidé de ne pas se rendre à la cérémonie de commémoration en 1964 en Normandie. Qu'est-ce qui a changé depuis pour que le Président Chirac, "fils spirituel" du général célèbre avec autant d'éclat le 60ème anniversaire ?
Michèle Alliot-Marie : 60 ans après cet événement majeur, alors que les vétérans sont encore nombreux, le Président de la République a souhaité que soit rendu un hommage particulier, à la hauteur de l'engagement, du courage et de la détermination de ces hommes et de ces femmes qui ont permis à la France et à l'Europe de retrouver la liberté.
Ces cérémonies prennent dans le contexte international actuel une valeur symbolique. Elles illustreront la réconciliation initiée en 1963 par le Général de Gaulle lui-même et le Chancelier Adenauer.
FAZ :Est-ce que la commémoration a gagné une nouvelle dimension - d'une fête de la victoire alliée est-elle devenue un moment fort de la mémoire collective européenne et de l'esprit de paix et de réconciliation ?
Michèle Alliot-Marie : Ce qui donne une dimension particulière cette année, c'est bien évidemment la présence du Chancelier allemand lors de cette commémoration pour la première fois et parmi les chefs d'Etat et de gouvernement des 16 nations qui ont participé au débarquement. Nous voulons montrer à tous les pays qui s'affrontent aujourd'hui militairement, qu'une réconciliation est toujours possible. C'est donc un véritable message d'espoir. Aujourd'hui et grâce à nos deux pays agissant en commun, l'Europe est libre et réconciliée avec elle-même. Le 60ème anniversaire est également l'occasion unique de rétablir plus de chaleur et de compréhension pour la France au sein de l'opinion publique américaine, mais il existe encore des préjugés, dans l'opinion publique, que nous souhaitons combattre avant le 6 juin.
FAZ :Comment les associations des vétérans et de la résistance ont-ils réagi à la venue d'un Chancelier allemand ? Quelles précautions avez-vous pris pour ne pas choquer la mémoire des combattants ?
Michèle Alliot-Marie : Les vétérans sont la mémoire vivante de ce conflit qui a ensanglanté notre continent. Ils ont d'autant plus conscience de la nécessité de construire un monde de paix. De quelque côté qu'ils se soient trouvés, ont compris, certainement plus que les autres, que la réconciliation entre nos peuples est la clé de cette paix et de cette liberté pour laquelle ils se sont battus. Ils ont également pris pleinement la mesure de la responsabilité qui est la leur auprès des jeunes générations pour transmettre ce message. Tous les vétérans que je rencontre expriment ces convictions.
FAZ :Les veillées à l'occasion de la commémoration, un peu partout en Normandie, ont rencontré un grand succès et ont recueilli des témoignages bouleversants. Comment vous expliquez-vous ce succès ?
Michèle Alliot-Marie : Ce succès ne me surprend pas. Les jeunes sont avides de connaître ces pages dramatiques et héroïques de notre histoire. Les veillées à la fois solennelles et chaleureuses ont permis de transmettre aux jeunes générations le témoignage de ceux qui ont vécu au plus près du terrain, chacun dans son camp, ce combat pour la liberté. Elles ont représenté aussi l'occasion de rendre des hommages très affectueux aux nombreux " sans grade ", militaires et civils, qui ont consenti d'immenses sacrifices pour la France.
FAZ :Comment sortir du cercle vicieux en Irak ? Quelle aide la France peut-elle proposer aux USA ?
Michèle Alliot-Marie : La position de la France est claire et inchangée. Pour franchir les difficultés actuelles, il y a une nécessité absolue et un préalable indispensable : transférer à un gouvernement irakien légitime, tant vis à vis des différentes forces politiques et communautés irakiennes qu'à l'égard de la communauté internationale, la souveraineté sur les affaires de l'Irak. Et il faut que ce transfert de souveraineté soit crédible, c'est à dire qu'il faut que le gouvernement irakien puisse gérer l'économie, la justice, qu'il puisse avoir autorité sur les forces de sécurité intérieure, qu'il ait son mot à dire sur les opérations menées par la force multinationale. L'apaisement des tensions et la reconstruction de l'Irak ne seront possibles qu'à cette condition.
La solution ne peut pas être, ou ne peut plus être, militaire. Nous prendrons notre part, lorsque toutes les conditions seront réunies, à la reconstruction politique et économique de l'Irak., y compris, comme nous l'avons depuis longtemps annoncé, ainsi que les Allemands d'ailleurs, par la formation des futures forces de sécurité irakiennes. Mais je note que la France envisage aussi par exemple de participer à l'allégement de la dette irakienne comme à des programmes économiques de développement dans tous les domaines de la vie quotidienne des Irakiens, notamment dans le domaine de l'environnement.
FAZ :Quelles sont les exigences de la France pour accepter une nouvelle résolution de l'ONU ?
Michèle Alliot-Marie : Les seules exigences françaises sont de trouver les meilleures solutions permettant de mettre fin à la crise actuelle et de rétablir la pleine souveraineté du peuple irakien. Les discussions en cours aux Nations unies devront permettre de déterminer ce que sera le futur gouvernement irakien, ainsi que son domaine d'autorité qui doit, bien sûr, être le plus large possible. Ces discussions devront aussi définir le statut des forces de stabilisation et fixer un terme à leur mission et donc à leur présence en Irak. Nous sommes donc actuellement dans une phase de concertation à New York. Les consultations se poursuivent pour trouver les solutions les plus adaptées à la situation.
FAZ :Après le 11 mars, l'Europe est-elle aujourd'hui mieux préparée à une possible attaque terroriste ?
Michèle Alliot-Marie : Suite aux événements tragiques survenus le 11 mars à Madrid, nous avons pris des dispositions importantes dans différents domaines. Lors du Sommet européen, le 25 mars dernier, les pays membres ont adopté un plan de lutte contre le terrorisme, dont l'une des mesures est la nomination d'un coordinateur de la lutte contre le terrorisme au niveau communautaire. Je l'ai rencontré à Paris récemment.
FAZ :Quelles seront les prochaines étapes de l'Europe de la défense ?
Michèle Alliot-Marie : Par ses interventions en Macédoine et en République Démocratique du Congo en 2003, l'Europe de la défense est devenue une réalité. De nouvelles étapes viendront appuyer la construction de la défense européenne en 2004, comme la relève de l'OTAN en Bosnie et la prise de commandement de la force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) en Afghanistan par l'état-major du Corps Européen.
L'Europe disposera bientôt des moyens de mener à bien ses engagements en se dotant d'une capacité autonome de planification et de conduite d'opérations et en mettant en place des groupements tactiques pouvant être déployés dans des délais très brefs ainsi qu'une force de gendarmerie européenne. Nous disposerons en outre à l'été prochain d'une Agence européenne de défense qui est l'instrument que nous attendions tous pour donner à l'Europe les moyens de son ambition dans le domaine industriel et technologique. Enfin, un Collège européen de sécurité et de défense permettra, dans les prochains mois d'assurer l'acquisition d'une culture commune de sécurité et de défense.
Le projet de Constitution de l'Union européenne prévoit de nouvelles dispositions en matière de sécurité et de défense comme la clause de solidarité en cas d'attaque terroriste, la clause d'assistance en cas d'agression armée ainsi que la coopération structurée pour permettre aux pays qui le souhaitent d'aller plus loin en matière de défense. Nous, Français et Allemands, sommes convaincus de la nécessité de donner à ces dispositions toute leur efficacité car pour nos compatriotes, la construction de l'Europe est synonyme de construction de la paix.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 3 juin 2004)
Interview à El Mundo le 2 juin :
El Mundo : Les images des prisonniers irakiens humiliés et torturés ont provoqué un cataclysme au sein du gouvernement américain. Elles ont surtout montré que des hommes à qui l'on confie la défense du pays ou la protection de la paix sur un sol étranger ne sont pas à la hauteur de ce que l'on attend d'eux. Maintenant, la France va prendre le relais de l'Allemagne au Kosovo à la tête de la KFOR. De quelle façon contrôlez-vous les presque 30 000 militaires français qui travaillent dans des missions de guerre ou de paix à travers le monde pour que de tels dérapages ne puissent se produire ?
Michèle Aliot-Marie : Les sévices infligés à des prisonniers en Irak ne peuvent que susciter l'indignation, comme suscite l'horreur cet acte inimaginable de barbarie, diffusé par beaucoup de médias il y a quelques semaines, d'égorgement de ce jeune citoyen américain. Les sévices que vous évoquez sont contraires à toutes les règles relatives aux prisonniers de guerre, à toutes les lois de la guerre, à la Convention de Genève.
Nos armées apportent la plus grande attention à ce sujet, notamment sur les théâtres de nos opérations extérieures. La torture est un acte proscrit et sévèrement sanctionné. Nos cadres et soldats reçoivent une formation spécifique et conséquente sur le sujet à différentes étapes de leur carrière ; toute infraction aux règles par nos militaires serait immédiatement déférée devant la justice française. Je tiens à souligner que nous appliquons la Convention de Genève non seulement aux militaires qui viendraient à être fait prisonniers - et qui relèvent de droit du statut des prisonniers de guerre - mais aussi aux civils qui font l'objet d'une arrestation et d'une incarcération par nos militaires dans le cadre de leur mission.
El Mundo : Excluez-vous toute intervention des soldats français en Irak ? Quand on dit qu'aujourd'hui il n'en est pas question, est-ce une porte ouverte pour demain ? Si oui, est-ce que l'Armée française a les capacités de se déployer un peu plus que de façon symbolique ?
Michèle Aliot-Marie : La position de la France est claire et inchangée. Pour sortir de la situation actuelle qui est par bien des aspects dramatique, il y a une nécessité absolue et un préalable indispensable : transférer à un gouvernement irakien légitime, tant vis à vis des différentes forces politiques et communautés irakiennes qu'à l'égard de la communauté internationale, la souveraineté sur les affaires de l'Irak. Et il faut que ce transfert de souveraineté soit crédible, c'est à dire qu'il faut que le gouvernement irakien puisse gérer l'économie, la justice, qu'il puisse avoir autorité sur les forces de sécurité intérieure, qu'il ait son mot à dire sur les opérations menées par la force multinationale. L'apaisement des tensions et la reconstruction de l'Irak ne seront possibles qu'à cette condition.
La solution ne peut pas être, ou ne peut plus être, militaire. C'est la raison pour laquelle la question d'envoyer des soldats français en Irak ne se pose pas, ni maintenant, ni plus tard. Nous prendrons part à la reconstruction politique et économique de l'Irak., comme nous l'avons depuis longtemps annoncé, ainsi que les Allemands nous sommes prêts si le gouvernement irakien le demande à assumer la formation des futures forces de sécurité irakiennes. La France envisage aussi de participer à l'allégement de la dette irakienne comme à des programmes économiques de développement dans tous les domaines de la vie quotidienne des Irakiens, notamment dans les domaines de l'environnement et des télécommunications.
El Mundo : A quoi bon vouloir développer l'Eurocorps alors qu'existe déjà l'OTAN, qui connaît un succès évident avec l'incorporation de sept nouveaux membres de l'Europe de l'Est ?
Michèle Aliot-Marie : Je note que l'Europe de la défense, je m'en suis rendu compte en Pologne, connaît aussi un grand succès chez nos voisins de l'Est. Le 1er mai dernier nos dix nouveaux partenaires ont adhéré à la politique européenne de sécurité et de défense. Celle-ci est indispensable pour faire de l'Europe une puissance non seulement économique mais aussi politique apte à mener une politique extérieure autonome en totale complémentarité, transparence et solidarité avec nos partenaires et alliés de l'Alliance atlantique, au premier rang desquels figurent nos amis américains. Ces derniers, comme d'ailleurs les sept pays auquel vous faites allusion, se rendent progressivement compte qu'une Europe dotée d'une défense forte et crédible ne peut que renforcer l'action que mène l'Alliance au bénéfice de la sécurité et de la paix, non seulement en Europe mais dans le monde.
Dans ce cadre, le Corps européen est une des capacités opérationnelles, historiquement la première capacité à caractère vraiment européen, dont l'Union peut disposer pour l'accomplissement de ses missions de défense. Il ne sera bientôt plus le seul. Comme vous le savez, nous travaillons actuellement avec nos partenaires à l'amélioration de la capacité de réaction rapide de l'Union européenne par le développement d'ici 2007 de plusieurs groupements tactiques d'environ 1500 militaires chacun susceptible d'être déployés, avec les moyens logistiques et de transport stratégiques correspondants, partout dans le monde dans un délai de 10 jours après la décision de l'UE de lancer l'opération.
El Mundo : Le Sommet d'Istanbul fin juin sera axé, en partie, sur le partenariat de l'OTAN avec l'Union Européenne, quelles sont les ambitions de la France à ce sujet ?
Michèle Aliot-Marie : Le sommet d'Istanbul des 28 et 29 juin 2004 sera l'occasion pour la France de rappeler son attachement à l'Alliance atlantique, pilier de la sécurité en Europe, et de confirmer son implication dans le processus de transformation des structures de l'OTAN ainsi que sa volonté de maintenir sa contribution à la force de réaction rapide de l'OTAN (NRF) à un niveau significatif, tout en conservant sa position spécifique.
El Mundo : Combien de troupes franco-allemandes allez-vous envoyer en Afghanistan ? Vont-elles être encadrées par le commandement de l'OTAN sur place ? Peut-on parler de la première intervention de l'Eurocorps ?
Michèle Aliot-Marie : Le Corps européen prendra l'été prochain la relève des Canadiens dans le cadre de l'OTAN pour le commandement de la FIAS en Afghanistan. La France et l'Allemagne ont annoncé le 13 mai dernier, à l'issue du 3e conseil ministériel franco-allemand, qu'ils souhaitaient aussi que la Brigade franco-allemande (BFA) prenne à la même date le commandement de la brigade multinationale de Kaboul. Il est encore trop tôt pour vous indiquer précisément les effectifs qui seront concernés par ces prises de responsabilité. Ce que je peux vous dire, c'est que si l'on fait le total des effectifs des deux états-majors concernés actuellement en place, on parvient à environ 1000 personnels.
Le Corps européen n'en est pas à sa première intervention. Il a été engagé en 1998 pour renforcer l'état-major de la SFOR en Bosnie puis a assuré en 2000 de manière exemplaire le commandement de la KFOR 3 au Kosovo. Il est d'ailleurs qualifié par l'OTAN comme état-major de niveau opératif.
El Mundo : Pour que la France ait une reconnaissance sur la scène internationale, elle a besoin d'une armée puissante, avec des moyens pour s'imposer, comment combiner ces aspirations et la réduction de budget demandée par le Ministère de l'Economie ?
Michèle Aliot-Marie : Nous sommes entrés dans une période où la montée du terrorisme, y compris en Europe, la prolifération des armes de destruction massive et le développement des crises à caractère ethnique ou religieux exigent que l'on ait les moyens nécessaires pour protéger les Français, et au-delà les Européens, de toutes ces menaces non seulement sur notre continent mais aussi partout où dans le monde ils vivent et travaillent. Nous ne pouvons pas nous désintéresser de la paix et de la stabilité chez nos amis d'Afrique, du Moyen-Orient ou d'Asie, car il y va de leur développement et de la possibilité pour chacun de leurs citoyens de vivre dans la sécurité et la démocratie.
Notre responsabilité à l'égard de nos concitoyens et cette vision du rôle de la France nous obligent. Ce n'est certainement pas le moment de baisser la garde.
El Mundo : Quel est le niveau de coopération entre les services de renseignements militaires européens ? Ont-ils avancé comme les services de polices l'on fait ?
Michèle Aliot-Marie : Le renseignement étant une matière stratégique, son échange exige une grande confiance réciproque et une vraie convergence des politiques de sécurité. C'est un peu la loi du genre qui veut cela ! Les services de renseignement qui dépendent de mon ministère, dont la qualité est, je le souligne, unanimement reconnue, coopèrent bien évidemment étroitement avec leurs homologues étrangers. La nomination de Gijs de Vries, que j'ai rencontré récemment, comme responsable au niveau européen de la lutte contre le terrorisme devrait permettre d'intensifier encore la coopération entre les services de renseignement, qu'ils soient militaires ou civils, des Etats membres de l'Union Européenne.
El Mundo : Quelle est votre expérience du travail de l'Armée espagnole en collaboration avec l'Armée française ?
Michèle Aliot-Marie : Les relations entre nos armées sont anciennes et ont toujours été excellentes. Nous participons ensemble au Corps européen, à l'Eurofor, au groupe aérien Européen, à l'Euromarfor. Nous avons été déployés ensembles sur de nombreux théâtres d'opérations. Ainsi par exemple, lors de l'opération Task Force Harvest (TFH) en Macédoine, le bataillon français travaillait avec une compagnie d'infanterie mécanisée espagnole. Par ailleurs, nous participons ensemble à de grands programmes européens comme l'hélicoptère Tigre et l'A400M. Ces deux programmes vont nous conduire à coopérer plus étroitement encore pour promouvoir une Europe de la défense dynamique et performante.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 3 juin 2004)
Interview à Europe 1 le 3 juin :
Guillaume Durand - Bonsoir Michèle Alliot-Marie. Bonsoir, merci d'être là.
Michèle Alliot-Marie - Bonsoir.
Guillaume Durand - Est-ce que vous avez vraiment le sentiment qu'à l'occasion de la venue du président américain en France, que quelque chose ou en tout cas une page va être tournée ? Vers plus de calme, plus de sérénité et moins d'affrontements politiques ?
Michèle Alliot-Marie - La page politique est déjà très largement tournée. Lors de ma visite à Washington et à New York à la fin du mois de janvier, j'avais déjà constaté cette volonté de tourner la page de la part des autorités américaines. Avec ce qui se passait en Irak, les Américains se sont rendus compte que ce que nous disions n'était pas simplement destiné à nous opposer à eux mais faisait simplement partie de notre expérience en la matière. Ce qui est vrai en revanche, c'est que l'opinion publique américaine, qui avait été travaillée par un certain nombre de médias américains, était restée largement sensible à l'attitude de la France.
Guillaume Durand - Et vous avez l'impression que cela a changé, ça, ou que cela peut changer à l'occasion de ces cérémonies ?
Michèle Alliot-Marie - Exactement. Cette commémoration va nous permettre de rendre un hommage très appuyé à tous les militaires des quatorze pays qui, au moment du débarquement, sont venus nous aider à libérer notre territoire. Je pense que ce sera aussi une façon de montrer aux Américains que nous nous en souvenons.
Guillaume Durand - Alors Michèle Alliot-Marie, j'ai une foule de questions précises à vous poser concernant évidemment la sécurité, concernant la situation politique, concernant la situation budgétaire aussi parce que beaucoup d'interrogations sont en suspens. Mais alors vous savez que les Français sont d'assez bons observateurs. A Paris, ces dernières heures, dans beaucoup de villes de province, on voit les hommes en armes. Je suppose que là on est dans un état qui est un état d'alerte rouge. Comment ça se passe ? On parle même de simulation d'attaque nucléaire sur la Normandie.
Michèle Alliot-Marie - Le gouvernement a effectivement décidé de monter Vigipirate au niveau rouge ; lorsque vous avez des cérémonies très importantes et surtout avec un très grand nombre de chefs d'État et de gouvernement, cela peut-être un prétexte, une tentation pour les terroristes. Notre rôle, c'est d'être vigilants et de prévenir toute tentative en ce sens.
Guillaume Durand - Est-ce qu'on peut dire que c'est du jamais vu les précautions qui sont prises ?
Michèle Alliot-Marie - Effectivement, avec l'ampleur de ces cérémonies sur l'ensemble du territoire, c'est certainement l'une des opérations, sinon l'opération la plus importante. Il y aura 30 000 militaires qui seront mobilisés dont 15 000 uniquement dédiés à la sécurité.
Guillaume Durand - Fermeture de l'espace aérien ?
Michèle Alliot-Marie - Pas une fermeture totale de l'espace aérien bien entendu. Mais nous délimitons des zones que nous appelons " sensibles ", soit parce qu'il y a des cérémonies, soit parce que ce sont des zones qui entourent des points sensibles. Et là, il y a exclusion du survol. Exclusion du survol, cela veut dire que nous surveillons aussi en permanence, à partir des radars, à partir de deux AWACS, l'ensemble des aéronefs, gros et petits avions, hélicoptères, etc. qui survolent le territoire. Et nous avons une alerte permanente, c'est-à-dire que nous avons également en permanence plusieurs avions de chasse et hélicoptères qui sont prêts à décoller et à atteindre n'importe quel point du territoire en moins de 10 minutes. C'est-à-dire que cela ne laisse pas la possibilité à ces aéronefs d'arriver sur la zone la plus sensible.
Guillaume Durand - Est-ce que ça veut dire qu'avec votre collègue de l'Intérieur, vous avez des informations ou pas, faisant état d'une menace accrue à cause de la présence du président américain ? Ou est-ce que c'est totalement préventif ? Sans avertissement
Michèle Alliot-Marie - Non, c'est totalement préventif. Mais la prévention passe par tous les renseignements que nous essayons d'avoir ; ce sont souvent les renseignements qui permettent d'agir au plus tôt. La prévention, cela veut également dire protection d'un certain nombre de zones sensibles et aussi présence sur le sol de tous ces militaires, gendarmes et policiers qui veillent à la sécurité.
Guillaume Durand - Alors il y a beaucoup d'informations qui vous concernent, dans l'actualité. Une qui va surprendre évidemment beaucoup de gens qui nous écoutent, c'est une déclaration du général Bentegeat, que vous connaissez, puisqu'en Afghanistan donc, en tout cas dans la région, il y a des soldats français, notamment 200 soldats des Forces Spéciales et il a expliqué, en tout cas déclaré qu'ils avaient été proches de la capture de Ben Laden. C'est vrai ou pas, ça ?
Michèle Alliot-Marie - A plusieurs reprises effectivement, on a localisé approximativement, mais je dis bien approximativement, des endroits où Ben Laden était susceptible de se trouver. Mais l'Afghanistan, et surtout cette zone, est extrêmement difficile d'accès ; elle comporte également à la fois beaucoup de grottes, de sentiers, etc.
Guillaume Durand - C'est leur travail, ils participent avec les autres à cela ?
Michèle Alliot-Marie - C'est leur travail de participer avec les autres, notamment avec les Américains, à ce travail de lutte contre le terrorisme et d'actions directes contre le terrorisme.
Guillaume Durand - Alors on va parler évidemment des Européennes. Un petit mot, il est important de votre part, concernant la bataille budgétaire. C'est vrai qu'avec d'autres ministres on vous a senti un moment comment dirais-je assez offensive ou assez offensifs, au pluriel, contre les projets de budget voulus par Nicolas Sarkozy. On en est où, aujourd'hui ? Qui a gagné ?
Michèle Alliot-Marie - Nous en sommes à un point où il n'y a ni vainqueur, ni vaincu. Et de toute façon, il n'y en aura pas ; d'abord, parce que cet intérêt est supérieur et parce c'est l'intérêt de la France qu'il faut regarder. Il n'y a pas eu de polémique qui concernent les personnes ; les ministres, c'est tout à fait autre chose. Nous sommes dans une procédure classique, c'est-à-dire que comme tous les ans à cette époque de l'année, les services du ministère du Budget disent à chacun des ministères qu'ils veulent leur donner moins d'argent que l'année précédente. Si nous regardons le fond des choses, c'est exactement ce qui s'est passé les autres années. Les lettres reçues ont exactement les mêmes mots que les années précédentes. Donc, qu'il y ait une médiatisation, c'est quelque chose qui est tout à fait courant. Ensuite, après discussions entre les services, nous aurons des discussions au niveau des ministres. Et le cas échéant, si nous ne nous mettions pas d'accord, des arbitrages seront faits par le Premier ministre et par le président de la République.
Guillaume Durand - Mais pour vous, il n'est pas question qu'il y ait des restrictions budgétaires cette année, concernant le ministère de la Défense ?
Michèle Alliot-Marie - Le ministère de la Défense, c'est un gros budget, c'est le deuxième budget de l'État. Le ministère de la Défense est également conscient qu'il a une mission qui est de protéger le territoire français et les Français sur le territoire mais également à l'extérieur car beaucoup de Français résident à l'extérieur du territoire national. Bien entendu, ce qui est de ma responsabilité, c'est de veiller à ce que chaque euro mis à ma disposition soit le mieux employé possible, qu'il n'y ait aucun gaspillage. C'est effectivement ce que je fais chaque année s'agissant du fonctionnement du ministère.
Guillaume Durand - Mais a priori pas de restrictions budgétaires ?
Michèle Alliot-Marie - Nous avons besoin des moyens financiers permettant d'assurer cette mission de protection des Français.
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Guillaume Durand - Malheureusement des élections il y en a, il y a les Européennes et on sort des régionales qui ont quand même été une défaite pour la droite. Si ces Européennes sont encore une fois une défaite pour le camp que vous représentez, quelles conclusions faut-il en tirer ? Parce que si le Premier ministre est maintenu, est-ce que vous n'avez pas le sentiment que tout le travail que vous faites risque finalement d'être déconsidéré par une grande partie de l'opinion et créer une situation politique délicate ?
Michèle Alliot-Marie - Ce que je redoute surtout dans ces prochaines élections, c'est une abstention majeure qui finalement nous ferait perdre du poids au sein des institutions européennes. Or il faut bien voir que nous avons, nous Français, besoin de l'Europe. Nous allons bientôt prendre la relève de l'OTAN, de nouveau, en Bosnie sur une grosse opération, à la frontière de l'Europe et donc avec tous les risques qu'une situation instable peut représenter.
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Guillaume Durand - Merci Michèle Alliot-Marie d'avoir été notre invitée pour ce soir.
Michèle Alliot-Marie - Merci à vous.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 8 juin 2004)
Focus : Pourquoi le chancelier Gerhard Schröder a-t-il été le premier chancelier allemand à être invité aux commémorations du débarquement allié ?
Michèle Alliot-Marie : Tout d'abord, cette première est le résultat de la réconciliation de nos deux peuples. En outre, ce geste symbolique pourrait également encourager d'autres pays, qui sont actuellement confrontés à la guerre. 'Regardez, ces deux pays, qui ont fait face à la guerre au-delà des siècles, peuvent aujourd'hui se retrouver.' De plus, nous pouvons ainsi démontrer que les relations ennemies ne sont pas éternelles.
Focus : Pourquoi la France n'a-t-elle pas fait ce geste important plus tôt ?
Michèle Alliot-Marie : Plusieurs gestes significatifs ont déjà eu lieu depuis le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer. Pourtant, ce soixantième anniversaire a une particularité : il se peut que cela soit l'un des derniers anniversaires auxquels des soldats, ayant participé au débarquement, puissent encore assister.
Focus : Comment avez-vous personnellement vécu la réconciliation ?
Michèle Alliot-Marie : Comme je suis née après la guerre, je n'ai heureusement connu ces antagonismes qu'à travers les livres d'histoire. Lorsque je me suis intéressée à la politique, l'amitié franco-allemande et la reconstruction de l'Europe étaient pour moi une évidence. Lorsque, plus tard, je suis devenue Secrétaire d'État chargée de l'enseignement, quelque chose m'est venu à l'esprit : pourquoi n'essayerions-nous pas de faire un livre d'histoire franco-allemand ? Et que s'est-il passé ? 17 ans plus tard, ce livre n'existe toujours pas C'est extrêmement particulier.
Focus : Un projet semblable n'a-t-il pas été proposé au Premier ministre ?
Michèle Alliot-Marie : Effectivement, mais cela ne change pas le fait que, jusqu'à présent, cela n'a pas abouti. Ce serait là un pas très significatif. Les cours d'histoire sont toujours enseignés d'une façon très nationale et l'on y fait des présentations personnelles où règne l'interprétation. Il serait intéressant de faire ces présentations de façon critique.
Focus : Au moins, Paris et Berlin sont unis en ce qui concerne l'Irak. Pourra-t-on lire un jour dans les livres d'histoire " l'unité régnait au sein de la vieille Europe " ?
Michèle Alliot-Marie : (riant) Je pense que le secrétaire d'État américain qui a gravé l'expression " vieille Europe " dans nos esprits, regrette de l'avoir utilisée. Lors de la conférence internationale de Munich sur la sécurité, il s'est défendu en expliquant qu'il n'avait pas été bien compris. L'Europe dont je parle, jouit à la fois de la sagesse des anciens et de la modernité.
Focus : Et que dit cette sagesse de la situation actuelle en Irak ?
Michèle Alliot-Marie : La publication des photos montrant les tortures et l'attentat contre le chef de gouvernement irakien ont dégradé la situation de façon dramatique. Il y a peu de temps, j'étais en voyage dans les pays du Golfe et les autorités étaient très soucieuses. Non seulement, les soldats étrangers sont agressés, mais la réaction de la population à l'égard des forces d'occupation a également empiré tout comme les tensions entre les Irakiens se sont accentuées. Tous ces points rendent la situation extrêmement instable et violente.
Focus : Et vous n'allez, en aucun cas, y envoyer de troupes ?
Michèle Alliot-Marie : Non, un envoi de troupes n'est pas à l'ordre du jour. Mais, nous avons déjà démontré que nous étions prêts à participer à la reconstruction. La phase d'occupation doit être clairement marquée d'une rupture pour que l'on puisse faire la différence avec la phase de reconstruction. Les Irakiens doivent le plus vite possible recouvrir une totale " souveraineté ". Lorsque ce sera le cas, et seulement à ce moment, nous pourrons commencer à envisager la perspective d'un engagement militaire.
Focus : Une souveraineté ne peut-elle pas naître d'un État religieux islamique ?
Michèle Alliot-Marie : J'ai posé la même question en octobre 2002 à mes partenaires américains : Powell, Rice et Cheney : " Et que se passerait-il à la suite d'une action militaire ? ". Ils ont répondu alors: " Ensuite, viendra la démocratie. ". A la suite de quoi je demandai : " Oui, et comment réussit-on à instaurer la démocratie dans un pays aussi compliqué que l'Irak ? "
Focus : Et quelle a-été la réponse?
Michèle Alliot-Marie : Qu'ils n'avaient pas bien réfléchi à la situation. Aujourd'hui, ils considèrent nos conseils avec plus de sérieux qu'autrefois.
Focus : Pourrait-il être possible que les États-Unis ne prennent pas les Européens au sérieux car l'Europe n'a pas de Défense indépendante ?
Michèle Alliot-Marie : Je pense qu'ils commencent à prendre la Défense européenne très au sérieux. C'est vraisemblablement pourquoi ils ont fait preuve de tant de résistance lorsque nous nous sommes unis autour de la Cellule autonome de Planification et de Commandement. Depuis des années, les États-Unis demandent aux Européens d'être capables de se défendre seuls. Aujourd'hui, ils constatent que nous l'avons fait, et désormais, il leur semble que cela va trop vite ou trop loin.
Focus : Mais il reste beaucoup à faire
Michèle Alliot-Marie : Naturellement, le but est que, d'ici 2010, tous les pays européens soient capables de maîtriser les interventions à l'étranger.
Focus : Jusqu'à présent, le Chancelier Schröder a souhaité obtenir un siège permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU. Comment estimez-vous les chances allemandes ?
Michèle Alliot-Marie : Ce qui est sûr, c'est que nous devons discuter de la fonctionnalité du Conseil de Sécurité après les évènements qui ont précédé la guerre en Irak. Il est vrai que certains grands pays comme l'Allemagne ne sont pas représentés et ce n'est plus conforme au monde multipolaire d'aujourd'hui. On doit trouver une solution à ce sujet. Et il est fortement souhaitable que plus de pays possédant la " sagesse des anciens et la modernité " soient représentés.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 3 juin 2004)
Entretien à Frankfurter Allgemeine Zeitung le 2 juin :
FAZ : Le Général de Gaulle avait décidé de ne pas se rendre à la cérémonie de commémoration en 1964 en Normandie. Qu'est-ce qui a changé depuis pour que le Président Chirac, "fils spirituel" du général célèbre avec autant d'éclat le 60ème anniversaire ?
Michèle Alliot-Marie : 60 ans après cet événement majeur, alors que les vétérans sont encore nombreux, le Président de la République a souhaité que soit rendu un hommage particulier, à la hauteur de l'engagement, du courage et de la détermination de ces hommes et de ces femmes qui ont permis à la France et à l'Europe de retrouver la liberté.
Ces cérémonies prennent dans le contexte international actuel une valeur symbolique. Elles illustreront la réconciliation initiée en 1963 par le Général de Gaulle lui-même et le Chancelier Adenauer.
FAZ :Est-ce que la commémoration a gagné une nouvelle dimension - d'une fête de la victoire alliée est-elle devenue un moment fort de la mémoire collective européenne et de l'esprit de paix et de réconciliation ?
Michèle Alliot-Marie : Ce qui donne une dimension particulière cette année, c'est bien évidemment la présence du Chancelier allemand lors de cette commémoration pour la première fois et parmi les chefs d'Etat et de gouvernement des 16 nations qui ont participé au débarquement. Nous voulons montrer à tous les pays qui s'affrontent aujourd'hui militairement, qu'une réconciliation est toujours possible. C'est donc un véritable message d'espoir. Aujourd'hui et grâce à nos deux pays agissant en commun, l'Europe est libre et réconciliée avec elle-même. Le 60ème anniversaire est également l'occasion unique de rétablir plus de chaleur et de compréhension pour la France au sein de l'opinion publique américaine, mais il existe encore des préjugés, dans l'opinion publique, que nous souhaitons combattre avant le 6 juin.
FAZ :Comment les associations des vétérans et de la résistance ont-ils réagi à la venue d'un Chancelier allemand ? Quelles précautions avez-vous pris pour ne pas choquer la mémoire des combattants ?
Michèle Alliot-Marie : Les vétérans sont la mémoire vivante de ce conflit qui a ensanglanté notre continent. Ils ont d'autant plus conscience de la nécessité de construire un monde de paix. De quelque côté qu'ils se soient trouvés, ont compris, certainement plus que les autres, que la réconciliation entre nos peuples est la clé de cette paix et de cette liberté pour laquelle ils se sont battus. Ils ont également pris pleinement la mesure de la responsabilité qui est la leur auprès des jeunes générations pour transmettre ce message. Tous les vétérans que je rencontre expriment ces convictions.
FAZ :Les veillées à l'occasion de la commémoration, un peu partout en Normandie, ont rencontré un grand succès et ont recueilli des témoignages bouleversants. Comment vous expliquez-vous ce succès ?
Michèle Alliot-Marie : Ce succès ne me surprend pas. Les jeunes sont avides de connaître ces pages dramatiques et héroïques de notre histoire. Les veillées à la fois solennelles et chaleureuses ont permis de transmettre aux jeunes générations le témoignage de ceux qui ont vécu au plus près du terrain, chacun dans son camp, ce combat pour la liberté. Elles ont représenté aussi l'occasion de rendre des hommages très affectueux aux nombreux " sans grade ", militaires et civils, qui ont consenti d'immenses sacrifices pour la France.
FAZ :Comment sortir du cercle vicieux en Irak ? Quelle aide la France peut-elle proposer aux USA ?
Michèle Alliot-Marie : La position de la France est claire et inchangée. Pour franchir les difficultés actuelles, il y a une nécessité absolue et un préalable indispensable : transférer à un gouvernement irakien légitime, tant vis à vis des différentes forces politiques et communautés irakiennes qu'à l'égard de la communauté internationale, la souveraineté sur les affaires de l'Irak. Et il faut que ce transfert de souveraineté soit crédible, c'est à dire qu'il faut que le gouvernement irakien puisse gérer l'économie, la justice, qu'il puisse avoir autorité sur les forces de sécurité intérieure, qu'il ait son mot à dire sur les opérations menées par la force multinationale. L'apaisement des tensions et la reconstruction de l'Irak ne seront possibles qu'à cette condition.
La solution ne peut pas être, ou ne peut plus être, militaire. Nous prendrons notre part, lorsque toutes les conditions seront réunies, à la reconstruction politique et économique de l'Irak., y compris, comme nous l'avons depuis longtemps annoncé, ainsi que les Allemands d'ailleurs, par la formation des futures forces de sécurité irakiennes. Mais je note que la France envisage aussi par exemple de participer à l'allégement de la dette irakienne comme à des programmes économiques de développement dans tous les domaines de la vie quotidienne des Irakiens, notamment dans le domaine de l'environnement.
FAZ :Quelles sont les exigences de la France pour accepter une nouvelle résolution de l'ONU ?
Michèle Alliot-Marie : Les seules exigences françaises sont de trouver les meilleures solutions permettant de mettre fin à la crise actuelle et de rétablir la pleine souveraineté du peuple irakien. Les discussions en cours aux Nations unies devront permettre de déterminer ce que sera le futur gouvernement irakien, ainsi que son domaine d'autorité qui doit, bien sûr, être le plus large possible. Ces discussions devront aussi définir le statut des forces de stabilisation et fixer un terme à leur mission et donc à leur présence en Irak. Nous sommes donc actuellement dans une phase de concertation à New York. Les consultations se poursuivent pour trouver les solutions les plus adaptées à la situation.
FAZ :Après le 11 mars, l'Europe est-elle aujourd'hui mieux préparée à une possible attaque terroriste ?
Michèle Alliot-Marie : Suite aux événements tragiques survenus le 11 mars à Madrid, nous avons pris des dispositions importantes dans différents domaines. Lors du Sommet européen, le 25 mars dernier, les pays membres ont adopté un plan de lutte contre le terrorisme, dont l'une des mesures est la nomination d'un coordinateur de la lutte contre le terrorisme au niveau communautaire. Je l'ai rencontré à Paris récemment.
FAZ :Quelles seront les prochaines étapes de l'Europe de la défense ?
Michèle Alliot-Marie : Par ses interventions en Macédoine et en République Démocratique du Congo en 2003, l'Europe de la défense est devenue une réalité. De nouvelles étapes viendront appuyer la construction de la défense européenne en 2004, comme la relève de l'OTAN en Bosnie et la prise de commandement de la force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) en Afghanistan par l'état-major du Corps Européen.
L'Europe disposera bientôt des moyens de mener à bien ses engagements en se dotant d'une capacité autonome de planification et de conduite d'opérations et en mettant en place des groupements tactiques pouvant être déployés dans des délais très brefs ainsi qu'une force de gendarmerie européenne. Nous disposerons en outre à l'été prochain d'une Agence européenne de défense qui est l'instrument que nous attendions tous pour donner à l'Europe les moyens de son ambition dans le domaine industriel et technologique. Enfin, un Collège européen de sécurité et de défense permettra, dans les prochains mois d'assurer l'acquisition d'une culture commune de sécurité et de défense.
Le projet de Constitution de l'Union européenne prévoit de nouvelles dispositions en matière de sécurité et de défense comme la clause de solidarité en cas d'attaque terroriste, la clause d'assistance en cas d'agression armée ainsi que la coopération structurée pour permettre aux pays qui le souhaitent d'aller plus loin en matière de défense. Nous, Français et Allemands, sommes convaincus de la nécessité de donner à ces dispositions toute leur efficacité car pour nos compatriotes, la construction de l'Europe est synonyme de construction de la paix.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 3 juin 2004)
Interview à El Mundo le 2 juin :
El Mundo : Les images des prisonniers irakiens humiliés et torturés ont provoqué un cataclysme au sein du gouvernement américain. Elles ont surtout montré que des hommes à qui l'on confie la défense du pays ou la protection de la paix sur un sol étranger ne sont pas à la hauteur de ce que l'on attend d'eux. Maintenant, la France va prendre le relais de l'Allemagne au Kosovo à la tête de la KFOR. De quelle façon contrôlez-vous les presque 30 000 militaires français qui travaillent dans des missions de guerre ou de paix à travers le monde pour que de tels dérapages ne puissent se produire ?
Michèle Aliot-Marie : Les sévices infligés à des prisonniers en Irak ne peuvent que susciter l'indignation, comme suscite l'horreur cet acte inimaginable de barbarie, diffusé par beaucoup de médias il y a quelques semaines, d'égorgement de ce jeune citoyen américain. Les sévices que vous évoquez sont contraires à toutes les règles relatives aux prisonniers de guerre, à toutes les lois de la guerre, à la Convention de Genève.
Nos armées apportent la plus grande attention à ce sujet, notamment sur les théâtres de nos opérations extérieures. La torture est un acte proscrit et sévèrement sanctionné. Nos cadres et soldats reçoivent une formation spécifique et conséquente sur le sujet à différentes étapes de leur carrière ; toute infraction aux règles par nos militaires serait immédiatement déférée devant la justice française. Je tiens à souligner que nous appliquons la Convention de Genève non seulement aux militaires qui viendraient à être fait prisonniers - et qui relèvent de droit du statut des prisonniers de guerre - mais aussi aux civils qui font l'objet d'une arrestation et d'une incarcération par nos militaires dans le cadre de leur mission.
El Mundo : Excluez-vous toute intervention des soldats français en Irak ? Quand on dit qu'aujourd'hui il n'en est pas question, est-ce une porte ouverte pour demain ? Si oui, est-ce que l'Armée française a les capacités de se déployer un peu plus que de façon symbolique ?
Michèle Aliot-Marie : La position de la France est claire et inchangée. Pour sortir de la situation actuelle qui est par bien des aspects dramatique, il y a une nécessité absolue et un préalable indispensable : transférer à un gouvernement irakien légitime, tant vis à vis des différentes forces politiques et communautés irakiennes qu'à l'égard de la communauté internationale, la souveraineté sur les affaires de l'Irak. Et il faut que ce transfert de souveraineté soit crédible, c'est à dire qu'il faut que le gouvernement irakien puisse gérer l'économie, la justice, qu'il puisse avoir autorité sur les forces de sécurité intérieure, qu'il ait son mot à dire sur les opérations menées par la force multinationale. L'apaisement des tensions et la reconstruction de l'Irak ne seront possibles qu'à cette condition.
La solution ne peut pas être, ou ne peut plus être, militaire. C'est la raison pour laquelle la question d'envoyer des soldats français en Irak ne se pose pas, ni maintenant, ni plus tard. Nous prendrons part à la reconstruction politique et économique de l'Irak., comme nous l'avons depuis longtemps annoncé, ainsi que les Allemands nous sommes prêts si le gouvernement irakien le demande à assumer la formation des futures forces de sécurité irakiennes. La France envisage aussi de participer à l'allégement de la dette irakienne comme à des programmes économiques de développement dans tous les domaines de la vie quotidienne des Irakiens, notamment dans les domaines de l'environnement et des télécommunications.
El Mundo : A quoi bon vouloir développer l'Eurocorps alors qu'existe déjà l'OTAN, qui connaît un succès évident avec l'incorporation de sept nouveaux membres de l'Europe de l'Est ?
Michèle Aliot-Marie : Je note que l'Europe de la défense, je m'en suis rendu compte en Pologne, connaît aussi un grand succès chez nos voisins de l'Est. Le 1er mai dernier nos dix nouveaux partenaires ont adhéré à la politique européenne de sécurité et de défense. Celle-ci est indispensable pour faire de l'Europe une puissance non seulement économique mais aussi politique apte à mener une politique extérieure autonome en totale complémentarité, transparence et solidarité avec nos partenaires et alliés de l'Alliance atlantique, au premier rang desquels figurent nos amis américains. Ces derniers, comme d'ailleurs les sept pays auquel vous faites allusion, se rendent progressivement compte qu'une Europe dotée d'une défense forte et crédible ne peut que renforcer l'action que mène l'Alliance au bénéfice de la sécurité et de la paix, non seulement en Europe mais dans le monde.
Dans ce cadre, le Corps européen est une des capacités opérationnelles, historiquement la première capacité à caractère vraiment européen, dont l'Union peut disposer pour l'accomplissement de ses missions de défense. Il ne sera bientôt plus le seul. Comme vous le savez, nous travaillons actuellement avec nos partenaires à l'amélioration de la capacité de réaction rapide de l'Union européenne par le développement d'ici 2007 de plusieurs groupements tactiques d'environ 1500 militaires chacun susceptible d'être déployés, avec les moyens logistiques et de transport stratégiques correspondants, partout dans le monde dans un délai de 10 jours après la décision de l'UE de lancer l'opération.
El Mundo : Le Sommet d'Istanbul fin juin sera axé, en partie, sur le partenariat de l'OTAN avec l'Union Européenne, quelles sont les ambitions de la France à ce sujet ?
Michèle Aliot-Marie : Le sommet d'Istanbul des 28 et 29 juin 2004 sera l'occasion pour la France de rappeler son attachement à l'Alliance atlantique, pilier de la sécurité en Europe, et de confirmer son implication dans le processus de transformation des structures de l'OTAN ainsi que sa volonté de maintenir sa contribution à la force de réaction rapide de l'OTAN (NRF) à un niveau significatif, tout en conservant sa position spécifique.
El Mundo : Combien de troupes franco-allemandes allez-vous envoyer en Afghanistan ? Vont-elles être encadrées par le commandement de l'OTAN sur place ? Peut-on parler de la première intervention de l'Eurocorps ?
Michèle Aliot-Marie : Le Corps européen prendra l'été prochain la relève des Canadiens dans le cadre de l'OTAN pour le commandement de la FIAS en Afghanistan. La France et l'Allemagne ont annoncé le 13 mai dernier, à l'issue du 3e conseil ministériel franco-allemand, qu'ils souhaitaient aussi que la Brigade franco-allemande (BFA) prenne à la même date le commandement de la brigade multinationale de Kaboul. Il est encore trop tôt pour vous indiquer précisément les effectifs qui seront concernés par ces prises de responsabilité. Ce que je peux vous dire, c'est que si l'on fait le total des effectifs des deux états-majors concernés actuellement en place, on parvient à environ 1000 personnels.
Le Corps européen n'en est pas à sa première intervention. Il a été engagé en 1998 pour renforcer l'état-major de la SFOR en Bosnie puis a assuré en 2000 de manière exemplaire le commandement de la KFOR 3 au Kosovo. Il est d'ailleurs qualifié par l'OTAN comme état-major de niveau opératif.
El Mundo : Pour que la France ait une reconnaissance sur la scène internationale, elle a besoin d'une armée puissante, avec des moyens pour s'imposer, comment combiner ces aspirations et la réduction de budget demandée par le Ministère de l'Economie ?
Michèle Aliot-Marie : Nous sommes entrés dans une période où la montée du terrorisme, y compris en Europe, la prolifération des armes de destruction massive et le développement des crises à caractère ethnique ou religieux exigent que l'on ait les moyens nécessaires pour protéger les Français, et au-delà les Européens, de toutes ces menaces non seulement sur notre continent mais aussi partout où dans le monde ils vivent et travaillent. Nous ne pouvons pas nous désintéresser de la paix et de la stabilité chez nos amis d'Afrique, du Moyen-Orient ou d'Asie, car il y va de leur développement et de la possibilité pour chacun de leurs citoyens de vivre dans la sécurité et la démocratie.
Notre responsabilité à l'égard de nos concitoyens et cette vision du rôle de la France nous obligent. Ce n'est certainement pas le moment de baisser la garde.
El Mundo : Quel est le niveau de coopération entre les services de renseignements militaires européens ? Ont-ils avancé comme les services de polices l'on fait ?
Michèle Aliot-Marie : Le renseignement étant une matière stratégique, son échange exige une grande confiance réciproque et une vraie convergence des politiques de sécurité. C'est un peu la loi du genre qui veut cela ! Les services de renseignement qui dépendent de mon ministère, dont la qualité est, je le souligne, unanimement reconnue, coopèrent bien évidemment étroitement avec leurs homologues étrangers. La nomination de Gijs de Vries, que j'ai rencontré récemment, comme responsable au niveau européen de la lutte contre le terrorisme devrait permettre d'intensifier encore la coopération entre les services de renseignement, qu'ils soient militaires ou civils, des Etats membres de l'Union Européenne.
El Mundo : Quelle est votre expérience du travail de l'Armée espagnole en collaboration avec l'Armée française ?
Michèle Aliot-Marie : Les relations entre nos armées sont anciennes et ont toujours été excellentes. Nous participons ensemble au Corps européen, à l'Eurofor, au groupe aérien Européen, à l'Euromarfor. Nous avons été déployés ensembles sur de nombreux théâtres d'opérations. Ainsi par exemple, lors de l'opération Task Force Harvest (TFH) en Macédoine, le bataillon français travaillait avec une compagnie d'infanterie mécanisée espagnole. Par ailleurs, nous participons ensemble à de grands programmes européens comme l'hélicoptère Tigre et l'A400M. Ces deux programmes vont nous conduire à coopérer plus étroitement encore pour promouvoir une Europe de la défense dynamique et performante.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 3 juin 2004)
Interview à Europe 1 le 3 juin :
Guillaume Durand - Bonsoir Michèle Alliot-Marie. Bonsoir, merci d'être là.
Michèle Alliot-Marie - Bonsoir.
Guillaume Durand - Est-ce que vous avez vraiment le sentiment qu'à l'occasion de la venue du président américain en France, que quelque chose ou en tout cas une page va être tournée ? Vers plus de calme, plus de sérénité et moins d'affrontements politiques ?
Michèle Alliot-Marie - La page politique est déjà très largement tournée. Lors de ma visite à Washington et à New York à la fin du mois de janvier, j'avais déjà constaté cette volonté de tourner la page de la part des autorités américaines. Avec ce qui se passait en Irak, les Américains se sont rendus compte que ce que nous disions n'était pas simplement destiné à nous opposer à eux mais faisait simplement partie de notre expérience en la matière. Ce qui est vrai en revanche, c'est que l'opinion publique américaine, qui avait été travaillée par un certain nombre de médias américains, était restée largement sensible à l'attitude de la France.
Guillaume Durand - Et vous avez l'impression que cela a changé, ça, ou que cela peut changer à l'occasion de ces cérémonies ?
Michèle Alliot-Marie - Exactement. Cette commémoration va nous permettre de rendre un hommage très appuyé à tous les militaires des quatorze pays qui, au moment du débarquement, sont venus nous aider à libérer notre territoire. Je pense que ce sera aussi une façon de montrer aux Américains que nous nous en souvenons.
Guillaume Durand - Alors Michèle Alliot-Marie, j'ai une foule de questions précises à vous poser concernant évidemment la sécurité, concernant la situation politique, concernant la situation budgétaire aussi parce que beaucoup d'interrogations sont en suspens. Mais alors vous savez que les Français sont d'assez bons observateurs. A Paris, ces dernières heures, dans beaucoup de villes de province, on voit les hommes en armes. Je suppose que là on est dans un état qui est un état d'alerte rouge. Comment ça se passe ? On parle même de simulation d'attaque nucléaire sur la Normandie.
Michèle Alliot-Marie - Le gouvernement a effectivement décidé de monter Vigipirate au niveau rouge ; lorsque vous avez des cérémonies très importantes et surtout avec un très grand nombre de chefs d'État et de gouvernement, cela peut-être un prétexte, une tentation pour les terroristes. Notre rôle, c'est d'être vigilants et de prévenir toute tentative en ce sens.
Guillaume Durand - Est-ce qu'on peut dire que c'est du jamais vu les précautions qui sont prises ?
Michèle Alliot-Marie - Effectivement, avec l'ampleur de ces cérémonies sur l'ensemble du territoire, c'est certainement l'une des opérations, sinon l'opération la plus importante. Il y aura 30 000 militaires qui seront mobilisés dont 15 000 uniquement dédiés à la sécurité.
Guillaume Durand - Fermeture de l'espace aérien ?
Michèle Alliot-Marie - Pas une fermeture totale de l'espace aérien bien entendu. Mais nous délimitons des zones que nous appelons " sensibles ", soit parce qu'il y a des cérémonies, soit parce que ce sont des zones qui entourent des points sensibles. Et là, il y a exclusion du survol. Exclusion du survol, cela veut dire que nous surveillons aussi en permanence, à partir des radars, à partir de deux AWACS, l'ensemble des aéronefs, gros et petits avions, hélicoptères, etc. qui survolent le territoire. Et nous avons une alerte permanente, c'est-à-dire que nous avons également en permanence plusieurs avions de chasse et hélicoptères qui sont prêts à décoller et à atteindre n'importe quel point du territoire en moins de 10 minutes. C'est-à-dire que cela ne laisse pas la possibilité à ces aéronefs d'arriver sur la zone la plus sensible.
Guillaume Durand - Est-ce que ça veut dire qu'avec votre collègue de l'Intérieur, vous avez des informations ou pas, faisant état d'une menace accrue à cause de la présence du président américain ? Ou est-ce que c'est totalement préventif ? Sans avertissement
Michèle Alliot-Marie - Non, c'est totalement préventif. Mais la prévention passe par tous les renseignements que nous essayons d'avoir ; ce sont souvent les renseignements qui permettent d'agir au plus tôt. La prévention, cela veut également dire protection d'un certain nombre de zones sensibles et aussi présence sur le sol de tous ces militaires, gendarmes et policiers qui veillent à la sécurité.
Guillaume Durand - Alors il y a beaucoup d'informations qui vous concernent, dans l'actualité. Une qui va surprendre évidemment beaucoup de gens qui nous écoutent, c'est une déclaration du général Bentegeat, que vous connaissez, puisqu'en Afghanistan donc, en tout cas dans la région, il y a des soldats français, notamment 200 soldats des Forces Spéciales et il a expliqué, en tout cas déclaré qu'ils avaient été proches de la capture de Ben Laden. C'est vrai ou pas, ça ?
Michèle Alliot-Marie - A plusieurs reprises effectivement, on a localisé approximativement, mais je dis bien approximativement, des endroits où Ben Laden était susceptible de se trouver. Mais l'Afghanistan, et surtout cette zone, est extrêmement difficile d'accès ; elle comporte également à la fois beaucoup de grottes, de sentiers, etc.
Guillaume Durand - C'est leur travail, ils participent avec les autres à cela ?
Michèle Alliot-Marie - C'est leur travail de participer avec les autres, notamment avec les Américains, à ce travail de lutte contre le terrorisme et d'actions directes contre le terrorisme.
Guillaume Durand - Alors on va parler évidemment des Européennes. Un petit mot, il est important de votre part, concernant la bataille budgétaire. C'est vrai qu'avec d'autres ministres on vous a senti un moment comment dirais-je assez offensive ou assez offensifs, au pluriel, contre les projets de budget voulus par Nicolas Sarkozy. On en est où, aujourd'hui ? Qui a gagné ?
Michèle Alliot-Marie - Nous en sommes à un point où il n'y a ni vainqueur, ni vaincu. Et de toute façon, il n'y en aura pas ; d'abord, parce que cet intérêt est supérieur et parce c'est l'intérêt de la France qu'il faut regarder. Il n'y a pas eu de polémique qui concernent les personnes ; les ministres, c'est tout à fait autre chose. Nous sommes dans une procédure classique, c'est-à-dire que comme tous les ans à cette époque de l'année, les services du ministère du Budget disent à chacun des ministères qu'ils veulent leur donner moins d'argent que l'année précédente. Si nous regardons le fond des choses, c'est exactement ce qui s'est passé les autres années. Les lettres reçues ont exactement les mêmes mots que les années précédentes. Donc, qu'il y ait une médiatisation, c'est quelque chose qui est tout à fait courant. Ensuite, après discussions entre les services, nous aurons des discussions au niveau des ministres. Et le cas échéant, si nous ne nous mettions pas d'accord, des arbitrages seront faits par le Premier ministre et par le président de la République.
Guillaume Durand - Mais pour vous, il n'est pas question qu'il y ait des restrictions budgétaires cette année, concernant le ministère de la Défense ?
Michèle Alliot-Marie - Le ministère de la Défense, c'est un gros budget, c'est le deuxième budget de l'État. Le ministère de la Défense est également conscient qu'il a une mission qui est de protéger le territoire français et les Français sur le territoire mais également à l'extérieur car beaucoup de Français résident à l'extérieur du territoire national. Bien entendu, ce qui est de ma responsabilité, c'est de veiller à ce que chaque euro mis à ma disposition soit le mieux employé possible, qu'il n'y ait aucun gaspillage. C'est effectivement ce que je fais chaque année s'agissant du fonctionnement du ministère.
Guillaume Durand - Mais a priori pas de restrictions budgétaires ?
Michèle Alliot-Marie - Nous avons besoin des moyens financiers permettant d'assurer cette mission de protection des Français.
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Guillaume Durand - Malheureusement des élections il y en a, il y a les Européennes et on sort des régionales qui ont quand même été une défaite pour la droite. Si ces Européennes sont encore une fois une défaite pour le camp que vous représentez, quelles conclusions faut-il en tirer ? Parce que si le Premier ministre est maintenu, est-ce que vous n'avez pas le sentiment que tout le travail que vous faites risque finalement d'être déconsidéré par une grande partie de l'opinion et créer une situation politique délicate ?
Michèle Alliot-Marie - Ce que je redoute surtout dans ces prochaines élections, c'est une abstention majeure qui finalement nous ferait perdre du poids au sein des institutions européennes. Or il faut bien voir que nous avons, nous Français, besoin de l'Europe. Nous allons bientôt prendre la relève de l'OTAN, de nouveau, en Bosnie sur une grosse opération, à la frontière de l'Europe et donc avec tous les risques qu'une situation instable peut représenter.
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Guillaume Durand - Merci Michèle Alliot-Marie d'avoir été notre invitée pour ce soir.
Michèle Alliot-Marie - Merci à vous.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 8 juin 2004)