Interview de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, dans le "Magazine Inter-Entreprises le 16 septembre 2004, sur les contrats de progrès développés aux Antilles depuis la promulgation de la loi de programme pour l'outre-mer.

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Média : Magazine Inter Entreprises

Texte intégral

Inter-Entreprises : La loi programme a été promulguée le 21 juillet 2003 : quels sont les premiers enseignements que vous tirez pour la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique ?
Brigitte Girardin : Toutes les mesures de la loi de programme sont pleinement opérationnelles depuis une dizaine de mois. Les premiers résultats observés aux Antilles et en Guyane confirment la pertinence des choix et l'intérêt des dispositifs de cette loi au regard des objectifs de croissance et d'emploi réaffirmés par le Gouvernement.
Ainsi, la baisse du chômage s'est accentuée entre septembre 2003 et juin 2004 en Guadeloupe (- 7 %) et en Martinique (- 5,9 %). Ce sont les jeunes (- 15 % sur la même période) et les chômeurs de longue durée (- 10,4 %) de chacune des trois régions qui ont particulièrement bénéficié de cette évolution positive.
Dans le même temps, on observe une évolution favorable du nombre des salariés du secteur privé, forte en Guadeloupe (+ 5,2 %) et sensible en Guyane (+ 2,5 %).
S'agissant de l'investissement des entreprises, le nombre des demandes d'agrément déposées au 1er semestre 2004 au titre de la défiscalisation a été multiplié par deux par rapport au premier semestre des deux années précédentes.
J'espère qu'au cours des prochains mois, ces résultats favorables se confirmeront.
Inter-Entreprises : Le contrat de progrès à cinq ans a été signé pour aider la banane antillaise à se restructurer. Les discussions ont été âpres et 48 heures avant la signature, le Front de promotion et de défense de la banane regroupant les producteurs de Guadeloupe et de Martinique déclarait qu'il ne signerait pas ce document : quels ont été les éléments qui ont permis de sortir de l'impasse ?
Brigitte Girardin : Proposé au Salon international de l'agriculture le 3 mars dernier, par le ministre de l'agriculture et moi-même, le contrat de progrès qui, rappelons le, sera doté de plus de 30 M de subvention publique dont plus de 5 M du FEOGA, devrait permettre, avec l'aide complémentaire des collectivités sur les aspects relevant de leurs compétences, d'apporter des éléments de réponse aux difficultés rencontrées par la filière.
Lors de réunions de concertation conduites localement par les deux Préfets, les organisations de producteurs de bananes des Antilles et les représentants professionnels agricoles, y compris les syndicats, ont formulé des propositions et fait état de leurs observations sur la base des orientations générales retenues par le Gouvernement.
Comme cela est souvent le cas lors de négociations importantes, les discussions se sont conclues au dernier moment, en particulier grâce aux explications fournies par le ministre de l'agriculture lors de sa visite aux Antilles les 18 et 19 juin.
Le contrat de progrès signé le 23 juin 2004 devrait maintenant recevoir l'appui des collectivités locales, lorsque celles-ci auront fixé leurs engagements et contributions respectifs, comme le permet le texte
Inter-Entreprises : Quels sont maintenant les grandes étapes sur ce dossier ?
Brigitte Girardin : Ce contrat de progrès s'articule en 3 volets :
- la restructuration de la mise en marché et de la commercialisation,
- la restructuration de la production et le soutien aux producteurs,
- la mise en uvre de mesures d'aide sociale envers les exploitations bananières les plus en difficulté.
Concernant les aspects commerciaux, l'ODEADOM engagera rapidement l'analyse stratégique en concertation avec les professionnels notamment quant aux termes de la campagne de promotion de la banane antillaise. Dans le même temps, le rapprochement commercial des organisations de producteurs devra se poursuivre tant en Martinique qu'en Guadeloupe, et à terme au niveau Antillais.
La restructuration de la production, quant à elle, devra se traduire à court terme, par un encadrement commun des producteurs. Ces derniers pourront bénéficier de contrats d'agriculture durable destinés à promouvoir des techniques de production nouvelles, plus en adéquation avec l'attente des consommateurs métropolitains. Les agriculteurs en difficulté feront l'objet, quant à eux, d'interventions plus spécifiques (audits, mesures de désendettement, et conseils de gestion ).
Enfin, pour les planteurs ne pouvant poursuivre leur activité dans des conditions financières satisfaisantes, des programmes d'aide au départ (préretraite, retraite, reconversion) seront mis en place avec l'appui des collectivités locales, dans les délais les plus brefs possibles.
Deux experts désignés par le Ministère de l'agriculture ont prévu de se rendre régulièrement sur place afin de coordonner le démarrage de ces actions marquant la mise en oeuvre concrète du contrat de progrès.
Enfin, un comité de pilotage associant les pouvoirs publics et les professionnels sera très prochainement mis en place pour procéder périodiquement au suivi de l'avancement des actions et à leur évaluation.
Inter-Entreprises : Voilà bientôt deux ans, un plan d'actions a été mis en place par l'Etat pour relancer le tourisme en Guadeloupe et en Martinique : observez-vous des signes encourageants de reprise dans ce secteur d'activité dans ces départements ?
Brigitte Girardin : Indépendamment du plan d'actions que vous évoquez, je rappelle que la loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003 apporte un puissant soutien au secteur du tourisme en vue de favoriser sa relance, notamment aux Antilles. Je citerai en particulier l'exonération à 100 % des cotisations patronales à hauteur de 1,5 SMIC, l'augmentation à 70 % du taux de réduction d'impôt appliqué aux travaux de rénovation et de réhabilitation hôtelières conjuguée à la détunnélisation des déficits, ou encore l'augmentation à 70 % du taux de réduction d'impôt appliqué aux investissements dans le secteur de la location de bateaux de plaisance. Les effets de ces mesures commencent progressivement à se faire sentir, particulièrement dans le secteur de la plaisance.
Sur les premiers mois de 2004, je constate une légère reprise du tourisme en Guadeloupe : le taux moyen de remplissage des hôtels a progressé de 3,1 points par rapport aux quatre premiers mois de 2003. En Martinique, le tourisme de séjour a crû de 0,6 % et la plaisance, favorisée par les nouvelles mesures de défiscalisation, de 8,3 %.
Avec mon collègue Léon Bertrand, ministre délégué au tourisme, je dis et répète que l'outre-mer français dispose d'importants atouts pour relever avec succès le défi du développement touristique. C'est possible, et c'est de surcroît nécessaire, tant ce secteur d'activité est essentiel au développement économique et social durable des collectivités ultramarines.
C'est une question de volonté. Mais cela suppose aussi l'engagement de tous : du Gouvernement - je puis vous confirmer que c'est bien le cas - des élus, des exécutifs locaux et particulièrement des régions, des comités du tourisme qui doivent jouer pleinement leur rôle d'animation et enfin de la population elle-même. L'objectif est bien de faire venir un plus grand nombre de touristes, mais en même temps, que chaque touriste se sente accueilli, qu'il reparte satisfait et le fasse savoir autour de lui.
La concurrence d'autres destinations voisines telles, par exemple, que Cuba et la République Dominicaine existe, certes, mais elle doit être relativisée tant il s'agit la plupart du temps d'un tourisme de masse largement banalisé. Bien au contraire, les Antilles françaises doivent, opportunément et sans complexe, jouer la carte de la spécificité, de la diversité et de la qualité de leurs produits touristiques.
C'est dans cet esprit déterminé que doit être préparée collectivement et réussie la prochaine haute-saison 2004-2005 qui, à cette condition, peut marquer une franche reprise du secteur.
Inter-Entreprises : Le dialogue social est en phase d'organisation en Martinique, en Guyane et en Guadeloupe avec l'aide de l'Intefp. Votre ministère y porte une attention soutenue puisqu'à chacune des sessions, un représentant de vos services à suivi les travaux. Reste à passer à la mise en place d'outils tels l'observatoire du travail. Quel est selon vous le meilleur niveau de mise en place de ces outils, et de quel soutien les acteurs sociaux peuvent-ils se prévaloir auprès de vous ?
Brigitte Girardin : Les actions menées dans les départements d'outre-mer afin de favoriser le dialogue social sont suivies avec la plus grande attention par mon ministère, qui envisage de consacrer en 2005 plus de 190 000 à l'organisation de nouvelles initiatives dans ce domaine.
Il s'agit là d'une question d'une importance décisive pour le développement économique et social de ces collectivités. Les échanges et réflexions engagés par l'ensemble des forces vives ne peuvent qu'entraîner une meilleure compréhension mutuelle, dans l'intérêt de chacun et de tous.
Nous avons d'abord recherché à réunir les partenaires sociaux, en Martinique, puis en Guyane et, cette année, en Guadeloupe, selon les modalités les mieux adaptées à chacun des départements. Ceux-ci ont globalement répondu de façon positive à ces initiatives. Les études et colloques de réflexion préparatoires financés avec le concours de mon ministère ont aidé les partenaires sociaux à construire, ensemble, des solutions opérationnelles pour améliorer les relations sociales.
Cette démarche a permis ou permettra de créer, dans chaque département, une structure locale chargée de l'animation et du développement du dialogue social.
Ainsi, a été créée en Martinique l'Association régionale pour l'amélioration des conditions de Travail (ARACT), avec l'appui financier de mon ministère. L'ARACT mettra en place le 28 septembre prochain un observatoire régional sur les pratiques sociales dans le travail. Mon ministère financera également en Martinique une formation de médiateurs capables d'intervenir, à la demande, dans les conflits collectifs.
Cette démarche a abouti à des résultats extrêmement positifs en Martinique, premier département d'outre-mer à s'être engagé dans cette voie. Ainsi, au cours des années 2000 à 2003, la durée des conflits sociaux a largement diminué et le nombre de journées de grève a été pratiquement divisé par dix.
En conclusion, s'il est bien dans le rôle de l'Etat d'encourager au départ l'instauration d'un processus de dialogue social, notamment par une aide financière et l'appui de ses services, la pérennité de la bonne pratique du dialogue social repose ensuite sur la prise en charge de la démarche par l'ensemble des acteurs sociaux.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 17 septembre 2004)