Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à LCI le 1er février 2005, sur le débat à l'Assemblée nationale sur "l'assoupplissement" des 35 heures, la réforme de l'Etat, le projet de loi sur l'avenir de l'école et la révision constitutionnelle en vue du référendum sur la Constitution européenne.

Prononcé le 1er février 2005

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- D'abord, peut-être une réaction : on a retrouvé le probable ou présumé responsable du double crime de l'hôpital de Pau. Pour le député de cette circonscription que vous êtes, c'est un soupir de satisfaction ?
R- C'est un soulagement immense, à la fois pour le personnel de l'hôpital et puis pour toute la région qui avait le sentiment d'une menace que l'on n'arrivait pas à identifier. Et puis, c'est aussi un sentiment de très grande tristesse, parce qu'imaginez que ces deux jeunes femmes ont été sacrifiées à cette folie, et c'est aussi l'occasion de ne pas oublier les problèmes de la psychiatrie qui ont été soulevés à cette occasion, et qui sont, à mon avis, durablement important et à prendre en compte.
Q- Deux problèmes vont être évoqués aujourd'hui à l'Assemblée nationale, d'une part parce que vous allez voter la révision de la Constitution française en prévision du référendum sur la Constitution européenne, et puis, d'autre part, vous allez commencer la discussion de l'assouplissement des 35 heures. Est-ce que pour vous, responsable de l'UDF, cela vient à point, cela vient trop tard, est-ce suffisant, est-ce trop ?
R- Je pense qu'on aurait dû faire très tôt, dans les toutes premières semaines après les élections de 2002, parce que comme vous venez de l'indiquer dans votre édito, très justement, l'élection de 2002 avait donné une mission, une légitimité aux gouvernants pour changer, assouplir trouver un nouveau cadre pour cette loi qui n'était pas juste. Mais disons qu'avec les garanties nécessaires, la partie "assouplissement" peut être acceptable. Je suis, en revanche, plus circonspect sur la partie "heures supplémentaires" sur laquelle nous, nous voulons proposer des idées nouvelles.
Q- Quand vous dites "proposer des idées nouvelles", est-ce que cela signifie que le fait de proroger la dispense qu'ont les petites et les moyennes entreprises d'être sur la loi commune, vous fait problème ?
R- Oui. Je trouve que s'il y a des heures supplémentaires, il faut vraiment les payer plus. L'idée que parce que vous êtes dans une entreprise de moins de 20 salariés, à 19 salariés, l'heure supplémentaire ne vous est payée que 10 % de plus, mais que si vous êtes dans une entreprise de plus de 20 salariés - deux salariés de plus - à ce moment-là, elle vous est payée 25 % de plus. Cette disparité, cette différence de traitement n'est pas juste et elle est préjudiciable, parce que, comme vous le savez, pour moi, la situation des salaires moyens est très inquiétante en France. Je pense qu'il faut proposer, explorer l'idée d'avoir des heures supplémentaires payées au même taux, que vous soyez dans une petite ou dans une grande entreprise, et pour éviter une charge supplémentaire, que cette prime de 25 % vienne en déduction des charges sociales.
Q- Les députés UDF vont proposer, j'imagine, des amendements...
R- C'est d'ailleurs à peu près la même chose pour le compte épargne temps, sur lequel, pour l'instant, à mes yeux, il n'est pas clair de savoir si lorsque les salariés se feront rembourser leur compte épargne temps, ce sera payé comme des heures normales - ce qui a été dit encore sur votre antenne il y a quelques minutes - ou comme des heures supplémentaires. Si c'était comme des heures normales, à mes yeux, cela n'irait pas.
Q- Quand vous dites "ça n'irait pas", si vos amendements ne sont pas reçus, vous voterez néanmoins la loi ou vous pourriez faire une crise et ne pas voter la loi ?
R- Poussons la discussion, c'est un sujet très important, et comme vous le savez, difficile, parce qu'un grand nombre de Français sont attachés aux 35 heures, et d'autres, au contraire, voudraient gagner vraiment plus. Poussons la discussion, participons au débat et puis, on verra au bout du compte quel sera le vote.
Q- Mais votre oui est acquis ?
R- Je suis favorable à l'assouplissement, et je voudrais que l'on ajoute sur les heures supplémentaires des dispositions qui n'existent pas aujourd'hui. C'est toute la marche d'un débat au Parlement.
Q- Souhaitez-vous, comme N. Sarkozy que cette mesure soit étendue à la fonction publique ?
R- Quand on dit "étendue à la fonction publique", c'est ne pas prendre en compte l'extrême diversité de la fonction publique ; il y a dix fonctions publiques différentes.
Q- A l'hôpital notamment où cela fait beaucoup problème.
R- Combien de ces fonctions publiques travaillent ? Quel est leur temps de travail réel ?
Q- Vous voulez dire que certains travaillent moins de 35 heures ?
R- On le sait bien. Donc, regardons fonction publique par fonction publique. Il y a un problème à l'hôpital, essayons de le traiter de manière intelligente et ouverte.
Q- D'une manière générale, vous trouvez que le train des réformes va suffisamment vite ou pas ? On vous a entendu, lors du congrès de l'UDF très critique à l'encontre du Gouvernement.
R- J'essaye d'être juste et d'être critique ou réservé quand à mes yeux il faut l'être et d'être au contraire ouvert quand cela se justifie. Je suis persuadé qu'au lieu de l'attitude automatique des gens qui sont toujours pour ou des gens qui sont toujours contre, l'attitude indépendante correspond mieux à l'attente de Français et à la réhabilitation de la politique.
Q- On a parlé de stratégie...
R- Il y a des sujets, et je vais vous en dire un sur lequel, à mon avis, vraiment, on est très en retard, c'est ce que l'on appelle la réforme de l'Etat. Comment faire, dans un pays comme le nôtre pour que d'abord la dépense publique soit mieux maîtrisée qu'elle ne l'est, pour que l'on ait un Etat qui réponde mieux ? On nous avait annoncé de grandes réformes ; il y a même des membres du Gouvernement chargés de cela et qu'est-ce qui s'est passé ? Rien ! Voilà un sujet sur lequel on n'est pas allé assez vite.
Q- Mais d'une manière générale, on vous a reproché - certains de vos amis de la majorité - d'être dans une stratégie de rupture. Etes-vous dans une stratégie de rupture ?
R- Je suis dans une stratégie de justice. C'est très compliqué à comprendre dans un pays comme le nôtre parce que l'on est habitué, perpétuellement, à avoir un verrouillage du débat. Ce n'est pas ma vision.
Q- Est-ce que ce n'est pas compliqué à comprendre pour les élus UDF eux-mêmes qui ont envie d'être réélus aux prochaines élections ?
R- Ils seront réélus aux prochaines élections s'ils expriment le sentiment juste des Français. En tout cas, c'est dans ce sens que j'irai.
Q- Vous avez dit que vous diriez et que vous disiez trois fois "oui" à la Constitution européenne. Est-ce qu'en disant, comme certains le prétendent, trois fois "non" ou souvent "non" au Gouvernement, vous n'êtes pas en train de favoriser, peut-être, un "non" à la Constitution européenne ?
R- Si ne votaient à la Constitution européenne que ceux qui sont absolument satisfaits du Gouvernement, il y aurait peu de chance que cette Constitution trouve une majorité. La Constitution européenne doit rassembler tous ceux qui pensent que l'Europe est le seul avenir pour la France. Et ceux-là ont le devoir d'exprimer à la fois leur adhésion à la Constitution européenne et les inquiétudes qu'ils peuvent avoir, soit sur l'avenir de l'Europe, soit sur la situation française. C'est en disant clairement et simplement la situation comme nous la ressentons, que nous aurons une chance d'être ressentis comme authentiques et donc suivis.
Q- Vous voterez cet après-midi sans réserve la révision constitutionnelle nécessaire au référendum sur la Constitution européenne ?
R- Je voterai la révision constitutionnelle, parce que c'est l'étape obligatoire pour l'adoption de la Constitution. J'aurais préféré qu'elle prenne en compte un nouveau droit pour le Parlement de débattre enfin des problèmes européens - c'était l'amendement Balladur, vous le savez - il n'a pas été adopté, mais cela ne remettra pas en cause mon vote fondamental, parce que cette Constitution est bonne pour la France et son adoption est un signe européen nécessaire.
Q- Deux interrogations rapides : sur la loi Fillon de réforme de l'école, vous, l'ancien ministre de l'Education nationale, vous êtes a priori favorable ou a priori
défavorable ?
R- En tout cas, je ne suis pas en situation d'opposition, d'affrontement sur cette loi dont je trouve qu'elle ne mérite ni un excès d'honneur ni une indignité parce qu'on n'a pas le sentiment que les choses vont vraiment changer. En revanche, je voudrais vraiment que l'on fasse attention à ce qui est en train de se passer dans les établissements scolaires, parce qu'on est en train de supprimer des options dans un très grands nombres d'établissements scolaires, notamment dans les zones rurales ou dans les banlieues, dans les établissements qui ne sont pas de centre-ville. Et cette suppression d'options est un très mauvais signe parce que cela veut dire que l'égalité devant l'école, c'est un principe que l'on invoque mais ce n'est pas une réalité que l'on construit.
Q- B. Debré, candidat à la mairie de Paris pour l'ensemble de la majorité UDF-UMP serait une bonne solution ?
R- Voulez-vous que l'on considère que - avec toute l'amitié que j'ai pour B. Debré en particulier - des élections en 2008, alors que nous sommes au début de 2005, ce n'est franchement pas encore le moment d'en parler. Je crois, d'ailleurs que l'on assistera à une série de rebondissements. Autant il est nécessaire de réfléchir à la situation de Paris, et l'UDF y réfléchit, autant il faut éviter une précipitation qui serait nuisible.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 février 2005)