Déclaration de M. Christian Jacob, ministre des PME, du commerce, de l'artisanat, des professions libérales et de la consommation, sur les principaux axes de la future loi "Entreprises" : l'accès au financement et la viabilité de l'entreprise, le renforcement des fonds propres, la transmission de l'entreprise, le conjoint collaborateur et sur la loi Galland, Paris le 28 octobre 2004.

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Circonstance : Congrès de l'UPA à Paris le 28 octobre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Vous savez que l'ancien responsable syndical que je suis aurait pu ajouter la formule suivante à votre mot de conclusion : la confiance se mesure chaque jour. Je l'ai tellement dit à tant de ministres que je comprends que vous puissiez avoir envie de le dire à votre tour. Et vous avez tout à fait raison de le faire.
Je voudrais tout d'abord m'excuser des contretemps qui auraient pu se produire : vous savez que le plan de cohésion sociale, et notamment la partie apprentissage, est aujourd'hui en débat au Sénat. Les Sénateurs ont pris un peu de retard, ce qui me permet d'être présent ce matin.
Je vous remercie, Monsieur le Président, de vos propos. Permettez-moi aussi de saluer vos vice-présidents, Monsieur Pérez, Monsieur Lardin, Monsieur Paillasson. Je salue également Alain Griset, le président de l'APCM ainsi que Pierre Chevalier, le président de la SEMA, Jean-Michel Lemétayer, le président de la FNSEA, Claude Bellot, le président de la CGAD.
Mesdames, Messieurs,
Je salue aussi nos Sénateurs, notamment Gérard Cornu qui a présidé un des groupes de travail auquel vous avez fait allusion sur la préparation de la loi " entreprises ", le Président de la Commission des finances, Jean Arthuis, ainsi que Dominique Paillé et Jean Gaubert.
I. Introduction
1. L'apprentissage
Je ne vais pas revenir longuement sur le sujet de l'apprentissage : je pense que Laurent Hénart le fera dans quelques instants.
Je me félicite à mon tour du travail que nous avons effectué ensemble sur ce texte. L'artisanat et l'apprentissage sont véritablement liés. Bien évidemment, des corrections peuvent être envisagées, vous y avez fait allusion à l'instant. Je pense que le débat parlementaire, tant au Sénat qu'à l'Assemblée, pourra apporter des modifications.
Mais vous le savez bien, tout n'est pas législatif dans ce domaine. C'est pour cette raison que nous avons souhaité, Laurent Hénart et moi-même, pouvoir mettre en place, suite au vote du texte, un groupe de suivi pour tous les aspects réglementaires. Nous travaillerons en commun car c'est la seule manière d'aboutir à une bonne réforme.
2. La loi " entreprises "
Je souhaite aborder plusieurs points que vous avez évoqués. Vous avez la gentillesse de me féliciter pour la méthode employée. Je suis très attaché à cette méthode de travail, je ne crois pas aux générations spontanées, aux gens qui savent tout sur tout en toute circonstance. Je ne crois pas non plus à la précipitation. Je pense qu'il faut prendre le temps de travailler ensemble, de confronter nos arguments.
C'est ce que nous avons fait depuis quelques mois. Je suis arrivé à cette responsabilité ministérielle au mois d'avril. Les groupes de travail ont été mis en place au mois de juin et se sont réunis une fois par semaine - exception faite de 15 jours en août - jusqu'au 20 octobre. 23 ou 24 réunions ont donc eu lieu, ainsi qu'une trentaine d'auditions. Aujourd'hui nous avons à disposition un corpus d'une quarantaine de propositions qui ne sont ni les propositions de l'administration, ni celles d'un Ministre ou d'un cabinet mais qui sont celles remontées par l'ensemble des participants aux groupes de travail.
Ce mode de fonctionnement est selon moi le plus efficace. En ayant démarré ce travail au mois de juin, nous arriverons au mois de décembre avec un texte qui pourra être présenté en Conseil des Ministres. Le travail parlementaire pourra ensuite commencer.
Ces méthodes - je le dis en clin d'oeil à Jean-Michel Lemétayer - sont celles de la JAC : voir, juger, agir. On prend le temps de l'observation, de l'analyse, et ce n'est qu'ensuite que l'on passe à l'action. Il ne faut surtout pas inverser l'ordre des choses.
II. Quelques propositions
Je vais reprendre quelques-unes de ces propositions et tenter de répondre aux interrogations que vous avez soulevées.
1. L'accès au financement
Le premier axe qui me semble important est celui de l'accès au financement et de la viabilité de l'entreprise. Nous savons tous que les années difficiles et fragiles pour une entreprise - qu'elle soit artisanale ou commerciale - sont les cinq ou six premières années. La première difficulté est d'accéder aux financements. Combien de projets intéressants ne sont pas concrétisés en raison d'une incapacité à attirer les financements nécessaires ? C'est pour cette raison que nous sommes en train de réfléchir à un système de fonds de garantie ou de fonds de cautionnement en nous appuyant sur des modèles existants, comme la SOFARIS ou la SIAGI. Au lieu d'accéder à ces fonds de garantie par l'intermédiaire des organismes bancaires, nous voudrions que l'artisan et le commerçant puissent aller consulter en amont les fonds de garantie. Ces derniers, en fonction de la nature du projet, pourront le garantir à 30, 40, 50 ou 60 %. Ensuite, le commerçant et l'artisan pourront aller rencontrer leurs banques en position de force en termes de négociation.
2. Le renforcement des fonds propres
Nous réfléchissons également à des systèmes de renforcement de fonds propres. Une des difficultés essentielles au cours des cinq premières années - je le répète à chacune de mes interventions publiques sur ce sujet - est la création d'un fonds de roulement de trésorerie. Combien d'entreprises se trouvent dans de graves difficultés car elles n'ont pas la capacité d'encaisser le premier choc comme le premier impayé ou la machine à remplacer dans les plus brefs délais ? Très souvent, elles ont recours à des financements à court terme ou à des ouvertures de crédit à des taux relativement élevés. Il nous faut donc renforcer la trésorerie.
3. La provision pour investissement
Dans le même esprit - vous y avez fait allusion Monsieur le Président - nous réfléchissons à la provision pour investissement. Nous la connaissons bien dans le milieu agricole. Elle permet de défiscaliser une partie des résultats et de les provisionner en vue d'un investissement. Si cet investissement est prévu à trois ou quatre ans, cette méthode évite d'avoir recours à un emprunt et elle permet de s'autofinancer. Bien évidemment, si au terme des trois ou quatre ans, l'argent n'est pas utilisé, il est re-fiscalisé. De plus, comme vous le disiez Monsieur le Président - et c'est un argument que j'ai largement utilisé - cela ne coûte rien au budget de l'Etat. Mes collègues de Bercy ont toujours du mal à intégrer cette donnée. Cela étant, je pense que c'est une mesure de gestion saine pour les entreprises que de pouvoir provisionner sur de l'investissement.
4. Transmission de l'entreprise
Nous réfléchissons également à des pistes sur les dons familiaux ou sur toutes ces possibilités qui permettent de maintenir un outil existant, dans le cadre de la transmission, ou de faciliter la reprise et l'installation d'un jeune.
Voilà quelques-unes des pistes qui ont été définies par les groupes de travail et qui me paraissent particulièrement intéressantes.
III. Les nouvelles formes d'activité
1. Le conjoint collaborateur
Je suis favorable à ce que ce statut soit obligatoire. C'est le seul point de divergence possible avec certaines organisations, mais ce n'est pas le cas de la vôtre. Si ce statut n'est pas obligatoire, il ne fonctionnera pas.
Aujourd'hui, deux tiers des conjoints travaillent dans les entreprises mais seulement 10 % d'entre eux ont des droits sociaux ouverts. Si nous voulons vivre dans un système optionnel, il n'y a effectivement rien à changer. Mais je pense qu'il faut franchir le pas et aller vers un système obligatoire qui ouvre des droits sociaux mais également des droits aux fonds de formation - les conjoints doivent pouvoir bénéficier des outils de formation - et à la validation des acquis de l'expérience. En effet, combien de fois sommes-nous confrontés à des personnes qui, après parfois toute une vie d'activité comme conjoint d'artisan ou de commerçant, se retrouvent sans reconnaissance et sans qualification à la suite d'une séparation ou d'un veuvage ?
2. Le collaborateur libéral
Dans vos corps de métier, vous êtes moins concernés par ce point mais il reste important dans d'autres secteurs. Je suis très attaché à ce statut à destination des jeunes qui sortent de formation et qui n'ont pas les moyens financiers de racheter un cabinet et qui pourraient être hébergés chez un professionnel déjà bien établi. Ils pourraient constituer leur propre clientèle et auraient alors le choix de s'associer avec leur hébergeur ou de s'installer à leur propre compte.
3. Le statut du professionnel autonome
C'est un point sur lequel nous nous sommes mal compris ; la discussion se poursuit. Dans mon esprit, le professionnel autonome n'a pas un seul et exclusif donneur d'ordres. Il peut au contraire avoir plusieurs donneurs d'ordres. C'est pour cette raison qu'il ne s'agit pas d'un salariat déguisé. Vous m'aviez déjà fait part de cette crainte.
IV. La transmission et la reprise
Nous avons eu beaucoup de propositions dans ce domaine.
1. Le tutorat
Nous avons beaucoup d'efforts à fournir à ce sujet. Cette méthode est une réussite dans nombre de pays voisins et je ne vois pas pourquoi il n'en serait pas de même en France.
Il nous faut donner la possibilité à un artisan ou à un commerçant de pouvoir " mettre le pied à l'étrier " à un jeune, c'est-à-dire leur donner la possibilité, lorsqu'ils bénéficient de leurs droits à la retraite, de pouvoir accompagner un jeune qui reprend l'entreprise.
Nous pouvons également réfléchir à la manière d'utiliser au mieux l'expérience des cadres ou des ouvriers au chômage. Ils sont utiles à la formation des jeunes. Un des défis essentiels est la reprise d'entreprise. En effet, 500 000 chefs d'entreprise vont prendre leur retraite dans les dix ans à venir. Plus de 5 millions de salariés travaillent dans ces entreprises. La transmission est donc un véritable sujet de préoccupation. C'est pour cette raison que le Président de la République a voulu mettre l'accent sur l'apprentissage et sur les formations en alternance.
Il nous faut mieux accompagner ces jeunes qui se destinent à être salariés ou même repreneurs d'une entreprise.
2. La prime à la transmission accompagnée
Il existe des systèmes de prime à la cessation, mais ils ont pour conséquence la fermeture des entreprises. Il nous faudrait inverser la dynamique et encourager ceux qui ont la volonté de trouver un repreneur. Cette prime de transmission accompagnée fait partie des propositions présentées par les groupes de travail.
Il en va de même pour la création de bourses nationales ou régionales à la transmission - reprise. Elles pourraient être présentées par internet mais aussi par tous les autres moyens de communication ou de mise en relation entre les candidats à la cession et les candidats à la reprise. Je pense qu'il y aura beaucoup de propositions dans ce domaine.
3. Les mesures innovantes
Il nous faut aussi réfléchir à des mesures innovantes qui existent déjà dans d'autres secteurs. Je pense notamment à la réserve d'usufruit qui peut être un moyen, étalé dans le temps, d'aide à la reprise. Cette réserve permettrait au cédant de ne pas fiscaliser la totalité de sa cession, de conserver l'usufruit et de transmettre simplement la nue propriété. Le coût de reprise pour le repreneur serait amoindri et le montant de la cession, pour le cédant, serait étalé dans le temps. La simplification administrative
C'est dans ce domaine que les marges de progression d'un gouvernement sont les plus importantes : il y a beaucoup de travail à réaliser !
Je ne vais pas énumérer toutes les propositions qui ont été faites ; elles relèvent en général du bon sens. Je voudrais simplement évoquer une des ces mesures qui me tient particulièrement à coeur et qui avait provoqué quelques réactions. On a le droit de rêver en politique : imaginons un document qui pourrait être rempli en 5 lignes et qui mentionnerait seulement les noms et prénoms du salarié, son numéro d'affiliation à son régime social, le nombre d'heures " normales " et le nombre d'heures supplémentaires, son salaire brut et son salaire net. Imaginons ensuite que ce document puisse se substituer à la déclaration unique d'embauche, au contrat de travail, à la fiche de paie et au bulletin de paiement. C'est un beau rêve ! Mais j'ai envie que nous essayons de le réaliser. Je ne dis pas que nous allons y parvenir mais nous allons tenter de lever les blocages existants.
Lorsque je travaillais au Ministère de la Famille et que nous avons expliqué, avec Madame Prudhomme, que nous allions rassembler six prestations d'accueil du jeune enfant en une seule, j'ai reçu tous les jours des notes m'expliquant que ce n'était pas possible. Mais nous y sommes arrivés...
Tout ne dépend cependant pas de la loi. Je souhaite que nous mettions en place un véritable plan de mobilisation en faveur des PME et des TPE sur des points qui ne sont pas législatifs. Je pense au système d'accompagnement au long cours, c'est-à-dire à la mise en place d'un appui quasi individualisé au chef d'entreprise durant les premières années de son activité.
En effet, le nombre d'entreprises en difficulté est divisé par deux quand elles sont accompagnées. Il est également utile de mettre en place un système de détection des difficultés le plus précoce possible, des chartes de qualité avec les réseaux bancaires : le banquier est à un poste d'observation important. Il peut en effet détecter les premières difficultés, ce qui permettrait de mettre plus rapidement en oeuvre des mesures d'accompagnement.
V. La loi Galland
Le débat sur la loi Galland fait toujours l'actualité. Le rapport Canivet a été remis au Ministre des Finances le 18 octobre. Ce rapport contient des propositions intéressantes, notamment celles qui concernent le renforcement des sanctions ou la définition de coopérations commerciales. De nombreux points méritent cependant d'être étudiés et travaillés. Je reste fidèle à mes méthodes de travail, à savoir le temps de la concertation. Nous devons prendre le temps de mesurer chacun des arguments, c'est de cette manière qu'un projet est préparé dans de bonnes conditions.
Pour moi, un des points essentiels est celui du seuil de la revente à perte. Le principe est le suivant : quand on achète 100, on ne peut pas revendre en dessous. Il faut faire des bénéfices : ceux qui disent le contraire utilisent d'autres moyens pour faire de la marge, notamment grâce au système des marges arrières. Certaines propositions de ce rapport consistent à inclure directement les marges arrières dans le prix. Ces propositions constituent en réalité une légalisation des marges arrières alors même que nous contestons ces dernières.
Il vaut donc mieux définir ce qui relève de la coopération commerciale, l'encadrer, mais ne pas la légaliser. Certains secteurs arrivent à 30 % ou même 60 % de marges arrières. Que voudrait dire un prix sur lequel seraient retirés les rabais, les remises et 60 % de marges arrières ? Ce prix n'aurait plus aucun sens ! Il s'agirait même d'un prix de dumping. N'oublions pas que chaque consommateur est aussi accessoirement salarié d'une PME, d'un artisan, d'un commerçant ou d'une grande entreprise. La logique de baisse de prix n'a donc pas de sens en tant que telle. Au contraire, l'intérêt est de travailler sur la relance de la consommation. Il nous faut trouver les moyens de mettre le consommateur en confiance. Personne n'est dupe des soi-disant marges 0.
Prenons le temps de travailler sérieusement sur un système transparent. Personne dans ce domaine ne possède la vérité révélée.
(Source http://www.upa.fr, le 20 décembre 2004)