Texte intégral
Monsieur le Président
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais vous dire tout d'abord combien je regrette de ne pas pouvoir consacrer plus de temps à ces 9èmes "Entretiens de l'ART" et vous remercier en même temps de me permettre de m'exprimer ici sur un des thèmes majeurs de l'Équipement et de l'Aménagement du Territoire.
Un regret car je sais que la qualité des tables rondes que vous avez organisées comme la consultation dont vous donnerez tout à l'heure les résultats, contribueront de façon significative à l'évolution du déploiement du haut débit dans les territoires.
Je tiens à dire, ici, combien j'ai apprécié l'engagement déterminé de l'ART en faveur du droit des collectivités territoriales à créer, sous certaines conditions, un service public local du haut débit.
Ensemble, avec vous, nous avons pris part au large débat qui s'est conclu par l'adoption par le parlement de l'article 1425-1 modifiant le code général des collectivités territoriales.
Comme cela avait été annoncé au mois de septembre, une circulaire aux préfets est actuellement en cours de signature pour préciser les modalités de mise en oeuvre de cet article de loi. Elle rappellera notamment les grands principes qui doivent guider l'intervention d'une collectivité territoriale qui mobilise des financements publics pour l'aménagement numérique de son territoire.
Cette intervention doit, en effet, être appréciée au regard du droit de la concurrence et du code général des collectivités territoriales.
La collectivité territoriale qui intervient dans le cadre de l'article 1425-1, ne peut qu'être propriétaire ou quasi-propriétaire immédiatement ou à terme des infrastructures de communication électronique.
Si la collectivité territoriale souhaite satisfaire des besoins qui lui sont propres en matière de services de communications électroniques, elle peut recourir à une procédure d'achat de service. Les services fournis dans le cadre de ce marché ne pourront alors être proposés à des tiers.
Enfin la collectivité doit s'assurer de la cohérence entre son projet et celui des autres acteurs publics.
Mais, aussi indispensables que soient les lois et les circulaires pour préciser le possible et l'interdit, elles ne disent rien du comment faire efficace, adapté à chaque territoire en fonction des objectifs qu'il poursuit.
Admettons d'emblée qu'il s'agit de problématiques complexes, qui appellent donc des solutions diversifiées.
Dès mon arrivée au ministère de l'Équipement, j'ai souhaité que son administration à haute compétence technique, connue des élus locaux sur tout le territoire, s'implique fortement dans le développement de ces nouveaux réseaux comme ils le font sur les autres réseaux de transport que ce soit les routes, les autoroutes ou les voies de chemin de fer.
Le Comité Interministériel d'Aménagement et de Développement du Territoire de décembre 2002 a consacré cette mission au service des collectivités territoriales.
Avec Frédéric de SAINT-SERNIN, le secrétaire d'État à l'Aménagement du territoire, j'ai donc demandé au Centre d'Étude Techniques de l'Équipement de Nantes de mettre en place une équipe spécifique d'experts destinée à servir de centre ressources national pour toutes les directions territoriales susceptibles d'être impliquées et plus largement pour les collectivités locales qui le souhaitent.
Je suis en effet convaincu que sur des sujets de cette complexité et représentant ce niveau d'investissement, il est indispensable de pouvoir disposer d'une capacité d'expertise indépendante. Il me paraît du rôle de l'État de savoir développer et mettre à disposition de tous les partenaires cette capacité d'expertise.
En effet, tant que nous parlions du risque de voir l'essentiel des territoires ruraux privés des liaisons Internet à haut débit et de la fracture numérique qui en résulterait, tout le monde voyait de quoi on parlait et l'engagement des collectivités allait de soi.
Le Président de la République exigeait d'ailleurs avec force la mobilisation de l'ensemble de la nation et le gouvernement adoptait le plan Resho 2007 pour répondre aux objectifs qui lui étaient fixés.
Le problème a évolué lorsque l'opérateur historique assurait par un effort que je tiens ici à saluer, son propre redressement et un déploiement rapide de l'ADSL sur une large partie du territoire. Ce plan d'investissement exceptionnel a permis à de nombreuses communes d'être desservies sans financer d'investissement et à la France de combler son retard.
Pourquoi dès lors investir se dit l'élu légitimement soucieux des deniers publics ?
On lui explique que l'ADSL à 500 kilos bits n'est pas vraiment du haut débit et qu'à moins de deux ou trois méga bits la transmission de vidéos par exemple, ne serait pas possible.
Mais voilà que l'ADSL nous est désormais proposé ou a minima promis à 10 ou 20 méga bits tandis que la télévision sur ADSL s'installe dans les foyers.
Sitôt assimilées, non sans mal, ces avancées technologiques, l'élu local attentif entend parler du Wi Max et des prouesses dont il est porteur. Il se souvient cependant des attentes analogues et vaines portées par la "boucle locale radio" qui devait résoudre tous ses problèmes.
Entre volontarisme plein d'espérances, attentisme prudent et pragmatisme, la France des territoires essaie de mieux comprendre pour se décider.
Les pragmatiques ont bien mesuré les enjeux mais ne pensent pas qu'il est de leur mission d'en maîtriser les prémices techniques. Tant qu'à payer mieux vaut le faire au moindre coût et au moindre risque. Les accords avec un seul opérateur, tentants, sont très encadrés par la loi, le Conseil national de la concurrence et l'ART.
La Délégation de Service Public concessive permet de réduire les coûts d'investissement à la charge de la collectivité locale et la libère de tout le fonctionnement du système. Elle y perd par contre une large part de son pouvoir pendant le temps de la concession.
Les attentistes espèrent que les progrès technologiques permettront demain sans argent public ce qui aujourd'hui n'est possible qu'avec des subventions.
Les volontaristes, dont je suis, pressentent que le haut débit n'est que le vecteur d'un bouleversement de société dont les collectivités ne peuvent pas être absentes et qu'elles doivent maîtriser.
Maîtriser un réseau public c'est avoir la possibilité d'offrir, sur son territoire, à toutes ses entreprises, ses hôpitaux, ses écoles, collèges, lycées, Universités ou encore aux touristes, aux habitants toute la diversité des services au meilleur prix sans autres contraintes que celles édictées par la loi.
Un réseau public permet la mutualisation des infrastructures exigée par la loi, source d'émulation pour les offreurs de services.
Pour faciliter le développement de réseaux publics, il me paraît indispensable que celles-ci puissent utiliser l'ensemble des technologies existantes. Je souhaite donc qu'avec Patrick DEVEDJIAN, Frédéric de SAINT-SERNIN et l'ART nous puissions étudier comment confier des licences WI Max à des collectivités territoriales de niveau départemental pour qu'elles puissent utiliser cette technologie pour développer leur propre réseau et assurer cette mutualisation et cette transparence souhaitées. On éviterait ainsi de rééditer l'expérience de la boucle locale radio dont les licences affectées aux seuls opérateurs n'ont pas été utilisées car trop peu rentables.
Nous n'avons plus le droit à l'erreur.
La mondialisation dont on parle beaucoup ne sera pas un système ou quelques big brothers prendront des décisions pour une humanité soumise, mais à l'inverse, une société ou l'énorme masse de microdécisions individuelles imposera une implacable loi du nombre.
Dans ce monde là, ce qui importera, pour les individus comme pour les entreprises, sera la capacité d'anticipation rapide face à des faisceaux d'informations que les machines puis l'esprit devront analyser à grande vitesse.
Depuis longtemps la DATAR parle des réseaux de ville c'est-à-dire des synergies à créer sur des territoires pertinents entre les entreprises, la formation, les infrastructures, la vie culturelle et les services. Les réseaux haut débit peuvent en faire une réalité.
Pour ma part, je souhaite que les documents d'urbanisme en cours ou à venir prennent mieux en compte cette "compétitivité des territoires" par l'organisation et l'échange des informations pertinentes entre les différents acteurs locaux qu'ils soient publics ou privés. La réalisation prévue des réseaux haut débit, leur cartographie précise, les contacts qu'ils nécessiteront, les échanges rendus possibles et aisés devrait conduire à la recherche des pertinences économiques locales comme cela s'est fait en Italie ou dans les pays d'Europe du nord par exemple.
Ainsi chacun comprend que c'est une partie du futur de chaque collectivité qui se joue dans ces stratégies de réseaux haut débit. Aux organisations pyramidales (de l'État à la commune) héritées des siècles passés se mettent en place des organisations souples et mouvantes que l'échange d'informations façonne pour une plus grande efficacité économique, une vision partagée des modes et des genres de vie ou la relation au travail, aux loisirs, à la santé ou à la sécurité se précisera peu à peu.
Aux séquences de la vie entre l'enfance où l'on apprend, l'âge adulte ou l'on travaille et l'âge de la retraite où l'on se repose succéderont des temps beaucoup plus personnalisés dont l'âge ne sera plus le seul facteur déterminant. Se former à distance, se soigner à distance, travailler à distance ainsi que se retrouver ou se distraire sur Internet accoucheront d'une autre société dont les collectivités et leurs élus assumeront les délicates évolutions.
Ainsi Aménager ne sera plus simplement "Prévoir tout ensemble" comme le disait un de mes illustres prédécesseurs, Olivier GUICHARD, mais aussi "permettre" des chemins originaux dans un avenir de possibles encore mal définis. Il suffit de regarder la multiplication des rencontres d'élus sur ces thèmes pour comprendre les inquiétudes, la volonté de comprendre et pour finir d'être acteurs dans ce monde qui vient.
Je suis certain que ces 9ème entretiens de l'ART seront une étape importante dans la prise de conscience du rôle important de ces réseaux haut débit dans l'avènement de cette société de l'information qui se déploie sous nos yeux avec vous et grâce à vous.
Je vous remercie.
(Source http://www.equipement.gouv.fr, le 2 décembre 2004)