Déclaration de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, sur l'extension de l'internet haut débit et de la téléphonie mobile par les collectivités locales et l'Autorité de Régulation des Télécommunications, Paris le 1er décembre 2004.

Prononcé le 1er décembre 2004

Intervenant(s) : 

Circonstance : Clôture des 9e entretiens de l'ART à Paris le 1er décembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Autorité de Régulation des Télécommunications,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de remercier l'Autorité de Régulation des Télécommunications et son Président pour l'organisation de ces 9èmes Entretiens de l'ART. Ces entretiens sont devenus au fil des ans un instant privilégié de dialogue et d'échange avec l'ensemble de la communauté des télécommunications et son régulateur.
Je tiens aussi à remercier l'ART d'avoir choisi le thème à la fois crucial et sensible de "l'intervention des collectivités territoriales dans les télécommunications".
Ce thème est crucial, parce que l'action publique locale constitue aujourd'hui la seule garantie d'un aménagement numérique équilibré et d'une couverture effective du territoire par les grands réseaux de télécommunications fixes et mobiles.
L'accès à Internet haut débit et à la téléphonie mobile est devenu une condition essentielle, non seulement de la compétitivité économique, mais aussi de l'intégration culturelle et sociale.
Le besoin d'information s'exprime déjà dans les mêmes termes que le besoin en énergie ou en eau potable. Un individu privé d'un débit suffisant d'information risque de rester à l'écart d'une société en mouvement permanent. Une entreprise limitée dans son accès à Internet est handicapée dans une économie numérique fondée sur le partage de la connaissance. Un territoire non desservi par les autoroutes de l'information s'expose à l'abandon.
Ce thème est aussi particulièrement sensible, parce que les collectivités locales viennent d'être dotées, par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, à travers le nouvel article L.1425-1 du Code Général des Collectivités Territoriales, d'une compétence très large pour " établir et exploiter sur leur territoire des infrastructures et des réseaux de télécommunications ".
Les collectivités locales sont désormais autorisées à exercer les activités d'opérateurs de télécommunications, y compris, dans certains cas, en concurrence avec les opérateurs privés.
1. Mais l'intervention publique dans un contexte aussi concurrentiel est particulièrement délicate. Les discussions relatives aux différentes chartes départementales déjà signées, ainsi que les avis publiés par les autorités de régulation à ce sujet, témoignent si besoin était de la difficulté constante à concilier action publique et concurrence.
La conjugaison des règles européennes et nationales sur les aides aux entreprises, sur la non discrimination, sur les marchés et délégations de services publics, complique encore un peu plus le débat. Les modalités juridiques, techniques et économiques retenues par les collectivités s'inscrivent enfin dans une recherche de synergies entre investissements publics et privés.
Je soulignerai seulement ici que l'exercice d'une activité d'opérateur de télécommunications est d'autant plus difficile que les collectivités les plus concernées par l'aménagement numérique du territoire sont souvent celles qui disposent des moyens les plus limités pour mettre en oeuvre cette nouvelle compétence. J'observe en particulier que les premiers départements à engager des plans de couverture haut débit sont loin d'être les plus ruraux, les plus pauvres, ou ceux qui font face aux plus grandes difficultés de désenclavement numérique. Cette nouvelle compétence a ainsi pour caractéristique d'être la plus difficile à exercer là où elle est probablement la plus nécessaire à appliquer.
2. L'accompagnement des collectivités locales dans la mise en uvre de l'article L.1425-1 constitue donc une priorité.
La consultation publique lancée par l'ART le 12 juillet dernier sur ce sujet nous permet de mieux appréhender les difficultés posées.
Je tiens à saluer le travail remarquable accompli par l'Autorité, qui aboutit aujourd'hui à la publication de points de repère pour la conduite de projets. Ces points de repère constitueront un véritable guide pour les collectivités locales. Je compte les transmettre à l'ensemble des services déconcentrés du ministère délégué à l'Industrie, en leur demandant de bien vouloir les utiliser comme cadre de référence pour l'aménagement numérique du territoire.
Avec les Ministres chargés de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, nous adresserons dans les prochains jours aux Préfets de région et de département une première circulaire pour le contrôle de légalité en matière d'aménagement numérique du territoire.
Je proposerai à mes collègues qu'une seconde circulaire, à vocation plus pédagogique, leur soit adressée dans les mois qui viennent. Cette circulaire se fondera sur les résultats de la consultation engagée par l'ART et reprendra les points de repères publiés aujourd'hui.
3. Mais l'Etat ne saurait se limiter à accompagner des projets de collectivités locales. La priorité du Gouvernement, c'est l'Internet haut débit et la téléphonie mobile pour tous, c'est-à-dire l'extension à l'ensemble de la population nationale de la couverture en haut débit et en téléphonie mobile.
Il est évident en effet que les seules initiatives des collectivités locales et des opérateurs privés ne suffiront pas à couvrir certaines zones particulièrement reculées.
En matière de téléphonie mobile, les engagements pris par les opérateurs dans le cadre du renouvellement de leurs licences permettront de compléter dans les prochaines années la couverture complète du territoire national.
En ce qui concerne l'Internet haut-débit, une étude ligne par ligne, avec la dernière technologie d'accès ADSL, montre que les plans de déploiement des opérateurs laisseront encore de côté fin 2006 la totalité du territoire de quelque 300 communes, représentant 33.000 habitants. Une étude plus fine à partir de départements tests montre aussi qu'entre 1.000 et 5.000 écoles et mairies ne pourraient être raccordées aux réseaux haut débit sans intervention publique.
Permettez-moi de rappeler ici que la priorité de l'Etat n'est pas de disperser des subventions dans des zones déjà desservies en haut-débit même pour stimuler la concurrence, mais bien d'étendre la couverture à l'ensemble de la population.
4. Dans le même temps, le haut débit pour tous ne sera pas durablement installé si nous ne favorisons pas une concurrence la plus effective et la plus large possible.
Le moyen essentiel de favoriser la concurrence n'est pas, à mon sens, je le répète, l'attribution de subventions par des administrations nationales, mais une régulation efficace du secteur.
Les excellents résultats obtenus depuis deux ans par la France en matière de haut débit en sont la preuve.
Faut-il le rappeler, la France se situe dans le peloton de tête en Europe et dans le monde pour l'accès à Internet haut débit :
- Le nombre d'abonnés double actuellement tous les ans, pour atteindre près de 6 millions à la fin de l'année 2004. 40 % des ménages devraient être abonnés avant fin 2007, avec une couverture de près de 99 % de la population.
- La montée en débit est-elle aussi accélérée : l'offre de référence du marché est passée de 128 kilobit par seconde en 2002, à 512 kilobit par seconde en 2003, puis à 1 mégabit par seconde aujourd'hui. Et on assiste maintenant à l'apparition d'offres dont le débit nominal est supérieur à 6 Mbit/s.
- Le nombre des fournisseurs alternatifs est élevé : la France comprend une dizaine d'acteurs significatifs, qui commercialisent des offres d'accès Internet sur l'ensemble du territoire et investissent massivement. C'est plus que dans la plupart des autres pays européens. Le développement de la concurrence se traduit aussi par la progression rapide des parts de marché des fournisseurs d'accès alternatifs : de près de 20 % en 2002, les parts de marché cumulées des acteurs alternatifs atteignent aujourd'hui 50 % sur le marché de détail de l'accès haut débit DSL et continuent d'augmenter.
- Les services se sont diversifiés et enrichis, notamment grâce à l'introduction de services de voix, de télévision, ou de vidéo à la demande. La télévision par ADSL, lancée en décembre 2003, est devenu une réalité en France avec des offres qui connaissent un succès grandissant en permettant l'accès à une large gamme de contenus attractifs. Cette innovation française est aujourd'hui observée avec grand intérêt par nos voisins européens.
- Les baisses de tarifs sont substantielles : le tarif mensuel associé au débit 512 kilobit par seconde est passé de 30 à 15 euros en deux ans. Ces tarifs sont parmi les plus bas d'Europe, nettement inférieurs à ceux généralement rencontrés dans les pays d'Europe comparables à la France.
Le marché du haut débit est devenu en deux ans un marché de masse. Plusieurs millions de Français accès à des offres innovantes, à des tarifs abordables. Ce succès de la France est essentiellement dû au dynamisme de ses opérateurs et à sa régulation avisée du secteur. Il convient donc de veiller à ce l'engagement de moyens publics locaux ou nationaux ne vienne pas perturber cette dynamique concurrentielle particulièrement vertueuse.
5. Je voudrais enfin souligner que le développement de la concurrence sur les territoires ne peut se limiter au seul dégroupage de la boucle locale.
Permettez-moi tout d'abord de saluer le véritable succès du dégroupage. Au 1er octobre 2004, le million de lignes dégroupées a été atteint, essentiellement en dégroupage partiel, et plus de 800 répartiteurs de France Télécom sont désormais ouverts. La croissance du nombre de lignes dégroupées au dernier trimestre est de près de 40 %. Je tiens tout d'abord à saluer le professionnalisme des équipes de France Télécom, grâce auxquelles cet essor est possible. Je souhaite ensuite apporter mon soutien à la démarche de l'ART, qui vise à favoriser le dégroupage, aujourd'hui partiel et demain total, de la boucle locale.
Le dégroupage constitue en effet l'offre qui donne l'autonomie technique la plus complète aux opérateurs alternatifs, leurs permettant de développer des services innovants tels que la télévision sur ADSL, la voix sur IP ou les offres à très haut débit.
Je voudrais aussi si vous me le permettez encourager l'ART dans la direction du dégroupage total. Les offres fondées sur le dégroupage total permettent aux particuliers d'opter pour un opérateur unique, et donc une facture unique, qui couvre l'abonnement téléphonique, les communications téléphoniques et les services haut débit (accès Internet, télévision sur ADSL, voix sur IP...). J'en suis convaincu, 2005 pourrait être l'année du dégroupage total, comme 2003 fut celle du dégroupage partiel. Le nombre d'accès totalement dégroupés a déjà été multiplié par quatre entre le 30 juin et le 1er octobre 2004. Cette dynamique doit se poursuivre.
Des procédures sont en cours devant le Conseil d'Etat visant les tarifs du dégroupage. Même s'il faut attendre les décisions finales, j'observe que les conclusions du commissaire du Gouvernement ne semblent pas remettre en cause les principes fondamentaux sur lesquels l'économie du dégroupage peut continuer à se développer.
Mais ce succès du dégroupage a une contrepartie. Il faut veiller en effet à ce que n'apparaisse pas une nouvelle fracture entre zones urbaines dégroupées, où se concentreraient la concurrence par les prix et les services, et zones rurales non dégroupées, qui resteraient abandonnées à un monopole et à une offre de services plus chère et moins diversifiée.
J'observe en particulier que plusieurs opérateurs alternatifs de premier plan viennent déjà d'annoncer qu'ils se retiraient des zones non dégroupées. Cette situation me paraît particulièrement préoccupante.
Je serai donc particulièrement attentif à ce que l'effacement en cours de la fracture entre zones couvertes et non couvertes par le haut débit ne laisse pas place à une nouvelle fracture entre zones dégroupées et non dégroupées.
Il ne doit pas y avoir un haut débit des villes, à bas prix, avec téléphonie gratuite et illimitée, télévision par dizaines de chaînes et en haute-définition, et un haut débit des champs, à prix élevé, sans nouveau service.
Permettez-moi de rappeler que les lignes dégroupées ne représentent actuellement que 20 % du parc de lignes ADSL total, avec 1 million de lignes sur environ 5 millions de lignes ADSL.
Il faut donc accroître encore le dégroupage partiel et total d'une part, et permettre aussi l'exercice d'une concurrence effective dans les zones non dégroupées d'autre part. Je fais pleinement confiance à l'ART pour résoudre cette équation, en adaptant progressivement la hiérarchie des différents tarifs.
6. L'ART va pouvoir disposer dans les prochains mois d'une panoplie complète d'instruments de régulation.
En transposant les directives du paquet télécom, mon objectif est aujourd'hui de donner dans les meilleurs délais possibles à l'ART les moyens d'assurer cette régulation plus efficace du secteur sur l'ensemble du territoire.
La loi de transposition du paquet télécom a été publiée le 9 juillet dernier. Je me suis engagé à ce que les décrets d'applications soient pris avant la fin de l'année 2004. Cet engagement est en passe d'être tenu. Le décret sur le contrôle des opérateurs puissants, qui comporte tous les instruments d'une régulation efficace du secteur, et qui était donc très attendu, a été publié hier.
Je tiens aussi à remercier l'ART pour son excellente collaboration à ces travaux réglementaires.
Ce nouveau cadre réglementaire doit favoriser la progression vers une concurrence durable et effective sur l'ensemble des segments de marchés, mais aussi sur la totalité du territoire.
Le nouveau cadre ouvre notamment la perspective d'une régulation plus efficace des offres de gros régionales, ce qui devrait améliorer leur attractivité.
Je partage pleinement le souci de l'Autorité de voir les offres de gros régionales se développer rapidement. Ces offres permettent aux opérateurs de mieux utiliser leurs infrastructures, d'améliorer leur capacité de différenciation et d'augmenter le transfert de valeur ajoutée vers les segments en concurrence.
Ce développement ne peut avoir lieu que si, d'une part, les offres régionales sont bien adaptées aux besoins techniques des opérateurs et si, d'autre part, elles sont proposées à un tarif adéquat leur laissant un espace économique suffisant pour concurrencer les offres de gros livrées au niveau national.
Ce faisant, le régulateur apportera une contribution essentielle à l'aménagement numérique du territoire, et la démonstration que l'action publique peut être le catalyseur d'offres concurrentes sur l'ensemble des territoires.
En conclusion, je suis convaincu que les deux moteurs de l'extension de la couverture en haut débit et en téléphonie mobile en France - dynamisme des opérateurs et régulation avisée - doivent continuer à fonctionner à plein régime, afin d'assurer une concurrence effective sur l'ensemble du territoire national.
Frédéric Bastiat a écrit que détruire la concurrence, c'était tuer l'intelligence. Faites vivre partout la concurrence, vous favoriserez partout l'intelligence !
Je vous remercie de votre attention.

(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 2 décembre 2004)