Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, sur le renouveau du droit d'asile en France et les nouveaux moyens donnés à la Commission de recours des réfugiés pour faciliter son application, Montreuil le 8 novembre 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Inauguration par Michel Barnier des nouveaux locaux de la Commission des recours des réfugiés, à Montreuil le 8 novembre 2004

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Député Maire de Montreuil,
Monsieur le Président du Conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA),
Monsieur le Président la Commission des recours des réfugiés,
Monsieur le Directeur général de l'OFPRA,
Mesdames et Messieurs les Magistrats et Agents de la Commission des recours des réfugiés,
Dans la diversité de vos responsabilités, de vos engagements, de vos sensibilités, je suis heureux de vous saluer, de participer à ce moment ; j'ai compris, Monsieur le Président, s'agissant des relations de cette commission avec le ministre des Affaires étrangères, qu'elles avaient été rares dans le passé, mais il n'est pas trop tard pour bien faire. J'ai été naturellement sensible en arrivant ici, à l'abondance de vos remerciements, ce n'est pas toujours le cas, que je partage, naturellement avec l'ensemble des collaborateurs du Quai d'Orsay, avec également mon prédécesseur, M. de Villepin et tous ceux qui ont suivi attentivement et patiemment, volontairement vos préoccupations, nos préoccupations.
Le lieu que nous inaugurons aujourd'hui, moderne, fonctionnel, est clairement le symbole d'un nouvel élan que nous devons donner ensemble à l'exercice de ce droit d'asile qui existera toujours, même si nous avons des raisons de méditer un jour pour qu'il y ait de moins en moins de gens qui aient envie de quitter leur terre.
Je voudrais devant ce symbole, et avant de vous dire quelques mots de l'exercice de ce droit d'asile, remercier toutes celles et tous ceux qui ont contribué à l'emménagement dans ces locaux modernes et fonctionnels de votre Commission des recours des réfugiés, et tout cela, vous l'avez dit Monsieur le Président dans des délais très courts, sans qu'un seul jour le fonctionnement de la juridiction n'ait été interrompu.
Je voudrais également dire ma gratitude au nom de l'État à vous-même, Monsieur le Secrétaire général, aux services de la préfecture, à vous Monsieur le Député Maire, et associer à ces remerciements les services de la préfecture de Seine-Saint-Denis, ceux de la mairie de Montreuil, vos collaborateurs, aux uns et aux autres, dont la diligence, la disponibilité ont rendu cette installation possible dans de bons délais.
Et puis, je voudrais également remercier chacune et chacun des élus parlementaires, régionaux, départementaux, locaux qui se sont déplacés pour cette cérémonie. Je pense que le fait que des élus, quelle que soit la diversité de leur engagement, soit là, démontre l'attachement républicain qui est le nôtre à ce droit fondamental de notre République, qu'est le droit d'asile et qui fait honneur à notre République.
C'est une journée importante, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, donnant écho à celle où fut voté la loi portant réforme de l'asile.
C'est une journée importante, comme celle qui vit l'inauguration des nouveaux bâtiments de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides à Val de Fontenay.
C'est une journée importante, parce qu'elle illustre bien la volonté, et au-delà de la volonté, les actes du gouvernement pour assurer le renouveau de ce droit d'asile.
Ce renouveau passe, d'abord, par l'entrée en vigueur de cette loi du 10 décembre 2003.
Vous le savez, Mesdames et Messieurs les Magistrats, vous aurez désormais à statuer sur les refus opposés par l'OFPRA aux demandes de protection subsidiaire, nouvelle appellation, aujourd'hui internationalement reconnue, de l'asile territorial. Ce changement de nom recouvre bien davantage qu'un changement de procédures. Avec la réforme, notre droit reconnaît que les conflits modernes ont changé de nature, de même que les persécutions auxquelles trop souvent ces conflits donnent lieu.
Le renouveau du droit d'asile, c'est aussi l'introduction dans notre droit de notions novatrices. Je pense à l'origine non étatique des persécutions, l'asile interne, ou encore les pays d'origines sûres dont la liste doit être arrêtée au niveau communautaire. L'application, en France, de la Convention de Genève va donc se trouver améliorée. Elle sera plus proche des nouvelles réalités du monde et plus favorable aux personnes qui ont réellement besoin de la protection de notre pays et qui font appel à lui.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je connais les efforts de la Commission pour traiter au mieux les recours des demandeurs d'asile : plus de 40 000 décisions seront rendues en 2004, il y en avait 22 000 il y a trois ans. Aucune juridiction en France n'a été confrontée à un tel défi ; aucune juridiction n'a doublé son volume d'activité en si peu de temps. Et c'est là un résultat impressionnant, d'autant plus que tout cela s'est fait au moment même où se mettait en place une nouvelle législation et de nouvelles procédures.
Mais chacun le sait : en raison du retard accumulé dans le traitement passé des recours, ce sont 100 000 dossiers qui devront être traités dans les mois qui viennent.
Je viens de parler, Monsieur le Président, de ce stock que nous allons devoir résorber, j'en dirai un mot dans un instant. Vous me permettrez, après vous, de rendre hommage à la mémoire du président Bresson et de ceux qui l'ont entouré au fil des ans pour l'effort, qui a été amorcé et dont nous voyons bien aujourd'hui qu'il doit être prolongé et amplifié.
100 000 dossiers devront être traités dans les mois qui viennent. Ce retard, nous le savons tous, nous le mesurons tous, est préjudiciable aux requérants de bonne foi. Ceux-là mêmes qui devraient accéder plus rapidement au droit que donne le statut de réfugié.
Ce retard est également dommageable pour la collectivité nationale qui est en droit de voir les demandeurs abusifs renvoyés plus rapidement dans leur pays.
Il l'est enfin, c'est le moins que je puisse dire, pour les finances de l'État, qui ploient sous la charge de l'hébergement, et de l'entretien de dizaines de milliers de demandeurs dont l'insertion dans notre société ne peut s'organiser correctement faute d'un statut clairement établi.
Et donc, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'objectif du gouvernement est clair. Je veux le dire simplement et avec beaucoup de force. Il est que le délai d'instruction devant la Commission des recours des réfugiés soit d'ici la fin de l'année 2005 ramené à trois mois en moyenne. C'est un objectif ambitieux, volontariste. C'est me semble-t-il, si je me souviens bien des remerciements que vous m'avez adressés, Monsieur le Président, compte tenu des moyens qui sont désormais apportés, un objectif non seulement nécessaire mais réaliste. Ce doit être notre objectif et votre objectif, Mesdames et Messieurs les Magistrats et Agents de la Commission. Le président de la République est attentif, très attentif comme le Premier ministre à cette question, et je suivrai moi-même, en évaluant les problèmes que vous pourrez rencontrer les uns ou les autres, la mise en uvre de cet objectif que je viens d'évoquer à la fois réaliste et volontariste.
Il ne suffit pas de fixer des objectifs si on ne se donne pas les moyens de les atteindre.
Voilà pourquoi le ministère des Affaires étrangères consacre, après l'avoir fait pour l'OFPRA, de nouvelles et importantes ressources à cette Commission.
Voilà pourquoi, avec l'inauguration de ce nouveau site, la Commission de recours des réfugiés reçoit enfin des locaux dignes de cette première juridiction administrative de France par le nombre des affaires qui lui sont soumises.
Voilà pourquoi le gouvernement a décidé d'allouer de nouveaux, d'importants moyens à votre Commission :
- d'abord en renforçant les personnels, puisque les effectifs de la juridiction vont être portés à près de 400 agents contre 140 il y a deux ans ;
- ensuite en renforçant les capacités de jugement. Vous avez vous-même, Monsieur le Président, évoqué ces 130 formations de jugement qui vont désormais fonctionner, il y en avait seulement 40 il y a deux ans ;
- et enfin en améliorant les conditions de travail, puisque désormais ce sont 10 000 m2 qui sont à votre disposition ici à Montreuil, contre à peine la moitié à Val de Fontenay.
Ce sont des moyens additionnels. C'étaient des moyens nécessaires pour vous permettre d'atteindre cet objectif, pour un droit d'asile administré avec dignité, avec équité et avec diligence.
C'est une nécessité de bonne gestion, à la fois pour les ressources publiques et les hommes, et les femmes qui y travaillent.
C'est aussi un impératif moral. Du travail de cette Commission, dépend en dernière instance le sort de ceux et de celles qui ont besoin de la protection de la France.
C'est enfin une nécessité à l'égard des autres États membres de l'Union européenne, avec lesquels nous partageons cette exigence de maîtrise raisonnée de l'accès à notre espace commun de liberté et de justice. Nous étions avec le président de la République, jeudi et vendredi, au Conseil européen, et il a été longuement question avec tous les chefs d'État de cet article de la nouvelle Constitution européenne, de l'espace, de justice et de liberté, qui pose la question de l'asile et de l'immigration.
Enfin, je suis conscient, Mesdames et Messieurs, de l'attente des personnels de la Commission.
Deux mesures nouvelles témoignent de cette attention, sans doute ne sont-elles pas encore suffisantes, mais sont en tout cas une preuve d'attention : les indemnités, qui avaient pris du retard sur celles des agents de l'administration centrale, et qui vont être réévaluées au 1er janvier 2005 ; j'ai demandé par ailleurs à la direction des ressources humaines de notre ministère de faciliter votre mobilité, Mesdames et Messieurs, afin que les personnels de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et ceux et celles de la Commission de recours des réfugiés puissent poursuivre leur carrière dans les corps du ministère, et l'enrichir ainsi de leur expérience.
Voilà l'ensemble des efforts que nous avons faits, dont chacun, j'en suis sûr, mesure l'importance et qui étaient tout simplement nécessaires. Je pense que ces efforts porteront leurs fruits, je fais confiance aux magistrats, au personnel de la Commission pour mettre en uvre avec efficacité, avec impartialité ces nouvelles procédures du droit d'asile.
Je pense en particulier aux nouvelles ordonnances, qui permettront d'écarter les recours manifestement infondés et qui sont introduits dans le but de gagner quelques mois supplémentaires de séjour en France.
La Commission des recours des réfugiés est aujourd'hui la première juridiction de notre pays par le nombre de ses décisions et de ses effectifs, je l'ai dis à plusieurs reprises. Le gouvernement est donc conscient de cette importance. Voilà pourquoi, je pense qu'il faudra, Monsieur le Président, doter cette Commission d'une réelle autonomie administrative et budgétaire.
Trop souvent détourné, ce droit d'asile qui mobilise, permet aux victimes de l'oppression de demander asile et protection à notre pays. Il va retrouver enfin toute sa place dans la politique de solidarité et d'intégration de la République. Parce que, je veux dire en conclusion, si l'immigration est un choix, l'asile reste un droit. Et, cette fois-ci pour conclure, je voudrais faire écho au rêve qu'énonçait à haute voix, Jean-Pierre Brard, tout à l'heure, en évoquant le jour, sans doute lointain, mais auquel nous devons travailler, où nous n'aurons plus autant de réfugiés. Et pas seulement réfugiés de la politique, mais réfugiés aussi de l'économie, réfugiés de la faim, réfugiés de l'écologie, il y a tant de drames dans ces pays qui nous entourent, tant d'explosions qui se produisent et que nous devons gérer, jour après jour.
Et bien, moi aussi, je peux faire ce rêve à haute voix et dire que notre pays continuera de travailler à ce monde plus juste. J'ai d'ailleurs dit cela très précisément à la tribune des Nations unies, il y a quelques semaines, après avoir écouté le président des États-Unis évoquer l'exigence pour le monde d'être plus libre et plus sûr. En écho à ce discours, j'ai dit au nom de notre pays, que le monde serait plus libre et plus sûr, s'il était également plus juste. Voilà le sens de l'action de notre pays dans l'ensemble du monde.
Voilà aussi pourquoi je suis, tout en restant passionnément patriote, définitivement Européen, parce que quand on regarde le monde qui nous entoure, on ne peut pas ne pas constater que l'un des rares pôles de stabilité, reste aujourd'hui ce continent européen. Et ce n'est pas par hasard que le continent sur lequel nous vivons reste un pôle de démocratie, des Droits de l'Homme et de stabilité, parce qu'au fond, nous avons su sous l'impulsion de quelques hommes politiques courageux et audacieux, il y a maintenant 50 ans, Monnet et Schumman, construire entre nous, un système politique, démocratique, volontariste, pacifique, qui nous oblige, les uns les autres, à nous tenir bien. Je ne dis pas que le modèle européen doit être donné en exemple au monde entier, en tout cas, il n'y a pas de hasard au fait que sur ce continent, nous réussissons à préserver depuis 50 ans ce modèle pacifique et démocratique.
Merci de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 novembre 2004)