Déclaration de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur les nouvelles mesures relatives à la gestion des risques, la prise en charge et l'indemnisation des travailleurs et populations exposés à l'amiante, Paris le 19 novembre 1998.

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Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Le Gouvernement avait annoncé, le 29 juillet, à l'issue de la publication du rapport du Professeur Got relatif à la gestion du risque et des problèmes de santé publique posée par l'amiante, une première série de mesures.
Nous franchissons aujourd'hui une nouvelle étape.
J'ai souhaité être accompagnée de deux députés, Alain Touret et de Jean Yves le Déaut pour rendre publiques les nouvelles mesures décidées par le Gouvernement. Alain Touret a en effet dans sa circonscription un bassin d'emplois durement touché par le drame de l'amiante. Jean-Yves Le Déaut est quant à lui l'auteur du rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques consacré à l'amiante qui a été déposé le 16 octobre 1997 (l'amiante dans l'environnement de l'homme : ses conséquences et son avenir). Ils sont de plus les auteurs d'une proposition de loi visant à améliorer la protection des travailleurs et des populations exposées au risque amiante.
Comme moi ils considèrent que l'amiante pose à nouveau avec acuité la question de la santé publique dans notre pays.
Parler d'amiante aujourd'hui c'est d'abord reconnaître les souffrances qu'endurent ceux et celles qui y ont été gravement exposés.
A l'origine des question de santé publique il y a souvent l'irruption dans le débat politique de drames humains insupportables.
Je ne peux, ni ne veux masquer mon indignation de voir des salariés déjà astreints à un emploi pénible être fauchés par la maladie pour avoir inhalé sur leur lieu de travail de la poussière d'amiante.
Comme souvent l'injustice s'acharne sur les plus fragiles.
Comme souvent, la maladie frappe les plus faibles.
Le droit à la santé, c'est avant tout le droit à l'avenir. C'est pourquoi, notre première responsabilité consiste à faire du droit formel à la santé un droit réel. une exigence de solidarité bien sûr. Mais c'est surtout une exigence de justice.
Cette double exigence a conduit le gouvernement à distinguer deux approches pour répondre aux conséquences graves de l'exposition des hommes à l'amiante : Réparer les préjudices causés par l'amiante, prévenir les expositions pouvant provoquer à nouveau un préjudice.
Nous voulons agir rapidement. Mais nous ne voulons pas agir n'importe comment.
C'est pourquoi le gouvernement entend agir étape par étape, en sollicitant les expertises nécessaires pour que son action, même si elle motivée par le souci de la justice, soit aussi efficace.
Je vous rappelle brièvement les mesures qui faisaient l'objet de la première étape et que j'avais annoncées le 29 juillet dernier :
1) En ce qui concerne la gestion des risques
Le Professeur GOT avait mis l'accent sur la nécessité d'améliorer le système de reconnaissance de l'amiante dans les bâtiments pour permettre de mieux assurer la protection des personnes réalisant des travaux, pour leur propre compte ou dans le cadre de leur activité professionnelle.
Comme annoncé, un décret va rendre obligatoire la recherche de l'amiante, quelle qu'en soit la forme, avant une opération de démolition ou de réhabilitation importante. Cette mesure facilitera la mise en oeuvre de la prévention nécessaire pour les travailleurs comme pour la population.
De même, en liaison avec les différents départements ministériels concernés, des décrets seront pris début 1999 pour :
- améliorer la qualité du repérage de l'amiante dans les bâtiments,
- rendre obligatoire la déclaration de la présence d'amiante dans chaque bâtiment, afin d'assurer un suivi effectif du risque et de contrôle des mesures prises,
- mettre en place un plan de gestion dans les bâtiments où la présence d'amiante a été identifiée,
- améliorer la mise à disposition de ces informations, notamment pour les professionnels du bâtiment ou de la maintenance susceptibles d'intervenir.
Ces mesures permettront de connaître plus précisément l'état des immeubles par rapport au risque "amiante", de contrôler l'application effective de la réglementation, de protéger ceux qui interviennent sur les bâtiments.
Le rapport du Professeur GOT proposait par ailleurs la mise en oeuvre d'un registre des bâtiments amiantés.
Une telle mesure constituerait un élément d'information sur l'état du parc, d'alerte et de sécurité générales, en complément des obligations visant à renforcer le contrôle sanitaire des bâtiments.
Nous travaillons sur les modalités de mise en oeuvre de cette mesure.
S'agissant de la prévention en milieu professionnel, j'ai tout d'abord rappeler aux services d'inspection du travail le caractère prioritaire des contrôles sur les chantiers de désamiantage.
L'accès à la base de donnée Evalutil, qui indique, pour une activité donnée, le niveau d'empoussièrement auquel le travailleur est exposé a été mise à disposition sur Internet dans l'intérêt de la prévention des travailleurs susceptibles d'être en contact occasionnel avec des matériaux contenant de l'amiante.
Une conférence de consensus en cours de préparation aura lieu en janvier prochain. Elle permettra d'établir les recommandations aux médecins pour la surveillance médicale professionnelle et post-professionnelle des travailleurs exposés à l'amiante.
J'ajoute enfin dans le domaine de la prévention que sera publié très prochainement un nouvel arrêté qui limitera à 4 catégories de produits très particuliers les dernières exceptions temporaires à l'interdiction de l'amiante.
2) En ce qui concerne la réparation
Comme je m'y étais engagée le 29 juillet 1998, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 contient, en son article 31, deux dispositions :
- la première concerne, au-delà des victimes de l'amiante, l'ensemble des victimes de maladies professionnelles : il s'agit de la modification de la date retenue comme point de départ de la prescription qui éteint les droits des victimes pour la reconnaissance d'une maladie professionnelle : les droits seront dorénavant prescrits dans les deux ans à compter de la date de la première constatation de l'origine professionnelle de la maladie ou de la cessation d'activité, et non plus à compter de la date de la première constatation médicale de la maladie ;
- la seconde, spécifique à l'amiante, autorise la réouverture des dossiers pour l'ensemble des victimes de l'amiante, auxquelles on a opposé les règles actuelles de prescription.
Par ailleurs, les mesures réglementaires complémentaires seront prises dans les prochains jours :
- le barême d'invalidité en matière de maladies professionnelles, qui affecte à chaque maladie un rente minimum, sera rendu opposable aux caisses de sécurité sociale, permettant de mieux garantir ainsi le droit des victimes.
Ce barême sera par ailleurs actualisé dans les meilleurs délais. Le Haut Comité Médical de la Sécurité Sociale a d'ores et déjà été saisi. L'actualisation sera substituée à l'ancien barême au fur et à mesure des tableaux. J'ai par ailleurs demandé que le Haut Comité commence son travail par les dispositions qui concernent les maladies professionnelles liées à l'amiante ; ceci devrait permettre d'améliorer très rapidement le niveau de réparation de ces maladies.
- le régime dérogatoire des pneumoconioses sera supprimé. La réparation des pneumoconioses sera organisée conformément au droit commun des maladies professionnelles : il n'y aura plus de règles dérogatoires, plus d'instance médicale spécifique telle que le collège des trois médecins qui rallonge encore la procédure ; toute durée minimale d'exposition sera supprimée chaque fois qu'elle n'est pas médicalement justifiée : c'est le cas des maladies professionnelles du tableau 30, telles que l'asbestose, les lésions pleurales, des mésothéliomes, par exemple. Cette durée minimale d'exposition au risque est actuellement de 5 ans, pour ces maladies.
Nous travaillons enfin à l'introduction d'une présomption d'exposition beaucoup plus large qu'aujourd'hui pour les malades ayant exercé des métiers donnés. Les caisses demandent actuellement une preuve de l'exposition, qu'il est souvent très difficile aux victimes d'apporter : les temps de latence très longs dans la survenue des pathologies liées à l'amiante font que l'entreprise peut avoir, du fait des mesures d'interdiction d'utilisation de l'amiante survenues depuis 1978, disparu lorsque la maladie survient. Nous cherchons à alléger la nécessité pour les victimes d'apporter la preuve d'une telle exposition.
Mais comme je vous l'avais indiqué nous franchissons aujourd'hui une nouvelle étape en mettant en place un dispositif de cessation anticipé d'activité.
Nous répondons ainsi à une revendication prioritaire des organisations syndicales, de la FNATH et de l'ANDEVA (Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante).
Une telle proposition nous apparaît pleinement légitime, tant sur le plan social qu'au regard du drame que connaissent victimes de l'amiante.
L'espérance de vie de certaines professions qui ont été exposées à l'amiante est en effet fortement réduite. Elles ne peuvent donc profiter de leur retraite aussi longtemps que les autres catégories de la population.
Par ailleurs, de nombreux salariés, licenciés du fait de leur inaptitude médicale consécutive à une contamination par l'amiante ou du fait des fermetures d'activités ou d'entreprises à la suite de l'interdiction de l'amiante, sont handicapés pour retrouver un emploi.
Le Gouvernement a donc d'ores et déjà décidé de permettre le départ en cessation anticipée d'activité
1) d'une part des personnes atteintes des maladies professionnelles liées à l'amiante suivantes : asbestose, tumeurs pleurales primitives, mésothéliome, cancers broncho-pulmonaires.
2) d'autre part des personnes qui travaillent ou ont travaillé dans des établissements de transformation de l'amiante (fibro-ciment, tissages, matériaux de friction) et qui ont de ce fait été exposés fortement et de manière continue à l'amiante.
Pour les personnes qui ont travaillé dans les établissements des transformation de l'amiante, l'âge de cessation anticipée d'activité sera calculé en déduisant de l'âge légal de retraite (60 ans) un tiers des années d'activité passées dans le secteur de l'amiante, sans pouvoir être inférieur à 50 ans.
Pour les personnes atteintes des maladies professionnelles liées à l'amiante que je viens de citer, quel que soit le secteur d'activité, cet âge sera fixé uniformément à 50 ans.
L'allocation versée sera identique à l'allocation de préretraite de droit commun (65 % du dernier salaire jusqu'au plafond de la sécurité sociale, 50 % au-delà).
Les allocations seront versées par un fonds ad hoc, financé par le budget de l'Etat et la sécurité sociale. Les modalités de financement par la branche AT feront l'objet de discussions avec les représentants des entreprises.
Pour 1999 et afin de ne pas remettre en cause la baisse de la cotisation AT/MP prévue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, une dotation complémentaire financera la part incombant au régime général.
Plusieurs milliers de personnes seraient concernées dès 1999, ce qui devrait se traduire par un besoin de financement de 400 à 600 MF.
Le Gouvernement déposera un amendement au PLFSS dans le cadre de la deuxième lecture à l'Assemblée Nationale la semaine prochaine.
Nous avons bien conscience que nous ne traitons pas le cas de tous les salariés qui ont pu être exposés fortement et de façon continue à l'amiante. Nous pensons en particulier à certains salariés des entreprises spécialisées dans les flocages ou les calorifugages à base d'amiante.
Des études seront prochainement lancées en liaison avec les CRAM et les Directions Régionales du Travail pour identifier précisément les populations potentiellement concernées.
Encore une fois, il s'agit, avec le dispositif que nous mettons en place, de franchir une nouvelle et très importante étape dans la prise en charge de ce drame. Pour autant, notre réflexion n'est pas achevée, le champ du dispositif est susceptible d'évoluer, éventuellement au delà de la population que je viens d'évoquer. Un tel élargissement doit cependant se fonder sur des critères objectifs, et nous avons besoin d'un délai supplémentaire pour effectuer les expertises nécessaires à leur détermination. Nous souhaitons poursuivre la concertation engagée sur ce sujet avec les organisations syndicales, la FNATH et l'ANDEVA.
Je tiens à préciser que le dispositif que nous mettons en place se distingue fondamentalement d'une démarche d'abaissement de l'âge de la retraite ouvert à l'ensemble d'une catégorie donnée de salariés, et c'est ce qui justifie le fait qu'il ne soit pas mis en oeuvre dans le cadre du régime général d'assurance vieillesse.
Le dispositif que nous mettons en place à titre exceptionnel repose sur des critères objectifs. J'ai cité tout à l'heure l'espérance de vie fortement réduite des personnes atteintes d'une maladie professionnelle liée à l'amiante. J'aurais pu également indiquer le taux de surmortalité très élevé qui a été établi, dans le cadre des établissements de transformation de l'amiante pour les entreprises de la région de Condé sur Noireau (tissages et matériaux de friction).
Pour conclure, quelle que soit la réparation, je sais que celle ci ne suffira pas à apaiser la douleur et les souffrances de ceux que l'amiante a surpris et frappé sur leurs lieux de travail.
La solidarité exige la réparation. Mais les douleurs provoquées par l'amiante exigent surtout de notre part humilité et souci d'efficacité.
Le gouvernement n'entend pas procéder par effets d'annonce. Nous voulons d'abord montrer la solidarité de la collectivité à l'égard de ceux que l'amiante meurtrit. Nous voulons ensuite mieux prévenir et mieux protéger.
Nous voulons donc agir avec détermination, en privilégiant le dialogue et la concertation pour que face à ce fléau du travail, l'action publique réponde au plus près des réalités vécues par les français.
L'humilité à l'égard des victimes du passé n'en commande que plus de fermeté à l'égard de l'avenir. J'entends à ma place en être la garante.


(source http://www.sante.gouv.fr, le 24 septembre 2001)