Article de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, dans la série du "Figaro" "Quelle Europe voulons-nous ?" le 20 avril 2005, intitulé "Bruxelles veut amplifier l'immigration !", et interview dans "France-Soir" le 21, sur les enjeux du référendum sur la Constitution européeenne, la souveraineté nationale et la personnalité de Jacques Chirac.

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Texte intégral

Après la directive Bolkestein, d'autres initiatives bruxelloises doivent être connues des Français avant le 29 mai : touchant à la politique d'immigration, elles pourraient avoir des conséquences considérables pour leur avenir et celui des Européens.
Dans son livre vert du 11 janvier 2005, la Commission Barroso annonce l'une des clés de son programme pour les années à venir, c'est-à-dire une accélération de l'immigration dans l'Union européenne : "Des flux d'immigration plus soutenus pourraient être de plus en plus nécessaires pour couvrir les besoins européens du marché du travail et pour assurer la prospérité de l'Europe". Elle confirme ainsi une orientation essentielle de sa politique : "Les flux d'immigration vont continuer à s'accroître et seront plus que jamais nécessaires" (communication du 3 juin 2004).
Un tel projet est peu compréhensible dans le contexte de chômage massif que connaît l'Europe occidentale avec un taux de chômage de 9 % dans la zone euro. Avec 5 millions de personnes privées d'emploi en France, comment la Commission européenne peut-elle songer à ouvrir grand les vannes à une nouvelle vague d'immigration du travail ?
Ses propositions sont d'autant plus contestables que les flux migratoires vers l'Europe demeurent considérables et en hausse constante - 1,4 million de migrants réguliers en 2001 (1), environ 400 000 demandeurs d'asile par an (données Eurostat), sans parler des clandestins dont le flux annuel est estimé à 500 000 (estimation Europol, reprise par la Commission), qui doivent vivre, donc occuper un emploi, ou bénéficier d'allocations publiques.
La France est aujourd'hui sans doute l'un des pays européens les plus touchés par l'augmentation des flux migratoires. Le nombre de ses migrants réguliers est passé de 100 000 en 1994 à 217 000 en 2003, selon les statistiques du ministère de l'Intérieur, tandis qu'elle est devenue en 2003 le premier pays d'Europe pour l'accueil des demandeurs d'asile (90 000) devançant l'Allemagne et la Grande-Bretagne, et alors que le nombre de clandestins qui entrent chaque année sur le territoire français avoisine 80 000 à 100 000 personnes (2).
Et pourtant, cette ambition majeure de la Commission européenne est cohérente avec l'ensemble de sa politique et le syndrome Bolkestein. Dans son esprit, l'arrivée sur le marché du travail d'un surplus de nouveaux migrants, venus des pays les plus pauvres de la planète, prêts à accepter un emploi en Europe à n'importe quelles conditions, doit entraîner un nivellement par le bas généralisé des salaires et des régimes sociaux, ce qui constitue pour elle un préalable absolu à la réalisation des "objectifs de Lisbonne" qui vise à faire de l'Europe la zone "la plus compétitive du monde en 2010".
La volonté d'accroître des flux migratoires, déjà très élevés, correspond à un autre projet de long terme, celui de promouvoir en Europe une société multiculturelle : "Il est fondamental de reconnaître que l'immigration est un processus à double sens, requérant une adaptation tant de l'immigré que de la société qui l'accueille. L'Union européenne est par sa nature même une société pluraliste, riche de multiples traditions culturelles et sociales, qui, à l'avenir, se diversifieront encore" (3).
Or, les nations européennes, en particulier la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, connaissent aujourd'hui les ravages de ce discours d'inspiration communautariste qui incite les migrants, non pas à s'assimiler, mais bien au contraire à rester eux-mêmes : fragmentation et ghettoïsation de la société, flambée du fanatisme religieux, islamisme, explosion des violences ethniques et d'un "racisme multiforme", retour de la barbarie, en particulier à l'égard des femmes : "crimes d'honneur", mariages forcés, polygamie.
Cette orientation communautariste est au coeur de la philosophie du projet de Constitution européenne qui scelle dans le marbre le dessein multiculturel : son article II-70 prévoit en effet le droit pour toute personne "de manifester sa religion ou sa conviction, en public ou en privé par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites". Qui ne voit à quel point cette disposition centrale, qui pourrait obliger la France à abroger sa loi interdisant le voile islamique à l'école, favoriserait une explosion du communautarisme, tendrait à légitimer les traditions les plus contraires à nos valeurs ?
La Commission européenne, en parallèle, a décidé d'en finir une fois pour toutes avec les frontières nationales. Dix ans tout juste après l'entrée en vigueur de la convention de Schengen, le 26 mars 1995, elle veut franchir une étape nouvelle, radicale et définitive, dans l'abrogation de tout contrôle national sur les frontières des Etats. C'est tout l'objet de l'article III-265 de la Constitution : "L'Union développe une politique visant à assurer l'absence de tout contrôle des personnes...".
L'enjeu du référendum du 29 mai est capital pour l'avenir de la politique d'immigration. Certes, depuis 1999, le transfert à Bruxelles de la compétence dans ce domaine est déjà avancé.
Mais la Constitution européenne vise à achever de transférer cette compétence à Bruxelles, en supprimant ce qui reste du droit de veto des Etats, en donnant ainsi les mains libres à la Commission pour mettre en oeuvre son livre vert.
En effet, l'article III-267 de la Constitution européenne met en place "une politique commune de l'immigration" décidée selon les règles communautaires, c'est-à-dire, de fait, la disparition de toute compétence nationale en la matière et le basculement global de cette responsabilité dans l'escarcelle de la Commission et du Parlement européen. Les gouvernements perdraient donc la faculté de s'opposer aux projets de la Commission, plus particulièrement à la mise en oeuvre de son livre vert sur l'augmentation des flux migratoires.
Au moment où l'Espagne annonce la régularisation de 700 000 clandestins, la solution ne passe pas par le renforcement des pouvoirs de la Commission qui réclame une nouvelle vague d'immigration. Bien au contraire, la seule issue est dans l'amélioration de la coopération entre les gouvernements des principaux pays d'immigration qui doivent s'asseoir autour d'une table et décider de coordonner leurs politiques pour organiser une immigration raisonnable, maîtrisée et conforme à leurs intérêts nationaux.
Dire non le 29 mai, c'est aussi la dernière chance de s'opposer aux pleins pouvoirs de la Commission en matière d'immigration, prévus par la Constitution européenne, et donc à l'aggravation du chaos migratoire en Europe.
(1) Rapport Sopemi de l'OCDE 2001 cité par le rapport Mariani : "L'Europe forteresse, mythe ou réalité" en 2003.
(2) Déclaration de l'Elysée reprise par l'AFP le 8 novembre 2004.
(3) Communication du 30 novembre 2003.
(Source http://www.mpf-villiers.com, le 2 mai 2005)
- [France Soir, 21 avril 2005]
France Soir.- D'après un sondage TNS-Sofres le non est à 55 %. Vous réjouissez-vous de cette situation ?
Philippe de Villiers.- Je m'en réjouis parce que le non est un sursaut, un cri, un appel au secours pour un vrai changement. Il s'agit d'un non de projet du peuple français.
France Soir.- Ce non prospère cependant à gauche et vous profitez de la dynamique...
Philippe de Villiers.- Il ne s'agit pas d'un non de gauche ou d'un non de droite. On est là au-dessus des clivages traditionnels. On voit que les petits patrons, les agriculteurs et les pêcheurs votent non. Sont-ils plutôt de gauche ou de droite ? On voit qu'aujourd'hui, la digue cède à l'UMP. Les Français sont intelligents et répondent à la question posée : quelle identité pour l'Europe en tant que civilisation et quel avenir pour la France en tant que nation. Ils constatent que les résultats des promesses non tenues sur l'Europe : délocalisations, déréglementations et déferlante migratoire. En outre, ils se posent la question suivante : le projet de Constitution apporte-t-il une correction de trajectoire ? Et la réponse est évidente : cette Constitution éloigne davantage le pouvoir et le rend encore plus incontrôlable.
France Soir.- Malgré tout, le souverainisme ne s'est-il pas affaibli depuis le débat sur le traité de Maastricht ?
Philippe de Villiers.- La progression du non montre que la souveraineté populaire, c'est-à-dire l'idée qu'un peuple ne doit pas lâcher ses pouvoirs et ses libertés, est aujourd'hui à 55 %. Les Français ont très bien découplé la question de l'Europe de la question de Bruxelles. Ils désignent du doigt Bruxelles mais, pour autant, ils ne sont pas antieuropéens.
France Soir.- Votre campagne n'est-elle pas trop limitée à votre principal argument : l'entrée de la Turquie ?
Philippe de Villiers.- Non, je veux une Europe vraiment européenne, sans la Turquie ; vraiment démocratique, qui laisse les Parlements nationaux décider d'une baisse de la TVA sans que Bruxelles ne nous en empêche ; et vraiment protectrice. Encore deux exemples : la haute trahison des commissaires pour la protection du textile européen face au textile chinois, et le dépôt par la Commission, sur le bureau du Conseil, d'un "Livre vert" appelant à "une nouvelle vague d'immigration économique en Europe". Ce projet explique qu'il faut pallier le vieillissement des sociétés européennes.
France Soir.- Des économistes assurent qu'un non français encouragerait la concurrence fiscale et les délocalisations. Que leur répondez-vous ?
Philippe de Villiers.- Le non français est un appel pour une Europe qui se protège, à l'exemple des Américains. En effet, les Etats-Unis se protègent alors que l'Union européenne est, parmi les 85 "unions commerciales" qui existent dans le monde, la zone économique la moins protégée et donc, comme le dit l'OCDE, "la lanterne rouge de la croissance mondiale".
France Soir.- L'un d'eux estime que "le maintien du traité de Nice dégraderait le bien-être des pays occidentaux" ?
Philippe de Villiers.- Jean-Claude Trichet (président de la BCE), lui-même, dit que le non serait sans influence sur les marchés financiers. Le non permettrait de mettre la monnaie au service de l'emploi et de la croissance et d'obliger les commissaires à protéger les secteurs qui souffrent et sont en devenir face à la mondialisation sauvage. Dernier exemple en date : Neelie Kroes (Concurrence) prépare un nouveau règlement sur les aides régionales, qui prohibera toute aide pour les entreprises de plus de 250 salariés. L'Association nationale des districts et communes de France vient de lancer un cri de détresse car ce nouveau règlement empêchera les "pôles de compétitivité" d'exister puisqu'ils sont dotés de 750 millions d'aides publiques.
France Soir.- Envisagez-vous un rapprochement, des meetings communs, avec Nicolas Dupont-Aignan, député UMP partisan du non ?
Philippe de Villiers.- Oui, en mai. La force du non est que chacun laboure son champ. Le non est polyphonique et le oui est cacophonique. Il vaut mieux faire deux réunions par jour qu'une seule et les meetings communs, c'est dans l'urne.
France Soir.- Et que répondez-vous à Bruno Mégret, président du MNR, qui vous a lancé un appel à la création d'une "grande force de droite" ?
Philippe de Villiers.- Nous sommes à la veille d'un référendum, il s'agit d'une question posée au peuple français, et je ne m'intéresse pas aux intermédiaires ou à ceux qui voudraient en tenir lieu.
France Soir.- Avez-vous un scénario pour le 30 mai ?
Philippe de Villiers.- Jacques Chirac, qui nous répète aujourd'hui que le non serait une catastrophe, nous expliquera le 30 mai à midi, sur toutes les télévisions, qu'au fond, le peuple français a montré, dans un élan vigoureux, qu'il en avait marre des technocrates de Bruxelles. Et que lui-même, tenu jusqu'ici à l'obligation de réserve élyséenne, partage ce sentiment. Le chef du non, le 30 mai, sera Jacques Chirac. Sa plasticité est son principal trait de caractère. La boucle sera bouclée. Après un passage chez Giscard, le Jefferson de l'Auvergne, Chirac reviendra à Cochin. Ne vous en faites pas pour la classe politique. Elle s'adaptera. Il lui faudra seulement quelques heures pour se retourner. En revanche, si le non l'emporte et que la classe politique continue à vouloir en finir avec la France, le peuple français passera du sursaut à la colère. Jacques Chirac devra appliquer le message des Français : "Nous voulons une Europe des peuples, sans la Turquie".
(Source http://www.mpf-villiers.com, le 2 mai 2005)