Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, sur la mise en place de la réforme de la police de proximité, Paris le 30 mars 2000.

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Circonstance : Ouverture des Assises nationales de la police de proximité à Paris le 30 mars 2000

Texte intégral

Madame la Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie de participer nombreux, à ces Assises nationales de la police de proximité, que vous soyez ici, à la Cité des Sciences et de l'Industrie de La Villette ou, grâce à la vidéo-transmission, à Toulouse, à Strasbourg, à Lille, à Lyon, à Marseille et à Gif-sur-Yvette.
Dans la continuité des Assises de la Formation et de la Recherche, le 1er février 1999 et de la rencontre nationale des contrats locaux de sécurité du 20 septembre 1999, les Assises Nationales de la Police de Proximité constituent un nouvel acte fondateur de la politique de sécurité définie par le Gouvernement depuis le colloque de Villepinte d'octobre 1997 : " Des villes sûres pour des citoyens libres ".
Rappelons les principaux acquis de cette politique :
1) La sûreté permet l'exercice de la liberté : elle est donc un droit pour tous en République ; c'est une exigence du principe d'égalité.
2) En ce sens, une politique de sécurité qui vise à assurer ce droit égal pour tous est une politique sociale, car elle répond d'abord aux besoins de ceux de nos concitoyens qui vivent dans les quartiers difficiles, de ceux qui sont les plus fragiles et ont besoin d'être rassurés.
3) Le socle de la sûreté est dans la citoyenneté elle-même, ensemble indissociable de droits et de devoirs. On ne peut pas mettre un policier derrière chaque Français. La police ne peut se substituer au lien social. D'où l'importance de l'éducation à la citoyenneté en amont de tout effort de prévention.
4) Il ne faut pas opposer prévention et sanction ; elles sont complémentaires : la prévention autant que possible, la sanction autant que nécessaire. Parce qu'elle est rappel à la règle, la sanction a aussi une valeur pédagogique. Bien entendu, la sanction est inséparable du souci ultérieur de la réinsertion.
5) Aucun conditionnement social ne peut faire disparaître la responsabilité individuelle : on peut être pauvre et honnête, riche et malhonnête. Il faut donc à la fois, selon le slogan des travaillistes britanniques, être "dur avec le crime et dur avec les causes du crime".
6) La proximité a été le grand mot d'ordre du colloque de Villepinte. Elle implique le partenariat avec les contrats locaux de sécurité, dont 346 à ce jour ont été signés, et autant sont encore au stade de l'élaboration. La sécurité est une coproduction entre les différents acteurs qui y concourent. La proximité est une aspiration profonde de la population. La police doit y répondre en trouvant les moyens d'une organisation locale efficace. Il faut renouer les liens entre police et population, réinsérer la police dans le tissu social local, redonner à la police une autorité véritable au quotidien.
1. La police de proximité, une nécessité absolue pour la police nationale.
- en matière d'ordre public, la Police Nationale possède un savoir-faire et une maîtrise unanimement reconnus et les événements récents, comme la coupe du monde de football en 1998, ou plus récemment le passage à l'an 2000, l'ont souligné à nouveau, forçant l'admiration de nombreux pays étrangers ;
- en matière de police judiciaire également, dans la lutte contre la grande délinquance ou contre le terrorisme, des résultats significatifs sont enregistrés quotidiennement. D'ailleurs -et peut-être ne le dit-on pas assez- la grande délinquance (les vols à main armée, les homicides ...) diminue de manière très sensible depuis 2 ans.

Mais le service public de la police, comme tous les services publics, doit s'adapter pour répondre à la délinquance de masse qui s'est développée depuis trente ans et qui pourrit la vie de nos quartiers.
- Ce qui doit changer, en premier lieu, c'est la relation entre l'institution policière et la population, trop nourrie encore de méfiances et d'incompréhensions réciproques. Il s'agit de reprendre l'ascendant en allant au devant des attentes.
- Ce qui doit changer donc, ce sont les modes d'organisation et d'intervention de la police, essentiellement orientés pour maintenir l'ordre public et assurer la protection des institutions.
- Ce qui doit changer, enfin, ce sont les modes de travail et de commandement, trop exclusivement fondés sur une application stricte de consignes et ne donnant pas assez de place à l'esprit d'initiative.
2. La police de proximité, une doctrine d'emploi précise.
D'abord concept, la notion de police de proximité s'est progressivement étoffée avec la réforme de la Préfecture de Police effective depuis avril 1999, à la lumière des expérimentations qui ont été lancées au printemps 1999, et surtout grâce aux travaux menés sous l'égide de la Direction Centrale de la Sécurité Publique.
C'est désormais une doctrine complète, cohérente et précise -il ne me semble pas au demeurant que dans les expériences étrangères, le corps de doctrine soit aussi fouillé-. Cette doctrine d'emploi s'articule autour de 3 objectifs et de 5 modes d'action particulièrement innovants, que beaucoup d'entre vous connaissent bien désormais, et que je me contenterai de rappeler.
a) Trois objectifs doivent être recherchés par la police de proximité :
- savoir anticiper et prévenir les difficultés, pour ne plus seulement réagir à l'événement ;
- connaître son territoire et être bien connue de ses habitants ;
- répondre au mieux aux attentes de la population par un dialogue constant et une écoute attentive.
b) Pour atteindre ces objectifs, il faut promouvoir de nouveaux modes d'action. Cinq ont été précisément définis.
En premier lieu, l'action policière est territorialisée, c'est-à-dire ordonnée autour de territoires bien déterminés. Il doit s'ensuivre une présence visible et appréciée de la population, et des missions de police exercées, chaque fois que cela est possible, au plus près des habitants.
Deuxième mode d'action : la responsabilisation. A chaque secteur ou quartier correspond un responsable policier bien identifié, chef d'une équipe ayant des objectifs clairement établis.
En troisième lieu, la police de proximité est en contact permanent avec la population, ce qui se traduit notamment par un partenariat actif, dans le cadre du contrat local de sécurité. Par ailleurs, la relation avec le public est fondée sur l'écoute, le dialogue, et le recueil des attentes de la population.
En quatrième lieu, le policier de proximité exerce sur son territoire la plénitude des missions de police, y compris de police judiciaire au quotidien. Il est polyvalent et n'est pas enfermé ou contraint par une spécialisation.
Enfin, le service rendu à la population est une préoccupation constante, qu'il s'agisse de l'accueil et de l'aide aux victimes, du soutien des personnes fragilisées ou vulnérables, des secours ou du traitement des procédures judiciaires en temps réel.
Bien entendu, il ne s'agit pas de modes d'action alternatifs ou hiérarchisés. Ces modes d'action ne constituent pas un libre service où chacun viendrait y trouver ce qui l'intéresse : ils sont indissociables et doivent être appliqués partout avec une égale détermination.
3. La police de proximité, une réforme sans précédent depuis 50 ans.
a) un processus de grande ampleur et irréversible :
Parallèlement à la réforme de la Préfecture de Police, la police de proximité a été expérimentée en 1999 dans 5 circonscriptions pilote de sécurité publique, puis dans 62 sites constitués principalement de quartiers sensibles.
Elle entre aujourd'hui dans une phase de généralisation qui concerne tous les fonctionnaires de police. Elle ne doit, en aucune manière, être réduite à un toilettage de l'existant, ou à une remise au goût du jour des missions d'îlotage ou d'une simple présence plus soutenue, mais passagère de fonctionnaires sur la voie publique.
Il s'agit bien d'une transformation profonde de la police nationale, de sa doctrine et de son organisation, sans précédent depuis 50 ans, et dont les changements se situent à plusieurs niveaux :
- la police de proximité doit d'abord se concrétiser par un rapport différent avec la population.
Immergée dans le tissu urbain, la police doit devenir un élément de la vitalité des quartiers et non plus être perçue comme un corps étranger, ou hostile. Les policiers sont au service de tous. Notre police est une police républicaine.
Au quotidien, ce changement doit se traduire par une recherche de dialogue constant avec les habitants et tous ceux qui participent à la vie de la cité. Ces échanges, seuls, permettent de connaître en permanence les besoins de sécurité et de mieux y répondre.
Ce sera d'autant plus facile que la police sera davantage à l'image de population, dans toute sa diversité. Le recrutement massif des gardiens de la paix, qui est bien engagé maintenant et qui est destiné à remplacer les 25.000 départs à la retraite en 5 ans, constitue une chance pour modifier cette image. Le recrutement de 20.000 emplois jeunes, adjoints de sécurité, y contribue aussi, d'autant plus que 2.000 d'entre-eux ont déjà réussi le concours de gardiens de la paix.
- la police de proximité se doit également de changer ses modes de travail et de rénover ses rapports hiérarchiques.
La polyvalence et la capacité d'initiative demandée aux policiers de proximité impliquent un management participatif. Chacun sera motivé parce qu'il connaîtra et approuvera le projet collectif et les objectifs de son service, qui auront été mis au point préalablement en concertation, à partir des besoins des habitants dans une optique de service rendu au public.
Commander ne suffit plus, il faut savoir animer, convaincre, donner l'exemple, évaluer, et ce à tous les niveaux de la hiérarchie.
Il faut laisser place à une plus grande initiative et à une plus grande créativité dans la résolution, par les policiers de terrain, des problèmes de sécurité de chaque quartier.
- La police de proximité se doit aussi de procéder à une adaptation de son organisation.
Celle-ci ne doit plus constituer un cadre rigide et trop cloisonné. Plutôt que de séparer les différents services, la nouvelle organisation doit favoriser les relations entre les différentes unités du commissariat central, et entre le commissariat central et les unités de proximité. Elle doit également encourager le travail en équipe. La police de proximité rend en effet nécessaire une mise en réseau des différents intervenants, reliés entre eux en permanence par une information rapide, précise, à la fois montante, descendante et transversale.
La Police Nationale se devait de prendre en compte cette dimension qui résulte de la révolution technologique en cours, mais aussi des exigences d'un véritable travail en partenariat.
b) Une réforme concernant tous les services de la Police Nationale
Dans un tel contexte, on comprend aisément que la mise en uvre de la police de proximité ne peut se limiter aux seuls policiers de proximité de la seule Sécurité Publique.
Tous les fonctionnaires de la police nationale sont concernés et doivent être mobilisés :
- d'abord au sein même de la Sécurité Publique, les services d'investigations et de recherches et l'ensemble des unités d'appui opérationnelles, en particulier les brigades anticriminalité, les unités cynophiles, les unités motocyclistes doivent adapter leurs modes de travail aux exigences du territoire et de la proximité ;
- mais les autres directions de la police nationale contribueront également à la police de proximité : c'est déjà le cas des unités de CRS fidélisés, qui prennent en charge les missions d'ordre public et facilitent ainsi le redéploiement de fonctionnaires de sécurité publique vers des tâches de police de proximité ; c'est également le cas de la Police aux Frontières qui doit assurer différentes missions de police de proximité, notamment pour la sécurité des transports et le démantèlement de filières d'immigration et de travail clandestins ; par ailleurs, Police judiciaire et Renseignements généraux apportent leur soutien à la Sécurité Publique pour lutter contre les violences urbaines, l'économie souterraine et les trafics locaux de stupéfiants.
Ces synergies et ces nouveaux modes de travail en commun doivent se systématiser et doivent trouver leur pleine application dans une coordination départementale permanente.
Même si, bien sûr, tous les policiers ne seront pas de proximité, la police de proximité va influer sur l'ensemble de l'action de la police nationale : tous les fonctionnaires de police seront ainsi appelés à participer directement ou indirectement à cette réforme.
4. La police de proximité, une mise en uvre pragmatique, progressive et concertée.
Dès la conception de la réforme, j'ai tenu à ce que la mise en uvre de la police de proximité s'effectue de manière pragmatique, progressive et concertée.
a) Dans un premier temps, il m'a paru judicieux de procéder à une phase expérimentale. Une telle réforme de fond ne se généralise pas sans avoir au préalable confronté les idées aux réalités : c'était l'objet des 67 expérimentations.
Cette large expérimentation, qui a concerné 2 millions d'habitants - auxquels s'ajoutent les 2 millions d'habitants de la Préfecture de Police - a fait l'objet d'une évaluation à deux reprises. J'ai tenu en effet, dès le début, à ce qu'une procédure d'évaluation-ajustement soit intégrée dans la démarche globale de cette réforme. Pour ce faire, j'ai installé, dès octobre 99, une mission interdirections placée sous l'égide de l'Inspection Générale de la Police Nationale.
Les premiers enseignements en ont été précieux, car ils ont permis de procéder à un certain nombre d'ajustements dans le cadre de la préparation de la généralisation. L'évaluation a montré aussi que la police de proximité est bien accueillie par la population qui considère qu'elle est la réponse adaptée à la délinquance et aux incivilités les plus génératrices d'insécurité.
Les résultats de ces évaluations, qui comportent bien d'autres éléments susceptibles de nourrir les travaux de ces Assises, vous seront présentés dans quelques minutes par le Directeur Général de la Police Nationale, M. Patrice BERGOUGNOUX.
b) Avec cet éclairage, j'ai arrêté le calendrier et le mode de généralisation de la police de proximité.
J'ai décidé tout d'abord que cette généralisation serait conduite, au plan national, en trois vagues successives équilibrées en 2000, 2001, et au premier semestre 2002.
Cette mise en uvre à un rythme constant est la démonstration d'une volonté d'aller de l'avant, sans précipitation excessive, mais aussi sans lenteur. Certes, avec la généralisation, la police de proximité entre dans une phase décisive qui lui confère un caractère irréversible. En même temps, les choses doivent se faire par étapes, progressivement, méthodiquement.
Quatre critères objectifs ont guidé et guideront mes arbitrages dans le choix des sites des différentes phases de généralisation :
- le caractère équilibré des 3 phases de généralisation qui couvriront chacune environ 10 millions d'habitants,
- la priorité donnée aux départements sensibles conformément aux orientations gouvernementales,
- la prise en compte de circonscriptions entières, avec en priorité l'extension de la police de proximité aux circonscriptions comportant des sites ayant fait l'objet d'une expérimentation,
- l'existence d'un partenariat local pertinent et effectif, dans le cadre du contrat local de sécurité.
De plus, j'ai souhaité que la logique de projet de service, appliquée pour les expérimentations, et qui donne de bons résultats, soit reprise pour chaque phase de généralisation.
Intrinsèque à l'esprit de la police de proximité, cette logique favorise une réelle capacité d'initiative aux responsables locaux et donne une large place à la concertation avec les différentes catégories de personnels
c) La concertation approfondie avec les personnels et les organisations syndicales est, à mes yeux, absolument indispensable. Elle permet, en effet, d'enrichir les projets de service de police de proximité et d'impliquer tous les personnels à tous les niveaux de responsabilité.
Les organisations syndicales sont par ailleurs informées et consultées sur la réforme, au niveau national, au niveau départemental, comme au niveau des circonscriptions concernées par la généralisation. Ces différents niveaux de concertation doivent permettre un suivi adapté de sa mise en uvre.
Une communication dynamique avec les personnels et leurs représentants est par ailleurs mise en place, dans la préparation des projets dans chaque circonscription, et par des initiatives d'information nationales et régionales.
Cet effort de concertation et de communication est indispensable car il peut seul permettre une bonne compréhension du contenu de la réforme et de la démarche. Sur le terrain, la police de proximité sera ce qu'en feront les policiers.
d) Avant d'engager la nouvelle étape, déterminante, de la généralisation de la police de proximité, il m'a semblé indispensable de procéder à un état des lieux, et de faire un large tour d'horizon avec tous les acteurs concernés.
C'est la raison d'être des Assises Nationales de la Police de Proximité, qui sont à la fois le point d'orgue et l'ultime phase de préparation, mais également déjà le point de départ de la généralisation.
· Le premier objectif de ces Assises est de tirer tous les enseignements des expérimentations, de formaliser les pratiques qui donnent de bons résultats, de confronter les actions et outils mis en place, y compris avec les expériences étrangères. Les échanges d'aujourd'hui doivent aussi affiner encore le concept de police de proximité et lui donner, au travers des débats, un contenu concret - c'est-à-dire de la chair et un visage au travers des mille et une facettes de la réalité.
· Le deuxième objectif de ces Assises, c'est de promouvoir les nouvelles dimensions du métier de policier de proximité et la valorisation de ses tâches, mais aussi de faire apparaître tous les changements nécessaires pour réussir cette véritable révolution culturelle.
· Le troisième objectif de ces Assises est de faire de la police de proximité une réforme partagée.
Les objectifs et les principes ont été fixés, mais la mise en uvre incombe aux hommes et aux femmes qui exercent chaque jour sur le terrain le métier de policier, métier à la fois passionnant, exigeant, mais difficile. La réussite de la réforme leur appartient.
C'est pourquoi j'ai voulu que ces Assises soient un moment fort d'échanges, de réflexions et d'analyse en commun, de dialogue entre tous les acteurs de la sécurité au quotidien, et d'abord les policiers : 4.000 d'entre eux, directeurs départementaux, commissaires, officiers, gradés et gardiens, adjoints de sécurité, sont associés directement à ces travaux.
Il n'est en effet pas de réforme réussie sans un dialogue approfondi avec tous ceux qui doivent l'appliquer.
Aussi, pour la première fois dans l'histoire de la police nationale, un débat aussi décisif est organisé de façon publique et dans une totale transparence sur l'évolution de l'institution et de la doctrine d'emploi des services de police.
J'ai confiance dans la réussite de la démarche que nous avons entreprise parce qu'elle repose sur quatre convictions partagées :
- conviction que la Police Nationale a la capacité de négocier le virage de la proximité, et de s'affirmer comme l'un des services de l'Etat les plus innovants, les plus exemplaires et les plus performants ;
- conviction que seule la Police Nationale peut mettre en place une véritable police de proximité, apte à apporter des réponses durables aux problèmes d'insécurité et de délinquance au quotidien, et à assurer pour tous et en tous lieux un droit égal à la sécurité ;
- conviction que le service public de police est par essence le service du citoyen, service nécessairement valorisant pour les fonctionnaires qui l'assurent ;
- conviction, enfin, que cette réforme est indispensable pour renforcer le pacte républicain qui unit les citoyens à la République et rendre à la police nationale sa véritable vocation et toute sa légitimité.
Je souhaite à chacune et à chacun d'entre vous une journée de travail approfondie et riche d'enseignements pour le service public de la police nationale et pour nos concitoyens.

(source http://www.interieur.gouv.fr, le 4 avril 2000)