Texte intégral
D'abord je voudrais vous remercier d'être venus si nombreux. Je suis heureux de me retrouver aujourd'hui en Tunisie pour une visite bilatérale qui m'a permis d'avoir une série d'entretiens avec des interlocuteurs de grande qualité appartenant aux diverses sphères de la vie politique et de la société tunisiennes.
Ils ont en commun leur attachement à une coopération renforcée avec la France et le souci d'un dialogue confiant. J'ai eu en particulier un dialogue riche et utile avec mon homologue, M. Abdallah, qui nous a permis de passer en revue les questions bilatérales entre nos deux pays, dans un esprit très constructif. Nous avons également abordé les principaux sujets de l'actualité internationale, dans une proximité de vues et d'analyses, à la veille du dixième anniversaire du Processus de Barcelone que nous abordons avec la même ambition de faire de ce partenariat un cadre privilégié de dialogue et de projets.
J'ai redit à plusieurs reprises l'amitié qui existe entre nos deux pays, nos deux sociétés civiles, nos chercheurs, nos scientifiques, nos universitaires, nos enseignants, nos responsables. J'ai évoqué plus particulièrement ce matin, et cela m'a fait très plaisir, avec le ministre de la Santé et le ministre de la Recherche, certains aspects de notre coopération, dans le domaine de la santé, de la recherche, de l'éducation, après avoir fait une passionnante visite à l'Institut de lutte contre le cancer Salah Azaïez au cours de laquelle a été signé un accord de coopération avec un grand pôle de compétitivité que nous avons mis en place en France, le "cancéropôle" du Grand sud-ouest, basé à Toulouse.
En marge de ces entretiens officiels, j'ai souhaité rencontrer des représentants de la société civile avec lesquels j'ai eu un échange très instructif pour moi et également très constructif. Enfin, je rencontrerai tout à l'heure la communauté française qui, comme vous le savez, constitue par son dynamisme et par sa qualité un élément important et moteur de nos liens bilatéraux.
Je suis à votre disposition pour aborder tous les sujets. Un des sujets que certains d'entre vous qui sont ici m'ont demandé d'aborder est le problème des Droits de l'homme. Nous nous sommes exprimés très clairement sur ce sujet, d'abord avec mon homologue, le ministre des Affaires étrangères, M. Abdallah, mais également avec des représentants d'organisations non-gouvernementales qui souhaitaient évoquer la situation des Droits de l'homme à la suite de l'annulation du congrès de la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme (LTDH). Nous les avons reçus au ministère des Affaires étrangères. J'ai moi-même rencontré ce matin à la résidence de l'Ambassadeur des représentants de la société civile tunisienne avec lesquels j'ai eu un échange très intéressant.
La France considère que la question des Droits de l'Homme constitue un élément du dialogue politique entre nos deux pays. La France, patrie des Droits de l'Homme, pense qu'ils font partie du dialogue politique avec tous les pays, et bien sûr avec la Tunisie. C'est aussi un élément de dialogue politique avec l'Union européenne, dans le cadre de l'Accord d'association. Dans cet esprit, la France exprime le souhait que la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme ainsi que les autres organisations non-gouvernementales puissent continuer à apporter, dans la légalité bien sûr, leur contribution à la promotion des Droits de l'Homme et des libertés publiques.
Je suis donc à votre disposition pour toutes questions en sachant que ce qu'il y a probablement de plus important pour la France aujourd'hui, mais aussi pour l'Union européenne, c'est de créer des ponts de relations évidemment économiques mais aussi politiques et scientifiques avec le Maghreb et avec la Tunisie en particulier.
Q - Monsieur le Ministre, pour revenir à la question de la Ligue des Droits de l'Homme qui se débat dans une crise, vous avez rencontré ce matin les deux parties prenantes ; j'aimerais savoir quelles conclusions vous en tirez ?
R - Je viens de vous le dire. Il y a deux choses qui nous paraissent très importantes, à nous Français. La première, c'est que les Droits de l'Homme sont des éléments du dialogue politique entre les nations, entre les pays. Il est donc important qu'il y ait une ouverture de tous les pays du monde démocratique sur ces questions essentielles que sont les questions de Droits de l'Homme et de démocratie. Les Droits de l'Homme y sont bien sûr toujours liés et j'ai été heureux de pouvoir parler de cela, comme vous le dites, avec les différentes parties prenantes.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous avez discuté avec les ministres tunisiens de suggestions particulières à la veille du Forum méditerranéen puis de l'anniversaire de Barcelone ?
Et pourrait-on avoir une idée un peu plus précise des personnes de la société civile que vous avez rencontrées ?
R - Cela, ce n'est un secret pour personne et l'ambassade de France vous dira qui nous avons rencontré.
Ce qui me paraît le plus important sur la question de Barcelone : je crois de plus en plus à la nécessité d'avoir un dialogue entre les pays du Nord et les pays du Sud. Je crois en particulier que l'Union européenne est aujourd'hui une partie du monde qui porte des valeurs universelles, qui porte les valeurs des Droits de l'Homme comme aucun autre pôle ne le fait. Nous ne sommes pas des Chinois, nous ne sommes pas des Indiens, nous ne sommes pas des Américains, nous sommes des Européens et, attachés à l'Union européenne, nous portons des valeurs et nous estimons que tous ceux qui veulent travailler avec nous, en particulier dans des cadres de voisinage, sont des pays qui doivent porter et reconnaître avec nous ces valeurs essentielles.
Au-delà de ces grandes valeurs, il y a probablement une nécessité. Nous avons 1,5 % de croissance de moins que les Etats-Unis. On me pose souvent la question : "quel est l'avenir de l'Union européenne ?" Eh bien, concernant l'avenir de l'Union européenne, au-delà du cadre institutionnel - et vous comprendrez qu'il est de tradition de ne pas parler de politique intérieure dans un pays étranger - il nous paraît important de créer ce point et demi de croissance qui nous manque. Où va-t-on aller le chercher ? Dans la productivité, dans le nombre d'heures travaillées, dans ce fameux équilibre entre flexibilité du travail, compétitivité et protection sociale mais aussi dans cette région du monde qu'est le Maghreb.
Pour la France, c'est une chance d'avoir 110 millions de Francophones qui sont ici, en Afrique du Nord, qui partagent les mêmes valeurs et pour lesquels le français est une langue qui représente quelque chose. Je suis persuadé que l'on peut se respecter dans la mesure où l'on se connaît. Il se trouve que la France et la Tunisie se connaissent et nous avons donc intérêt à jeter des ponts.
Alors je souhaite revenir en Tunisie, non pas dans le cadre multilatéral mais bilatéral. Je souhaite pouvoir amener des chefs d'entreprise, des chefs de grandes entreprises, mais aussi de petites et moyennes entreprises, voire de toutes petites entreprises. Car l'ouverture de notre pays à la mondialisation n'a qu'une seule règle qu'il faut respecter : c'est faire en sorte que les chefs d'entreprise sortent de notre pays, puissent conquérir des marchés, puissent répondre à des appels d'offre.
Ici, vous avez la privatisation très prochaine des télécommunications. Vous avez une assurance maladie qui va devenir universelle et obligatoire. Autant d'enjeux considérables pour nos économies et pour vos économies. Je crois que c'est dans un esprit de partage des valeurs mais aussi des intérêts que je souhaite revenir ici pour parler des relations bilatérales.
Q - Vous avez certainement évoqué le Sommet mondial sur la Société de l'Information qui va se dérouler ici dans un mois et demi. Quelle est l'appréciation, côté français, des préparatifs engagés par la Tunisie dans ce domaine ?
R - Comme vous le savez, nous sommes très heureux d'avoir enfin un lieu pour parler de la fracture numérique. Dans le monde dans lequel nous sommes, il va y a avoir très vite un nouvel alphabet. Il y aura, bien sûr, ceux qui sauront s'en servir et ceux qui ne sauront pas s'en servir. Et il n'est pas pensable qu'il n'y ait pas un rattrapage dans les différents pays qui n'ont pas encore accès à ces technologies. Je crois donc que ce sommet est un sommet important ; nous l'avons dit à plusieurs reprises.
C'est l'occasion pour moi de vous dire que j'ai rencontré ce matin le maire de Tunis et que nous avons eu un échange intéressant sur cette société de l'information, sur la manière dont une grande ville comme celle-ci s'équipe pour que la jeunesse en particulier mais aussi les gens plus âgés, puissent se servir de cela. Donc nous sommes partie prenante, évidemment, de ce sommet.
Q - Monsieur le Ministre, vous n'êtes pas Chinois, vous n'êtes pas Américain, vous êtes Européen et vous êtes porteur de certaines valeurs des Droits de l'Homme dont la France est le noyau depuis 1789. Il se trouve qu'un pays fondateur de la Communauté européenne, le Royaume-Uni, colonise un autre peuple en Irak. La légalité dans ce pays est sous la botte de ses soldats et de soldats américains. Est-ce que vous, en tant que ministre des Affaires étrangères de la France, pays allié au sein de l'Europe, vous allez vous contenter de l'apport britannique à l'Union européenne et oublier tout le reste du monde, essentiellement le peuple irakien ? Là, c'est de Droits de l'Homme que je vous parle, de légalité et de colonisation !
R - Concernant l'Irak, comme vous le savez, le président Chirac ainsi que l'ensemble du peuple français dans sa globalité ont pris la décision de considérer que lorsqu'il y a un conflit naissant dans la communauté internationale, il faut toujours faire prévaloir le multilatéralisme à l'unilatéralisme. C'est notre principe.
Un deuxième principe qui est le nôtre, c'est la non-ingérence d'un pays dans un autre. C'est la raison pour laquelle nous ne pensons pas à l'unilatéralisme. Un pays, quel qu'il soit, fut-ce le plus fort, n'a pas à décider de manière unilatérale où est le bien et où est le mal. Il y a pour cela le multilatéralisme.
Je rentre de New York, où j'ai passé dix jours. A l'Assemblée générale des Nations unies, la France a redit avec force qu'elle croyait aux Nations unies, qu'elle croyait à cette gouvernance mondiale qu'il faut parfaire. Nous parlions des Droits de l'Homme : la Commission des Droits de l'Homme va se transformer en Conseil des Droits de l'Homme d'ici la fin de l'année. C'est certainement une base juridique majeure pour l'avenir du monde.
Nous pensons qu'il faut en effet aussi travailler sur la consolidation de la paix lorsque des forces militaires étrangères sont venues dans un pays pour une raison ou pour une autre. Nous pensons qu'il faut aller plus loin - et là, c'est un des manques de l'Assemblée générale des Nations unies - sur un système de non-prolifération. Nous avons regretté de ne pas nous être mis d'accord sur la définition du mot terrorisme lors de l'Assemblée générale des Nations unies.
Mais sur l'Irak, nous sommes attachés à un principe : c'est le principe d'inclusivité. Nous voyons aujourd'hui en Irak un paradoxe : d'un côté un projet constitutionnel avancé, avec un référendum le 15 octobre, le 15 décembre des élections législatives et la définition d'un gouvernement avant le 31 ; si l'on regarde la résolution. Mais au moment où nous voyons ce processus constitutionnel avancer, nous nous apercevons qu'il n'y a jamais eu autant de violence en Irak, qu'il y a une communautarisation qui était évidente et que ce qu'il faut éviter en Irak aujourd'hui, c'est la partition. En réalité, la France plaide pour l'inclusivité. Cela veut dire que toutes les forces politiques de l'Irak doivent être regroupées autour d'un processus politique. Nous pensons que la seule solution pour sortir l'Irak aujourd'hui de ses difficultés, c'est un processus politique inclusif, incluant donc toutes les forces politiques, y compris les Sunnites.
Mais malheureusement, vous connaissez les problèmes qui existent dans la Constitution, que ce soit dans la définition de la décentralisation, la répartition des ressources financières, en particulier pétrolières, le statut de Kirkouk, etc. Nous avons pris note de l'achèvement de la rédaction du projet de Constitution irakienne, étape supplémentaire vers la restauration effective de la souveraineté. Il appartient maintenant aux seuls Irakiens de se prononcer sur ce texte lors du référendum du 15 octobre prochain.
La France entend prendre toute sa part dans l'effort collectif, dans la mise en place d'un Etat de droit. Elle a accueilli en juillet un premier groupe d'une quarantaine de policiers et de magistrats, dans le cadre d'un programme de formation de l'Union européenne. Et je vous dis ici notre disponibilité à former en France des personnels de sécurité irakiens, sur un plan bilatéral.
Q - A part des membres de la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme, vous avez rencontré ce matin des représentants de la société civile. J'aimerais savoir quelles sont vos conclusions à l'issue de ces rencontres ?
Et j'aimerais savoir qui représentera la France au Sommet mondial sur la Société de l'Information, au niveau gouvernemental ?
R - Nous n'avons pas encore décidé de cela. Comme vous le savez, le président de la République est un ami de la Tunisie mais nous n'avons pas encore décidé qui représenterait la France à ce sommet.
Je tire plusieurs conclusions des rencontres que j'ai eues ce matin. La première, je ne vais pas l'aborder une deuxième fois, c'est le sujet des Droits de l'Homme que je viens de traiter.
La deuxième, c'est l'importance de défendre la Francophonie et la francophilie. Je ne me fais pas de souci pour la francophilie mais pour la Francophonie, le budget de mon ministère consacré aux lycées français, aux collèges, à l'école, est un budget qui doit augmenter. J'en suis conscient. J'étais il y a trois jours en Egypte où j'ai eu la même demande. Un ambassadeur de France qui me dit : "nous croulons sous les demandes de familles égyptiennes - et ici : de familles tunisiennes - qui nous demandent de rentrer dans les collèges ou dans les lycées français". Il est de notre devoir de continuer à faire rayonner la France par l'intermédiaire de ces collèges et de ces lycées. C'est notre devoir, notre responsabilité. C'est la deuxième conclusion.
La troisième, c'est que la culture fait partie intégrante de la démocratie. La culture, c'est l'élément clé pour développer une démocratie. Le théâtre, le cinéma, la création, la peinture, l'art vivant, c'est fondamental. En tous cas, notre pays l'a prouvé, notre pays le prouve aujourd'hui. Et j'aime reprendre une phrase de l'un de mes grands prédécesseurs, quand j'étais ministre de la Culture, qui s'appelait Jacques Duhamel, un très grand ministre de la Culture en France. Quand on lui demandait de définir la culture, il disait : "c'est l'art de transformer une journée de travail en une journée de vie". Et je crois qu'il avait raison. Nous avons parlé de cela ce matin.
Q - Monsieur le Ministre, la libération des prisonniers marocains par le Polisario, initiée par les Américains, est une offensive dans les développements continus au Sahara occidental. On a parlé à un certain moment de la possibilité d'une initiative franco-espagnole pour favoriser l'atmosphère nécessaire à la résolution pacifique de ce conflit. Est-ce qu'une telle initiative est envisageable dans un prochain avenir ?
R - J'ai eu l'occasion de parler de ce sujet avec mon collègue et ami Miguel Moratinos. J'ai eu l'occasion d'en parler également avec les Algériens et les Marocains. C'est une sujet qui, vous le savez, est très sensible. La France est à la disposition des uns et des autres pour que l'on puisse faire avancer ce sujet tellement douloureux pour les uns et pour les autres.
Q - Une question qui porte sur l'Irak. Vous avez parlé d'une formation de magistrats. Le procès de Saddam Hussein approche vers le 15 octobre. Le Premier ministre Ibrahim Al?Jaafari a dit qu'il était hors de question de reporter ce procès, quelles que soient les conditions politiques d'insécurité. Alors quelle est la légalité selon vous, défenseur des Droits de l'Homme, de ce procès et de ce tribunal spécial international ? Quelle en est la légitimité et quelle est la position de la France ?
R - Encore une fois, la position de la France est très simple : nous avons toujours pensé - c'est vrai pour le Liban, c'est vrai pour d'autres pays - qu'il ne doit pas y avoir d'ingérence d'un pays dans un autre. C'est un principe fondateur de la politique internationale de la France que le président de la République Jacques Chirac symbolise tant.
Nous pensons donc qu'aujourd'hui la seule solution pour l'Irak, c'est que les Irakiens puissent eux-mêmes définir leur sort, que la Constitution irakienne soit issue d'un processus politique incluant toutes les forces, comme je le disais à l'instant. C'est ce qui se joue en Irak et qui est évidemment très important, vous l'avez compris.
Pourquoi les magistrats ? Pourquoi les policiers ? C'est exactement comme dans les Territoires palestiniens : si vous n'avez pas de justice, si vous n'avez pas de police, si vous n'avez pas de respect de l'Etat de droit, vous ne pouvez pas avoir un début d'Etat ! Dans mon pays, la France, si une personne est déclarée criminelle après avoir été jugée, elle est punie. Les autres regardent. C'est l'Etat de droit, c'est la République, ce sont les valeurs. Nous sommes donc les premiers à vouloir former des magistrats, former des policiers, parce que l'Etat de droit, c'est la base d'une République apaisée.
A partir de là, nous ferons tout pour aider la justice en Irak, dans la mesure où ce sont les Irakiens qui représentent l'Irak. Nous ne pensons pas qu'un pays, quel qu'il soit, puisse s'ingérer dans la vie politique intérieure d'un autre, que ce soit le Liban, que ce soit l'Irak.
Q - Quelles sont les garanties sur l'équité d'un procès, justement ?
R - Aujourd'hui, nous n'en sommes pas là. Aujourd'hui, nous souhaitons que les Irakiens puissent se retrouver, qu'il n'y ait personne laissé sur le bord du chemin. C'est, je crois, suffisamment rare, comme position, pour ne pas le souligner, et la France, d'ailleurs, pense qu'il faudrait organiser une conférence internationale prochainement, sur ce sujet, en réfléchissant dans un premier temps aux objectifs que nous fixons à cette conférence internationale pour essayer de sauver la cohésion de ce pays.
Merci.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2005)
Ils ont en commun leur attachement à une coopération renforcée avec la France et le souci d'un dialogue confiant. J'ai eu en particulier un dialogue riche et utile avec mon homologue, M. Abdallah, qui nous a permis de passer en revue les questions bilatérales entre nos deux pays, dans un esprit très constructif. Nous avons également abordé les principaux sujets de l'actualité internationale, dans une proximité de vues et d'analyses, à la veille du dixième anniversaire du Processus de Barcelone que nous abordons avec la même ambition de faire de ce partenariat un cadre privilégié de dialogue et de projets.
J'ai redit à plusieurs reprises l'amitié qui existe entre nos deux pays, nos deux sociétés civiles, nos chercheurs, nos scientifiques, nos universitaires, nos enseignants, nos responsables. J'ai évoqué plus particulièrement ce matin, et cela m'a fait très plaisir, avec le ministre de la Santé et le ministre de la Recherche, certains aspects de notre coopération, dans le domaine de la santé, de la recherche, de l'éducation, après avoir fait une passionnante visite à l'Institut de lutte contre le cancer Salah Azaïez au cours de laquelle a été signé un accord de coopération avec un grand pôle de compétitivité que nous avons mis en place en France, le "cancéropôle" du Grand sud-ouest, basé à Toulouse.
En marge de ces entretiens officiels, j'ai souhaité rencontrer des représentants de la société civile avec lesquels j'ai eu un échange très instructif pour moi et également très constructif. Enfin, je rencontrerai tout à l'heure la communauté française qui, comme vous le savez, constitue par son dynamisme et par sa qualité un élément important et moteur de nos liens bilatéraux.
Je suis à votre disposition pour aborder tous les sujets. Un des sujets que certains d'entre vous qui sont ici m'ont demandé d'aborder est le problème des Droits de l'homme. Nous nous sommes exprimés très clairement sur ce sujet, d'abord avec mon homologue, le ministre des Affaires étrangères, M. Abdallah, mais également avec des représentants d'organisations non-gouvernementales qui souhaitaient évoquer la situation des Droits de l'homme à la suite de l'annulation du congrès de la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme (LTDH). Nous les avons reçus au ministère des Affaires étrangères. J'ai moi-même rencontré ce matin à la résidence de l'Ambassadeur des représentants de la société civile tunisienne avec lesquels j'ai eu un échange très intéressant.
La France considère que la question des Droits de l'Homme constitue un élément du dialogue politique entre nos deux pays. La France, patrie des Droits de l'Homme, pense qu'ils font partie du dialogue politique avec tous les pays, et bien sûr avec la Tunisie. C'est aussi un élément de dialogue politique avec l'Union européenne, dans le cadre de l'Accord d'association. Dans cet esprit, la France exprime le souhait que la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme ainsi que les autres organisations non-gouvernementales puissent continuer à apporter, dans la légalité bien sûr, leur contribution à la promotion des Droits de l'Homme et des libertés publiques.
Je suis donc à votre disposition pour toutes questions en sachant que ce qu'il y a probablement de plus important pour la France aujourd'hui, mais aussi pour l'Union européenne, c'est de créer des ponts de relations évidemment économiques mais aussi politiques et scientifiques avec le Maghreb et avec la Tunisie en particulier.
Q - Monsieur le Ministre, pour revenir à la question de la Ligue des Droits de l'Homme qui se débat dans une crise, vous avez rencontré ce matin les deux parties prenantes ; j'aimerais savoir quelles conclusions vous en tirez ?
R - Je viens de vous le dire. Il y a deux choses qui nous paraissent très importantes, à nous Français. La première, c'est que les Droits de l'Homme sont des éléments du dialogue politique entre les nations, entre les pays. Il est donc important qu'il y ait une ouverture de tous les pays du monde démocratique sur ces questions essentielles que sont les questions de Droits de l'Homme et de démocratie. Les Droits de l'Homme y sont bien sûr toujours liés et j'ai été heureux de pouvoir parler de cela, comme vous le dites, avec les différentes parties prenantes.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous avez discuté avec les ministres tunisiens de suggestions particulières à la veille du Forum méditerranéen puis de l'anniversaire de Barcelone ?
Et pourrait-on avoir une idée un peu plus précise des personnes de la société civile que vous avez rencontrées ?
R - Cela, ce n'est un secret pour personne et l'ambassade de France vous dira qui nous avons rencontré.
Ce qui me paraît le plus important sur la question de Barcelone : je crois de plus en plus à la nécessité d'avoir un dialogue entre les pays du Nord et les pays du Sud. Je crois en particulier que l'Union européenne est aujourd'hui une partie du monde qui porte des valeurs universelles, qui porte les valeurs des Droits de l'Homme comme aucun autre pôle ne le fait. Nous ne sommes pas des Chinois, nous ne sommes pas des Indiens, nous ne sommes pas des Américains, nous sommes des Européens et, attachés à l'Union européenne, nous portons des valeurs et nous estimons que tous ceux qui veulent travailler avec nous, en particulier dans des cadres de voisinage, sont des pays qui doivent porter et reconnaître avec nous ces valeurs essentielles.
Au-delà de ces grandes valeurs, il y a probablement une nécessité. Nous avons 1,5 % de croissance de moins que les Etats-Unis. On me pose souvent la question : "quel est l'avenir de l'Union européenne ?" Eh bien, concernant l'avenir de l'Union européenne, au-delà du cadre institutionnel - et vous comprendrez qu'il est de tradition de ne pas parler de politique intérieure dans un pays étranger - il nous paraît important de créer ce point et demi de croissance qui nous manque. Où va-t-on aller le chercher ? Dans la productivité, dans le nombre d'heures travaillées, dans ce fameux équilibre entre flexibilité du travail, compétitivité et protection sociale mais aussi dans cette région du monde qu'est le Maghreb.
Pour la France, c'est une chance d'avoir 110 millions de Francophones qui sont ici, en Afrique du Nord, qui partagent les mêmes valeurs et pour lesquels le français est une langue qui représente quelque chose. Je suis persuadé que l'on peut se respecter dans la mesure où l'on se connaît. Il se trouve que la France et la Tunisie se connaissent et nous avons donc intérêt à jeter des ponts.
Alors je souhaite revenir en Tunisie, non pas dans le cadre multilatéral mais bilatéral. Je souhaite pouvoir amener des chefs d'entreprise, des chefs de grandes entreprises, mais aussi de petites et moyennes entreprises, voire de toutes petites entreprises. Car l'ouverture de notre pays à la mondialisation n'a qu'une seule règle qu'il faut respecter : c'est faire en sorte que les chefs d'entreprise sortent de notre pays, puissent conquérir des marchés, puissent répondre à des appels d'offre.
Ici, vous avez la privatisation très prochaine des télécommunications. Vous avez une assurance maladie qui va devenir universelle et obligatoire. Autant d'enjeux considérables pour nos économies et pour vos économies. Je crois que c'est dans un esprit de partage des valeurs mais aussi des intérêts que je souhaite revenir ici pour parler des relations bilatérales.
Q - Vous avez certainement évoqué le Sommet mondial sur la Société de l'Information qui va se dérouler ici dans un mois et demi. Quelle est l'appréciation, côté français, des préparatifs engagés par la Tunisie dans ce domaine ?
R - Comme vous le savez, nous sommes très heureux d'avoir enfin un lieu pour parler de la fracture numérique. Dans le monde dans lequel nous sommes, il va y a avoir très vite un nouvel alphabet. Il y aura, bien sûr, ceux qui sauront s'en servir et ceux qui ne sauront pas s'en servir. Et il n'est pas pensable qu'il n'y ait pas un rattrapage dans les différents pays qui n'ont pas encore accès à ces technologies. Je crois donc que ce sommet est un sommet important ; nous l'avons dit à plusieurs reprises.
C'est l'occasion pour moi de vous dire que j'ai rencontré ce matin le maire de Tunis et que nous avons eu un échange intéressant sur cette société de l'information, sur la manière dont une grande ville comme celle-ci s'équipe pour que la jeunesse en particulier mais aussi les gens plus âgés, puissent se servir de cela. Donc nous sommes partie prenante, évidemment, de ce sommet.
Q - Monsieur le Ministre, vous n'êtes pas Chinois, vous n'êtes pas Américain, vous êtes Européen et vous êtes porteur de certaines valeurs des Droits de l'Homme dont la France est le noyau depuis 1789. Il se trouve qu'un pays fondateur de la Communauté européenne, le Royaume-Uni, colonise un autre peuple en Irak. La légalité dans ce pays est sous la botte de ses soldats et de soldats américains. Est-ce que vous, en tant que ministre des Affaires étrangères de la France, pays allié au sein de l'Europe, vous allez vous contenter de l'apport britannique à l'Union européenne et oublier tout le reste du monde, essentiellement le peuple irakien ? Là, c'est de Droits de l'Homme que je vous parle, de légalité et de colonisation !
R - Concernant l'Irak, comme vous le savez, le président Chirac ainsi que l'ensemble du peuple français dans sa globalité ont pris la décision de considérer que lorsqu'il y a un conflit naissant dans la communauté internationale, il faut toujours faire prévaloir le multilatéralisme à l'unilatéralisme. C'est notre principe.
Un deuxième principe qui est le nôtre, c'est la non-ingérence d'un pays dans un autre. C'est la raison pour laquelle nous ne pensons pas à l'unilatéralisme. Un pays, quel qu'il soit, fut-ce le plus fort, n'a pas à décider de manière unilatérale où est le bien et où est le mal. Il y a pour cela le multilatéralisme.
Je rentre de New York, où j'ai passé dix jours. A l'Assemblée générale des Nations unies, la France a redit avec force qu'elle croyait aux Nations unies, qu'elle croyait à cette gouvernance mondiale qu'il faut parfaire. Nous parlions des Droits de l'Homme : la Commission des Droits de l'Homme va se transformer en Conseil des Droits de l'Homme d'ici la fin de l'année. C'est certainement une base juridique majeure pour l'avenir du monde.
Nous pensons qu'il faut en effet aussi travailler sur la consolidation de la paix lorsque des forces militaires étrangères sont venues dans un pays pour une raison ou pour une autre. Nous pensons qu'il faut aller plus loin - et là, c'est un des manques de l'Assemblée générale des Nations unies - sur un système de non-prolifération. Nous avons regretté de ne pas nous être mis d'accord sur la définition du mot terrorisme lors de l'Assemblée générale des Nations unies.
Mais sur l'Irak, nous sommes attachés à un principe : c'est le principe d'inclusivité. Nous voyons aujourd'hui en Irak un paradoxe : d'un côté un projet constitutionnel avancé, avec un référendum le 15 octobre, le 15 décembre des élections législatives et la définition d'un gouvernement avant le 31 ; si l'on regarde la résolution. Mais au moment où nous voyons ce processus constitutionnel avancer, nous nous apercevons qu'il n'y a jamais eu autant de violence en Irak, qu'il y a une communautarisation qui était évidente et que ce qu'il faut éviter en Irak aujourd'hui, c'est la partition. En réalité, la France plaide pour l'inclusivité. Cela veut dire que toutes les forces politiques de l'Irak doivent être regroupées autour d'un processus politique. Nous pensons que la seule solution pour sortir l'Irak aujourd'hui de ses difficultés, c'est un processus politique inclusif, incluant donc toutes les forces politiques, y compris les Sunnites.
Mais malheureusement, vous connaissez les problèmes qui existent dans la Constitution, que ce soit dans la définition de la décentralisation, la répartition des ressources financières, en particulier pétrolières, le statut de Kirkouk, etc. Nous avons pris note de l'achèvement de la rédaction du projet de Constitution irakienne, étape supplémentaire vers la restauration effective de la souveraineté. Il appartient maintenant aux seuls Irakiens de se prononcer sur ce texte lors du référendum du 15 octobre prochain.
La France entend prendre toute sa part dans l'effort collectif, dans la mise en place d'un Etat de droit. Elle a accueilli en juillet un premier groupe d'une quarantaine de policiers et de magistrats, dans le cadre d'un programme de formation de l'Union européenne. Et je vous dis ici notre disponibilité à former en France des personnels de sécurité irakiens, sur un plan bilatéral.
Q - A part des membres de la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme, vous avez rencontré ce matin des représentants de la société civile. J'aimerais savoir quelles sont vos conclusions à l'issue de ces rencontres ?
Et j'aimerais savoir qui représentera la France au Sommet mondial sur la Société de l'Information, au niveau gouvernemental ?
R - Nous n'avons pas encore décidé de cela. Comme vous le savez, le président de la République est un ami de la Tunisie mais nous n'avons pas encore décidé qui représenterait la France à ce sommet.
Je tire plusieurs conclusions des rencontres que j'ai eues ce matin. La première, je ne vais pas l'aborder une deuxième fois, c'est le sujet des Droits de l'Homme que je viens de traiter.
La deuxième, c'est l'importance de défendre la Francophonie et la francophilie. Je ne me fais pas de souci pour la francophilie mais pour la Francophonie, le budget de mon ministère consacré aux lycées français, aux collèges, à l'école, est un budget qui doit augmenter. J'en suis conscient. J'étais il y a trois jours en Egypte où j'ai eu la même demande. Un ambassadeur de France qui me dit : "nous croulons sous les demandes de familles égyptiennes - et ici : de familles tunisiennes - qui nous demandent de rentrer dans les collèges ou dans les lycées français". Il est de notre devoir de continuer à faire rayonner la France par l'intermédiaire de ces collèges et de ces lycées. C'est notre devoir, notre responsabilité. C'est la deuxième conclusion.
La troisième, c'est que la culture fait partie intégrante de la démocratie. La culture, c'est l'élément clé pour développer une démocratie. Le théâtre, le cinéma, la création, la peinture, l'art vivant, c'est fondamental. En tous cas, notre pays l'a prouvé, notre pays le prouve aujourd'hui. Et j'aime reprendre une phrase de l'un de mes grands prédécesseurs, quand j'étais ministre de la Culture, qui s'appelait Jacques Duhamel, un très grand ministre de la Culture en France. Quand on lui demandait de définir la culture, il disait : "c'est l'art de transformer une journée de travail en une journée de vie". Et je crois qu'il avait raison. Nous avons parlé de cela ce matin.
Q - Monsieur le Ministre, la libération des prisonniers marocains par le Polisario, initiée par les Américains, est une offensive dans les développements continus au Sahara occidental. On a parlé à un certain moment de la possibilité d'une initiative franco-espagnole pour favoriser l'atmosphère nécessaire à la résolution pacifique de ce conflit. Est-ce qu'une telle initiative est envisageable dans un prochain avenir ?
R - J'ai eu l'occasion de parler de ce sujet avec mon collègue et ami Miguel Moratinos. J'ai eu l'occasion d'en parler également avec les Algériens et les Marocains. C'est une sujet qui, vous le savez, est très sensible. La France est à la disposition des uns et des autres pour que l'on puisse faire avancer ce sujet tellement douloureux pour les uns et pour les autres.
Q - Une question qui porte sur l'Irak. Vous avez parlé d'une formation de magistrats. Le procès de Saddam Hussein approche vers le 15 octobre. Le Premier ministre Ibrahim Al?Jaafari a dit qu'il était hors de question de reporter ce procès, quelles que soient les conditions politiques d'insécurité. Alors quelle est la légalité selon vous, défenseur des Droits de l'Homme, de ce procès et de ce tribunal spécial international ? Quelle en est la légitimité et quelle est la position de la France ?
R - Encore une fois, la position de la France est très simple : nous avons toujours pensé - c'est vrai pour le Liban, c'est vrai pour d'autres pays - qu'il ne doit pas y avoir d'ingérence d'un pays dans un autre. C'est un principe fondateur de la politique internationale de la France que le président de la République Jacques Chirac symbolise tant.
Nous pensons donc qu'aujourd'hui la seule solution pour l'Irak, c'est que les Irakiens puissent eux-mêmes définir leur sort, que la Constitution irakienne soit issue d'un processus politique incluant toutes les forces, comme je le disais à l'instant. C'est ce qui se joue en Irak et qui est évidemment très important, vous l'avez compris.
Pourquoi les magistrats ? Pourquoi les policiers ? C'est exactement comme dans les Territoires palestiniens : si vous n'avez pas de justice, si vous n'avez pas de police, si vous n'avez pas de respect de l'Etat de droit, vous ne pouvez pas avoir un début d'Etat ! Dans mon pays, la France, si une personne est déclarée criminelle après avoir été jugée, elle est punie. Les autres regardent. C'est l'Etat de droit, c'est la République, ce sont les valeurs. Nous sommes donc les premiers à vouloir former des magistrats, former des policiers, parce que l'Etat de droit, c'est la base d'une République apaisée.
A partir de là, nous ferons tout pour aider la justice en Irak, dans la mesure où ce sont les Irakiens qui représentent l'Irak. Nous ne pensons pas qu'un pays, quel qu'il soit, puisse s'ingérer dans la vie politique intérieure d'un autre, que ce soit le Liban, que ce soit l'Irak.
Q - Quelles sont les garanties sur l'équité d'un procès, justement ?
R - Aujourd'hui, nous n'en sommes pas là. Aujourd'hui, nous souhaitons que les Irakiens puissent se retrouver, qu'il n'y ait personne laissé sur le bord du chemin. C'est, je crois, suffisamment rare, comme position, pour ne pas le souligner, et la France, d'ailleurs, pense qu'il faudrait organiser une conférence internationale prochainement, sur ce sujet, en réfléchissant dans un premier temps aux objectifs que nous fixons à cette conférence internationale pour essayer de sauver la cohésion de ce pays.
Merci.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2005)