Déclaration de politique générale de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur son plan de réforme de la protection sociale, à l'Assemblée nationale le 15 novembre 1995.

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Circonstance : Déclaration de politique générale pour présenter le plan de réforme de la Sécurité sociale à l'Assemblée nationale le 15 novembre 1995

Texte intégral

Avant-hier, à cette même tribune, je vous ai dit quelle était l'ambition du Gouvernement : sauver notre système de protection sociale parce qu'il est notre meilleure arme pour lutter contre l'exclusion et réduire la fracture sociale ; construire, pour nos enfants, la Sécurité sociale du XXIe siècle ; imaginer un nouveau contrat de sécurité et de solidarité sociale entre les Français.
Je vous ai dit aussi que nous serions particulièrement attentifs à vos débats. Ils sont maintenant parvenus à leur terme ; ils ont été fructueux et riches d'enseignements pour M. Barrot et moi-même. Nous exprimons notre reconnaissance à l'Assemblée nationale pour le travail considérable qu'elle vient d'accomplir.
Le moment est venu pour le Gouvernement de vous présenter son plan de réformes de la Sécurité sociale.
Trois idées fortes nous ont guidés :
- une exigence : la justice ;
- un principe : la responsabilité ;
- une contrainte : l'urgence.
La Sécurité sociale pour tous
Au nom de la justice, nous voulons la Sécurité sociale pour tous.
Ce n'est pas encore tout à fait le cas aujourd'hui. Les Français ne sont pas encore égaux devant la protection sociale. Pour atteindre notre objectif de justice, nous engagerons quatre réformes majeures :
* Nous instituerons d'abord le régime universel d'assurance-maladie.
ll existe actuellement 19 régimes différents, ce qui est source d'inégalités, de complications et de surcoûts.
Le régime universel ouvrira droit aux mêmes prestations en nature pour tous, sous la condition d'une résidence régulière en France. Il permettra d'harmoniser l'effort contributif de tous les assurés.
ll se mettra en place progressivement ; il ne signifiera pas "régime unique" car il restera compatible avec une organisation en caisses à base professionnelle ; mais il permettra une simplification drastique des relations entre régimes et des conditions d'affiliation ; il apportera la garantie que toute la population est effectivement couverte par l'assurance-maladie, en un mot que tous les Français sont bien soignés.
* Au nom de la justice, nous voulons en second lieu faire progresser l'égalité devant la retraite.
La répartition reste et restera le socle de nos régimes de retraite. Le Président de la République s'en est porté garant.
Au-delà des régimes de base et des régimes complémentaires et pour préparer l'avenir, nous favoriserons la constitution d'une épargne-retraite. Cela impliquera des dispositions fiscales cohérentes avec la réforme des prélèvements obligatoires que le Gouvernement vous proposera au début de l'an prochain.
Au nom de la justice, nous engagerons la réforme des régimes spéciaux de retraite.
- Il s'agira de préciser les mesures nécessaires à l'équilibre de ces régimes, et notamment les modalités d'allongement de
37,5 ans à 40 ans de la durée de cotisation requise pour bénéficier d'une retraite à taux plein.
- Il s'agira en second lieu de prévoir la création d'une Caisse de retraite des agents de la fonction publique de l'État, comme il existe une Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, et cela afin d'établir la transparence du système.
J'installerai sans délai la Commission de réforme des régimes spéciaux qui me proposera sous quatre mois les mesures correspondant à ces orientations. Ainsi progressera l'égalité des Français devant la retraite.
* Au nom de la justice, nous nous efforcerons en troisième lieu de rendre la politique familiale plus équitable et plus efficace.
Comme l'a montré la concertation, les Français sont sensibles à l'inéquité d'un système qui verse des allocations familiales sans condition de ressources, hors impôt, avec un mécanisme de quotient familial certes plafonné mais puissant.
Une majorité d'opinions s'est dégagée pour estimer que la meilleure manière de corriger les inégalités qui en résultent, c'est de soumettre à l'impôt sur le revenu les allocations familiales, à une triple condition :
- que cette mesure s'intègre dans une réforme d'ensemble de l'impôt sur le revenu et notamment de son barème ;
- que des dispositions spécifiques soient prises dans ce cadre au profit des familles modestes et des familles nombreuses ;
- que le solde de recettes supplémentaires ainsi obtenues soit intégralement affecté à la branche Famille.
C'est ce que fera le Gouvernement, lors de la réforme des prélèvements obligatoires dont j'ai déjà parlé, c'est-à-dire avec effet en 1997.
Nous restons par ailleurs attachés à relancer la dynamique d'une grande politique familiale. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons le retour rapide à l'équilibre de la branche. Comme plusieurs d'entre vous l'ont souligné, une simplification des prestations et allocations existantes est nécessaire à court terme pour améliorer l'efficacité du dispositif d'ensemble.
La solidarité de la nation envers ses familles, c'est notre meilleur investissement pour l'avenir.
* Au nom de la justice, nous entreprendrons enfin une quatrième réforme : celle du financement de la protection sociale.
Tout le monde s'accorde à reconnaître que le financement actuel est défavorable à l'emploi parce que les cotisations sont assises sur les salaires, et renchérissent donc le coût global du travail.
Nous agirons, pour remédier à ce grave défaut, dans trois directions :
- réforme de la CSG par élargissement de son assiette ;
- basculement progressif d'une partie des cotisations maladie des salariés sur la CSG ainsi élargie ;
- réforme des cotisations patronales dont l'assiette devra être diversifiée, en intégrant par exemple la notion de valeur ajoutée de l'entreprise.
ll s'agit là d'un changement structurel du financement de la Sécurité sociale ; il s'accomplira naturellement par étapes et tendra à faire de la CSG une cotisation sociale à part entière.
Faire entrer la responsabilité dans le quotidien de la Sécurité sociale
Une exigence, ai-je dit : la justice. Un principe aussi : la responsabilité.
Je m'y suis engagé devant vous en ouvrant vos débats lundi dernier : le Gouvernement ne se contentera pas d'un nouveau replâtrage de la Sécurité sociale ; il veut une réforme faite pour durer.
Les quatre réformes que je viens de présenter constituent déjà en elles-mêmes un changement structurel, une novation sans exemple dans l'histoire de notre protection sociale depuis près de 30 ans.
Mais il faut aller plus loin. Il nous faut mettre en place des mécanismes qui assurent l'équilibre durable du système. Et pour y parvenir, il n'y a qu'un moyen : l'appel à la responsabilité qui constitue, comme le Président de la République l'a rappelé lors de la célébration du 50e anniversaire de la Sécurité sociale, l'un des fondements de notre protection sociale.
Encore ne faut-il pas se satisfaire du seul mot de responsabilité. Il faut faire entrer la responsabilité dans le quotidien de la Sécurité sociale.
Dans cet esprit, le Gouvernement vous propose :
- d'une part, une nouvelle architecture, une nouvelle chaîne des responsabilités,
- d'autre part, une nouvelle gestion du système de soins.
Au terme de la concertation, les diagnostics convergent : on ne sait plus qui décide de quoi en matière de sécurité sociale.
* Notre objectif est donc de clarifier les responsabilités.
En démocratie, il incombe au Parlement de se prononcer le premier. Il doit pouvoir - sur propositions du Gouvernement - fixer :
- les orientations générales et les objectifs des politiques de protection sociale ;
- les ressources financées par l'impôt ;
- le taux d'évolution de l'ensemble des dépenses qui permettra de garantir l'équilibre du système ;
- les critères de répartition des objectifs quantifiés nationaux ainsi arrêtés.
Un tel changement appelle une révision de la Constitution. Ce sera la clef de voûte de la réforme. Ce sera l'acte fondateur qui donnera, 50 ans après, une nouvelle légitimité à notre protection sociale. Je vous proposerai, dès l'an prochain, le projet de révision constitutionnelle qui donnera au Parlement cette nouvelle responsabilité.
Sur la base des délibérations de la représentation nationale, le Gouvernement doit ensuite conclure, avec les caisses nationales, des conventions d'objectifs et de gestion.
En ce qui concerne l'assurance maladie, ces conventions fixeront, après consultation d'une Conférence annuelle de la santé, les taux d'évolution des dépenses par grands secteurs ; elles prévoiront aussi la déclinaison des objectifs nationaux en objectifs régionaux.
Enfin, il nous faut réformer l'organisation des caisses de Sécurité sociale, pour la rendre plus efficace et plus resserrée.
- Au niveau national, la composition des conseils d'administration sera revue de sorte que syndicats, patronat et personnalités qualifiées y trouvent chacun leur place. Les partenaires sociaux y désigneront leurs représentants. Ce système se substituera au régime électoral devenu de fait caduc.
- Les pouvoirs du directeur général seront renforcés de sorte qu'il puisse notamment nommer les directeurs des caisses locales.
- Un Conseil de surveillance, comprenant en particulier des parlementaires, sera institué auprès de chaque caisse nationale.
- Le réseau des caisses locales du régime général sera réorganisé avec l'objectif de constituer un seul organisme par département et par branche, sans pour autant diminuer le nombre de services de proximité.
* Clarifier les responsabilités, c'est en second lieu changer en profondeur les modes de gestion du système de soins.
Avant d'exposer les mesures que nous nous proposons d'adopter dans ce but, je tiens à prendre solennellement un double engagement :
- La volonté, je dirais presque l'obsession, du Gouvernement, c'est de maintenir et d'améliorer la qualité des soins dont bénéficient les Français quand ils en ont besoin. La qualité n'est pas et ne doit pas être négociable. Tous les Français doivent être bien soignés. C'est la justification profonde des efforts que nous allons faire.
- De même, nous nous refusons à entrer dans la voie du rationnement des soins ou de la réduction des remboursements, car on sait bien que ces techniques de maîtrise comptable de la dépense de santé pénalisent d'abord les plus modestes et les plus fragiles.
Une fois encore, seul l'appel à la responsabilité de chacun peut apporter la solution pour tous.
- Responsabilité à l'hôpital, tout d'abord.
A la fin de ce mois, le Haut Conseil pour la Réforme Hospitalière, présidé par le professeur Devulder, présentera ses propositions pour réformer en profondeur notre système d'hospitalisation. D'ores et déjà, il a remis au Gouvernement une note de synthèse préliminaire. J'en retiens quatre principes pour une réforme qui cherchera avant tout à mettre le malade et la qualité des soins au coeur de l'action de tous les partenaires hospitaliers.
* D'abord, la régionalisation par la création d'agences régionales de financement de l'hospitalisation publique et privée. Ces agences seront chargées de répartir les crédits limitativement alloués au plan régional par le Gouvernement en fonction de priorités de santé publique et en application du vote du Parlement, avec pour objectif une correction progressive des inégalités géographiques actuelles.
* Ensuite, l'accréditation et l'évaluation des services hospitaliers, en fonction de normes de qualité et de coût, par une institution indépendante.
* En troisième lieu, la contractualisation entre l'Agence régionale et les structures hospitalières. L'attribution des budgets se fera sur le fondement d'indicateurs de qualité des soins et de sécurité sanitaire dans le cadre d'un programme régional de santé publique.
* Enfin, la coordination sur une base volontaire de l'hospitalisation publique et de l'hospitalisation privée grâce à la mise en place de structures de coopération au plan local.
Parallèlement, le Gouvernement engagera une réforme des conseils d'administration des hôpitaux de telle façon que leurs présidents soient désormais élus par leurs membres. Le maire ne sera plus ainsi président de droit, mais pourra, bien entendu, être élu par le Conseil. Enfin, le Gouvernement élargira à certains grands groupes hospitaliers les dispositions qui prévoient déjà la nomination en Conseil des ministres des directeurs de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, des Hospices civils de Lyon, et de l'Assistance publique de Marseille.
- Responsabilité en médecine de ville, ensuite.
Seule la maîtrise médicalisée des dépenses de médecine ambulatoire permet de concilier les préoccupations qui sont les nôtres : qualité des soins d'un côté, respect des objectifs quantifiés de l'autre.
La maîtrise médicalisée restera donc la règle. Encore faut-il qu'elle soit efficace. Pour qu'elle donne vraiment les résultats attendus, des changements sont nécessaires.
Voici ceux que nous allons mettre en oeuvre :
* nous créerons des Unions régionales de caisses d'assurance maladie qui auront la responsabilité de gérer les objectifs quantifiés régionaux, de coordonner et de renforcer le contrôle médical.
* nous mettrons en place un dispositif d'ajustement automatique des rémunérations des médecins en fonction du respect des objectifs : plus concrètement, cela signifiera que les revalorisations tarifaires seront désormais conditionnelles et temporaires.
* pour passer d'une régulation collective à une appréciation individuelle, nous accélérerons le développement des instruments de "bonne pratique médicale" : les références médicales opposables seront étendues et pérennisées, le codage des actes sera accéléré, l'informatisation des cabinets médicaux sera encouragée grâce à l'intervention d'un fonds spécial alimenté par les professionnels, la formation initiale des médecins sera réformée et leur formation continue rendue obligatoire ; des incitations à la réorientation d'un nombre significatif de médecins de ville vers la médecine préventive (en milieu scolaire ou au travail) seront instituées. L'ensemble de ces mesures fera l'objet d'une concertation approfondie avec les professionnels, toujours dans le souci de garantir la qualité des soins.
- L'appel à la responsabilité nous concerne tous.
Pour favoriser la prise de conscience de tous nos concitoyens, nous compléterons notre plan par les mesures suivantes :
* généralisation rapide du carnet de suivi médical ;
* expérimentation de formes nouvelles de prise en charge (par exemple, incitation à consulter un généraliste avant de s'adresser à un spécialiste ou bien prise en charge de certaines pathologies lourdes selon une rémunération forfaitaire) ;
* développement des médicaments génériques ;
* possibilité donnée aux pharmaciens de distribuer exactement la quantité de médicaments nécessaire au traitement prescrit, afin de limiter le gaspillage et les abus ;
* mise en place d'une photo d'identité sur les cartes d'assurés sociaux, afin de lutter contre la fraude ;
* paiement par avance (sauf urgence) des frais d'hospitalisation programmée par les étrangers non-résidents.
On le voit : le chantier est immense. Mais les objectifs sont clairs et précis. Notre détermination sera à la mesure de l'enjeu.
Rétablir l'équilibre durable de la Sécurité sociale dès 1997
Justice, responsabilité, mais aussi urgence.
Je me suis engagé à réduire de moitié le déficit prévisionnel des comptes sociaux dès 1996 et à rétablir l'équilibre de la Sécurité sociale en 1997 et les années suivantes.
Nous allons nous donner les moyens de tenir cet engagement ; nous irons même au-delà. Le déficit prévisionnel sera ramené de 61 milliards de francs, dette incluse, à 17 milliards de francs en 1996 ; un excédent devrait être dégagé en 1997, comme il est normal en période de croissance économique.
* Première mesure de sauvegarde : le traitement de la dette.
Les chiffres sont connus et incontestables : 110 milliards de francs au titre des années 1992 et 1993 ; 120 milliards de francs au titre des exercices 1994 et 1995, soit au total 230 milliards de francs.
ll n'est pas sain que le remboursement de cette dette pèse sur l'équilibre des branches. Il n'est pas normal que les ressources du Fonds de solidarité vieillesse soient amputées de 12,5 milliards de francs pour financer l'annuité de la dette des années 1992 et 1993. L'argent du FSV doit aller à de vraies dépenses de solidarité, pas à l'apurement du passé.
Le Gouvernement souhaite clarifier une fois pour toutes la situation.
Sera donc créée une caisse d'amortissement de la dette sociale qui prendra à sa charge :
- le capital et les intérêts de la dette des exercices 1992, 1993, 1994 et 1995 soit, en principal, 230 milliards de francs ;
- le déficit prévisionnel de l'exercice 1996, soit 17 milliards de francs ;
- le déficit de la Caisse Autonome Nationale d'Assurance Maladie qui regroupe les travailleurs non salariés non agricoles.
... soit au total 250 milliards de francs. Cette dette sera remboursée sur 13 ans.
La caisse d'amortissement disposera pour faire face à ses charges, des ressources suivantes :
- le produit des cessions immobilières des caisses ;
- le remboursement de leurs dettes de sécurité sociale par les pays étrangers débiteurs, remboursement qui, le cas échéant, pourra être précompté sur l'aide que nous versons à ces pays ;
- et, pour l'essentiel, le produit de la participation exceptionnelle au Remboursement de la dette sociale (RDS) qui sera institué pour la durée d'amortissement de la dette. Ce RDS sera assis sur tous les revenus à l'exception des minima sociaux, des pensions militaires d'invalidité, des rentes d'accidents du travail et des revenus des livrets d'épargne exonérés (livret A et assimilés). Son taux sera de 0,5 %.
* Une fois la dette ainsi cantonnée, et les différentes branches allégées du poids des charges financières correspondantes, le déficit prévisionnel pour 1996 s'établirait à 53,3 milliards de francs. Nous le ramènerons, comme je viens de le dire, à moins de 17 milliards de francs, soit un effort de 36,7 milliards de francs.
* Je souhaite vous présenter maintenant le détail des mesures de rééquilibrage branche par branche :
- Branche Vieillesse
Afin de ne pas peser sur ceux qui travaillent et sur ceux qui investissent, le Gouvernement se refuse à augmenter les cotisations vieillesse des actifs et des entreprises.
Pour permettre le rééquilibrage de la branche Vieillesse, il a donc décidé de reporter l'application de la prestation autonomie au 1er janvier 1997, ce qui permettra, conformément au voeu exprimé par beaucoup d'entre vous, d'harmoniser les dates d'entrée en vigueur de cette importante réforme pour les personnes qui restent à leur domicile et pour celles qui sont hébergées en établissement.
A partir de 1997 et les années suivantes, la prestation autonomie sera financée grâce à l'élargissement de l'assiette de la CSG qui interviendra dans le cadre de la réforme des prélèvements obligatoires dont j'ai déjà parlé.
Dès 1996, une contribution des entreprises qui souscrivent pour leurs salariés des contrats de prévoyance et d'assurance maladie complémentaire apportera 2,5 milliards de francs. Au total, le FSV sera mis en mesure de reprendre 11 milliards de francs de dépenses de solidarité actuellement supportées par la CNAV.
- Branche Famille
Des efforts partagés permettront de réduire sensiblement le déficit prévisionnel 1996 et de dégager un excédent dès 1997.
L'effort des familles : à titre exceptionnel, les prestations familiales ne seront pas revalorisées en 1996 ; diverses mesures de simplification ou de rationalisation produiront en outre
2,4 milliards de francs d'économies.
L'effort de l'État : la gestion des prestations familiales des régimes spéciaux sera confiée à la CNAF, ce qui lui apportera
700 millions de francs en 1996 et 1,7 milliard de francs en 1997.
L'effort de solidarité nationale : la branche Famille bénéficiera, en 1997, de l'élargissement de la base de la CSG affectée à cette branche.
Grâce à ces mesures, nous retrouverons dès 1998 les moyens de donner un nouvel élan à la politique familiale, ce qui est un souci majeur du Gouvernement et un véritable impératif national.
- Branche Maladie
Je réitère notre refus de la baisse des remboursements. ll s'agit de dépenser mieux, dans le respect de l'indispensable qualité des soins.
Trois séries de mesures permettront de diminuer de plus de moitié le déficit prévisionnel de la branche.
* la fixation pour l'an prochain d'un objectif quantifié national strictement indexé sur les prix (+ 2,1 %), tant à l'hôpital qu'en médecine ambulatoire,
* des efforts de solidarité demandés aux médecins et aux laboratoires pharmaceutiques pour 5 milliards de francs environ,
* l'harmonisation progressive des cotisations maladie des retraités imposables et des chômeurs indemnisés au-dessus du SMIC qui seront relevées de 1,2 point en 1996 et 1997. C'est le seul relèvement de cotisation, hors amortissement de la dette. Cette décision est difficile. Mais c'est une mesure de justice et de solidarité. Je rappelle en effet que la cotisation maladie des actifs atteint 6,8 % ; celle de ces catégories est actuellement de 1,4 % et sera donc portée à 3,8 % en deux ans.
A tout cela s'ajoutera un important effort de rigueur dans la gestion des caisses, en particulier le gel de toutes leurs opérations immobilières.
Tel est, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, le plan de réforme de la Sécurité sociale que le Gouvernement vous propose. Il est global, il est ambitieux, il est novateur, il est équilibré. Il engage une vraie refonte, une véritable refondation de la Sécurité sociale.
*
* *
Avant de conclure, je voudrais encore aborder trois questions :
- Comment allons-nous mettre ce projet en oeuvre ?
- Comment seront répartis les efforts qu'il implique ?
- Comment s'articule-t-il avec notre politique globale ?
* La mise en oeuvre du projet
Pour ce qui est de la mise en oeuvre du volet législatif des réformes, le Gouvernement vous soumettra plusieurs projets de loi qui suivront la voie habituelle :
- l'un portera création du régime universel d'assurance maladie ;
- le second traitera de la réforme des prélèvements obligatoires ; c'est dans ce cadre que seront prévus, notamment, la rénovation de la CSG et la réforme du barème de l'impôt sur le revenu ;
- sera également soumis au Parlement un nouveau mécanisme d'épargne retraite. Je souhaite qu'il donne lieu à une discussion commune des propositions de loi déjà déposées en ce sens sur le bureau de l'Assemblée et du projet qu'élabore le Gouvernement.
Le Gouvernement vous soumettra aussi un projet de loi l'habilitant à prendre, pendant un délai de quatre mois, des ordonnances sur les points suivants :
- création de la caisse d'amortissement de la dette sociale et du Remboursement de la dette sociale (RDS) ;
- mesures immédiates de rééquilibrage financier pour 1996 et 1997 ;
- nouvelle architecture de l'organisation et réforme de la gestion des caisses ;
- réforme hospitalière ;
- nouveaux instruments de maîtrise médicalisée des dépenses.
Le projet d'habilitation que justifie l'urgence des mesures à prendre sera soumis au Conseil d'État avant la fin de cette semaine. Il sera examiné par le Conseil des ministres d'ici la fin du mois. Il viendra en débat devant votre Assemblée dès décembre, de sorte que les premières ordonnances soient prises avant la fin de l'année.
Tout au long de la phase de mise au point des ordonnances, le Gouvernement informera et consultera les Commissions compétentes du Parlement. Le débat de ratification des ordonnances aura lieu avant l'été 1996.
Je rappelle enfin que le processus de révision constitutionnelle, qui donnera compétence au Parlement pour se prononcer sur les équilibres prévisionnels de nos comptes sociaux, sera engagé dès janvier.
* J'ai dit à plusieurs reprises que les efforts qu'impliquent les nécessaires réformes de la Sécurité sociale seront équitablement répartis.
Je souhaite vous donner encore quelques chiffres qui montrent que cet objectif est atteint.
- En premier lieu, le remboursement de la dette sociale sera assuré par une participation de 0,5 % supportée par tous les revenus. Chacun comprendra que le passé et le passif ne doivent pas être apurés par des économies sur des dépenses qui ont déjà eu lieu !
- Pour le rééquilibrage nécessaire, à partir de 1996, le Gouvernement a privilégié les économies et les mesures de gestion qui s'élèveront l'an prochain à 16 milliards de francs contre 12 milliards de francs pour les recettes nouvelles.
- Ces recettes ne pèseront sur les ménages qu'à hauteur de
7 milliards de francs au titre du relèvement de la cotisation maladie des inactifs. Les familles contribueront à l'effort de maîtrise des dépenses à travers la non-revalorisation en 1996 des prestations familiales.
- S'agissant des entreprises, l'effort supplémentaire qui leur est demandé sera limité aux plus grandes d'entre elles, sous forme d'une contribution de 2,5 milliards de francs sur la part patronale des contrats de prévoyance jusqu'à présent exonérée. Le secteur pharmaceutique dont le chiffre d'affaires a crû de
12 % de septembre 1994 à septembre 1995 sera mis à contribution à hauteur de 2,5 milliards de francs. Au total, la participation des entreprises sera donc de 5 milliards de francs.
- A travers la maîtrise médicalisée des dépenses et la tenue d'objectifs d'évolution rigoureuse tant en médecine de ville qu'à l'hôpital, les professions de santé participeront l'an prochain à hauteur de 5 milliards de francs à l'amélioration du solde de la branche maladie.
- Enfin, les organismes de Sécurité sociale devront faire un effort sur eux-mêmes et économiser 1,5 milliard de francs dès l'an prochain sur leurs coûts de gestion.
* Je voudrais terminer mon propos en insistant sur la cohérence des réformes que je viens de vous exposer et de la politique économique et sociale d'ensemble que conduit le Gouvernement.
Comme je vous l'ai dit dès le mois de mai, mon objectif prioritaire, c'est l'emploi. Mais j'ai tout de suite ajouté qu'à mes yeux, la lutte contre le chômage et la lutte contre les déficits publics sont un seul et même combat.
Les déficits d'aujourd'hui, nous le savons bien, ce sont les impôts de demain, car tout le monde, l'État comme la Sécurité sociale, doit un jour rembourser ses dettes. Les déficits d'aujourd'hui, c'est aussi le chômage d'aujourd'hui et de demain parce que le laxisme budgétaire a un double effet pervers : il pousse les taux d'intérêt à la hausse, ce qui asphyxie l'économie ; il rend inéluctable l'alourdissement de la pression fiscale.
Dans le même temps, le chômage aggrave le déficit parce qu'il prive nos budgets de recettes importantes et alourdit leurs charges. Il faut donc briser ce cercle vicieux.
Il faut rompre avec les politiques qui, depuis 15 ans, ont laissé filer les déficits et provoqué une hausse des taux d'intérêt réels sans précédent.
Notre politique consiste précisément à inverser cette évolution qui n'a que trop duré. Elle rompt avec la facilité budgétaire et réduit réellement et durablement les déficits.
Elle crée les conditions d'une nouvelle politique monétaire qui, dans la perspective de la monnaie européenne unique, permet à l'économie française de retrouver de l'oxygène et de développer son activité. Je rappelle qu'un point de baisse des taux d'intérêt injecte 50 milliards de francs dans les circuits économiques.
Voilà, aussi, pourquoi il faut rééquilibrer les comptes de la Sécurité sociale. C'est un point de passage obligé vers le développement de l'emploi.
*
* *
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
J'en appelle maintenant à tous les Français.
Ils savent qu'il faut réformer la Sécurité sociale pour assurer son avenir.
Ils comprennent que nous lui donnerons, grâce aux réformes que je viens de vous présenter, une chance nouvelle de durée et de progrès.
L'addition des corporatismes et des égoïsmes ne saurait arrêter notre élan.
Si le sens des responsabilités, la primauté de l'intérêt général, la volonté de partage et de solidarité l'emportent, nous allons réussir ce qu'on n'a pas osé entreprendre depuis 30 ans.
Le moment est solennel.
Nous avons mis dans la préparation de notre réforme toute notre énergie, toute notre volonté d'écoute, toute notre exigence de Justice.
Il faut le faire, j'en ai l'intime conviction.
Il faut le faire maintenant.
Il faut le faire ensemble.
Ce n'est pas le sort d'un gouvernement qui se joue. C'est un enjeu national qui est en cause.
C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les Députés, je m'adresse aussi à vous avec force, presque avec passion.
Je sais que l'unanimisme n'existe pas. Je sais que l'unanimité est parfois trompeuse. Je sais que certaines divergences sont légitimes et même parfois fécondes.
Mais il est des moments où l'intérêt national commande de faire prévaloir la solidarité et l'unité.
Nous vivons l'un de ces moments.
Je vous demande, je demande donc à notre majorité, de m'apporter son soutien sans état d'âme et sans arrière-pensées.
Nous prenons j'en suis sûr, pour nous tous, mais surtout pour les Français, pour le pacte républicain, pour la cohésion nationale, le chemin de la réussite. C'est pourquoi, après que le Conseil des ministres m'y a autorisé, j'ai l'honneur d'engager devant vous la responsabilité du Gouvernement au titre de l'article 49, premier alinéa, de la Constitution sur la déclaration que je viens de prononcer.
(Source http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr, le 15 mai 2002)