Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires européens,
Les objectifs de la Présidence française en matière de Justice étaient au nombre de trois :
la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires,
la lutte contre la criminalité organisée transnationale
et le renforcement des instruments de coopération judiciaire.
Ces objectifs ont-ils été atteints ?
I- LA RECONNAISSANCE MUTUELLE DES DECISIONS JUDICIAIRES.
La mise en oeuvre du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires était le premier des objectifs fondamentaux de la Présidence française.
1- La reconnaissance mutuelle des décisions civiles.
a- Le principe de reconnaissance mutuelle, vers le titre exécutoire européen.
Le Conseil européen de Tampere (paragraphe 37) a demandé aux Etats "d'adopter, d'ici décembre 2000, un programme de mesures destinées à mettre en oeuvre le principe de reconnaissance mutuelle."
La France a lancé ce travail lors d'un séminaire sur la reconnaissance mutuelle des décisions civiles organisé avec les professions et les universités, qui a fait l'inventaire des objectifs et des difficultés.
La synthèse de ces travaux a été soumise, à la fin du mois de juillet, au Conseil J.A.I. informel de Marseille, qui était invité à répondre à un certain nombre de questions afin de préciser le programme définitif de mesures qui a été adopté lors du dernier Conseil des Ministres.
Le Conseil de Tampere (paragraphe 37) a précisé que, "dans le cadre de ce programme sur la reconnaissance mutuelle, des travaux devraient aussi être entamés sur le titre exécutoire européen et sur les aspects du droit procédural pour lesquels la fixation de normes minimales communes est considérée comme nécessaire pour faciliter l'application du principe de reconnaissance mutuelle, dans le respect des principes fondamentaux du droit des Etats membres."
Qu'entend-on par titre exécutoire : qu'il soit national ou un jour européen, il s'agit d'une décision juridictionnelle ou d'un acte judiciaire qui peut faire l'objet de mesures d'exécution forcée sur les biens ou sur les personnes, sans qu'il soit besoin de recourir à une quelconque autorisation nationale supplémentaire.
Lors du Conseil informel, les Ministres étaient appelés à examiner la question du titre exécutoire européen en liaison avec l'examen du principe de reconnaissance mutuelle des décisions civiles, ce principe devant "devenir la pierre angulaire de la coopération judiciaire" (paragraphe 33 de Tampere). En sont issues deux grandes orientations, cumulatives et successives :
l'exécution directe des titres nationaux : par exemple, une décision rendue par une juridiction d'un Etat membre est exécutée directement dans l'Union, sans l'accord national d'exécution que constitue la procédure d'exequatur, dans les formes imposées par la législation de cet Etat et reconnues par les autres Etats membres ;
la création d'un titre exécutoire européen : par exemple, une décision rendue par une juridiction d'un Etat membre est exécutée sans autre formalité sur tout le territoire de l'Union, dans les conditions définies au niveau communautaire.
b- L'accord politique sur le règlement de Bruxelles I.
Cet accord représente la première étape décisive pour la mise en oeuvre de l'espace judiciaire européen en matière civile : elle permet la poursuite des travaux en matière de reconnaissance mutuelle, en améliorant radicalement la circulation des jugements civils, en simplifiant la procédure d'exequatur et en fixant des règles modernes pour la compétence des tribunaux et protectrices des salariés et des consommateurs.
c- Le domaine de la famille, le droit de visite.
Le règlement de Bruxelles II, qui entrera en vigueur au début de l'année 2001, comporte des règles relatives à deux domaines : la dissolution du mariage et l'autorité parentale sur les enfants communs. Ces règles concernent la reconnaissance et l'exécution des décisions intervenant dans ces domaines. Le règlement prévoit notamment des règles relatives à la compétence, qui simplifient la recherche d'un juge unique. Les décisions de ce juge font l'objet d'une reconnaissance de plein droit dans les Etats membres.
En revanche, il nous reste beaucoup de choses à faire, et en particulier pour le droit de visite, les décisions ne pourront, avec ce règlement, donner lieu à exécution forcée qu'après avoir été déclarées exécutoires, dans le cadre d'une procédure d'exequatur, par la juridiction du pays où réside l'enfant. Nous sommes loin de la suppression des procédures intermédiaires, longues et coûteuses, suppression qu'a demandée le Conseil européen de Tampere.
Dans la partie de ses conclusions consacrées à un véritable espace européen de justice (paragraphe 34), il a en effet souhaité "la suppression des procédures intermédiaires" pour permettre la reconnaissance et l'exécution de plein droit d'une décision ou d'un jugement dans l'Etat requis.
Il a considéré qu'une première étape pourrait concerner "certains jugements concernant des litiges relevant du droit de la famille (par exemple, les créances alimentaire et les droits de visite)."
C'est sur cette base que la Présidence française a déposé un nouveau projet pour poursuivre le chantier engagé avec la convention, puis le règlement de Bruxelles II.
Il s'agit d'un projet de règlement communautaire sur l'exécution des droits de visite des enfants de couples divorcés.
Il traite du droit de visite pour les enfants âgés de moins de seize ans. Il comprend aussi le droit d'emmener l'enfant, pour une période limitée, dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle.
Appliquer le principe de la reconnaissance de la force exécutoire d'une décision rendue dans un Etat membre, c'est permettre la mise en oeuvre de cette décision dans un autre Etat comme si elle était rendue par une juridiction de ce dernier Etat.
Le caractère directement exécutoire des décisions prises pour le droit de visite dans tous les Etats membres doit prendre en compte à la fois les intérêts des deux parents et ceux de l'enfant.
Il a été décidé, à votre suggestion, que, parallèlement et simultanément, cette matière devait être également examinée pour les couples non-mariés qui se séparent.
J'ajoute qu'à la demande du Parlement européen également, le droit de visite devra être établi pour une durée significative. Il s'agit pour moi d'une priorité.
La prochaine étape sera nécessairement celle des créances alimentaires.
Cela traduira encore plus la confiance mutuelle dans les institutions juridiques et judiciaires de l'ensemble des Etats membres.
2- La reconnaissance mutuelle des décisions pénales.
a- La reconnaissance des décisions avant jugement et des décisions de jugement.
Le Conseil européen de Tampere (paragraphes 35 et 36) suggère, outre la ratification sans délai des conventions d'extradition de 1995 et 1996, que "la procédure formelle d'extradition devrait être supprimée entre les Etats membres pour les personnes qui tentent d'échapper à la justice après avoir fait l'objet d'une condamnation définitive et remplacée par un simple transfèrement de ces personnes, conformément à l'article 6 du T.U.E.."
"Il convient également d'envisager des procédures accélérées d'extradition, sans préjudice du principe du droit à un procès équitable. Le Conseil européen invite la Commission à faire des propositions à ce sujet, à la lumière de la Convention d'application de l'Accord de Schengen."
En France, j'ai demandé à ce que l'on travaille rapidement pour que cette orientation devienne loi.
"Le principe de reconnaissance mutuelle devrait aussi s'appliquer aux décisions précédant la phase de jugement, en particulier à celles qui permettraient aux autorités compétents d'agir rapidement pour obtenir des éléments de preuve et saisir des avoirs faciles à transférer."
"Les éléments de preuve légalement recueillis par les autorités d'un Etat membre devraient être recevables devant les juridictions des autres Etats membres, compte tenu des règles qui y sont applicables."
Les Ministres étaient donc également invités au Conseil informel de Marseille à donner les orientations nécessaires à la définition du programme qui incombe à la Présidence française selon cette commande de Tampere.
Il s'agissait de faire des propositions sur des procédures accélérées d'extradition. Il s'agissait aussi d'appliquer le principe de reconnaissance mutuelle aux décisions pré-et postsentencielles, et en particulier à celles qui permettraient aux autorités compétentes d'agir rapidement pour obtenir des preuves, geler et saisir des profits illicites.
Les Ministres ont fixé les lignes directrices du programme préparé par la Présidence française, notamment sur les matières suivantes :
exécution des décisions présentencielles (gel et saisie des avoirs, obtention des preuves), déterminante pour les investigations,
exécution des condamnations (peines de prison, sanctions pécuniaires, confiscations, déchéances), nécessaire pour la crédibilité de la justice,
exécution des décisions en matière de suivi post-pénal (exécution des peines et libérations conditionnelles), indispensable à la réinsertion des condamnés.
b- Les projets à poursuivre.
La France a également été attentive, et le sera bien sûr après sa Présidence :
au renforcement de la répression du trafic des êtres humains, notamment lorsqu'il s'agit des femmes et des enfants :
les travaux doivent se poursuivre sur le projet de décision-cadre visant à l'harmonisation des sanctions pénales en matière d'aide à l'immigration clandestine.
Ceci est exigé par le Conseil européen de Tampere (paragraphes 23, 43 et 48) : "les Etats membres devraient concentrer leurs efforts sur la détection et le démantèlement des filières criminelles...
Des équipes communes d'enquêtes prévues par le T.U.E. doivent être mises sur pied sans délai...
La traite des êtres humains est un secteur revêtant une importance particulière..." ;
à l'assistance et la protection en faveur des victimes :
il s'agissait d'obtenir l'adoption de la décision-cadre relative au statut des victimes dans les procédures pénales, projet initié par la Présidence portugaise.
Ceci était également exigé par le Conseil européen de Tampere (paragraphe 32) : "il faudrait établir des normes minimales pour la protection des victimes de la criminalité, notamment en ce qui concerne l'accès à la justice de ces victimes et leur droit à réparation, y compris au remboursement des frais de justice...". Il faut désormais veiller à la mise en oeuvre de cet important instrument.
II- LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITE ORGANISEE TRANSNATIONALE.
Le second objectif de la Présidence française était d'accroître la lutte contre les formes transnationales de la criminalité organisée.
1- La convention d'entraide répressive et son rapport explicatif.
Il s'agit désormais de mettre en oeuvre concrètement cette Convention de mai 2000 pour améliorer l'entraide répressive dans l'Union : l'adoption du rapport explicatif aidera les Etats dans cette nécessaire mise en oeuvre.
2- Le projet de convention d'entraide répressive en matière de criminalité financière.
Le Conseil européen de Tampere a donné des indications très claires en matière de lutte contre la criminalité financière (paragraphes 49, 54 et 57, notamment).
"Les formes graves de criminalité ont de plus en plus d'incidences en matière de taxes et de droits. Le Conseil européen engage donc les Etats membres à fournir sans réserve l'entraide judiciaire pour les enquêtes et les poursuites concernant ce type de criminalité."
"Quelles que soient les dispositions en matière de confidentialité applicables aux activités bancaires et aux autres activités commerciales, les autorités judiciaires et les cellules de renseignement financier doivent être habilitées, sous le contrôle des tribunaux, à recevoir des informations si celles-ci sont nécessaires dans le cadre d'enquêtes sur le blanchiment d'argent."
"Des normes communes doivent être élaborées afin d'empêcher le recours à des sociétés et des entités immatriculées hors du territoire de l'Union pour dissimuler et blanchir le produit d'activités criminelles. L'Union et les Etats membres doivent conclure des accords avec des centres offshore de pays tiers afin d'assurer une coopération efficace et transparente en matière d'entraide judiciaire, conformément aux recommandations formulées à cet égard par le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux."
C'est à cette commande que répond le projet de convention d'entraide répressive contre la criminalité financière. Ce projet contient notamment des dispositions pour assurer la traçabilité de l'argent sale, l'inopposabilité du secret bancaire, la coopération contre le recours aux centres non coopératifs ou aux structures commerciales opaques, ainsi que la mise en place d'un dispositif d'évaluation.
Il s'agit d'un texte ambitieux, qui est en cohérence avec nos débats internes (nouvelles régulations économiques) et l'action de la France au G.A.F.I., à l'O.N.U. et au G.8 (réunion des Ministres J.A.I. à Moscou).
2- La lutte contre le blanchiment.
La Présidence française a examiné l'une des prescriptions du paragraphe 36 de Tampere, soulignée comme étant une action spécifique nécessaire dans la lutte contre le blanchiment de l'argent par le paragraphe 51.
Celui-ci énonce que "le blanchiment d'argent est au coeur même de la criminalité organisée. Il faut l'éradiquer partout où il existe. Le Conseil européen est déterminé à veiller à ce que soient adoptées des mesures concrètes pour dépister, geler, saisir et confisquer les produits du crime."
La Présidence française a donc proposé d'adopter un instrument juridique plus contraignant que l'action commune du 3 décembre 1998 relative au gel des avoirs illicites et à la confiscation des valeurs.
Ceci a donné lieu à un accord politique, le 17 octobre sur le texte de décision-cadre sur l'identification, le gel et la saisie des avoirs réformant l'action commune du 3 décembre 1998.
Cette décision-cadre, qui assigne aux Etats une obligation de résultat, est d'une portée supérieure aux actions communes prévues, dans le Traité de Maastricht.
Ces deux textes (la convention et la décision-cadre) s'insèrent dans le programme pour lequel la France a recherché des orientations politiques de la part des Ministres de la Justice, de l'Intérieur, de l'Economie et des Finances, lors de leur réunion commune, le 17 octobre, à Luxembourg.
Ils seront complétés par le dépôt d'un projet de décision-cadre sur la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires de gel et de saisie des avoirs illicites, au cours de la future Présidence suédoise.
Je souligne l'importance des conclusions du Conseil conjoint du 17 octobre, qui tracent une stratégie globale de prévention et de lutte contre le blanchiment de l'argent sale et contre la délinquance économique et financière transnationale. Je pense que ces conclusions devront constamment animer les travaux des futures Présidences dans l'action nécessaire de l'Union européenne.
3- La cybercriminalité.
Le Conseil européen de Tampere mentionne (paragraphe 48), dans les secteurs "revêtant une importance particulière", "la criminalité utilisant les technologies avancées". Des efforts devaient viser "à trouver un accord sur des définitions, des incriminations et des sanctions communes."
Le Président de la République et le Premier Ministre ont donc considéré, à l'issue du séminaire du G.8. de Paris consacré à la cybercriminalité, que la Présidence française devait traiter cette question dans le cadre du Conseil des Ministres J.A.I..
Outre les commandes précises de Tampere au sujet des normes répressives, ont donc été examinées l'extension de la compétence d'Europol à la lutte contre les attaques des systèmes, l'identification des moyens d'action contre l'utilisation de la cybercriminalité dans certains types de délinquance (racisme, pédopornographie, drogue) et la recherche de moyens de lutte plus efficaces, notamment dans le cadre des travaux du Conseil de l'Europe.
Un dépôt d'instrument sera ultérieurement envisagé, en s'inspirant de ces travaux.
III- LE RENFORCEMENT DES INSTRUMENTS DE COOPERATION JUDICIAIRE.
Le troisième objectif de la Présidence française était de poursuivre le développement des instruments européens de coopération judiciaire.
1- Eurojust et le réseau judiciaire européen en matière pénale.
La Présidence française a été particulièrement attentive à la poursuite de la mise en oeuvre de l'Unité de coopération judiciaire Eurojust.
La Présidence française a mis sur la table de négociation un projet de décision-cadre élaboré avec le Portugal, la Belgique, la Suède et l'Allemagne. Ce projet a été bien accueilli, et a même été complété par la mise en oeuvre d'une Unité provisoire de configuration dès mars prochain.
L'idée est de permettre le plus rapidement possible la constitution d'une structure de liaison pour faciliter l'échange d'informations et le déroulement des enquêtes.
Eurojust doit également pouvoir inciter, sans contrainte, les autorités judiciaires des Etats membres à se coordonner, dans le respect des procédures et des droits nationaux.
Ces orientations sont conformes au paragraphe 46 des conclusions du Conseil européen de Tampere : "Eurojust aura pour mission de contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites et d'apporter son concours dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée, notamment sur la base de l'analyse effectuée par Europol ; cette unité devra aussi coopérer étroitement avec le Réseau judiciaire européen afin, notamment, de simplifier l'exécution des commissions rogatoires."
Parallèlement, la France a poursuivi les efforts des Présidences précédentes pour le renforcement du Réseau judiciaire européen en matière pénale. Ce Réseau doit être de plus en plus opérationnel : il assure la fluidité des contacts directs de juge à juge que demandent les magistrats des Etats.
Le Conseil européen a demandé que "l'instrument juridique nécessaire pour la création d'Eurojust soit adopté avant la fin de l'année 2001."
La France a, dans ce sens, proposé qu'Eurojust soit inscrit dans le Traité sur l'Union européenne, comme Europol qui y figure déjà, afin de hausser symboliquement la nécessaire coopération judiciaire au niveau atteint par la coopération policière.
2- Le réseau judiciaire européen en matière civile.
Les conclusions de Tampere (paragraphe 29) recommandaient également "la création d'un système d'information facile d'accès, dont l'entretien et la mise à jour seraient assurés par un réseau d'autorités nationales compétentes."
En concertation avec la Commission et sur proposition de celle-ci, la Présidence française a donc examiné un projet de décision pour établir des relations rapides et directes entre les autorités judiciaires nationales, comme cela a été fait en matière pénale, mais avec des spécificités propres à la matière civile et commerciale, afin de faciliter la coopération judiciaire et de concevoir un système d'information accessible aux praticiens du droit comme aux citoyens européens.
3- Le réseau judiciaire européen de formation.
La Présidence française a considéré comme important que se poursuivent les contacts entre les différents instituts de formation des magistrats et des fonctionnaires de justice dans l'Union.
Il s'agit de consolider les relations entre les établissements et les autorités chargés de cette formation, afin de favoriser l'émergence d'une véritable culture judiciaire commune.
En conclusion, il nous semble que la Présidence française a tenu les engagements prévus dans son programme en matière de Justice.
J'insiste d'ailleurs sur la nécessaire grande cohérence entre Présidences successives, qui a d'ailleurs marqué notre propre Présidence, par un travail en commun, profitable, avec la Finlande, le Portugal et avec les futures Présidences suédoise et belge.
(source http://www.presidence-europe.fr, le 7 décembre 2000)
Mesdames et Messieurs les Parlementaires européens,
Les objectifs de la Présidence française en matière de Justice étaient au nombre de trois :
la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires,
la lutte contre la criminalité organisée transnationale
et le renforcement des instruments de coopération judiciaire.
Ces objectifs ont-ils été atteints ?
I- LA RECONNAISSANCE MUTUELLE DES DECISIONS JUDICIAIRES.
La mise en oeuvre du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires était le premier des objectifs fondamentaux de la Présidence française.
1- La reconnaissance mutuelle des décisions civiles.
a- Le principe de reconnaissance mutuelle, vers le titre exécutoire européen.
Le Conseil européen de Tampere (paragraphe 37) a demandé aux Etats "d'adopter, d'ici décembre 2000, un programme de mesures destinées à mettre en oeuvre le principe de reconnaissance mutuelle."
La France a lancé ce travail lors d'un séminaire sur la reconnaissance mutuelle des décisions civiles organisé avec les professions et les universités, qui a fait l'inventaire des objectifs et des difficultés.
La synthèse de ces travaux a été soumise, à la fin du mois de juillet, au Conseil J.A.I. informel de Marseille, qui était invité à répondre à un certain nombre de questions afin de préciser le programme définitif de mesures qui a été adopté lors du dernier Conseil des Ministres.
Le Conseil de Tampere (paragraphe 37) a précisé que, "dans le cadre de ce programme sur la reconnaissance mutuelle, des travaux devraient aussi être entamés sur le titre exécutoire européen et sur les aspects du droit procédural pour lesquels la fixation de normes minimales communes est considérée comme nécessaire pour faciliter l'application du principe de reconnaissance mutuelle, dans le respect des principes fondamentaux du droit des Etats membres."
Qu'entend-on par titre exécutoire : qu'il soit national ou un jour européen, il s'agit d'une décision juridictionnelle ou d'un acte judiciaire qui peut faire l'objet de mesures d'exécution forcée sur les biens ou sur les personnes, sans qu'il soit besoin de recourir à une quelconque autorisation nationale supplémentaire.
Lors du Conseil informel, les Ministres étaient appelés à examiner la question du titre exécutoire européen en liaison avec l'examen du principe de reconnaissance mutuelle des décisions civiles, ce principe devant "devenir la pierre angulaire de la coopération judiciaire" (paragraphe 33 de Tampere). En sont issues deux grandes orientations, cumulatives et successives :
l'exécution directe des titres nationaux : par exemple, une décision rendue par une juridiction d'un Etat membre est exécutée directement dans l'Union, sans l'accord national d'exécution que constitue la procédure d'exequatur, dans les formes imposées par la législation de cet Etat et reconnues par les autres Etats membres ;
la création d'un titre exécutoire européen : par exemple, une décision rendue par une juridiction d'un Etat membre est exécutée sans autre formalité sur tout le territoire de l'Union, dans les conditions définies au niveau communautaire.
b- L'accord politique sur le règlement de Bruxelles I.
Cet accord représente la première étape décisive pour la mise en oeuvre de l'espace judiciaire européen en matière civile : elle permet la poursuite des travaux en matière de reconnaissance mutuelle, en améliorant radicalement la circulation des jugements civils, en simplifiant la procédure d'exequatur et en fixant des règles modernes pour la compétence des tribunaux et protectrices des salariés et des consommateurs.
c- Le domaine de la famille, le droit de visite.
Le règlement de Bruxelles II, qui entrera en vigueur au début de l'année 2001, comporte des règles relatives à deux domaines : la dissolution du mariage et l'autorité parentale sur les enfants communs. Ces règles concernent la reconnaissance et l'exécution des décisions intervenant dans ces domaines. Le règlement prévoit notamment des règles relatives à la compétence, qui simplifient la recherche d'un juge unique. Les décisions de ce juge font l'objet d'une reconnaissance de plein droit dans les Etats membres.
En revanche, il nous reste beaucoup de choses à faire, et en particulier pour le droit de visite, les décisions ne pourront, avec ce règlement, donner lieu à exécution forcée qu'après avoir été déclarées exécutoires, dans le cadre d'une procédure d'exequatur, par la juridiction du pays où réside l'enfant. Nous sommes loin de la suppression des procédures intermédiaires, longues et coûteuses, suppression qu'a demandée le Conseil européen de Tampere.
Dans la partie de ses conclusions consacrées à un véritable espace européen de justice (paragraphe 34), il a en effet souhaité "la suppression des procédures intermédiaires" pour permettre la reconnaissance et l'exécution de plein droit d'une décision ou d'un jugement dans l'Etat requis.
Il a considéré qu'une première étape pourrait concerner "certains jugements concernant des litiges relevant du droit de la famille (par exemple, les créances alimentaire et les droits de visite)."
C'est sur cette base que la Présidence française a déposé un nouveau projet pour poursuivre le chantier engagé avec la convention, puis le règlement de Bruxelles II.
Il s'agit d'un projet de règlement communautaire sur l'exécution des droits de visite des enfants de couples divorcés.
Il traite du droit de visite pour les enfants âgés de moins de seize ans. Il comprend aussi le droit d'emmener l'enfant, pour une période limitée, dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle.
Appliquer le principe de la reconnaissance de la force exécutoire d'une décision rendue dans un Etat membre, c'est permettre la mise en oeuvre de cette décision dans un autre Etat comme si elle était rendue par une juridiction de ce dernier Etat.
Le caractère directement exécutoire des décisions prises pour le droit de visite dans tous les Etats membres doit prendre en compte à la fois les intérêts des deux parents et ceux de l'enfant.
Il a été décidé, à votre suggestion, que, parallèlement et simultanément, cette matière devait être également examinée pour les couples non-mariés qui se séparent.
J'ajoute qu'à la demande du Parlement européen également, le droit de visite devra être établi pour une durée significative. Il s'agit pour moi d'une priorité.
La prochaine étape sera nécessairement celle des créances alimentaires.
Cela traduira encore plus la confiance mutuelle dans les institutions juridiques et judiciaires de l'ensemble des Etats membres.
2- La reconnaissance mutuelle des décisions pénales.
a- La reconnaissance des décisions avant jugement et des décisions de jugement.
Le Conseil européen de Tampere (paragraphes 35 et 36) suggère, outre la ratification sans délai des conventions d'extradition de 1995 et 1996, que "la procédure formelle d'extradition devrait être supprimée entre les Etats membres pour les personnes qui tentent d'échapper à la justice après avoir fait l'objet d'une condamnation définitive et remplacée par un simple transfèrement de ces personnes, conformément à l'article 6 du T.U.E.."
"Il convient également d'envisager des procédures accélérées d'extradition, sans préjudice du principe du droit à un procès équitable. Le Conseil européen invite la Commission à faire des propositions à ce sujet, à la lumière de la Convention d'application de l'Accord de Schengen."
En France, j'ai demandé à ce que l'on travaille rapidement pour que cette orientation devienne loi.
"Le principe de reconnaissance mutuelle devrait aussi s'appliquer aux décisions précédant la phase de jugement, en particulier à celles qui permettraient aux autorités compétents d'agir rapidement pour obtenir des éléments de preuve et saisir des avoirs faciles à transférer."
"Les éléments de preuve légalement recueillis par les autorités d'un Etat membre devraient être recevables devant les juridictions des autres Etats membres, compte tenu des règles qui y sont applicables."
Les Ministres étaient donc également invités au Conseil informel de Marseille à donner les orientations nécessaires à la définition du programme qui incombe à la Présidence française selon cette commande de Tampere.
Il s'agissait de faire des propositions sur des procédures accélérées d'extradition. Il s'agissait aussi d'appliquer le principe de reconnaissance mutuelle aux décisions pré-et postsentencielles, et en particulier à celles qui permettraient aux autorités compétentes d'agir rapidement pour obtenir des preuves, geler et saisir des profits illicites.
Les Ministres ont fixé les lignes directrices du programme préparé par la Présidence française, notamment sur les matières suivantes :
exécution des décisions présentencielles (gel et saisie des avoirs, obtention des preuves), déterminante pour les investigations,
exécution des condamnations (peines de prison, sanctions pécuniaires, confiscations, déchéances), nécessaire pour la crédibilité de la justice,
exécution des décisions en matière de suivi post-pénal (exécution des peines et libérations conditionnelles), indispensable à la réinsertion des condamnés.
b- Les projets à poursuivre.
La France a également été attentive, et le sera bien sûr après sa Présidence :
au renforcement de la répression du trafic des êtres humains, notamment lorsqu'il s'agit des femmes et des enfants :
les travaux doivent se poursuivre sur le projet de décision-cadre visant à l'harmonisation des sanctions pénales en matière d'aide à l'immigration clandestine.
Ceci est exigé par le Conseil européen de Tampere (paragraphes 23, 43 et 48) : "les Etats membres devraient concentrer leurs efforts sur la détection et le démantèlement des filières criminelles...
Des équipes communes d'enquêtes prévues par le T.U.E. doivent être mises sur pied sans délai...
La traite des êtres humains est un secteur revêtant une importance particulière..." ;
à l'assistance et la protection en faveur des victimes :
il s'agissait d'obtenir l'adoption de la décision-cadre relative au statut des victimes dans les procédures pénales, projet initié par la Présidence portugaise.
Ceci était également exigé par le Conseil européen de Tampere (paragraphe 32) : "il faudrait établir des normes minimales pour la protection des victimes de la criminalité, notamment en ce qui concerne l'accès à la justice de ces victimes et leur droit à réparation, y compris au remboursement des frais de justice...". Il faut désormais veiller à la mise en oeuvre de cet important instrument.
II- LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITE ORGANISEE TRANSNATIONALE.
Le second objectif de la Présidence française était d'accroître la lutte contre les formes transnationales de la criminalité organisée.
1- La convention d'entraide répressive et son rapport explicatif.
Il s'agit désormais de mettre en oeuvre concrètement cette Convention de mai 2000 pour améliorer l'entraide répressive dans l'Union : l'adoption du rapport explicatif aidera les Etats dans cette nécessaire mise en oeuvre.
2- Le projet de convention d'entraide répressive en matière de criminalité financière.
Le Conseil européen de Tampere a donné des indications très claires en matière de lutte contre la criminalité financière (paragraphes 49, 54 et 57, notamment).
"Les formes graves de criminalité ont de plus en plus d'incidences en matière de taxes et de droits. Le Conseil européen engage donc les Etats membres à fournir sans réserve l'entraide judiciaire pour les enquêtes et les poursuites concernant ce type de criminalité."
"Quelles que soient les dispositions en matière de confidentialité applicables aux activités bancaires et aux autres activités commerciales, les autorités judiciaires et les cellules de renseignement financier doivent être habilitées, sous le contrôle des tribunaux, à recevoir des informations si celles-ci sont nécessaires dans le cadre d'enquêtes sur le blanchiment d'argent."
"Des normes communes doivent être élaborées afin d'empêcher le recours à des sociétés et des entités immatriculées hors du territoire de l'Union pour dissimuler et blanchir le produit d'activités criminelles. L'Union et les Etats membres doivent conclure des accords avec des centres offshore de pays tiers afin d'assurer une coopération efficace et transparente en matière d'entraide judiciaire, conformément aux recommandations formulées à cet égard par le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux."
C'est à cette commande que répond le projet de convention d'entraide répressive contre la criminalité financière. Ce projet contient notamment des dispositions pour assurer la traçabilité de l'argent sale, l'inopposabilité du secret bancaire, la coopération contre le recours aux centres non coopératifs ou aux structures commerciales opaques, ainsi que la mise en place d'un dispositif d'évaluation.
Il s'agit d'un texte ambitieux, qui est en cohérence avec nos débats internes (nouvelles régulations économiques) et l'action de la France au G.A.F.I., à l'O.N.U. et au G.8 (réunion des Ministres J.A.I. à Moscou).
2- La lutte contre le blanchiment.
La Présidence française a examiné l'une des prescriptions du paragraphe 36 de Tampere, soulignée comme étant une action spécifique nécessaire dans la lutte contre le blanchiment de l'argent par le paragraphe 51.
Celui-ci énonce que "le blanchiment d'argent est au coeur même de la criminalité organisée. Il faut l'éradiquer partout où il existe. Le Conseil européen est déterminé à veiller à ce que soient adoptées des mesures concrètes pour dépister, geler, saisir et confisquer les produits du crime."
La Présidence française a donc proposé d'adopter un instrument juridique plus contraignant que l'action commune du 3 décembre 1998 relative au gel des avoirs illicites et à la confiscation des valeurs.
Ceci a donné lieu à un accord politique, le 17 octobre sur le texte de décision-cadre sur l'identification, le gel et la saisie des avoirs réformant l'action commune du 3 décembre 1998.
Cette décision-cadre, qui assigne aux Etats une obligation de résultat, est d'une portée supérieure aux actions communes prévues, dans le Traité de Maastricht.
Ces deux textes (la convention et la décision-cadre) s'insèrent dans le programme pour lequel la France a recherché des orientations politiques de la part des Ministres de la Justice, de l'Intérieur, de l'Economie et des Finances, lors de leur réunion commune, le 17 octobre, à Luxembourg.
Ils seront complétés par le dépôt d'un projet de décision-cadre sur la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires de gel et de saisie des avoirs illicites, au cours de la future Présidence suédoise.
Je souligne l'importance des conclusions du Conseil conjoint du 17 octobre, qui tracent une stratégie globale de prévention et de lutte contre le blanchiment de l'argent sale et contre la délinquance économique et financière transnationale. Je pense que ces conclusions devront constamment animer les travaux des futures Présidences dans l'action nécessaire de l'Union européenne.
3- La cybercriminalité.
Le Conseil européen de Tampere mentionne (paragraphe 48), dans les secteurs "revêtant une importance particulière", "la criminalité utilisant les technologies avancées". Des efforts devaient viser "à trouver un accord sur des définitions, des incriminations et des sanctions communes."
Le Président de la République et le Premier Ministre ont donc considéré, à l'issue du séminaire du G.8. de Paris consacré à la cybercriminalité, que la Présidence française devait traiter cette question dans le cadre du Conseil des Ministres J.A.I..
Outre les commandes précises de Tampere au sujet des normes répressives, ont donc été examinées l'extension de la compétence d'Europol à la lutte contre les attaques des systèmes, l'identification des moyens d'action contre l'utilisation de la cybercriminalité dans certains types de délinquance (racisme, pédopornographie, drogue) et la recherche de moyens de lutte plus efficaces, notamment dans le cadre des travaux du Conseil de l'Europe.
Un dépôt d'instrument sera ultérieurement envisagé, en s'inspirant de ces travaux.
III- LE RENFORCEMENT DES INSTRUMENTS DE COOPERATION JUDICIAIRE.
Le troisième objectif de la Présidence française était de poursuivre le développement des instruments européens de coopération judiciaire.
1- Eurojust et le réseau judiciaire européen en matière pénale.
La Présidence française a été particulièrement attentive à la poursuite de la mise en oeuvre de l'Unité de coopération judiciaire Eurojust.
La Présidence française a mis sur la table de négociation un projet de décision-cadre élaboré avec le Portugal, la Belgique, la Suède et l'Allemagne. Ce projet a été bien accueilli, et a même été complété par la mise en oeuvre d'une Unité provisoire de configuration dès mars prochain.
L'idée est de permettre le plus rapidement possible la constitution d'une structure de liaison pour faciliter l'échange d'informations et le déroulement des enquêtes.
Eurojust doit également pouvoir inciter, sans contrainte, les autorités judiciaires des Etats membres à se coordonner, dans le respect des procédures et des droits nationaux.
Ces orientations sont conformes au paragraphe 46 des conclusions du Conseil européen de Tampere : "Eurojust aura pour mission de contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites et d'apporter son concours dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée, notamment sur la base de l'analyse effectuée par Europol ; cette unité devra aussi coopérer étroitement avec le Réseau judiciaire européen afin, notamment, de simplifier l'exécution des commissions rogatoires."
Parallèlement, la France a poursuivi les efforts des Présidences précédentes pour le renforcement du Réseau judiciaire européen en matière pénale. Ce Réseau doit être de plus en plus opérationnel : il assure la fluidité des contacts directs de juge à juge que demandent les magistrats des Etats.
Le Conseil européen a demandé que "l'instrument juridique nécessaire pour la création d'Eurojust soit adopté avant la fin de l'année 2001."
La France a, dans ce sens, proposé qu'Eurojust soit inscrit dans le Traité sur l'Union européenne, comme Europol qui y figure déjà, afin de hausser symboliquement la nécessaire coopération judiciaire au niveau atteint par la coopération policière.
2- Le réseau judiciaire européen en matière civile.
Les conclusions de Tampere (paragraphe 29) recommandaient également "la création d'un système d'information facile d'accès, dont l'entretien et la mise à jour seraient assurés par un réseau d'autorités nationales compétentes."
En concertation avec la Commission et sur proposition de celle-ci, la Présidence française a donc examiné un projet de décision pour établir des relations rapides et directes entre les autorités judiciaires nationales, comme cela a été fait en matière pénale, mais avec des spécificités propres à la matière civile et commerciale, afin de faciliter la coopération judiciaire et de concevoir un système d'information accessible aux praticiens du droit comme aux citoyens européens.
3- Le réseau judiciaire européen de formation.
La Présidence française a considéré comme important que se poursuivent les contacts entre les différents instituts de formation des magistrats et des fonctionnaires de justice dans l'Union.
Il s'agit de consolider les relations entre les établissements et les autorités chargés de cette formation, afin de favoriser l'émergence d'une véritable culture judiciaire commune.
En conclusion, il nous semble que la Présidence française a tenu les engagements prévus dans son programme en matière de Justice.
J'insiste d'ailleurs sur la nécessaire grande cohérence entre Présidences successives, qui a d'ailleurs marqué notre propre Présidence, par un travail en commun, profitable, avec la Finlande, le Portugal et avec les futures Présidences suédoise et belge.
(source http://www.presidence-europe.fr, le 7 décembre 2000)