Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur les mesures pour l'emploi du projet de loi de finances pour 1996 et sur les projets en matière de fiscalité et de financement de la protection sociale, Paris le 20 septembre 1995.

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Circonstance : Réunion des parlementaires de la majorité à la Villette, Paris le 20 septembre 1995

Texte intégral

Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Président de I'Assemblée Nationale, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir répondu à l'invitation que je vous ai adressée avec les membres du Gouvernement à une période, je le sais, qui n'est pas facile pour tout monde et dans un lieu qui a peut-être pu paraître éloigné de nos points de rencontre habituels.
J'ai souhaité, le jour même où le Conseil des ministres a approuvé le projet de loi de Finances pour 1996, c'était il y a quelques instants à peine, vous le présenter et essayer de le restituer dans son contexte, car un Budget s'inscrit naturellement dans une politique.
Cette politique, la politique du Gouvernement, ma politique. tient, vous le savez, en une formule : priorité absolue à l'emploi. C'est ce que je vous ai proposé il y a quatre mois environ, dans ma déclaration de politique générale et vous m'avez, à ce moment-là, apporté votre soutien.
Nous avons, vous et moi, je pense, bien en tête le calendrier. Ce n'est pas une bataille qui se gagne en quelques semaines, ni en quelques mois. Nous avons rendez-vous, majorité et Gouvernement, avec les Français au printemps 1998. Je parle souvent de bataille pour l'emploi, c'est sans doute pour marquer ma détermination, ma volonté, mais c'est plus qu'une priorité ou un objectif technique, c'est, en vérité, une ambition pour la France. Et si le mot n'était pas un peu galvaudé, j'irais même jusqu'à dire "comme une part de rêve".
Aujourd'hui en effet, nous le voyons bien, vous le voyez mieux que quiconque dans vos circonscriptions, nos concitoyens sont un peu inhibés par le chômage et cela leur inspire souvent du scepticisme, parfois de l'attentisme, souvent aussi de la réticence à consommer ou à investir, et c'est cette inhibition collective qui devient fracture quand le chômage engendre l'exclusion. Eh bien, c'est cela qu'il nous faut changer en profondeur et c'est cela mon objectif politique : convaincre les Françaises et les Français que la France peut créer des emplois pour tous. Si nous faisons sauter le verrou du scepticisme, alors je crois que notre pays peut à nouveau donner sa pleine mesure, celle d'une économie. d'une société d'initiatives et d'innovations. Et j'aimerais aussi qu'à côté des termes que nous avons utilisés jusqu'à présent, ces mots "d'initiative, d'innovation, de création et de recherche" reviennent au premier rang de notre message politique et de nos préoccupations. Voilà, pourquoi je souhaite parler d' " ambition " et même de " part de rêve "
Comment conduire cette bataille pour I'emploi ? D'abord, il nous faut la croissance. Sans croissance, il n'y aura pas de recul durable du chômage. C'est une conviction, je crois, que nous partageons tous ici. La croissance est là mais elle est incertaine, insuffisante ; il faut donc la nourrir, l'entretenir. Et pour nourrir la croissance, il nous faut d'abord libérer les forces vives de notre pays, notamment nos entreprises qui doivent être un souci constant de l'action gouvernementale. C'est dans cet esprit, j'y reviendrai, que nous avons d'ores et déjà mis au point un vaste programme d'allégement des charges ; et c'est dans cet esprit que Jean-Pierre Raffarin et plusieurs de ses collègues préparent pour le mois d'octobre et le mois de novembre un plan pour l'artisanat, un plan pour les petites et moyennes entreprises.
Mais nourrir la croissance, et je vais y revenir abondamment dans ce propos introductif, c'est aussi réduire les déficits publics pour permettre la poursuite de la baisse des taux d'intérêt qui s'est enclenchée depuis quelques mois. C'est évidemment la tâche prioritaire de Jean Arthuis et de François d'Aubert, qui ont préparé dans cet esprit la loi de Finances que nous allons vous soumettre.
La croissance donc, mais une croissance différente, une croissance nouvelle, une croissance qui soit plus riche à l'emploi. Même avec le croissance, il n'y aura pas de recul suffisant du chômage si nous n'innovons pas et si nous ne changeons pas la nature de cette croissance. Et c'est la raison pour laquelle nous avons ouvert plusieurs " chantiers " comme on dit. D'abord les nouveaux gisements d'emplois, car nous savons que c'est là que sont les potentialités de demain. C'est le travail d'Anne-Marie Couderc avec les comités "initiative-emploi" et les chartes qui se mettent en place dans nos départements et dans nos régions. C'est le travail de Colette Codaccioni avec la prestation autonomie, sur laquelle je reviendrai, qui a un double objectif : l'humanisation de la situation de nos anciens mais aussi la création d'emplois de proximité. C'est le travail de Jacques Barrot qui, hier, annonçait un certain nombre de mesures qui vous seront soumises dans un projet de loi pour l'extension du chèque-service, une formule qui a bien fonctionné et à laquelle il faut donner maintenant un nouvel essor.
Premier chantier : les nouveaux emplois. les emplois de proximité, qu'ils soient marchands ou non marchands.
Le deuxième chantier de cette transformation de la croissance pour enrichir un emploi, c'est celui de la formation et de l'insertion professionnelle. Je n'ai pas besoin ici de dire quelle est la situation de notre jeunesse et quel est le taux de chômage qui la frappe. Eh bien, la réponse à ce problème qui est insupportable pour une Société qui veut affirmer sa cohésion tient notamment dans notre ambition d'insertion sociale et de formation professionnelle. C'est l'un des sujets de réflexion soumis à la Commission, que François Bayrou et moi-même avons installée il y a quelques jours, et c'est aussi l'objectif de la réforme de l'apprentissage et de l'alternance qui est actuellement préparée par Jacques Barrot et qui devait aboutir dés la fin de cette année.
Enfin, troisième chantier sur ce front d'une croissance plus riche a l'emploi l'évolution de l'organisation du travail et du temps de travail. II y a beaucoup à faire dans ce domaine, et la France a du retard. C'est la raison pour laquelle j'attends avec intérêt tout particulier la grande rencontre des partenaires sociaux qui est prévue pour la fin du mois d'octobre sur ce sujet précis. C'est la raison aussi pour laquelle Jean Puech vient d'engager, depuis quelques jours, avec les syndicats de la Fonction publique un dialogue qui porte notamment sur l'aménagement du travail, et les aménagements à apporter également à la durée du travail.
Voilà les fronts sur lesquels se bat aujourd'hui le Gouvernement pour faire en sorte que cette croissance revenue nous apporte davantage de créations d'emplois. Et ces initiatives dont je parle ne sont pas toutes en projet, certaines sont d'ores et de]a des réalisations acquises. Je voudrais souligner trois des réformes majeures que, grâce à vous, grâce à vos votes, notamment pour la première. nous avons pu mener à bien en l'espace de quatre mois.
Je ne sais pas si l'on en mesure bien la portée - la portée immédiate et la portée à terme.
La première de ces réformes majeures, c'est celle qui vise à l'allégement des charges sur les petites et les moyennes entreprises, et notamment sur les emplois peu qualifiés, avec un instrument prioritaire qui est le Contrat Initiative Emploi.
Ce fut un des leitmotive de la campagne de Jacques Chirac, une des propositions- phares qui a éclairé tout son discours pendant les mois qui ont précédé l'élection présidentielle. Le Contrat Initiative Emploi fonctionne depuis le 1"' juillet, grâce au vote que vous avez émis. II concerne d'ores et déjà. au 15 septembre, plus de 45.000 bénéficiaires : c'est bien parti.
Et, ce qui est plus intéressant encore, c'est qu'il est mis en oeuvre dans des conditions qui sont tout à fait conformes à ce que nous espérions : à savoir 70% de bénéficiaires du Contrat Initiative Emploi sont titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée. 70% sur les 45.000 qui viennent d'être enregistrés.
J'ajoute 20% en contrat de travail à durée déterminée de plus de 24 mois :ce n'est donc pas un emploi précaire, c'est une véritable insertion dans la vie du travail pour des populations qui étaient les plus fragiles de ce point de vue; je pense, bien sûr, aux chômeurs de longue durée, aux RMIstes.
Deuxième grande réforme menée à bien, opérationnelle dans quelques jours, le 1er octobre : la réforme de l'accession à la propriété.
Là aussi, c'était un engagement fort. C'est une réforme simple, tout à fait lisible, qui va dans le sens de la justice. Prêt à taux O - nous l'avions là aussi martelée cette formule - : il existe. Et j'observe que les grands établissements financiers lui assurent aujourd'hui une publicité soutenue, ce qui prouve que c'est un bon produit. Et j'espère qu'il nous permettra de faire accéder 120.000 Français à la propriété de leur logement, comme nous l'avons prévu dans nos projets. Je voudrais rendre ici un hommage tout particulier à la ténacité de Claude-André Périssol qui a préparé cette réforme et l'a faite ainsi déboucher.
Troisième exemple de ces réformes de structure, profondes, pour l'avenir, que nous venons de mettre en oeuvre : la prestation "autonomie". J'étais, avant hier, au Puy-en-Velay chez Jacques Barrot et chez Adrien Gouthéron, chez Jean Proriol aussi, Serge Boniem, (il ne faut pas oublier les parlementaires du département), pour annoncer cette prestation "autonomie". Je n'entre pas dans le détail, vous la connaissez.
Je voudrais simplement souligner qu'elle va concerner, dans les prochaines années, 600.000 personnes âgées, à qui elle permettra de recevoir une aide de l'ordre de 4.300 francs par mois, d'abord lorsqu'elles sont maintenues à domicile, puis, d' ici quelques mois, également lorsqu'elles seront hébergées en établissement.
L'enveloppe financière, globale, qui implique évidemment les départements et l'État pour la mise en oeuvre de cette réforme, c'est 20 milliards de francs.
Au total, les trois réformes dont je viens de parler - contrat initiative emploi et allégement des charges, accession à la propriété, prestation "autonomie" -, tout cela porte sur une masse de 65 à 70 milliards de francs. 1 point de PIB qui, en trois mois, a été ainsi déplacé, si je puis dire, dans le cadre de cette politique d'innovation et de changement.
Je voulais rappeler cela pour bien montrer que le changement n'est pas un mythe, un concept mais qu'il se mesure à l'aune des réformes fondamentales que nous avons d'ores et déjà mises en oeuvre.
Le budget 1996 est une partie de ce tout, un élément de cette politique et, bien sûr, un élément majeur et ce que je voudrais essayer d'illustrer devant vous, le plus rapidement possible, c'est la façon dont il concourt à l'objectif qui est le nôtre, à savoir I'emploi.
En quoi le Budget 1996 est-il un bon Budget pour I'emploi ? Eh bien, je crois qu'il y concourt de deux manières décisives :
- d'abord, par la réduction du déficit ;
- et, ensuite, par l'affirmation de quelques priorités fortes qui vont, toutes, dans le sens de l'emploi.
D'abord : le déficit. Je le répète et je sais que j'ai un peu mal parfois à faire passer ce message : la lutte contre le chômage et la lutte contre les déficits, ce ne sont pas deux politiques alternatives, c'est la même politique, c'est le même combat. Pourquoi ? Farce que le recul du chômage est la meilleure manière de rééquilibrer les comptes publics, les comptes sociaux mais aussi le Budget de l'État. Farce que, d'un autre côté, la réduction des déficits, en permettant la détente des taux d'intérêt, nourrit la croissance et donc la création d'emplois. II ne faut pas faire l'un ou l'autre ou l'un après l'autre mais l'un avec l'autre, et c'est ce qui inspire la politique du Gouvernement.
Le défi est formidable. Je voudrais quand même vous rappeler quelques données que vous connaissez :depuis 10 ans, depuis 1985-1986, nous avons d'abord vécu une période de baisse forte des déficits publics, de l'ordre d'un demi-point de P.I.B. chaque année (86, 87, 88). Et puis, ensuite, nous avons connu une période de hausse considérable, d'emballement des déficits, jusqu'à un point et demi de plus du P.I.B. (ce sont les années 91, 92, 93). Voilà l'héritage. Et, aujourd'hui, nous sommes face à une dérive inacceptable : 3.300 milliards de stock de dettes.
En 1994, l'endettement de la France en tant que personne publique (État et collectivités publiques, comptes sociaux) a augmenté de 400 milliards de francs.. Nous avons dû emprunter 400 milliards de francs supplémentaires pour faire face à nos déficits. C'est insoutenable si nous poursuivons sur cette lancée.
C'est la raison pour laquelle j'ai voulu marquer, dés le collectif 1995, un coup d'arrêt qui a été bien perçu comme tel par ces fameux "marchés" qui nous observent.
La vigilance ne doit pas se relâcher car, vous le savez, d'ici la fin de l'année, nous aurons à faire preuve de la plus grande rigueur, non pas tant sur les dépenses que nous tenons, mais sur les recettes. Car je dois dire que les évaluations de recettes inscrites dans le projet de loi de Finances pour 1995 ne correspondent pas à la réalité .
Sur le seul impôt sur les sociétés, c'est une moins-value de 20 milliards de francs que nous enregistrons par rapport à ce qui était prévu. II n'est pas question d'accepter cette dérive. Et le ministre de l'Économie et des Finances et le secrétaire d'État au Budget prennent les dispositions pour que les objectifs retracés dans la loi de Finances rectificative soient tenus.
Dans ces conditions, quel choir ai-je fait pour 1996 ? II tient en un chiffre : 4% du Produit Intérieur Brut.
Mon objectif - et nous l'atteindrons - est de faire en sorte que l'ensemble des déficits publics en 1996 soit à 4% du Produit Intérieur Brut. Cela se traduit en chiffres :290 milliards pour le Budget de l'État; 30 milliards pour les comptes sociaux, avant de passer à O en 1997, cela fait bien 4%.
Sur le budget de l'État, notre ambition est donc de ramener le déficit de 322 - chiffre de la loi de Finances rectificative de 1995 - à 290 milliards (289,6 très exactement), soit une réduction très substantielle. Nous renouons ainsi avec les périodes les plus vertueuses de la décennie 1984-1995 que j'évoquais tout à l'heure et nous nous plaçons sur la trajectoire qui doit nous conduire à 3% du P.I.B. en 1997.
Voilà le but.
Le résultat qui figure dans le projet de loi de Finances qui va vous être soumis, est atteint. Comment est-il atteint ?
Voilà aussi un point sur lequel je veux fortement insister, parce que j'ai entendu tout et son contraire depuis quelques jours : il est atteint sans nouvel alourdissement de la pression fiscale par rapport aux décisions que nous avons déjà prises dans la loi de Finances rectificative.
Il n'y a pas, dans la loi de Finances pour 1996, avec effet 1996, de nouvelles majorations d'impôt significatives, à l'exception peut-être d'une actualisation du barème de la taxe intérieure sur les produits pétroliers.
Les autres mesures qui vous sont présentées n'auront d'impact qu'en 1997 dans le cadre d'une réforme d'ensemble de la fiscalité sur laquelle je reviendrai. Et, donc, je suis en droit d'affirmer que la réduction des déficits n'est pas obtenue par l'alourdissement du prélèvement fiscal, mais par la maîtrise des dépenses. Et il y a fallu une ténacité et une détermination, une compréhension aussi de l'ensemble des membres du Gouvernement.
J'illustre mon propos - je ne voudrais pas donner trop de chiffres, bien sûr. Maîtrise des dépenses : elles progresseront l'année prochaine moins vite que l'inflation. II y a longtemps que ce n'était pas arrivé : 1,8% contre 2.1%.
Si l'on met de côté la charge de la dette à laquelle personne n'a encore trouvé le moyen d'échapper, sur laquelle personne n'a encore trouvé le moyen des économies, à court terme en tout cas, remboursé grâce aux recettes des privatisations, si l'on met à part également la rémunération de la Fonction Publique, la masse salariale, l'année prochaine, augmentera de + de 3%.
Si l'on met à part aussi les mesures pour l'emploi sur lesquelles je vais revenir, les crédits budgétaires baissent de 1,6%.
J'espère que ceux qui me conseillent un grand effort de rigueur sur la dépense publique, en prendront acte.
Et nous avons dû, pour obtenir ce résultat, prendre des mesures très courageuses. D'abord, pas de nouvelle augmentation du "point Fonction Publique" en 1996. Ensuite, préparation d'une nouvelle loi de programmation militaire à laquelle s'attaque avec beaucoup de courage et de détermination Charles Millon, et qui mettra nos ambitions et nos moyens en cohérence.
Suspension des versements forfaitaires à I'UNEDIC.
Voilà quelques-unes des mesures qui ont été les plus difficiles à mettre en oeuvre. Et ce n'est évidemment qu'un début. La réforme de l'État, dont j'ai tracé les grandes orientations il y a quelques jours, contribuera en 1996 et au-delà à cette maîtrise de la dépense publique. Mais c'est là la bonne méthode. La bonne méthode pour reconquérir la maîtrise du Budget de l'État, ce n'est pas le coup de frein brutal qui enverrait le véhicule dans le bas-côté, c'est la décélération progressive, régulière, résolue, et c'est la méthode qu'a choisie le Gouvernement.
Voilà donc la première contribution du Budget 1996 à I'emploi.
Sa deuxième contribution, ce sont les priorités qu'il dégage et les crédits qu'il met en place, car, malgré la rigueur des temps, nous avons affirmé de très fortes priorités :
- première priorité naturellement, l'emploi. Par rapport à la loi de Finances initiale de 1995, les dotations budgétaires pour l'emploi dans le Budget 1996 vont augmenter de 21% (dotations budgétaires et dépenses fiscales naturellement).
Les deux grandes mesures d'allégement de charges que sont le Contrat Initiative Emploi et la ristourne sur les cotisations sociales, qui va être fusionnée avec l'abattement "famille" au 1er juillet prochain, tout cela représente 40 milliards d'allégement de charges sur les petites et moyennes entreprises et sur les emplois peu qualifiés. Au total, cela représente un allégement de 13% du coût du travail. Vieille revendication, légitime, j'y reviendrai, et qui est largement satisfaite dans ce projet de budget.
- deuxième priorité, le logement. Je n'y reviens pas - : il faut soutenir ce secteur d'activité qui est essentiel pour I'emploi.
- troisième priorité, l'Education nationale qui aura un excellent budget, grâce à la ténacité de François Bayrou et à la compréhension du Premier ministre : 3.000 emplois (1.500 dans l'enseignement scolaire, 1.500 dans l'enseignement supérieur).
La Justice où Jacques Toubon aura les moyens de mener la politique qu'il ambitionne pour cette institution : 1.200 emplois supplémentaires.
La solidarité, enfin, avec des efforts très sensibles sur le sida, la drogue, programme auquel a travaillé avec beaucoup d'efficacité Elisabeth Hubert, ou le futur programme de lutte contre l'exclusion que préparent Eric Raoult et Françoise de Veyrinas.
Voilà dans ses grandes lignes, bien entendu, tout à l'heure Jean Arthuis et François d'Aubert donneront les détails à vos commissions des Finances respectives, le Budget que le Gouvernement vous propose, voilà sa philosophie, voilà comment il s'inscrit dans la politique du Gouvernement.
Eh bien, maintenant, ce Budget, c'est votre affaire ! Je dis tout de suite qu'il n'est pas immuable. II est perfectible comme toute oeuvre humaine. Je souhaite que la discussion parlementaire nous permettre tous ensemble, vous et nous, majorité et Gouvernement, solidaires, de l'améliorer là où il peut encore l'être.
Si vous voulez bien j'aimerais maintenant porter nos regards un peu au-delà de la loi de Finances de 1996 pour aborder encore deux autres sujets :
- tout d'abord, la réforme fiscale ;
- et, ensuite, ce que j'appellerai le débat social.
La réforme fiscale, tout d'abord. J'ai dit récemment que dans les deux ou trois ans qui viennent, la France n'a pas les moyens de baisser fortement la pression fiscale. Et je le répète parce que c'est la vérité.
Comment un pays qui a 3.300 milliards de dettes et qui emprunte chaque année 400 milliards de plus, pourrait-il s'offrir le luxe de baisser massivement ses imp0ts ? On me dit : mais vous l'avez fait en 1986. Je demande simplement qu'on compare le chiffre de la dette et l'endettement annuel supplémentaire de 1986 et ceux que nous avons trouvé en 1995. C'est deux fois pire. Et donc c'est deux fois moins de marge de manoeuvre. Voilà pourquoi il faut d'abord remettre de l'ordre dans la "maison", avant de repartir vers ce qui reste notre objectif, bien entendu, c'est-à-dire l'allégement de la pression fiscale.
Est-ce à dire que pendant cette période de remise en ordre, il ne faille rien faire ? Evidemment non. Parce que notre système fiscal souffre de graves défauts. II est très souvent inéquitable. Et il est surtout anti-emploi. Nous avons un mode de financement de nos dépenses publiques, nous avons un système de prélèvements obligatoires, qui sont anti-emploi. Avec une singularité très forte, que l'on ne retrouve nulle part ailleurs, ni en Allemagne, ni en Grande-Bretagne, ni aux Etats Unis, dans les pays comparables, c'est que les trois quarts du financement de notre protection sociale sont financés par des cotisations assises sur les salaires et que cela constitue un facteur de renchérissement du coût du travail qui est un handicap formidable dans la compétition internationale.
Certes, on dira que le coût global du travail en France n'est pas supérieur à ce qu'il est ailleurs mais les salaires y sont plus faibles et les cotisations sociales y sont plus fortes.
Dès maintenant, avec effet 1997, nous commençons à nous attaquer à certains de ces mauvais fonctionnements de notre système fiscal et, d'abord, à certains privilèges fiscaux : par exemple les privilèges dont disposent les revenus des placements financiers par rapport aux revenus du travail.
Le ministre de l'Économie et des Finances disait tout à l'heure au Conseil des ministres que, quand on se débrouille(e bien et quand on sait utiliser toutes les ressources de la loi, un ménage peut arriver à se constituer un patrimoine de 4 MF qui lui rapporte 300.000 francs chaque année en totale franchise d'impôt.
Là, je trouve que si nous voulons rééquilibrer la fiscalité du travail et la fiscalité des placements financiers, il y a là des choses à faire. Et nous commençons en 1996- 1997.
Deuxième exemple de privilèges qui constituent en fait une évasion fiscale : le régime des stock-options qui permet à certains de toucher l'équivalent d'un salaire, en vérité, avec un taux de taxation de 19%, là où il est 56,8 pour les autres. Eh bien, là encore, sous l'impulsion de Jean Arthuis, nous vous proposons de changer cela.
Et puis, au-delà de ces premiers pas sur la voie de la réforme, il nous faut maintenant lancer la vraie réforme. Et la vraie réforme, je le dis avec la force de ma conviction, ce n'est pas uniquement la réforme consistant à baisser tous les impôts. On le fera quand on pourra. La vraie réforme, c'est le transfert d'une partie significative des prélèvements qui sont aujourd'hui assis sur les salaires et qui fonctionnent comme une machine "anti-emploi" sur d'autres ressources. Voilà le défi qui nous attend. Sommes-nous prêts à le relever ? Parce que c'est un vrai chambardement dans les habitudes.
Sur quelles ressources peut-on faire ce transfert ? II n'y en pas trente-six. II n'y en a guère que deux : soit la T.V.A. sociale, et on l'a déjà fait (collectif 1995) : on n'est pas arrivé à convaincre que c'était là la logique - logique de transfert de cotisations sociales sur une autre ressource -, parce que c'est bon pour I'emploi. Et comme c'est déjà fait, l'espace qui nous reste, ce sont les prélèvements sur le revenu. Voilà pourquoi il nous faut, aujourd'hui, entreprendre un profond changement qui va consister :
- à élargir l'assiette de l'impôt sur le revenu et de la C.S.G.,
- à essayer de mettre ces deux formes de prélèvement en cohérence,
- à reconfigurer complètement le barème de l'impôt,
- à envisager sans doute des retenues à la source dans un certain nombre de cas : bref, à rebâtir un système de prélèvement fiscal sur le revenu.
C'est très exactement ce à quoi nous allons nous attaquer et que nous pensons vous proposer dans une loi d'orientation fiscale en janvier prochain, avec application sur 5 ans. Car c'est une telle réforme, qu'elle mettra du temps, bien sûr, à entrer dans les faits.
Et ceci m'amène au deuxième point que je voulais évoquer, au-delà de la loi de Finances, à savoir le débat social.
Car dans cette réforme, et c'est la raison pour laquelle nous ne la faisons pas tout de suite (elle est indissociable de la réforme du financement de la protection sociale), il nous faut aborder ce débat social. Et pas simplement l'aborder sous l'angle financier ou comptable - c'est vrai qu'en 3 ans nos comptes sociaux dégagent un déficit de 180 milliards de francs (1994, 1995, 1996) ... on ne peut plus continuer. Mais au-delà de cette impossibilité, il y a aussi de graves défauts dans le système. Il est injuste. Tous les Français ne sont pas égaux devant la retraite. Ils ne sont pas égaux devant l'assurance-maladie. Et il y a, là, des choses à changer. Et, ensuite, il est inefficace. II n'a pas empêché l'apparition de 5 millions d'exclus et il constitue, je l'ai dit, par son financement, un véritable boulet au pied des entreprises créatrices d'emplois.
Je l'ai dit. Cela n'a pas toujours plu à ceux qu'inspirent d'abord et avant tout la volonté de ne rien changer à rien. II n'y aura pas de reprise de la dette 1994-1995 - c'est la facture que l'on m'apporte : 120 milliards -, ni de financement du déficit prévisionnel 1996 - on m'annonce entre 55 et 60 milliards -, s'il n'y a pas avant un débat au fond et des réformes structurelles, avec un objectif précis :diminuer par deux le déficit des comptes sociaux en 1996 et l'annuler en 1997 pour que nous puissions, ensuite, repartir sur la base de l'équilibre structurel.
Ma méthode n'est pas de vous dire aujourd'hui : " voilà ". Elle est d'essayer d'expliquer et d'écouter les Français parce que c'est a eux de se prononcer sur un sujet aussi sensible.
C'est la raison pour laquelle j'ai engagé le dialogue avec les partenaires sociaux il y a 15 jours. Nous le poursuivons. Tous les ministres compétents reçoivent les syndicats, semaine après semaine. Nous allons l'élargir aux grandes associations.
Du 9 au 30 octobre, les ministres compétents se rendront dans les 22 régions pour animer 22 Forums régionaux devant des auditoires qui seront constitués des parlementaires, des présidents de conseils généraux, régionaux, des présidents d'association de maires, des membres des conseils économiques et sociaux, des forces vives de la Région. Et je compte sur les parlementaires de la majorité pour s'investir dans ce débat, pour l'animer, pour expliquer, pour chercher les voies de solutions.
Cette consultation nationale débouchera sur un débat au Parlement avant le 15 novembre et je souhaite que ce débat soit conclu par un vote. II donnera ensuite la possibilité d'arrêter les mesures de redressement 1996, avant la fin de l'année 1995. C'est vous dire si le calendrier est contraignant.
Quel sera le contenu de ce débat ?
J'envisage d'y poser 5 questions principales ou 5 ensembles de questions :
- d'abord, les questions qui portent sur l'avenir de nos retraites et de l'assurance- vieillesse. Des mesures ont déjà été prises dans ce domaine. La mesure sans doute la plus courageuse et la plus prometteuse pour l'avenir l'a été en 1993 par le précédent gouvernement en portant la durée de cotisations à 40 années, au bout d'un certain délai.
Nous avons pris également une mesure en 1995 en supprimant l'abattement de 42 francs sur les cotisations-vieillesse. Pourtant il subsiste un déficit de 12 milliards de francs, chaque année, jusqu'à l'an 2005.
Alors question ? Quelle doit être la répartition de l'effort entre les actifs et les retraités ? La situation actuelle est-elle pleinement satisfaisante de ce point de vue ? quelle doit être la répartition de l'effort entre les acteurs économiques, les salariés et les entreprises ? Comment doivent évoluer les régimes spéciaux ?
Et je n'hésite pas à poser la question de savoir s'il est normal que les uns cotisent 37 ans et demi et les autres, 40 ans !
C'est un débat compliqué, certes, avec beaucoup de paramètres mais il faut l'aborder.
Comment mettre en place des mécanismes d'épargne-retraite ou des fonds de pensions qui, sans porter atteinte au coeur et au socle de notre protection vieillesse, à savoir la répartition, permettent néanmoins de préparer l'avenir ?
Voilà le premier groupe de questions.
- deuxième groupe de questions : la branche "Famille". Là aussi, le déficit tendanciel est de 10 milliards de francs par an, parce qu'on a lancé avec la loi "Famille" beaucoup de choses nouvelles, et c'est tant mieux et c'est très bien ! Mais il faut payer maintenant.
Or. nous avons un système de politique familiale qui conjugue trois aspects dont on peut se demander si l'on peut continuer à les cumuler : d'abord. des prestations familiales qui, pour à peu près la moitié d'entre elles, sont attribuées sans conditions de ressources (le P.D.G. d'une multinationale touche la même chose que le Smicard), deuxièmement des prestations familiales qui ne sont pas soumises à l'impôt ;et, troisièmement, un coefficient familial qui est, certes, plafonné mais qui reste très puissant pour certaines catégories. Peut-on garder les trois à la fois ? Et face à l'impérieuse nécessité de rétablir les équilibres. ne faut-il pas choisir ?
- troisième série de questions : la branche "Maladie". Là encore je ne vais pas donner les chiffres, vous les connaissez : 35 milliards de déficit tendanciel et un dérapage, au cours des derniers mois, qui est fort préoccupant. La question est simple à formuler, terrible à résoudre : comment améliorer les mécanismes qui vont nous permettre de faire mieux jouer la responsabilité des partenaires pour mieux maîtriser le système ?
D'abord, à l'hôpital. Le Haut Conseil de I'Hôpital nous fera j'en suis sûr, des propositions en novembre sur les alternatives a l'hospitalisation, sur la création de véritables réseaux "ville-hôpital", sur la contractualisation des relations entre les caisses de Sécurité sociale et les gestionnaires des hôpitaux.
Et puis il y a la médecine de ville. Et là il faut perfectionner notre outil de maîtrise médicalisée de la dépense (carnet médical obligatoire). Nos enfants ont un carnet médical. Nous n'en avons pas. N'est-ce pas le moyen de discipliner un peu l'errance médicale et la multiplication des prescriptions ?
Renforcement des références médicales opposables, codage des actes, bref il y a là tout une série de mesures déjà étudiées sur lesquelles il faudra se prononcer.
J'ajouterai l'orientation des médecins : ne faut-il pas en orienter davantage vers la médecine préventive, la médecine scolaire qui est gravement déficiente, la médecine du travail ou d'autres formes de médecine préventive. Un facteur commun sur ces trois branches, où je mettrai la nécessaire clarification entre solidarité-assurance que nous faisons pour la prestation "automobile", qui sera financée par le Fonds Social Vieillesse, et puis, bien sûr, l'amélioration de la gestion des organismes paritaires.
- quatrième grande question : la solidarité et la lutte contre l'exclusion. Je ferai court sur ce sujet qui est immense. Je n'en évoquerai qu'un des aspects : comment rendre le RMI plus juste et plus motivant ? Comment accentuer son lien avec une activité ? Les contrats Emploi-Solidarité qui sont une forme de RMI en collectivités territoriales, c'est une aide et un travail. II faut que nous nous inspirions de cette formule pour accentuer le lien entre RMI et activité.
De la même manière, il faut revoir les procédures d'attribution du RMI pour qu'elles soient plus proches du terrain et que les abus qui choquent parfois nos concitoyens, puissent être éliminés là où ils se trouvent réellement.
- la cinquième question, je l'ai déjà évoquée, c'est celle du financement. Je n'y reviens pas.
De ce débat dont vous mesurez bien, je pense, la portée devront découler des mesures d'application immédiate (1996), des réformes structurelles à moyen terme. C'est un vrai débat de société, qu'il s'agisse du niveau auquel les Français veulent placer la dépense, de la manière dont ils souhaitent la financer, de corrections qu'ils acceptent d'envisager.
Je crois que le pays est prêt à affronter ce débat. Les questions circulent : toutes celles que j'ai posées. Il suffit d'écouter la radio, de lire les hebdomadaires pour voir que les Français se les posent. Et ce sont des questions auxquelles nous n'échapperons pas. C'est pourquoi nous devons, me semble-t-il, vous et nous, majorité et Gouvernement, ensemble, nous engager dans ce débat pour expliquer et convaincre.
C'est sur notre capacité à conduire ce type de réformes de fond, dans l'ordre et dans l'harmonie, que finalement nous serons jugés en 1998.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, l'action quotidienne de l'équipe gouvernementale qui est rassemblée autour de moi et dans la salle, s'inscrit, j'ai essayé de le montrer, dans une vision à moyen terme. Nous voulons, en même temps, stimuler la création d'emplois en libérant les initiatives et remettre de l'ordre dans les finances de la France, parce que l'un ne peut pas aller sans l'autre.
Je crois que nous avons les meilleures chances de réussir et je suis imperméable au scepticisme ambiant. Nous avons une économie puissante, en croissance, sans inflation, avec des excédents extérieurs jamais vus. Nous avons amorcé le cercle vertueux, le cercle du refus régulier du chômage pour le 10e mois consécutif, et c'est un facteur de rééquilibrage de nos comptes publics. Le cercle de la maîtrise des déficits et de la détente des taux d'intérêt s'est aussi amorcé.
Nous avons devant nous la durée et la stabilité politique dans des conditions que ne connaît pratiquement aucune autre démocratie occidentale.
Nous avons évidemment des handicaps - je ne mets pas de lunettes roses - : le déficit, je n'y reviens pas. Et puis, peut-être, plus profondément, plus insidieusement, le manque de confiance en nous-mêmes, la tendance gauloise à l'auto-dénigrement et le risque permanent de division.
Je crois que les Français ont les yeux tourné vers nous. Ils comprennent qu'on ne règle pas les problèmes, aussi considérables que ceux que je viens d'évoquer, par un coup de baguette magique. Mais ce qu'ils ne comprendraient pas, c'est que ceux qu'ils ont choisi pour gouverner le pays ne tirent pas tous dans le même sens. Je sais que la majorité est diverse - c'est une richesse -, qu'ici ou là on s'y pose des questions. C'est normal. Elle est parfois traversée par des turbulences ou des essais de restructuration. A chacun de les conduire.
Je tiens à dire ici à tous : puisque ce sont les institutions qui le veulent ou leur esprit, en tout cas, en tant que chef de la majorité, je me sens responsable de vous conduire tous à la victoire en 1998. Et cette victoire, nous devons la remporter. Le rejet dans le pays du socialisme, de ses thèses, de ses hommes, est profond et durable. Et le seul risque qui nous menace vraiment, est le risque de la division.
La majorité est formée de deux grandes familles politiques. Eh bien, si elle veut avancer droit, elle doit s'appuyer également sur ses deux jambes... Quand une flanche, la démarche n'est plus droite ... Ce sera, bien entendu, mon souci constant.
Pour la première fois, depuis bien longtemps, nous avons la chance de pouvoir réaliser l'harmonie entre ]e président de la République, le Gouvernement, la majorité parlementaire, c'est une grande chance pour la France. Car cette harmonie, j'en suis sûr, fera école. Elle servira d'exemple. Elle mobilisera les Français et transformera leurs attentes en autant d'initiatives créatrices. Et c'est l'initiative et l'innovation des Français qui donneront de l'élan à la France.
Nos concitoyens n'attendent que ce signal. C'est ce signal de conscience et de cohésion qu'ils nous incombe de leur donner tous ensemble aujourd'hui, et c'est à cela que je vous appelle.

(Source http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr, le 15 mai 2002)