Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les responsables professionnels,
Mesdames et Messieurs,
C'est très volontiers que j'ai répondu à votre invitation de venir clôturer votre journée d'étude car j'ai tenu à témoigner au-delà du thème particulièrement opportun de ces 9èmes rencontres, la biodiversité, de l'intérêt que je porte et que porte mon ministère aux responsables qui, comme vous, s'engagent dans des démarches volontaires favorables à l'environnement.
Vous n'êtes pas les seuls bien entendu et je ne voudrais pas, avec ses propos, qu'on en vienne à croire que je néglige toutes les initiatives prises depuis de nombreuses années dans le monde agricole pour améliorer sa relation à l'environnement.
Qu'il s'agisse, sans les citer toutes, des actions conduites par les chambres, les coopératives ou qu'il s'agisse par exemple de l'agriculture biologique.
Toutefois d'une certaine manière les agriculteurs engagés dans l'agriculture raisonnée font à mes yeux figure de pionniers.
Pionniers car vous avez bâti une démarche exigeante d'enregistrement de données, de suivi, d'évaluation, et de restitution ; car vous mettez en oeuvre en somme concrètement ce que j'appellerai « l'esprit de responsabilité ».
C'est une des voies qui me paraissent propres à favoriser la réflexion personnelle de chacun des agriculteurs et, au-delà des exigences résultant du référentiel, c'est une voie propre à favoriser une réflexion interne à la profession agricole non seulement sur les bonnes pratiques agricoles mais également sur les systèmes de production.
Vous le savez; ce n'est pas une découverte et ce n'est pas médire des agriculteurs que de l'affirmer, l'agriculture demeure, malgré tous les efforts engagés depuis de nombreuses années, l'une des activités économiques dont l'impact sur l'environnement est le plus fort et même continue à s'accroître.
Environ la moitié de la France est classée en zone vulnérable à la pollution par les nitrates. La présence de pesticides est détectée dans 80 % des stations de mesures des cours d'eau, et dans plus de la moitié des eaux souterraines.
Une grande majorité des milieux naturels aquatiques sont aujourd'hui touchés par cette forme de pollution et beaucoup sont perturbés.
Par ailleurs dans les quinze dernières années, l'artificialisation des milieux s'est poursuivie à un rythme accéléré et ce malgré les mesures agri-environnementales, la prime herbagère environnementale, les contrats d'agriculture durable et autres mesures destinées à favoriser la prise en compte de l'environnement par les agriculteurs. La surface en prairies a ainsi fortement diminué entre 1988 et 2000, le plus souvent au détriment des prairies naturelles.
Bien entendu, et depuis plus de vingt ans la profession agricole n'est pas restée inactive face à ces conséquences des évolutions de l'agriculture, fortement liées aux évolutions du contexte économique. Elle a pris des initiatives très positives que je voudrais ici saluer et reconnaître.
L'une des grandes qualités de l'agriculture raisonnée est cependant, de la part de ses initiateurs, d'avoir pris conscience que tous ces efforts pouvaient être plus fortement relayés par un engagement individuel de chaque agriculteur.
Vous avez spécialement pris conscience de l'exigence, croissante parmi nos concitoyens, que l'agriculture se réforme sur la question de l'écologie plus profondément qu'elle ne l'avait fait jusqu'alors, même si les progrès étaient déjà notables.
Cette exigence demeure. Elle s'accroît et je la partage.
J'ai aussi conscience que cette exigence se fait plus sensible alors même que l'avenir de l'agriculture apparaît moins lisible qu'il pouvait l'être avant la réforme de la PAC malgré les fortes garanties obtenues par le Président de la République en 2003.
Dans ce contexte de mutation rapide et d'exigence plus pressante de la part de nos concitoyens, je vois en l'agriculture raisonnée une démarche de progrès très opportune.
En conduisant l'agriculteur à rendre compte d'abord à lui-même de ses pratiques et de ses choix, non seulement elle l'amène à découvrir sur sa propre exploitation des champs d'amélioration parfois insoupçonnés (y compris pour les plus experts parmi vous), mais encore peut le conduire à remettre en cause son système de production.
L'agriculture raisonnée m'apparaît ainsi comme un puissant outil d'aide à la décision, c'est-à-dire pour l'agriculteur d'aujourd'hui d'aide au changement.
Par exemple, en ce 11 janvier 2006, il est clair que l'agriculteur prévoyant recherchera à se prémunir dans les choix qu'il fait en ce moment même contre la sécheresse que nous connaîtrons à l'été 2006, même s'il est encore trop pour juger de la gravité de celle-ci. Être engagé dans la démarche de l'agriculture raisonnée y aidera sans aucun doute.
Mais plus largement les donnés issues de votre expérience peuvent éclairer d'un jour nouveau, croisés avec les résultats diffusés par les centres de gestion et par les instituts techniques, la réflexion vers des systèmes plus économes en intrants, moins dépendants, moins endettés et dont on peut attendre tout à fois que leur impact potentiel sur l'environnement sera moindre et que leur capacité à évoluer rapidement sera plus grande.
Vous avez souhaité placer la diversité biologique au centre de vos réflexions. Ce choix est bien évidemment de pleine actualité.
Nul en effet ne peut nier les relations très particulières, de dépendance comme de transformation, qu'entretient l'agriculture avec le vivant, y compris avec le vivant sauvage.
Qu'il s'agisse d'usages encore non identifiés, ou du maintien des grands équilibres écologiques et de leur contribution à la résistance contre les maladies animales et végétales par exemple, qu'il s'agisse de la protection de nos ressources naturelles et spécialement de l'eau, de la protection contre les catastrophes naturelles, de la fertilité des sols comme de leur sauvegarde contre l'érosion, ce sont autant de fonctions qu'assure depuis la nuit des temps la diversité de la nature.
Pourtant, sans nous en rendre compte, nous amenuisons lentement mais avec une terrifiante constance depuis plus de trente ans la capacité de la nature à remplir ces fonctions.
C'est pourquoi il fallait prendre des initiatives nouvelles, aller vers des actions d'une autre nature que les politiques conduites jusqu'à présent.
La France s'est ainsi dotée en février 2004 d'une stratégie nationale pour la biodiversité.
Celle-ci fonde ses ambitions sur une plus large prise de conscience et sur une plus large mobilisation de notre société toute entière.
J'ai présenté en novembre dernier les sept premiers plans d'action sectoriels, établis chacun par le ministère compétent en lien avec mes services.
Le plan d'action agriculture, rédigé par le Ministère de l'Agriculture avec les représentants de la profession, privilégie ainsi, comme tous les autres, les démarches partenariales.
Cinq grandes orientations sont proposées à cette fin, pour améliorer la prise en compte de la biodiversité dans les politiques agricoles françaises comme dans les pratiques de terrain :
- promouvoir la prise en compte par les agriculteurs et leurs partenaires de la biodiversité dans les démarches territoriales ;
- généraliser les pratiques agricoles favorables à la biodiversité et améliorer celles à impacts négatifs ;
- protéger et renforcer la diversité des ressources génétiques pour l'agriculture et l'alimentation ;
- assurer le suivi de l'évolution de la biodiversité en milieu rural en lien avec les évolutions des pratiques agricoles ;
- renforcer la sensibilisation et les compétences des acteurs de la filière, de l'enseignement, de la recherche et de l'encadrement agricoles pour améliorer les interrelations agriculture-biodiversité.
Pour chacune de ces grandes orientations, le plan propose des actions concrètes et des objectifs chiffrés.
L'agriculture raisonnée est bien évidemment, comme je l'ai dit, à travers ses principes mêmes, à travers cet « esprit de responsabilité » qu'elle développe auprès des agriculteurs qui s'y engagent, appelée à participer complètement à chacun des objectifs du plan d'action.
De façon plus spécifique cependant elle peut apporter plusieurs réponses originales ou innovantes.
Ainsi, à travers son volet territorial, l'agriculture raisonnée participe à l'intégration des enjeux agro-environnementaux propres à chaque territoire dans les projets agricoles ou dans les projets de développement local qui concernent ces territoires.
C'est une réponse concrète à la première orientation du plan d'action. Pour l'heure, ces volets sont proposés par peu de régions. Je souhaite que le plan d'action soit l'occasion de leur donner une nouvelle impulsion.
L'initiative que vous avez prise par ailleurs avec la Ligue pour la Protection des Oiseaux et le réseau des CIVAM de constituer dans le cadre d'une démarche volontaire un réseau d'une centaine d'exploitations pilotes, en 2006, répond parfaitement aux orientations de la stratégie.
Elle confirme le rôle de pionniers, de découvreurs de voies nouvelles que vous assumez au sein de la profession. Pour ma part j'attends beaucoup de ces expériences.
De même, l'objectif que vous vous êtes fixé d'atteindre la qualification de 30 % des exploitations agricoles d'ici fin 2008, contribuera à promouvoir largement certaines pratiques agricoles favorables à la biodiversité. Pour l'heure, un peu plus de 1 000 exploitations sont qualifiées. Le plan d'action est pour elles un signal supplémentaire qu'elles agissent dans la bonne direction.
La modification récente du référentiel de l'agriculture raisonnée intervenue dans l'arrêté du 20 avril 2005 concernant l'exigence relative au paysage et à la biodiversité constitue également un progrès important dans le sens de la stratégie pour la biodiversité.
Identifier les zones de l'exploitation incluses dans un site Natura 2000, mettre en place les mesures conservatoires prévues par le document d'objectifs (DOCOB), et, en l'absence de ce dernier, identifier les milieux naturels à préserver et les maintenir en place, autrement dit, veiller à ne pas les détruire me paraît bien évidemment une démarche volontaire extrêmement positive.
C'est une manière de démontrer que des agriculteurs modernes, pleinement engagés par ailleurs dans le combat économique peuvent, en même temps être complètement conscients des enjeux de proximité que représentent la protection de la de nature et parfaitement qualifiés pour les prendre en charge.
Pour terminer mon intervention je souhaiterais insister sur un domaine qui concerne aussi bien la biodiversité que la qualité de l'eau : la question des phytosanitaires. Il s'agit incontestablement du sujet sur lequel sont le plus attendus aujourd'hui des progrès de la part de l'agriculture.
Les travaux de l'expertise scientifique collective INRA-CEMAGREF « Pesticides, agriculture et environnement réduire l'utilisation des pesticides et en limiter les impacts » ainsi que ceux du programme du Ministère de l'écologie sur l'« Évaluation et réduction des risques liés à l'utilisation des pesticides », ont permis d'avancer des pistes pour améliorer les conditions d'utilisation des pesticides en agriculture ainsi que les moyens d'en réduire l'emploi et d'en limiter les impacts environnementaux.
Ces travaux montrent que les mesures prises, comme par exemple les bandes enherbées et les réglages de pulvérisateurs, sont indispensables mais sont un minimum qui ne suffit pas à résoudre les problèmes.
Le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques adopté par le Sénat sera examiné à l'Assemblée nationale au printemps. Il prévoit la transformation de l'actuelle taxe générale sur les activités polluantes concernant les pesticides (TGAP) par une redevance perçue par les agences de l'eau.
L'objectif poursuivi sur ce point est de rapprocher le niveau de perception de cette redevance au plus près des agriculteurs. Cette redevance permettra ainsi de créer une incitation à une utilisation raisonnée et efficace de ces intrants.
Vous m'avez interrogé Président sur la possibilité d'un abattement pour les agriculteurs qualifiés dans l'agriculture raisonnée.
Votre demande me paraît légitime mais elle me semble déjà satisfaite. Le projet de loi prévoit en effet que l'agence de l'eau peut verser une prime à l'utilisateur dans la limite de 30 % de la redevance acquittée, afin d'encourager les pratiques permettant de réduire la pollution de l'eau.
Sans aucun doute en effet la qualification dans l'agriculture raisonnée donne-t-elle la garantie que l'agriculteur a réduit les risques de perte accidentelle de matière active dans le milieu, raisonne au plus juste le choix des matières actives, le choix des moments d'intervention et les doses épandues.
Sans aucun doute cette garantie est un progrès que vous apportez.
Cependant ces avancées incontestables ne forment à mes yeux qu'une partie de la réponse : les questions liées au choix des systèmes de production demeurent.
La réponse qu'y apporte année par année chaque agriculteur est en effet fondamentale dans l'impact de son exploitation sur l'environnement. Tous les systèmes de production, tous les choix culturaux, ne font pas courir les mêmes risques à l'environnement.
Un exemple d'actualité parmi beaucoup d'autres : le développement des cultures énergétiques ne doit pas se traduire par une augmentation des rejets de matière active dans le milieu.
La nouvelle redevance doit, dans mon esprit être aussi un ferment de la relance des recherches et études sur ces questions et être un aiguillon du progrès en ce domaine.
Ce que j'attends. Ce qu'attendent nos concitoyens, ce sont des résultats.
Comme je vous l'ai dit, je ne doute pas que l'agriculture raisonnée y contribue fortement. Mais peut-être aussi nous faut-il aller plus loin.
Depuis des millénaires, les agriculteurs se sont efforcés d'organiser l'espace et d'utiliser le monde vivant, animal et végétal, pour répondre aux besoins de la société.
L'agriculture utilise et entretient des paysages, des milieux, des races et des variétés qui sont le fruit d'une longue histoire de domestication de la nature, d'aménagement et d'utilisation du territoire.
A tel point que les formes de cette domestication, les races d'animaux ou les variétés de plantes, les paysages sont restés pendant longtemps comme l'un des signes les plus visibles et les mieux reconnus de différenciation culturelle ; la marque de chaque culture.
Ces liens multiples et complexes entre la nature et l'agriculture se sont pour partie progressivement rompus ou bien ce sont profondément transformés.
Les effets sur l'environnement que nous voyons encore sous nos yeux continuer à se produire apparaissent comme l'aboutissement et d'une certaine manière la sanction de ces mutations.
Elles ont apporté à nos sociétés des bénéfices considérables sociaux, économiques, sanitaires, etc. Donc il n'est pas question de les remettre en cause.
Le prix qu'a payé l'environnement ne pouvait-il cependant en être réduit ?
En tout cas l'une des questions centrale posée à l'agriculture est aujourd'hui d'apprendre davantage, mieux et plus vite à réduire ce prix.
Je vous suis reconnaissante d'avoir su initier et promouvoir une démarche, appelée à prendre toujours plus d'envergure, et dont j'attends qu'elle contribue fortement à nous réconcilier avec la nature.
Vous comprenez que ce que je vous souhaite le plus ardemment c'est de réussir.
Source http://www.farre.org, le 14 février 2006
Mesdames et Messieurs les responsables professionnels,
Mesdames et Messieurs,
C'est très volontiers que j'ai répondu à votre invitation de venir clôturer votre journée d'étude car j'ai tenu à témoigner au-delà du thème particulièrement opportun de ces 9èmes rencontres, la biodiversité, de l'intérêt que je porte et que porte mon ministère aux responsables qui, comme vous, s'engagent dans des démarches volontaires favorables à l'environnement.
Vous n'êtes pas les seuls bien entendu et je ne voudrais pas, avec ses propos, qu'on en vienne à croire que je néglige toutes les initiatives prises depuis de nombreuses années dans le monde agricole pour améliorer sa relation à l'environnement.
Qu'il s'agisse, sans les citer toutes, des actions conduites par les chambres, les coopératives ou qu'il s'agisse par exemple de l'agriculture biologique.
Toutefois d'une certaine manière les agriculteurs engagés dans l'agriculture raisonnée font à mes yeux figure de pionniers.
Pionniers car vous avez bâti une démarche exigeante d'enregistrement de données, de suivi, d'évaluation, et de restitution ; car vous mettez en oeuvre en somme concrètement ce que j'appellerai « l'esprit de responsabilité ».
C'est une des voies qui me paraissent propres à favoriser la réflexion personnelle de chacun des agriculteurs et, au-delà des exigences résultant du référentiel, c'est une voie propre à favoriser une réflexion interne à la profession agricole non seulement sur les bonnes pratiques agricoles mais également sur les systèmes de production.
Vous le savez; ce n'est pas une découverte et ce n'est pas médire des agriculteurs que de l'affirmer, l'agriculture demeure, malgré tous les efforts engagés depuis de nombreuses années, l'une des activités économiques dont l'impact sur l'environnement est le plus fort et même continue à s'accroître.
Environ la moitié de la France est classée en zone vulnérable à la pollution par les nitrates. La présence de pesticides est détectée dans 80 % des stations de mesures des cours d'eau, et dans plus de la moitié des eaux souterraines.
Une grande majorité des milieux naturels aquatiques sont aujourd'hui touchés par cette forme de pollution et beaucoup sont perturbés.
Par ailleurs dans les quinze dernières années, l'artificialisation des milieux s'est poursuivie à un rythme accéléré et ce malgré les mesures agri-environnementales, la prime herbagère environnementale, les contrats d'agriculture durable et autres mesures destinées à favoriser la prise en compte de l'environnement par les agriculteurs. La surface en prairies a ainsi fortement diminué entre 1988 et 2000, le plus souvent au détriment des prairies naturelles.
Bien entendu, et depuis plus de vingt ans la profession agricole n'est pas restée inactive face à ces conséquences des évolutions de l'agriculture, fortement liées aux évolutions du contexte économique. Elle a pris des initiatives très positives que je voudrais ici saluer et reconnaître.
L'une des grandes qualités de l'agriculture raisonnée est cependant, de la part de ses initiateurs, d'avoir pris conscience que tous ces efforts pouvaient être plus fortement relayés par un engagement individuel de chaque agriculteur.
Vous avez spécialement pris conscience de l'exigence, croissante parmi nos concitoyens, que l'agriculture se réforme sur la question de l'écologie plus profondément qu'elle ne l'avait fait jusqu'alors, même si les progrès étaient déjà notables.
Cette exigence demeure. Elle s'accroît et je la partage.
J'ai aussi conscience que cette exigence se fait plus sensible alors même que l'avenir de l'agriculture apparaît moins lisible qu'il pouvait l'être avant la réforme de la PAC malgré les fortes garanties obtenues par le Président de la République en 2003.
Dans ce contexte de mutation rapide et d'exigence plus pressante de la part de nos concitoyens, je vois en l'agriculture raisonnée une démarche de progrès très opportune.
En conduisant l'agriculteur à rendre compte d'abord à lui-même de ses pratiques et de ses choix, non seulement elle l'amène à découvrir sur sa propre exploitation des champs d'amélioration parfois insoupçonnés (y compris pour les plus experts parmi vous), mais encore peut le conduire à remettre en cause son système de production.
L'agriculture raisonnée m'apparaît ainsi comme un puissant outil d'aide à la décision, c'est-à-dire pour l'agriculteur d'aujourd'hui d'aide au changement.
Par exemple, en ce 11 janvier 2006, il est clair que l'agriculteur prévoyant recherchera à se prémunir dans les choix qu'il fait en ce moment même contre la sécheresse que nous connaîtrons à l'été 2006, même s'il est encore trop pour juger de la gravité de celle-ci. Être engagé dans la démarche de l'agriculture raisonnée y aidera sans aucun doute.
Mais plus largement les donnés issues de votre expérience peuvent éclairer d'un jour nouveau, croisés avec les résultats diffusés par les centres de gestion et par les instituts techniques, la réflexion vers des systèmes plus économes en intrants, moins dépendants, moins endettés et dont on peut attendre tout à fois que leur impact potentiel sur l'environnement sera moindre et que leur capacité à évoluer rapidement sera plus grande.
Vous avez souhaité placer la diversité biologique au centre de vos réflexions. Ce choix est bien évidemment de pleine actualité.
Nul en effet ne peut nier les relations très particulières, de dépendance comme de transformation, qu'entretient l'agriculture avec le vivant, y compris avec le vivant sauvage.
Qu'il s'agisse d'usages encore non identifiés, ou du maintien des grands équilibres écologiques et de leur contribution à la résistance contre les maladies animales et végétales par exemple, qu'il s'agisse de la protection de nos ressources naturelles et spécialement de l'eau, de la protection contre les catastrophes naturelles, de la fertilité des sols comme de leur sauvegarde contre l'érosion, ce sont autant de fonctions qu'assure depuis la nuit des temps la diversité de la nature.
Pourtant, sans nous en rendre compte, nous amenuisons lentement mais avec une terrifiante constance depuis plus de trente ans la capacité de la nature à remplir ces fonctions.
C'est pourquoi il fallait prendre des initiatives nouvelles, aller vers des actions d'une autre nature que les politiques conduites jusqu'à présent.
La France s'est ainsi dotée en février 2004 d'une stratégie nationale pour la biodiversité.
Celle-ci fonde ses ambitions sur une plus large prise de conscience et sur une plus large mobilisation de notre société toute entière.
J'ai présenté en novembre dernier les sept premiers plans d'action sectoriels, établis chacun par le ministère compétent en lien avec mes services.
Le plan d'action agriculture, rédigé par le Ministère de l'Agriculture avec les représentants de la profession, privilégie ainsi, comme tous les autres, les démarches partenariales.
Cinq grandes orientations sont proposées à cette fin, pour améliorer la prise en compte de la biodiversité dans les politiques agricoles françaises comme dans les pratiques de terrain :
- promouvoir la prise en compte par les agriculteurs et leurs partenaires de la biodiversité dans les démarches territoriales ;
- généraliser les pratiques agricoles favorables à la biodiversité et améliorer celles à impacts négatifs ;
- protéger et renforcer la diversité des ressources génétiques pour l'agriculture et l'alimentation ;
- assurer le suivi de l'évolution de la biodiversité en milieu rural en lien avec les évolutions des pratiques agricoles ;
- renforcer la sensibilisation et les compétences des acteurs de la filière, de l'enseignement, de la recherche et de l'encadrement agricoles pour améliorer les interrelations agriculture-biodiversité.
Pour chacune de ces grandes orientations, le plan propose des actions concrètes et des objectifs chiffrés.
L'agriculture raisonnée est bien évidemment, comme je l'ai dit, à travers ses principes mêmes, à travers cet « esprit de responsabilité » qu'elle développe auprès des agriculteurs qui s'y engagent, appelée à participer complètement à chacun des objectifs du plan d'action.
De façon plus spécifique cependant elle peut apporter plusieurs réponses originales ou innovantes.
Ainsi, à travers son volet territorial, l'agriculture raisonnée participe à l'intégration des enjeux agro-environnementaux propres à chaque territoire dans les projets agricoles ou dans les projets de développement local qui concernent ces territoires.
C'est une réponse concrète à la première orientation du plan d'action. Pour l'heure, ces volets sont proposés par peu de régions. Je souhaite que le plan d'action soit l'occasion de leur donner une nouvelle impulsion.
L'initiative que vous avez prise par ailleurs avec la Ligue pour la Protection des Oiseaux et le réseau des CIVAM de constituer dans le cadre d'une démarche volontaire un réseau d'une centaine d'exploitations pilotes, en 2006, répond parfaitement aux orientations de la stratégie.
Elle confirme le rôle de pionniers, de découvreurs de voies nouvelles que vous assumez au sein de la profession. Pour ma part j'attends beaucoup de ces expériences.
De même, l'objectif que vous vous êtes fixé d'atteindre la qualification de 30 % des exploitations agricoles d'ici fin 2008, contribuera à promouvoir largement certaines pratiques agricoles favorables à la biodiversité. Pour l'heure, un peu plus de 1 000 exploitations sont qualifiées. Le plan d'action est pour elles un signal supplémentaire qu'elles agissent dans la bonne direction.
La modification récente du référentiel de l'agriculture raisonnée intervenue dans l'arrêté du 20 avril 2005 concernant l'exigence relative au paysage et à la biodiversité constitue également un progrès important dans le sens de la stratégie pour la biodiversité.
Identifier les zones de l'exploitation incluses dans un site Natura 2000, mettre en place les mesures conservatoires prévues par le document d'objectifs (DOCOB), et, en l'absence de ce dernier, identifier les milieux naturels à préserver et les maintenir en place, autrement dit, veiller à ne pas les détruire me paraît bien évidemment une démarche volontaire extrêmement positive.
C'est une manière de démontrer que des agriculteurs modernes, pleinement engagés par ailleurs dans le combat économique peuvent, en même temps être complètement conscients des enjeux de proximité que représentent la protection de la de nature et parfaitement qualifiés pour les prendre en charge.
Pour terminer mon intervention je souhaiterais insister sur un domaine qui concerne aussi bien la biodiversité que la qualité de l'eau : la question des phytosanitaires. Il s'agit incontestablement du sujet sur lequel sont le plus attendus aujourd'hui des progrès de la part de l'agriculture.
Les travaux de l'expertise scientifique collective INRA-CEMAGREF « Pesticides, agriculture et environnement réduire l'utilisation des pesticides et en limiter les impacts » ainsi que ceux du programme du Ministère de l'écologie sur l'« Évaluation et réduction des risques liés à l'utilisation des pesticides », ont permis d'avancer des pistes pour améliorer les conditions d'utilisation des pesticides en agriculture ainsi que les moyens d'en réduire l'emploi et d'en limiter les impacts environnementaux.
Ces travaux montrent que les mesures prises, comme par exemple les bandes enherbées et les réglages de pulvérisateurs, sont indispensables mais sont un minimum qui ne suffit pas à résoudre les problèmes.
Le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques adopté par le Sénat sera examiné à l'Assemblée nationale au printemps. Il prévoit la transformation de l'actuelle taxe générale sur les activités polluantes concernant les pesticides (TGAP) par une redevance perçue par les agences de l'eau.
L'objectif poursuivi sur ce point est de rapprocher le niveau de perception de cette redevance au plus près des agriculteurs. Cette redevance permettra ainsi de créer une incitation à une utilisation raisonnée et efficace de ces intrants.
Vous m'avez interrogé Président sur la possibilité d'un abattement pour les agriculteurs qualifiés dans l'agriculture raisonnée.
Votre demande me paraît légitime mais elle me semble déjà satisfaite. Le projet de loi prévoit en effet que l'agence de l'eau peut verser une prime à l'utilisateur dans la limite de 30 % de la redevance acquittée, afin d'encourager les pratiques permettant de réduire la pollution de l'eau.
Sans aucun doute en effet la qualification dans l'agriculture raisonnée donne-t-elle la garantie que l'agriculteur a réduit les risques de perte accidentelle de matière active dans le milieu, raisonne au plus juste le choix des matières actives, le choix des moments d'intervention et les doses épandues.
Sans aucun doute cette garantie est un progrès que vous apportez.
Cependant ces avancées incontestables ne forment à mes yeux qu'une partie de la réponse : les questions liées au choix des systèmes de production demeurent.
La réponse qu'y apporte année par année chaque agriculteur est en effet fondamentale dans l'impact de son exploitation sur l'environnement. Tous les systèmes de production, tous les choix culturaux, ne font pas courir les mêmes risques à l'environnement.
Un exemple d'actualité parmi beaucoup d'autres : le développement des cultures énergétiques ne doit pas se traduire par une augmentation des rejets de matière active dans le milieu.
La nouvelle redevance doit, dans mon esprit être aussi un ferment de la relance des recherches et études sur ces questions et être un aiguillon du progrès en ce domaine.
Ce que j'attends. Ce qu'attendent nos concitoyens, ce sont des résultats.
Comme je vous l'ai dit, je ne doute pas que l'agriculture raisonnée y contribue fortement. Mais peut-être aussi nous faut-il aller plus loin.
Depuis des millénaires, les agriculteurs se sont efforcés d'organiser l'espace et d'utiliser le monde vivant, animal et végétal, pour répondre aux besoins de la société.
L'agriculture utilise et entretient des paysages, des milieux, des races et des variétés qui sont le fruit d'une longue histoire de domestication de la nature, d'aménagement et d'utilisation du territoire.
A tel point que les formes de cette domestication, les races d'animaux ou les variétés de plantes, les paysages sont restés pendant longtemps comme l'un des signes les plus visibles et les mieux reconnus de différenciation culturelle ; la marque de chaque culture.
Ces liens multiples et complexes entre la nature et l'agriculture se sont pour partie progressivement rompus ou bien ce sont profondément transformés.
Les effets sur l'environnement que nous voyons encore sous nos yeux continuer à se produire apparaissent comme l'aboutissement et d'une certaine manière la sanction de ces mutations.
Elles ont apporté à nos sociétés des bénéfices considérables sociaux, économiques, sanitaires, etc. Donc il n'est pas question de les remettre en cause.
Le prix qu'a payé l'environnement ne pouvait-il cependant en être réduit ?
En tout cas l'une des questions centrale posée à l'agriculture est aujourd'hui d'apprendre davantage, mieux et plus vite à réduire ce prix.
Je vous suis reconnaissante d'avoir su initier et promouvoir une démarche, appelée à prendre toujours plus d'envergure, et dont j'attends qu'elle contribue fortement à nous réconcilier avec la nature.
Vous comprenez que ce que je vous souhaite le plus ardemment c'est de réussir.
Source http://www.farre.org, le 14 février 2006