Déclarations de M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur, sur le renforcement des mesures de lutte contre l'immigration clandestine et le séjour irrégulier d'étrangers en France, à l'Assemblée nationale les 6 et 12 mars 1996 (pour le rapport, voir la référence 964058500).

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Circonstance : Auditions devant la commission d'enquête sur l'immigration clandestine et le séjour irrégulier d'étrangers en France, à l'Assemblée nationale les 6 et 12 mars 1996

Texte intégral

(Extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 6 mars 1996)
M. le Président: Je propose, monsieur le Ministre, que vous fassiez d'abord un exposé préliminaire, avant de répondre aux questions des commissaires qui, je pense, seront nombreuses et d'actualité, étant donné le nombre d'articles de presse qui nous ont alertés.
Monsieur le Ministre, je vous laisse la parole.
M. Jean-Louis DEBRE : Monsieur le Président, madame le Rapporteur, messieurs les députés, je regrette très profondément un certain nombre d'informations parus dans la presse, notamment dans le journal Le Monde de ce soir.
Ce n'est un mystère pour personne, que depuis plusieurs semaines, nous travaillons sur ce sujet; nous avons élaboré un certain nombre de projets et entrepris plusieurs consultations.
Si aujourd'hui, dans la presse, il est fait état de projets que nous avons élaborés, ce n'est pas de notre fait, et je le regrette vivement. Mais, venons-en au sujet qui nous intéresse.
Lors du débat à l'Assemblée nationale, instituant votre commission, j'avais eu l'occasion de présenter une série de dix mesures pratiques adoptées par le Gouvernement lors du conseil des ministres du 23 août. J'avais alors souligné le caractère prioritaire, dans mon action, de la lutte contre l'immigration irrégulière.
Je vous rendrai compte brièvement, tout d'abord, des résultats obtenus depuis lors, grâce à la mise en oeuvre de ces mesures. Mais j'essaierai surtout, avant de répondre à vos questions, de prolonger le débat qui s'était alors esquissé sur l'immigration, car nous ne pouvons en rester là.
J'observe que si tous les ministres de l'intérieur, depuis dix ans, ont dit non à l'immigration clandestine, force est aussi de constater que les résultats n'ont pas été à la hauteur des intentions exprimées et qu'il a fallu attendre 1993 pour que la base législative de cette action soit établie.
Est-ce à dire que les résultats sont dorénavant acquis ? Malheureusement, non ! Je ne puis me satisfaire, en effet, en dépit des progrès enregistrés, d'un taux d'exécution des mesures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière de l'ordre de 23 % ! C'est bien trop peu !
Nous ne pouvons pas nous résigner devant l'importante présence étrangère clandestine en France. C'est un risque trop grand pour la cohésion sociale, pour l'intégration des étrangers en situation régulière et pour l'ordre public. C'est également un trop grand risque pour notre nation, car cette présence d'étrangers en situation irrégulière alimente un phénomène de racisme, de xénophobie et d'antisémitisme que je ne saurais accepter.
Quels sont les résultats auxquels nous sommes parvenus grâce au plan du 23 août ?
En premier lieu, la collaboration des autorités consulaires des Etats d'émigration s'est améliorée. A cet égard, faction énergique, menée sur instruction du Premier ministre, a permis d'augmenter significativement le taux de délivrance des laissez-passer consulaires, en particulier avec l'Algérie. En décembre 1995, les consuls d'Algérie ont donné une suite favorable à 40% des dossiers, contre moins de 10 %, six mois plus tôt.
Cette meilleure coopération consulaire se traduit donc en chiffres et elle explique, pour une bonne part, la progression de 25 % des reconduites à la frontière exécutées entre le premier et le second semestre de 1995.
En deuxième lieu, nous avons fait porter notre effort sur l'éloignement des étrangers incarcérés ou en fin de détention. II n'est pas normal, en effet, que nous ne réussissions pas mieux en ce domaine, qui est prioritaire, car il s'agit là des clandestins les plus dangereux pour l'ordre public, en ce sens qu'ils n'ont pas voulu respecter les lois de la République.
La collaboration mise en place entre l'administration pénitentiaire et la Chancellerie, commence à donner des résultats, en particulier au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis.
En troisième lieu, j'ai obtenu la révision de la circulaire du 11 juillet 1994, qui prévoyait l'abandon de toute poursuite pénale pour séjour irrégulier. L'importance croissante du nombre d'étrangers dépourvus de papiers n'avait pas, à l'époque, été bien perçue, et en l'absence de poursuites pénales, il était devenu impossible d'éloigner ces clandestins.
Grâce à la nouvelle circulaire du 26 septembre 1995, cette catégorie d'étrangers en situation irrégulière redevient justiciable de poursuites pénales. J'ajoute que j'avais quelque peine à comprendre comment l'autorité judiciaire pouvait se prescrire, à elle-même, la non-application systématique d'une disposition pénale voulue par le Parlement.
Par ailleurs, j'ai, d'une part, décidé la création de 318 places nouvelles de rétention administrative et, d'autre part, débloqué les financements correspondants. Cela est très important, car la capacité de rétention constitue une contrainte forte pour l'application de notre politique.
Enfin, j'ai voulu développer les éloignements groupés ; nous en sommes aujourd'hui, à 14. J'observe que les gouvernements précédents n'ont eu recours qu'une seule fois à ce type d'éloignement, par des vols spéciaux, alors qu'il s'agit, à l'évidence, d'un bon moyen pour lutter contre les refus d'embarquement.
J'entends bien donner à ces opérations toujours plus de régularité. En effet, elles ont une vertu démonstrative et dissuasive très utile, dans la mesure où la préparation et l'exécution en sont irréprochables, ce à quoi je veille particulièrement. Je constate d'ailleurs qu'après 14 éloignements groupés, aucun recours n'a été déposé devant une juridiction française, et ce malgré les cris des uns et des autres.
Ce rappel montre bien que le ministère de l'intérieur s'attache à mettre en oeuvre, avec toujours plus d'efficacité, la loi votée par le Parlement ainsi que la politique déterminée par le Gouvernement en cette matière.
Il démontre aussi qu'il nous reste beaucoup à faire de manière concrète et que l'oeuvre législative serait inopérante si le ministère de l'intérieur n'avait pas, lui aussi, le souci méticuleux d'une application réelle. Les résultats s'obtiendront grâce au travail, au quotidien, de la police et des préfectures dans le respect des procédures et des droits individuels.
Est-ce à dire qu'il faut se contenter de cela ? Est-ce à dire que les textes en vigueur sont suffisants ? Est-ce à dire qu'il faut écarter toute nouvelle réforme ? Ma réponse est claire : certainement pas !
Mon intention est, au contraire, de faire valoir un ensemble de propositions. Tout ce que pourront apporter les conclusions de la commission, dans cette phase d'élaboration, sera évidemment très intéressant pour le Gouvernement, et pour moi-même en particulier.
A ce stade de nos travaux, je ne puis encore vous soumettre un dispositif détaillé, car nos réflexions ne sont pas terminées et nous attendons les conclusions de votre commission pour éclairer nos propres choix.
Néanmoins, je voudrais évoquer les orientations sur lesquelles nous travaillons depuis plusieurs mois.
Première orientation: faut-il revoir les conditions du regroupement familial ?
Le regroupement familial constitue, il est vrai, plus du tiers de l'immigration régulière chaque année. Nous pourrions être tentés d'y toucher. Mais il faut noter que ce regroupement a diminué, en 1994, de plus de 30 % et qu'il a régressé presque d'autant en 1995. Je pense donc qu'il n'est pas crédible, aujourd'hui, au regard de notre Constitution et de nos engagements internationaux, d'aller beaucoup plus loin.
Deuxième orientation : convient-il de prolonger la durée de la rétention administrative ?
Il est vrai que cette durée est, en France, plus courte que dans les principaux pays européens, notamment la Grande-Bretagne. Mais il faut rappeler que le Conseil constitutionnel nonobstant le contrôle du juge judiciaire, a récusé à plusieurs reprises tout allongement, même minime, de la rétention administrative au-delà de 7 jours. Peut-on revenir sur cette affaire pour aller plus loin ? Pour ma part, je le souhaiterais.
Toutefois, pour assurer une meilleure efficacité en ce domaine, je réfléchis actuellement à un autre dispositif permettant de faire échec aux attitudes dilatoires des étrangers qui s'opposent à leur départ. Je ne puis, en effet, accepter que le refus de rencontrer le Consul ou le refus d'embarquer dans l'avion puisse déboucher sur la fin pure et simple de la rétention jusqu'à la prochaine interpellation.
Nous réfléchissons donc à un système qui permettrait, lorsque le départ d'un individu ne pourrait pas se faire du fait de son attitude, de prolonger la durée de la rétention.
Troisième orientation: peut-on modifier la réglementation des certificats d'hébergement ?
Certes, je n'ignore pas les critiques fréquentes et justifiées formulées par les élus en ce domaine. Votre commission a, elle-même, développé une analyse à ce sujet et je serais intéressé de connaître ses propositions. Il y a certainement des choses à faire. Ainsi, il faut vérifier que l'étranger concerné quitte la France au terme de sa visite et donc déjouer les fraudes hélas trop nombreuses ; il convient également d'éviter que des étrangers en court séjour ne laissent derrière eux une dette irrécouvrable, notamment dans les hôpitaux. Nous devons donc, d'une manière générale, augmenter les contrôles, en particulier ceux qui concernent le logement d'accueil et les personnes qui mettent un logement à la disposition de ces étrangers.
Toutes ces mesures me paraissent effectivement nécessaires et il nous faudra trouver les instruments juridiques susceptibles de les mettre en place. J'attends les conclusions de votre commission sur ce sujet ; nous y réfléchissons de notre côté.
Quatrième orientation : il est nécessaire de trouver d'autres moyens pour déjouer les stratagèmes des étrangers s'opposant à leur identification. La création d'un fichier d'empreintes digitales a été envisagée par certains. Toutefois, sa faisabilité juridique, technique, voire financière, est loin d'être vérifiée, d'autant que les choix de principe sur la configuration du système sont, en fait, très ouverts, puisqu'ils vont de la prise d'empreintes des seuls irréguliers jusqu'au recueil systématique des empreintes des demandeurs d'asile.
Notre cinquième orientation concerne le droit d'asile.
II faut mieux préserver le droit d'asile, afin qu'il ne soit pas détourné de sa finalité. En effet, je ne peux pas ne pas voir que ce droit est aujourd'hui massivement dévoyé et que nos procédures sont, en pratique, utilisées aux seules fins de prolonger, en France, un séjour irrégulier. Cela n'est pas acceptable, ne serait-ce que pour la notion même de droit d'asile.
Cela étant dit, je ne saurais aborder le sujet sans précaution, car nous sommes également attachés à la protection des vrais demandeurs d'asile. Sur ce point aussi, j'attends vos propositions.
Enfin, d'autres questions techniques me préoccupent et justifient un véritable examen critique.
Comment, par exemple, faire échec au débarquement des passagers clandestins de navires marchands faisant escale dans nos ports
Comment tenir compte du développement des filières d'immigration clandestine à travers l'Europe, tout en tirant les conséquences inévitables des progrès annoncés de la libre circulation ?
Je pense que les contrôles d'identité dans la bande des 20 kilomètres, constituent une partie mais une partie seulement de la réponse. C'est pourquoi, je fais étudier des mesures complémentaires, en particulier en vue de déceler la présence de clandestins dans des camions ou des véhicules utilitaires dans cette même zone, même s'il m'est indiqué que le problème posé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel est sérieux. Je ne puis personnellement accepter cette jurisprudence, car si une voiture peut à la rigueur être assimilée au domicile, on ne peut, en revanche, assimiler un camion au domicile de l'individu ! A chacun ses responsabilités ; je prends les miennes.
Par ailleurs, je souhaite - j'ai d'ailleurs déjà engagé la procédure - la création d'un office de lutte contre l'immigration clandestine au sein de la DICCILEC, qui rassemblerait les compétences de l'ensemble des services intéressés. Cet instrument opérationnel me paraît indispensable pour fédérer et renforcer la capacité d'action des services, en particulier contre les filières d'immigration clandestine.
Je crois également au développement de la coopération bilatérale, avec nos voisins. Nous y travaillons notamment avec les Belges et les Espagnols et nous sommes déjà en accord avec les Allemands. Je compte également renforcer notre dispositif dans certains secteurs exposés, je pense en particulier à la frontière italienne et à la Guyane.
Ainsi, j'ai décidé - car cela ne relève pas d'une disposition législative - de renforcer, grâce à la présence de 70 policiers supplémentaires, les contrôles aux frontières avec l'Italie. En effet, un grand nombre d'immigrés irréguliers entrent par cette frontière sur notre territoire national.
Monsieur le Président, madame le Rapporteur, messieurs les députés, contrairement à ce que pensent certains, je suis malheureusement convaincu qu'en matière de flux migratoires, le plus difficile est non pas derrière nous, mais devant nous.
Je veux que notre pays fasse tout le nécessaire pour se prémunir contre les difficultés à venir. Cela passe, bien sûr, par la coopération européenne dont nous pouvons, légitimement, attendre beaucoup, mais cela relève, d'abord et avant tout, d'une volonté nationale mise au service de l'action.
La lutte contre l'immigration clandestine doit se faire dans le cadre de la loi. Mais la loi, qui, selon Carré de Malberg est l'expression de la volonté générale, ne doit pas être paralysante, car elle ne serait, alors, pas conforme à la volonté générale et engendrerait des comportements se situant en dehors de la loi.
M. le Président : Monsieur le Ministre, je vous remercie.
- La parole est à Mme le Rapporteur.
Mme le Rapporteur : Monsieur le Ministre, je sais que vous allez être accablé de questions...
M. Jean-Louis DEBRE : Madame le Rapporteur, la différence existant entre mon ancienne profession de juge d'instruction et celle de ministre, est la suivante : le juge d'instruction pose les questions et le ministre y répond !
Mme le Rapporteur : Je voudrais vous poser quelques questions que je soumettrai également à M. le ministre des Affaires étrangères, car elles relèvent de vos deux compétences.
Ma première question concerne l'uniformisation des conditions de délivrance des visas. En effet, si nous n'imposons pas les conditions de délivrance des visas que vous aurez décidées pour la France aux autres pays européens, les fraudeurs pourront contourner nos règles.
Par conséquent, pensez-vous que nous obtiendrons, dans le cadre de l'Union européenne, ou tout du moins dans celui de l'espace Schengen, l'uniformisation des conditions de délivrance des visas ?
M. Jean-Louis DEBRE : Lors de mes rencontres avec mes principaux homologues européens, notamment avec ceux de l'espace Schengen, j'ai à plusieurs reprises demandé la mise à l'ordre du jour de nos discussions afin de sortir des pétitions de principe des uns et des autres concernant la lutte contre l'immigration clandestine l'uniformisation des conditions de délivrance des visas, élément qui est tout à fait essentiel.
En effet, s'il existait en la matière des législations différentes entre ces pays, de nombreuses personnes pourraient, sans aucune difficulté, contourner la loi.
Cependant, sans trahir les délibérations internationales, je puis vous dire que l'Allemagne souhaite cette uniformisation non seulement pour les visas, mais également pour les certificats d'hébergement.
Mme le Rapporteur: Je me suis rendue, ce matin, accompagnée de M. Rudy Salles, à la DICCILEC de Roissy, où j'ai appris, au sujet des personnes provenant de pays qui n'ont pas besoin de visa pour entrer en France, quelque chose que j'ignorais totalement.
En effet, lorsque ces personnes se présentent en France avec des passeports étrangers, mais tout en étant munies de documents - qui sont en réalité des faux - émanant d'un pays de l'espace Schengen ou de l'Union européenne, elles peuvent prétendre, au motif qu'elles sont domiciliées dans ce pays, à la libre circulation en France.
Nous avons ainsi pu voir, ce matin, une quinzaine de documents - dont une carte de travail, une carte de résident et une carte de sécurité sociale - qui sont admis comme preuve de la résidence en Espagne et qui sont d'une telle simplicité que les fraudeurs n'ont aucun mal à les reproduire. Dès lors, il leur est beaucoup plus facile de se procurer ces faux documents que des faux visas ou des faux passeports.
Ces fraudeurs arrivent donc en France munis de ces faux documents et prétendent, au motif qu'ils résident en Espagne - ce qui, bien évidemment, est faux - pouvoir circuler librement en France.
Par conséquent, monsieur le Ministre, ne pensez-vous pas qu'il serait souhaitable, pour qu'un étranger résidant dans l'un des pays de l'Union européenne puisse aller et venir dans les autres pays de l'Union, que, de manière uniforme, un document soit remis par chaque Etat aux ressortissants étrangers sur son territoire ?
Pensez-vous pouvoir obtenir l'accord de tous les Etats concernés afin qu'il n'y ait plus qu'un seul document attestant de la résidence effective d'un étranger dans un des pays de l'Union européenne ?
M. Jean-Louis DEBRE : Ma réponse se fera à plusieurs niveaux.
Tout d'abord, s'il s'agit d'un faux, il faut immédiatement entamer une procédure pénale pour faux et usage de faux.
Ensuite, nous avons fait un effort important - vous avez pu le constater à la DICCILEC de Charles de Gaulle ou à celle d'Orly - pour que nos services de police aient la possibilité de déceler rapidement les faux documents ; ils disposent d'un registre dans lequel se trouvent tous les documents imprimés par les pays d'Europe - et même du monde entier - et notamment par nos voisins.
Enfin, la libre circulation fait partie de la convention de Schengen, même si cela pose, il est vrai, un certain nombre de problèmes.
Naturellement, il convient non seulement de réduire le nombre de documents, mais également de les harmoniser, afin de mieux contrôler les flux, tout en sachant bien que toutes ces mesures n'empêcheront pas, malheureusement, la reproduction de faux documents !
Mme le Rapporteur: J'entends bien, monsieur le Ministre, mais la carte de sécurité sociale espagnole est d'une telle simplicité qu'il est impossible d'établir s'il s'agit ou non d'un faux !
Ne pourrait-on pas, pour qu'une personne puisse justifier de sa résidence dans un pays de l'Union européenne ou de l'espace Schengen, créer un document unique dont on pourrait facilement repérer s'il est vrai ou faux ?
M. Jean-Louis DEBRÉ : Madame le Rapporteur, la carte de sécurité sociale ne suffit pas pour passer une frontière !
Mme le Rapporteur: Effectivement, monsieur le Ministre, mais il reste que ces personnes viennent en France avec leur passeport, puis, pour pouvoir rester sur notre territoire, disent habiter en Espagne et, pour en attester, nous présentent un faux document espagnol.
M.. Jean-Louis DEBRÉ : De la même façon, madame le Rapporteur, la preuve de la domiciliation en Espagne n'est pas apportée par la carte de sécurité sociale !
Pour répondre à votre question : oui, je suis pour l'harmonisation ; oui, il faut essayer d'obtenir un certain nombre de documents communs ; oui, il est nécessaire que nos services de police, aux frontières, aient la connaissance de tous les documents qui sont répertoriés dans les autres pays, notamment ceux de l'espace Schengen. Mais il faut également leur donner des instructions précises - ce que nous avons fait -pour qu'ils puissent recourir à des procédures immédiates à l'égard de celles et ceux qui leur présentent de faux documents.
M. le Président : La parole est à M. Béteille.
M. Raoul BETEILLE : Monsieur le Ministre, je souhaiterais vous poser deux questions sur des problèmes que vous avez, il est vrai, déjà évoqués dans vos propos.
Vous avez, tout à l'heure, fait allusion à une coopération consulaire. J'aimerais, pour ma part, vous poser une question relative à la coopération avec les autorités étatiques des pays d'émigration.
Disposez-vous de moyens efficaces pour inciter les pays d'émigration à coopérer avec nous dans la lutte contre l'immigration clandestine, tant en amont qu'en aval.
Ma seconde question est relative à la libre circulation en Europe : comment concilier celle-ci avec la lutte contre l'immigration clandestine ? La disparition des frontières à l'intérieur de l'Union européenne n'est-elle pas un obstacle à l'efficacité de cette lutte ?
M. le Président : Monsieur le Ministre, si vous le permettez, les commissaires vont maintenant vous poser des questions et vous leur répondrez ensuite, de façon globale.
La parole est à M. Bascou.
M. André BASCOU : Monsieur le Ministre, vous avez parlé des différentes formes que revêt l'immigration clandestine. Ainsi nous avons pu assister, dernièrement, à la télévision, à l'arrivée de passagers clandestins par bateaux en provenance de pays étrangers et accostant en France.
Que comptez-vous faire pour traiter, de façon concrète, ce problème des passagers clandestins ?
Ma seconde question concerne les pays d'origine des émigrants.
Nous avons connu pendant un temps, l'immigration de ressortissants des pays du Maghreb Or, actuellement à celle-ci se superpose une immigration provenant des pays de l'Est - notamment de la Roumanie - qui, paraît-il est beaucoup plus dure et plus mafieuse.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour mettre un terme à ces demandes abusives du droit d'asile ?
M. le Président : La parole est à M. Albertini.
M. Pierre ALBERTINI : Je voudrais, monsieur le Ministre, avant de vous poser des questions, faire une observation d'ordre général.
On a peut-être trop tendance, parfois en matière de lutte contre l'immigration clandestine, à poser le problème exclusivement ou presque, à nos frontières ou à celles de l'Europe. Or, il me semble que l'une des priorités est de lutter contre les causes de propagation dans notre pays d'une forme d'intégrisme ou d'islamisme de combat. On ne peut, je crois, séparer les deux choses.
En effet, le contrôle aux frontières ne dispense pas les étrangers de respecter un certain nombre de principes fondamentaux de notre pays, je pense, en particulier à la laïcité et au statut de la femme. Nous devons donc veiller, d'une manière plus efficace que nous ne le faisons aujourd'hui, au respect de ce que j'appellerais une forme de notre citoyenneté, de notre identité nationale, et qui passe par des règles et des traditions de notre pays.
Ces traditions ont certes été acceptées par plusieurs communautés, mais d'autres plus rebelles à cette intégration, semblent avoir du mal à les pratiquer.
Dans cette perspective la question essentielle concerne l'application plus rigoureuse des textes. Nous avons à plusieurs reprises, été impressionnés par une sorte de hiatus entre l'action des services publics, d'un côté, et celle des magistrats de l'autre.
Il faut, bien entendu, respecter l'indépendance de la justice - je suis le premier à considérer qu'il s'agit là d'un principe constitutionnel - mais un travail d'explication me paraît toutefois nécessaire.
Par ailleurs, le contrôle dans la bande des 20 kilomètres se révèle, dans les faits, d'une efficacité limitée. Nous avons, au fil du temps, démantelé la plupart de nos postes de contrôle aux frontières, conformément à l'application de la convention de Schengen. Bien sûr, il s'agissait d'une idée intéressante - je crois beaucoup à la coopération européenne en la matière - mais qui a péché par sa mise en oeuvre.
Par conséquent, il serait tout à fait symbolique aujourd'hui de maintenir un certain nombre de postes aux frontières même si les contrôles ne sont que ponctuels. Il est, en effet, important de renforcer les contrôles, notamment à la frontière franco belge sur laquelle n'existent que 25 passages contrôlés, ou contrôlables, alors qu'en réalité, le nombre de passages possibles est beaucoup plus élevé.
Je pense donc qu'il ne faut pas trop nourrir d'espoirs quant à l'efficacité du contrôle dans la bande des 20 kilomètres, et qu'il convient, au contraire, de rétablir cet élément psychologique que constitue l'existence de postes de contrôle aux frontières.
S'agissant du dispositif relatif aux certificats d'hébergement, nous sommes, je crois, tous d'accord pour dire qu'il faut l'améliorer, notamment par la vérification de la sortie effective du territoire. Nous sommes tout à fait convaincus, en effet, que ce dispositif donne lieu à des abus.
En revanche, je suis plus réservé, comme vous l'avez été vous-même, sur l'opportunité de modifier les conditions du regroupement familial, qui devrait, en principe, régresser.
M. le Président : La parole est à M. le Ministre.
M. Jean-Louis DEBRÉ : Je voudrais d'emblée revenir sur une réflexion générale de M. Albertini et je répondrai aux différentes questions par la suite.
Vous avez parlé de la laïcité et du statut de la femme, monsieur Albertini. Personnellement, je parlerais plus simplement de volonté d'intégration. En effet, un certain nombre d'étrangers, qu'ils soient ou non en situation irrégulière, ne veulent pas, manifestement s'intégrer à la communauté nationale.
Lorsque, dans le souci de respecter la laïcité de l'Etat, j'incite les représentants de la communauté musulmane à choisir des Imams qui parlent français, c'est non pas parce que je veux comprendre ce qu'ils disent, mais parce qu'il s'agit du premier réflexe qui marque - ou qui ne marque pas - une volonté d'intégration.
De même - mais cela dépasse peut-être le cadre de cette commission - peut-on continuer à fermer les yeux sur le problème de la polygamie ?
C'est une question que je pose et le fait même de la poser représente déjà un progrès par rapport à certaines attitudes passées. Je pose cette question et j'y réfléchis. Bien sûr, c'est un sujet difficile. Mais si nous voulons que notre pays continue d'être ce qu'il est, à savoir une nation qui s'est forgée tout au long des siècles, grâce à l'apport d'hommes et de femmes d'origines, de culture et de traditions différentes - des hommes et des femmes qui ont véritablement accepté la France telle qu'elle est - il nous faut mener une action contre ceux qui viennent chez nous tout en refusant le système même de l'intégration.
J'attends, sur ce sujet difficile, les conclusions de votre commission. Pour ma part je réfléchis à ce problème de manière approfondie et relativement discrète - vous l'avez remarqué - puisque la presse ne s'est pas encore fait l'écho de cette réflexion.
Monsieur Béteille, à la question : " comment inciter les pays d'émigration à lutter contre l'immigration clandestine ", je vous répondrai simplement par la dissuasion et la diplomatie, même si le ministre de l'intérieur, il est vrai, est plus enclin à user de la dissuasion que de la diplomatie.
Il convient tout d'abord de rappeler que lorsqu'on veut entretenir des relations avec la France et obtenir d'elle aide et coopération, celles-ci ne doivent pas être à sens unique.
Chaque fois que j'ai reçu un diplomate pour lui annoncer que j'allais procéder à des reconduites à la frontière - ce qui naturellement ne lui faisait pas plaisir - je lui ai fait savoir que s'il voulait voir la France continuer à aider son pays - ce que nous souhaitons - il devait comprendre nos problèmes et accepter de reprendre ses nationaux séjournant en France en situation irrégulière ; cela, c'est la dissuasion.
Parallèlement, j'use également de diplomatie en négociant systématiquement - je l'ai encore fait ce matin avec un ministre étranger - des accords de réadmission et en faisant en sorte qu'ils soient respectés.
Je rappelle aussi aux représentants étrangers que la France vit dans un Etat de droit qui repose sur la loi votée par le Parlement et que celle-ci impose une action répressive à l'égard de celles et ceux qui ne sont pas en situation régulière. Je leur explique que s'ils ne coopèrent pas avec nous dans cette action, ils le font au détriment de leurs nationaux en situation régulière.
Votre seconde question, monsieur Béteille était de savoir comment concilier la libre circulation en Europe et la lutte contre l'immigration clandestine.
L'objectif de la libre circulation des personnes est effectivement inscrit dans le traité de l'Union européenne. Mais cela ne saurait se faire, sans nous prémunir, au préalable contre un éventuel déficit de sécurité. Or, il ne pourra pas y avoir de libre circulation des personnes, pour ce qui concerne la France, si la sécurité n'est pas, d'abord, maîtrisée.
C'est tout l'enseignement que nous pouvons tirer de la première année de l'application des accords de Schengen. A cet égard, M. le sénateur Masson a déposé récemment, sur le bureau du Premier ministre, un rapport qui illustre bien cette obligation de sécurité.
Ce qui est valable dans l'espace Schengen l'est également dans l'espace européen. Il n'y aura pas de libre circulation si nous ne maîtrisons pas la coopération policière et judiciaire, non seulement dans le domaine de la criminalité organisée, mais également dans celui de l'immigration clandestine.
Cela passe, dans la pratique, par un certain nombre de coopérations bilatérales transfrontalières, il faut organiser sur les zones frontières avec nos voisins des opérations de contrôle. Schengen, - je tiens à le souligner - n'implique pas la disparition des contrôles ! II s'agit de contrôles différents, encore renforcés.
Toutefois, si cela se révèle nécessaire, nous appliquerons la clause de sauvegarde telle qu'elle est prévue dans l'article 2, alinéa 2, de la convention de Schengen.
De plus, si nous considérons que les contrôles ne sont pas suffisamment efficaces, nous la renforcerons. C'est ce que j'ai essayé de faire avec les Allemands et les Espagnols, en mettant au point, avec ces derniers, six commissariats communs. Cependant, la mise en place de ces commissariats doit non pas entraîner la disparition des contrôles, mais au contraire, aboutir à un renforcement de ces derniers par une meilleure diffusion réciproque des informations et par une plus grande coordination de nos moyens.
J'ajouterai que le remplacement des contrôles traditionnels par des contrôles communs doit nous inciter à aménager la possibilité d'organiser ces contrôles.
Les liaisons transeuropéennes se font par des autoroutes où les personnes roulent vite, parfois trop vite ; il ne faut pas supprimer les aubettes, c'est-à-dire les endroits où les voitures ralentissent et où l'on peut opérer des contrôles ; de même, il faut conserver des aires de stationnement où les contrôles peuvent avoir lieu.
S'agissant des passagers clandestins, monsieur Bascou, nous avons affaire à un problème important et d'actualité qui est devenu de plus en plus difficile à résoudre dans certains ports marchands, problème que d'ailleurs, un certain nombre d'Etats étrangers connaissent également.
La particularité - puisque en France tout est particulier - vient du développement d'une jurisprudence judiciaire, notamment issue du TGI de Paris à la suite d'une procédure de référé selon laquelle le maintien à bord de passagers clandestins est constitutif du délit de voie de fait.
Cela signifie qu'en empêchant un étranger en situation irrégulière de débarquer sur notre territoire, nous commettons un délit ! Si cette jurisprudence se confirme, le ministre de l'Intérieur -?et soyez sûrs que j'assumerai mes responsabilités - pourra être mis en examen pour voie de fait ! Cette situation, paradoxale et absurde, ne peut être ni satisfaisante pour l'esprit, ni bonne pour nos concitoyens.
Naturellement, nous devons réagir, faute de quoi un certain nombre d'armateurs risquent, lors de l'embarquement, de manquer de vigilance.
Nous réfléchissons, actuellement, à ce problème et, le moment venu, nous proposerons un certain nombre de dispositions. Le droit existe c'est vrai, mais il ne faudrait pas qu'il injurie le bon sens.
Monsieur Bascou, vous me demandez également s'il m'est possible de mettre fin aux demandes abusives de droit d'asile provenant de ressortissants des pays de l'Est, en particulier des Roumains.
J'attire votre attention sur l'un des problèmes qu'il va falloir traiter dans les années qui viennent, à savoir celui du développement, en Europe, d'une criminalité organisée en provenance des pays de l'Est . Certains la disent de type mafieux, mais la mafia est un système très particulier à une région, à une forme de délinquance. Ces délinquants trouveraient chez nous un certain nombre de possibilités non pas pour gagner de l'argent, mais pour blanchir de l'argent provenant d'agissements, de trafics ou d'opérations illicites.
A cette préoccupation s'ajoute le problème de l'immigration de certains ressortissants roumains. Les Pays-Bas et l'Allemagne ont adopté le système du pays tiers sûr et du pays d'origine sûr. Nous avons, pour notre part dans la loi du 23 août 1993, repris l'idée du pays tiers sûr.
Nous devons donc nous demander aujourd'hui, comme le fait d'ailleurs la Grande-Bretagne, s'il ne serait pas possible de résoudre ce problème par l'utilisation de la notion de pays d'origine sûr.
Certes, je suis bien conscient que ce sera là une réforme importante qu'il conviendra de concilier avec le droit de tout demandeur d'asile de voir sa demande examinée et d'être maintenu sur le sol tant qu'il n'aura pas été statué sur celle-ci.
En réalité, la véritable question est la suivante : pouvons-nous continuer à accepter des demandeurs d'asile en provenance de pays où les répressions politiques n'existent pas et qui se sont installés clairement dans la démocratie ?
Nous pourrions aménager - nous y réfléchissons - des procédures simplifiées ou accélérées pour les étrangers en provenance de pays sûrs ou de pays qui sont ancrés dans la démocratie.
Tels sont, messieurs les députés, les éléments de réponse que je pouvais apporter aux questions que vous m'avez posées.
M. le Président : Mes chers collègues, il est dix-sept heures vingt et M. de Charette, que nous devons auditionner après M. le Ministre de l'intérieur, doit nous quitter impérativement à dix-huit heures. Or six commissaires désirent encore poser des questions à M. le Ministre. Je vous propose donc de procéder à un jeu de questions/réponses extrêmement rapide, afin que tout le monde puisse s'exprimer.
M. Jean-Louis DEBRÉ : Monsieur le Président, si cela vous convient, je suis tout à fait disposé à revenir devant votre commission, afin que nous puissions terminer ce jeu de questions/ réponses.
M. le Président : Monsieur le Ministre, je vous remercie infiniment de votre proposition. Je souhaite en effet que tous les membres de cette commission puissent s'exprimer, en particulier M. Le DEAUT, qui ne fait pas partie de la majorité et qui a, lui aussi, des questions à vous poser.
Par conséquent, si tous les commissaires acceptent votre proposition, monsieur le Ministre, nous vous convoquerons à nouveau pour une audition supplémentaire.
M. Jean-Yves le DEAUT : Monsieur le Président, si vous le permettez, je souhaiterais poser une question tout de suite à M. le Ministre.
Rapporteur de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et ce depuis de nombreuses années, j'ai toujours essayé de prendre des positions qui dépassaient les idéologies. Or, je dois dire que je suis choqué par ce que je lis dans la presse depuis deux jours.
M. Jean-Louis DEBRÉ: Monsieur Le DEAUT, je me suis expliqué au début de mon propos sur ces articles de presse.
M. Jean-Yves Le DEAUT : Je ne vous attaque pas, monsieur le Ministre, je veux simplement vous poser une question.
Le ministère des affaires sociales et le ministère de l'intérieur ont-ils mis au point un pré-projet concernant un certain nombre de mesures dont notre commission d'enquête doit discuter ?
M. Jean-Louis DEBRÉ : Monsieur Le DEAUT, je l'ai dit en commençant mon propos, et je ne l'ai jamais caché : je mène depuis plusieurs mois en effet, une réflexion sur ces questions et à cette fin, je suis amené à interroger d'autres administrations.
Cela étant dit, je puis vous assurer qu'au niveau gouvernemental, aucune décision n'a été prise. Le projet auquel vous faites allusion n'est même pas le dernier projet ! Il s'agit d'une ancienne version : or nous avons depuis, beaucoup travaillé !
Anatole France est l'auteur d'une phrase que nous devrions tous avoir en mémoire - dont je me souviens personnellement quand on aborde ces questions relatives à l'immigration clandestine : " Heureux ceux qui n'ont qu'une vérité, plus heureux et plus grands ceux qui, ayant fait le tour des choses, ont assez approché la réalité pour savoir qu'on n'atteindra jamais la vérité "
Or, comme je sais que je n'atteindrai jamais la vérité tout seul, eh bien je consulte ! Si je vous ai proposé de revenir ultérieurement, c'est précisément parce que j'attends beaucoup des travaux de votre commission.
Cela dit, j'ai effectivement consulté beaucoup de monde - des hommes politiques, des maires, des assistantes sociales, des fonctionnaires afin de savoir comment, sur un sujet aussi difficile que je veux aborder sans aucune idée préconçue, je peux m'approcher de la vérité.
Le projet dont fait état ce journal n'est qu'une version d'un des nombreux projets, version qui, au surplus, est très loin de ce que nous préparons en ce moment.
Par conséquent, ce dont vous parlez n'est ni un projet gouvernemental, ni un projet du ministère de l'intérieur. Il s'agit d'une réflexion, à un moment donné.
M. Jean-Yves Le DEAUT : Alors je souhaiterais en connaître la dernière version.
M. Jean-Louis DEBRE : Monsieur Le Déaut, je viens de vous expliquer ce qu'il en était.
M. le Président : Monsieur le Ministre, je vous remercie d'avoir bien voulu accepter cette audition et surtout d'avoir l'amabilité de revenir devant la commission.
(Extrait du procès-verbal de la séance du mardi 12 mars 1996)
M. le Président : Monsieur le Ministre, nous vous remercions d'avoir accepté de revenir devant notre commission pour répondre à un certain nombre de questions que nous n'avions pu vous poser la semaine dernière.
Je considère que la prestation de serment ayant eu lieu alors, il est inutile de vous demander de la renouveler aujourd'hui.
La parole est à M. Gérard Jeffray.
M. Gérard JEFFRAY : Monsieur le Ministre, je vous poserai trois questions.
Il y a deux semaines, à la demande de la commission, j'ai organisé en Préfecture de Seine-et-Marne une réunion spécifique sur ce dossier, afin de connaître la réalité du terrain. Dans ce cadre, les représentants de la police m'ont fait part de leur désarroi. En effet, ils dépensent une énergie considérable pour appréhender les clandestins, qui sont ensuite libérés pour des motifs de procédure.
Je vous citerai deux exemples :
Dans le premier, le juge, avant estimé que l'interprète n'était pas habilité, a bloqué la procédure de reconduite à la frontière. Le second plus général, est celui des immigrés qui ne veulent pas pénétrer dans un avion et qui, à force de vociférations, convainquent le commandant de bord du caractère indésirable de leur présence.
Ma première question porte donc sur la remotivation de nos policiers.
La deuxième a trait à l'obligation de résultats que vous fixez aux préfets. Pour l'affrètement d'un avion, vous leur demandez dix ou quinze jours à l'avance s'ils ont une liste de clandestins à vous soumettre : le délai leur semble souvent difficile à tenir.
Ils souhaitent aller dans votre sens, mais rencontrent quelques difficultés, d'autant que certains consulats ne jouent pas le jeu, sujet dont nous avons déjà débattu avec vous.
J'en arrive à ma troisième et dernière question. La semaine dernière, vous aviez évoqué une expérience d'identification des étrangers à Fleury-Mérogis. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce sujet ? Je vous remercie.
M. Jean-Louis DEBRÉ : Les préfets n'ont pas à critiquer qui que ce soit. Ce n'est pas tous les quinze jours avant l'affrètement d'un charter, mais tous les jours, qu'ils doivent se mobiliser dans la lutte contre l'immigration clandestine. Quotidiennement, ils doivent nous faire état des problèmes rencontrés à ce sujet.
Lorsque nous préparons un envoi groupé, nous le signalons particulièrement aux préfets. Compte tenu des délais, ils disposent d'une durée de quinze jours pour se mobiliser, ce qui est suffisant dès lors qu'ils ont fait leur travail en amont et qu'ils savent où se trouvent les clandestins.
Votre première question pose une véritable interrogation qui dépasse le sujet de la commission d'enquête. Pour que le droit soit l'expression de la volonté de nos concitoyens, un équilibre doit s'instaurer entre la protection des libertés individuelles et le droit de la société à se défendre Or, dans le domaine de la lutte contre l'immigration clandestine, cet équilibre a été rompu, car nous rencontrons de plus en plus de difficultés à exécuter la loi. Il faut retrouver une capacité d'action, cet équilibre entre la défense des libertés individuelles, la protection des individus et la possibilité pour la société de se défendre, parce que s'il était durablement rompu, des phénomènes d'extrémisme ou de réaction verraient le jour.
Comment mieux motiver les policiers ?
Lorsque je suis arrivé place Beauvau, les policiers chargés de la surveillance des frontières étaient profondément démotivés, démoralisés. Ils ne comprenaient pas très bien le sens de leur action car le temps des incantations et des discours était terminé et ne leur faisait plus illusion. Ils avaient le sentiment que les responsables politiques de toutes tendances s'étaient jusqu'alors par trop cantonnés dans des discours, dans des incantations, et qu'il ne se passait rien dans la réalité. Enfin, ils avaient l'impression que les procédures mises en application étaient totalement inopérantes et qu'une vague sans fin était en train de nous submerger.
Je n'ai pas fait de discours et ne me suis pas lancé dans des incantations J'ai agi. Je prendrai l'exemple des renvois groupés. J'en ai effectué quatorze en l'espace de neuf mois, alors qu'aucun Ministre de l'Intérieur n'avait dépassé 1e chiffre de deux. De cela les fonctionnaires sont conscients. De plus, nous avons posté aux frontières beaucoup de policiers. La semaine dernière, je vous ai indiqué que nous avions encore renforcé les contrôles et le nombre de policiers sur la frontière italienne. Les fonctionnaires de la DICCILEC comprennent le changement, perçoivent la réalité. Ils ont en outre le sentiment qu'il existe une volonté politique très forte. Je crois que la motivation va renaître.
Par ailleurs, il ne s'agit pas de lutter uniquement contre l'immigration clandestine, Mais aussi contre les passeurs, ceux qui apportent aide et assistance aux étrangers en situation irrégulière dans notre pays. Force est de constater - les policiers m'en on fait part - qu'en l'espace d'un an les interpellations des passeurs ont augmenté de 50%.
Tout cela, je le perçois, modifie progressivement l'état d'esprit des fonctionnaires de l'ancienne police de l'air et des frontières.
Il est vrai que se posent encore beaucoup de problèmes. Je pense à celui de la rétention administrative. Vous ne pouvez imaginer l'énergie déployée pour reconduire quarante étrangers en situation illégale c'est-à-dire qui ne respectent pas la loi ! Et ce à tous les niveaux. Au niveau du Ministre de l'Intérieur : je convoque les ambassadeurs, je les appelle au téléphone, parfois de manière un peu vive. Le Directeur de Cabinet, le Directeur des libertés publiques sont obligés de faire pression sur les Chancelleries ou sur les Consuls pour qu'ils agissent conformément à la loi française. Ensuite, des contacts doivent être pris avec les Etats étrangers pour les plans de vol des avions. Certains Etats nous donnent leur accord pour la reconduite de leurs ressortissants, mais ne nous le confirment pas pour l'atterrissage de l'avion. Dans le délai de quinze jours précédant un renvoi groupé, la dépense d'énergie est telle qu'elle traduit l'expression d'un mauvais fonctionnement. Une si grande mobilisation pour le renvoi de personnes en situation illégale ne devrait pas être nécessaire. C'est pourquoi j'estime la loi actuelle déséquilibrée, ce déséquilibre empêchant la société de se défendre. C'est le sens de mon action, c'est le sens des projets que je suis en train de préparer : il s'agit de donner un cadre juridique à l'application de la loi sur les étrangers en situation irrégulière. Rien de moins, rien de plus.
J'en arrive à l'expérience menée à Fleury-Mérogis. Mise en place en 1995 à la demande du Préfet de l'Essonne et du Procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Evry, elle est intéressante et s'est révélée, je crois, pleine d'enseignements.
Il s'est agi purement et simplement d'identifier les étrangers au moment de leur entrée au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis. Les résultats sont bons, puisque, à la date du 5 mars, près de 1238 dossiers ont été traités et environ 490 personnes identifiées, soit un progrès considérable ; c'est un effort que nous prolongerons.
Cela pose la question des fichiers Je suis absolument persuadé que, dans les prochaines années, une police moderne sera une police disposant de fichiers bien faits. Toutefois, je comprends que cela puisse susciter des problèmes juridiques. A la fin du mois d'avril, j'envoie une mission dans l'Etat de New York, lequel a mené une expérience intéressante en ce domaine. Je me demande si nous ne pourrions pas la transposer, avec toutes les précautions qui s'imposent
Il est vrai que j'exerce une pression sur les Préfets, que je leur donne régulièrement des instructions - c'est mon rôle, ma responsabilité - que je fonde sur leurs résultats antérieurs ; parfois ce n'est pas à l'avantage de certains préfets.
M. Président : La parole est à Mme le Rapporteur.
Mme le Rapporteur : Si le morphosystème était mis en place en France, tout le monde en serait très satisfait. En attendant ou si cela ne pouvait être, nous sommes allés récemment à Roissy et au Mesnil-Amelot. Nous avons rencontré les services de la DICCILEC qui nous ont parlé des fichiers avec numérotations. Les empreintes sont effectuées avec un petit kit ne salissant pas les mains et qui ne choque personne. Il paraît que ce système permet, si l'on dispose des empreintes des dix doigts, grâce à la numérotation de chacune d'elles de révéler leurs spécificités. Il convient ensuite seulement de transmettre les numéros obtenus. Le système ne semble pas très coûteux Pourquoi donc, chaque fois que nous parlons à vos services de prises d'empreintes, nous oppose-t-on le coût du système ?
Celui que je viens de décrire implique simplement une formation du personnel. Je voudrais à ce titre revenir sur votre idée d'un Office contre l'immigration clandestine. Dans les consulats sensibles, la présence de certains de ses membres permettrait une meilleure formation du personnel à la prise d'empreintes. Par ailleurs, cela aiderait le consul dans l'examen des demandes de visas. Si cet Office était créé, envisageriez-vous d'en détacher des fonctionnaires auprès des consuls ? M. le Ministre des Affaires étrangères nous a indiqué qu'il n'y verrait que des avantages, puisque cela aiderait le consul dans ses recherches.
M. Jean-Louis DEBRÉ : Madame le Rapporteur, je ne suis pas favorable à la présence permanence d'un fonctionnaire auprès du consul. Nous collaborons étroitement avec les consuls. Si le consul du pays concerné est coopérant, les choses se passent bien.
Mme le Rapporteur : Je parle des consuls français.
M. Jean-Louis DEBRÉ : Nous développerons avec certains consulats une coopération et une liaison plus fortes. Nous ignorons encore si nous détacherons une personne à temps plein, mais l'Office, tel que nous l'envisageons, devrait pouvoir affecter des fonctionnaires dans les pays de forte immigration, naturellement avec l'approbation de ces pays.
Pour ce qui concerne les fichiers d'empreintes, les estimations financières dont nous disposons ne sont pas inférieures à 200 millions de francs. En ce domaine, il est vrai que les progrès sont rapides et je crois que l'on peut arriver à un coût moins important. D'où la mission que j'envoie à New York, qui est, non seulement chargée d'étudier comment fonctionne le système, mais également d'en évaluer très précisément le coût.
Je suis partisan d'un système d'identification plus rapide. Ce système est intéressant, mais je veux obtenir une étude financière très précise.
M. le Président : La parole est à Mme Louise Moreau.
Mme Louise MOREAU : Monsieur le Ministre, je vous poserai deux questions.
La plupart des étrangers en situation irrégulière détruisent leurs papiers d'identité. Dès lors, que comptez-vous faire pour les reconduire dans leur pays d'origine puisque nous ne le connaissons pas ?
Ne faut-il pas élargir les cas où le maire peut refuser un certificat d'hébergement ?
M. Jean-Louis DEBRÉ : Le fait que des étrangers détruisent leurs papiers est pour nous un véritable problème, d'où la nécessité de disposer de moyens d'identification appropriés
Pour ce qui est des certificats d'hébergement - j'ai évoqué cette question la semaine dernière dans mon propos liminaire -, il convient d'aboutir à un meilleur contrôle. Il n'est pas normal ni acceptable que la loi interdise au maires de déjouer la fraude en refusant le certificat d'hébergement lorsqu'il ressort du dossier que l'intéressé a détourne la procédure. Je ne vois pas pourquoi l'on ferait du maire le complice d'une fraude. C'est pourquoi je souhaite introduire des dispositions à ce sujet dans le projet que je vous soumettrai le moment venu.
Par ailleurs, il est particulièrement important que nous puissions contrôler l'accès des étrangers au système de soins. Il est tout à fait légitime que cet accès soit ouvert à des étrangers. Toutefois, je ne suis pas sûr - je suis même assez persuadé du contraire - qu'il soit acceptable de permettre l'accès aux soins à des étrangers en situation irrégulière. Il faut donc, en ce domaine également, chercher à déceler la fraude et lorsque les maires en sont informés, leur donner les moyens d'agir.
M. le Président : La parole est à M. Gérard Jeffray.
M. Gérard JEFFRAY : La presse a évoqué un fichier des hébergements. Quelle est votre intention en la matière ?
M. Jean-Louis DEBRÉ : La lutte contre l'immigration clandestine se situe à plusieurs niveaux. Nous cherchons à empêcher des individus d'entrer sur le territoire et nous luttons contre ceux qui sont devenus des professionnels de l'hébergement et qui, soit directement, soit indirectement, en tirent un profit. Par conséquent, il est important d'avoir une idée précise des hébergeants.
Des personnes abritent chez elles des étrangers en situation irrégulière. Très souvent, ces derniers viennent en vue d'être soignés, ce qu'ils font et ensuite disparaissent sans payer le montant des frais médicaux ou d'hospitalisation. Ne serait-il pas possible que toute personne souhaitant héberger un étranger en France soit obligée de souscrire une assurance lors de l'établissement du certificat d'hébergement, assurance que l'on ferait jouer si l'étranger partait sans payer ses frais de soins ?
Cette mesure permettrait de faire réfléchir des personnes qui distribuent trop facilement des certificats d'hébergement, puisqu'en prenant l'engagement d'héberger quelqu'un, elles seraient contraintes de contracter une police d'assurance. Une telle disposition éviterait un grand nombre d'impayés, notamment auprès de l'Assistance publique et permettrait d'identifier les professionnels de l'hébergement.
Mme Louise MOREAU : Qui contrôlerait ? Le maire, le préfet ? La question se pose souvent au niveau local.
M. Jean-Louis DEBRÉ : Lorsqu'une demande de visa serait présentée au consulat, le visa ne serait accepté qu'après présentation d'un certificat d'hébergement et de prise en charge.
Monsieur Jeffray, d'une manière générale, nous réfléchissons à un fichier des hébergeants. Aucune décision n'est prise. Si nous y réfléchissons ce n'est pas par manie des fichiers mais parce qu'en ce domaine de la lutte contre l'immigration clandestine tout particulièrement, la police ne sera efficace à l'avenir que si elle dispose de moyens scientifiques et techniques. dont les fichiers constituent l'un des éléments
Naturellement, tout cela doit être réalisé dans le cadre de la loi
Les mairies enregistrent d'ores et déjà les visas, les refus de visas et de certificats d'hébergement. Le Conseil d'Etat, dans une décision récente, la décision Poirier, n'a émis aucune objection à cette règle. Je m'orienterai donc sur cette voie.
Mme le Rapporteur : A l'heure actuelle, le maire agit en tant que représentant de l'Etat. Envisagez-vous de lui donner des pouvoirs propres dans ce domaine, auquel cas le préfet n'aurait plus de pouvoir de substitution, la décision du maire étant soumise au contrôle de légalité.
M. Jean-Louis DEBRÉ : J'attends vos propositions sur le sujet !
Mme le Rapporteur : Vous n'y verriez aucune objection ?
M. Jean-Louis DEBRÉ : A priori, non. J'examinerai la proposition avec intérêt.
M. le Président : La parole est à M. Pierre Bernard.
M. Pierre BERNARD : Tout d'abord, monsieur le Ministre, je voudrais vous dire toute mon admiration pour votre disponibilité.
Hier, dans le cadre de la mission que nous a confiée la commission auprès de M. Duport, Préfet de la Seine Saint-Denis, celui-ci me suggérait qu'il serait sans doute intéressant que la commission se rende à Roissy - mais peut-être l'avez-vous fait, monsieur le Président -, où il existe une machine à déceler les faux papiers.
Mme le Rapporteur : C'est de la haute fantaisie ! Les services du Ministère des Affaires étrangères affirment sans cesse que les visas Schengen sont absolument infalsifiables, du moins que l'on ne peut les contrefaire. Or, à Roissy, on vous en montre autant que vous voulez ! Nous en avons vu une vingtaine. On les décolle très facilement, encore mieux lorsqu'ils ont été délivrés dans certains pays parce que la colle est plus épaisse et permet un meilleur décollage du visa soi-disant indécollable.
M. Pierre BERNARD : Monsieur le Ministre, vous avez déclaré que les clandestins étaient en situation d'illégalité et que les maires ne pouvaient être complices de cette illégalité.
M.. Jean-Louis DEBRÉ : C'est ce que je pense.
M. Pierre BERNARD : J'en suis moi-même persuadé.
Mme Louise MOREAU : C'est ce que tout le monde espère !
M. Pierre BERNARD : Dès lors qu'il y a illégalité de la part d'un membre d'une famille et qu'un maire ne peut être complice, la solution ne consisterait-elle pas à rendre la famille " zone de non - droits ", c'est-à-dire que plus aucun droit ne pourrait être accordé, tant à l'immigré clandestin qu'à l'ensemble de sa famille. Ainsi, ne pourrait-on plus nous opposer, lorsqu'on veut renvoyer le père en situation irrégulière, le fait qu'on va le séparer de sa femme et de ses enfants. Dès lors que le père serait en situation illégale, aucun droit - droit au logement, au travail, aux écoles pour les enfants - ne serait ouvert aux intéressés.
M. Jean-Louis DEBRÉ : Je vous laisse la responsabilité de votre question et de votre affirmation.
Je n'ai aucune faiblesse à l'égard des étrangers en situation irrégulière et je me mobilise comme personne ne l'a fait auparavant pour procéder à de nombreux renvois. Mais les droits individuels existent. II ne faut pas, parce qu'une personne est en situation irrégulière ou illégale, que l'ensemble de sa famille en pâtisse. Je vous l'ai dit, je suis réservé sur le paiement de certaines prestations à des étrangers en situation illégale. Je crois qu'il faut éviter toute généralisation qui aboutirait finalement, par son caractère excessif, à nous mettre dans des situations de non - application des textes.
Il existe deux façons d'aborder ces problèmes : l'affichage et la réalité. Le temps de l'affichage, le temps des grandes déclarations est terminé ! II convient que nous proposions des mesures efficaces précises, qui soient réellement appliquées, sinon nous perdrons toute crédibilité.
M. le Président : La parole est à M. Rudy Salles
M. Rudy SALLES : Monsieur le Ministre, la semaine dernière, vous sembliez favorable à fin l'instauration d'un droit de fouille pour la DICCILEC. Si une telle mesure était proposée, nous vous soutiendrions avec force, car nous avons constaté que le droit de fouille des véhicules à la frontière était l'un des moyens faisant défaut.
II convient néanmoins de prendre certaines précautions en amont. En effet, au cours de nos travaux, nous avons pu nous rendre compte de l'extrême hostilité marquée par la douane à rencontre d'une telle mesure. Pour éviter qu'elle ne fasse échouer ce projet, il me paraît indispensable de prendre préalablement contact, notamment avec M. le Ministre du Budget, et de parvenir à des accords.
Par ailleurs, en visitant les aéroports, nous avons constaté que les personnels de la DICCILEC ne disposaient pas de machines à lecture optique des visas Schengen. Ils ne peuvent donc déchiffrer les codes inscrits sur ces visas. Si de telles machines étaient installées, elles permettraient de vérifier que le visa n'a pas été contrefait, car, dans cette hypothèse, entre ce qui est écrit sur le visa et le code, l'anomalie serait immédiatement constatée. Ce serait donc une mesure à envisager, du moins dans les plus grands aéroports. Je pense à Roissy et aux grands aéroports de province.
Enfin, nous avons évoqué la question avec le Ministre des Affaires étrangères et le Ministre des Affaires européennes, et nous l'évoquons également devant vous, car elle concerne la DICCILEC : la semaine dernière, on nous a montré à Roissy une multitude de titres de séjours européens et notamment espagnols. Compte tenu de l'affluence et de la complexité, les personnels de la DICCILEC rencontrent de grandes difficultés pour vérifier si ces titres sont ou non valables, s'ils sont ou non contrefaits, d'autant qu'il ne s'agit pas de documents très élaborés. Un gros effort d'harmonisation de ces documents est, me semble-t-il indispensable, car, par les autres pays d'Europe, passent bon nombre de clandestins.
M. Jean-Louis DEBRÉ : Monsieur Salles, je vous remercie tout d'abord de l'appui que vous m'apportez sur le problème de la visite des véhicules.
En ce domaine, mes réflexions seront de plusieurs ordres.
Tout d'abord, il faut prévoir pour les policiers un droit de visite des véhicules aux frontières. Je trouve paradoxal que des douaniers puissent fouiller alors que les policiers attendent sans rien pouvoir faire !
Je connais la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a manifesté à deux reprises - en 1971 et en 1995 - sa raideur sur cette question des fouilles de véhicules. Je n'y reviens pas. Mais je dis deux choses : premièrement, il faudrait savoir qui en France détient le pouvoir législatif. Est-ce vous, est-ce le Conseil constitutionnel ? La Révolution française a été faite contre les Parlements, qui, de par leur jurisprudence, faisaient la loi. Aujourd'hui, chacun doit prendre ses responsabilités et je prendrai sur ce point mes responsabilités dans le projet de loi que j'envisage.
Deuxièmement, le Conseil constitutionnel a assimilé la fouille d'un véhicule à la fouille du domicile. A la limite, si vraiment sa position n'est pas contournable, il conviendrait du moins qu'il accepte qu'une fouille de la police puisse être entreprise sur les camions et les véhicules utilitaires. On ne peut, en effet, assimiler ces véhicules au domicile d'un individu. Cela me semble logique et clair. Je prendrai mes responsabilités sur ce point, vous les prendrez, le Conseil constitutionnel tranchera et les Français jugeront.
Sur la multiplicité des documents présentés à la frontière, monsieur Salles, vous avez cent fois raison. Nous avons demandé aux instances de Schengen de réduire et de normaliser les documents de voyage. Je ne suis pas sûr qu'elles ont compris notre appel pressant. Je voudrais aboutir à la constitution d'un répertoire simple, lisible, accessible à tous les fonctionnaires, comprenant des documents reconnus et des faux documents. Vous avez donc raison et nous insistons auprès des instances de Schengen pour aboutir à des résultats.
Vous avez également évoqué la lecture optique des documents de voyage. C'est effectivement l'instrument de l'avenir, dont l'efficacité est avérée pour le passeport et le visa. Actuellement, le ministère de l'Intérieur, notamment la Direction des libertés publiques, travaille activement au plan international au sein des organismes techniques pour faire progresser les choses. Force est de constater que la France est en retard. C'est l'un des points sur lesquels nous essayons de rattraper le retard, car il figure parmi les moyens importants de lutte contre les fraudes.
Mme le Rapporteur : Nous rencontrons une très forte opposition de la part des douanes, qui tiennent à conserver leurs privilèges en ce domaine. Nous pourrions remplacer le terme de " fouille ", impliquant la recherche d'objets, de matériaux, par " la possibilité de procéder à la recherche des individus " Nous indiquerions simplement qu'on pourra rechercher la présence de personnes et non d'objets dans le cadre de la recherche des clandestins.
M. Jean-Louis DEBRÉ : Je suis ouvert à toute suggestion, pourvu qu'elle soit efficace.
M. le Président : La parole est à M. Jacques Myard.
M. Jacques MYARD : II ne faut pas tergiverser ! Il est aberrant que l'on ne puisse vérifier qui entre sur le territoire français. Si le Conseil constitutionnel doit se faire taper sur les doigts, il se fera taper sur les doigts !
Monsieur le Ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt. Vous êtes, en effet, l'un de ceux qui ne parlez pas trop mais qui agissez, ce qui est à souligner s'agissant d'un Ministre !
Avez-vous une idée du coût moyen que représente actuellement le renvoi des étrangers en situation irrégulière, compte tenu de la complexité de nos textes en vigueur, car il est exact que renvoyer quelqu'un dans son pays d'origine est un parcours du combattant pour les policiers. Je me suis fait expliquer cela par la Préfecture des Yvelines, c'est incroyable !
Si nous faisions connaître ce coût, une très forte pression de l'opinion publique se manifesterait qui nous recommanderait de faire plus simple et d'être efficaces.
Pouvez-vous nous indiquer le nombre d'étrangers essayant de pénétrer sur le territoire français de manière égale ou encore les flux de pénétration ?
J'en arrive au dernier volet, qui s'éloigne peut-être de notre mission et de l'élaboration de notre rapport : quelle serait votre position sur des procédures d'aide au retour ? Je ne parle pas des vols nolisés, mais de la nécessité pour réussir correctement l'intégration, voire l'assimilation d'un certain nombre de populations, du retour au pays de celles qui, au contraire, ne seront manifestement jamais intégrées à la communauté française. Mes propos n'engagent que moi.
Lorsque je m'occupais de coopération, j'avais essayé de lancer un projet qui n'avait pu aller à son terme : un plan épargne retour, calqué sur le plan épargne logement, qui aurait permis d'investir dans ces pays.
M. Jean-Louis DEBRÉ : S'agissant des coûts, ils sont extrêmement difficiles à évaluer, car tout est fonction de la destination des personnes, de la nationalité de l'individu, de l'escorte nécessaire.
Je sais simplement que les renvois groupés, ce que l'on appelle les " charters ", coûtent moins cher que la multiplication de renvois individuels.
M. le Président : Sur cette question des charters, des déclarations nous ont été faites, laissant entendre que les individus étaient menottés à l'intérieur des charters, à tout le moins attachés à leur siège, dans des conditions contraires à la sécurité des usagers du transport aérien, notamment par l'impossibilité, en cas d'incidents, de les délier. Use-t-on de pratiques de cette nature ?
M. Jean-Louis DEBRÉ : Parmi les individus que l'on renvoie, certains acceptent la décision ; d'autres non. Le principe consiste à les faire accompagner par un médecin, une escorte policière et à ne pas les entraver par des menottes ou quelque autre moyen. Mais il peut apparaître que certains individus, de par leur comportement à l'intérieur même de l'avion, mettent en péril la sécurité du vol. On est alors contraint, dans un premier temps, de les faire encadrer par des fonctionnaires de l'escorte pour qu'ils se calment. Si l'on n'y parvient pas et s'il y a véritablement un risque pour le vol, on les immobilise avec du scotch.
Monsieur MYARD, l'OMI accorde des aides au retour mais cela fonctionne peu. J'ai demandé un rapport pour analyser la situation, et éventuellement envisager les possibilités de relancer le système. Cela dit, cette question ne relève pas de la responsabilité de mon ministère.
M. Jacques MYARD : Un jour ou l'autre nous devrons nous repencher sur cette question.
M. Jean-Louis DEBRÉ : La lutte contre l'immigration clandestine est un élément d'une politique d'ensemble qui comporte plusieurs volets. Au-delà de l'aide au retour, il faut aussi prendre en compte le volet de la coopération internationale, notamment avec les pays à fort taux d'émigration vers la France.
M. le Président : La parole est à M. Patrick DELNATTE.
M. Patrick DELNATTE : Monsieur le Ministre, ma première question, souvent évoquée, est celle du lien entre l'immigration clandestine et le travail clandestin. En l'état actuel des choses, tant sur le plan législatif que technique, avez-vous les moyens de lutter efficacement contre le travail clandestin ? II nous a été signalé à diverses reprises un éventuel manque de volonté ou de rigueur en matière de lutte contre l'immigration clandestine. Je souhaite vérifier ce point auprès de vous.
Ma seconde question porte davantage sur le fond. L'objet de notre commission est double : d'une part, la lutte contre l'immigration clandestine - les personnes voulant entrer clandestinement en France ; d'autre part, la lutte - le terme n'est sans doute pas totalement adapté - contre la situation irrégulière de l'immigré en France, devenue telle suite à un séjour régulier ou à une situation régulière. Dans ce deuxième volet, ne pensez-vous pas qu'il y aurait lieu de différencier plus précisément ceux qui utilisent la situation régulière dans un but de fraude et ceux qui, après une situation régulière, deviennent irréguliers, alors que manifestement ils ont toutes les capacités et la volonté nécessaires à une intégration et à une assimilation ? Des situations embarrassantes nous ont été décrites : le cas de jeunes dont la situation était devenue irrégulière parce que leur statut n'avait pas été mis en conformité à une certaine époque ; le cas encore de parents étrangers d'enfants français, dont la situation a été réglée par tolérance, mais qui ne constitue pas à terme une solution.
Ne serait-il pas nécessaire de dresser un inventaire des situations et de faire la part des choses, tant les situations évoquées polluent quelque peu le débat sur la lutte contre les étrangers en situation irrégulière ?
M. le Président : Monsieur le Ministre, je vous poserai à mon tour deux questions en complément de celles de M. Delnatte.
Sur le premier point, nous avons très expressément visé les prérogatives de la DICCILEC en charge de la lutte contre le travail clandestin, qui n'a pas, sauf flagrance, la possibilité de pénétrer sur les chantiers ou dans les ateliers de travail clandestin alors que l'Inspection du travail, si elle a cette capacité, n'a pas le droit de procéder à la vérification de l'identité des individus.
Second point : avez-vous réfléchi à la possibilité d'une dissociation entre le clandestin et l'étranger en situation irrégulière, deux notions un peu différentes ainsi que le relevait M. Delnatte ?
M. Jean-Louis DEBRÉ : Le clandestin est un étranger en situation irrégulière.
M. le Président : Oui, mais la motivation peut différer. Il s'agit certes d'une distinction un peu subtile que relève M. Leclerc, Président de la Ligue des droits de l'Homme.
M. Jean-Louis DEBRÉ : Monsieur le Président, monsieur Delnatte, vous posez là une question essentielle : la législation s'appliquant à la lutte contre le travail clandestin est-elle efficace ?
Quelle est la situation actuelle ?
Lorsque les policiers veulent contrôler un atelier clandestin, trois solutions se présentent à eux pour vérifier les livre de comptes ou les registres du personnel : un, ils ont l'accord du chef d'entreprise ; deux, ils se trouvent en flagrant délit ; trois, ils agissent en vertu de la loi de 1990, après y avoir été autorisés par le Président du Tribunal de grande instance et uniquement s'il y a présomption d'un délit.
Ces dispositions ne sont pas efficaces et restent insuffisantes.
Il n'y a pas de raison que l'Inspection du travail ait le droit de consulter normalement les registres alors que les policiers n'ont pas cette possibilité. Je ne comprends pas cette distorsion. Je souhaite que l'on donne donc aux policiers la possibilité de vérifier si les obligations légales en matière de registres du personnel sont correctement tenues, qu'ils puissent vérifier si ceux qui sont présents dans l'entreprise ont leur nom indiqué dans le registre du personnel. Je ne comprends pas pourquoi certains corps, notamment l'Inspection du travail, refusent ce droit aux policiers. Si je me lance dans un projet de création d'Office, c'est précisément pour faire avancer la question et ainsi offrir davantage de moyens aux policiers.
Ma réponse est donc claire : il faut que nous fassions évoluer la législation en ce domaine. J'attends avec intérêt les conclusions de votre rapport, car je m'inscris dans la même ligne que vous. Il faut savoir être efficace dans le cadre de la loi, à moins que l'on me dise très clairement que l'on ne fait pas confiance à la police !
En ce qui concerne la régularisation des jeunes majeurs, l'octroi de la carte de résident de plein droit est réservé à ceux qui sont venus dans le cadre du regroupement familial, à ceux qui vivent en France depuis l'âge de six ans et à ceux qui y sont nés. Les autres n'ont pas le droit de manière automatique à cette régularisation. Ils peuvent néanmoins l'obtenir, en particulier ceux qui ont été scolarisés en France et dont la famille réside sur le sol français. D'une manière générale, s'agissant des parents d'enfants français, il est demandé aux préfectures d'être rigoureuses, mais aussi d'agir avec discernement, d'appliquer l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme et de tenir compte des situations humanitaires et humaines. Pour éviter tout appel à l'immigration irrégulière, il est nécessaire de rester dans la ligne de ces principes généraux.
M. le Président : Nous avons interrogé M. le Ministre des Affaires étrangères pour savoir s'il avait la volonté de demander à l'OFPRA de connecter le fichier dactyloscopique aux services de la police. II nous a dit ne pas devoir prendre cette initiative s'il n'était pas sollicité par vos services. Je vous en informe.
M. Jean-Louis DEBRÉ : Je suis ravi que vous me fassiez part de cette proposition de mon collègue, Ministre des Affaires étrangères. Je suis tout à fait d'accord pour lui transmettre ma proposition dans les jours qui viennent.
M. le Président : Un certain nombre d'entre nous avons été assez surpris de la condamnation qui vient d'être prononcée à l'encontre d'un fonctionnaire de préfecture ayant pris une disposition qui s'est avérée préjudiciable pour un enfant mineur placé en garde à vue plusieurs heures durant. Nous ne commenterons pas la décision de justice, d'autant qu'elle n'est peut-être pas définitive, puisque j'ignore si l'appel a été enregistré. Au différentes reprises, la commission a été interpellée sur le terrain par les fonctionnaires des préfectures, car il apparaît que des magistrats tentent aujourd'hui assez systématiquement - cela nous a été dit notamment à Perpignan et à Paris - d'engager des procédures pénales à l'encontre des fonctionnaires qui appliquent purement et simplement les instructions données par le Préfet, c'est-à-dire en l'occurrence les instructions ministérielles.
M. Jean-Louis DEBRÉ : N'attendez pas de moi que je fasse le moindre commentaire sur une décision de justice. Je puis simplement vous dire que nous protégeons le fonctionnaire concerné. A cette occasion, se pose le problème d'ordre général de la responsabilité pénale des fonctionnaires, auquel nous réfléchissons. En tout cas, nous soutenons ce fonctionnaire.
Mme le Rapporteur : En ce qui concerne Paris, disposez-vous des chiffres relatifs à la part qu'occupent les étrangers en situation irrégulière dans les actes de délinquance ?
M. Jean-Louis DEBRÉ : Non, je ne l'ai pas en mémoire, mais nous pourrons vous le faire parvenir.
M. le Président : La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.
M. Jean-Yves LE DEAUT : Monsieur le Ministre, la semaine dernière, vous nous avez indiqué que vous vouliez donner un signal fort aux Parquets pour lutter contre l'immigration clandestine et que telle était la priorité de votre action.
M. Jean-Louis DEBRÉ : Ce n'est pas moi qui donne des signes forts aux Parquets !
M. Jean-Yves LE DEAUT : Je me suis mal exprimé : avec le Ministre de la Justice, le Gouvernement souhaitait émettre un signal fort.
Y a-t-il une pondération, un équilibre dans les pratiques des Parquets entre l'aspect relatif à la lutte contre l'immigration clandestine et la lutte contre l'emploi clandestin ?
Ainsi que Mme le Rapporteur nous l'a demandé, j'étais hier, avec M. Gérard Léonard, dans mon département. Nous avons interrogé les services sur le nombre des poursuites engagées dans le cadre de la lutte contre l'emploi clandestin. Les cas se comptabilisaient sur les doigts d'une main.
Je pense que l'on ne peut pas dissocier ces deux thèmes.
Deuxièmement, des étrangers sont protégés par les articles 25 et 39 de l'ordonnance de 1945. La presse a cité un certain nombre de cas. Vous y faisiez à l'instant allusion au travers de l'exemple du fonctionnaire poursuivi et condamné. Selon vous, des dérapages sont-ils intervenus à l'occasion de contrôles de mineurs, d'étrangers justifiant d'une présence en France depuis plus de quinze ans, de parents étrangers d'enfants français ? Finalement, les mesures de protection relatives à ces catégories sont-elles bien prises en compte ?
Ma troisième question porte sur les charters, en français les vols nolisés. Sans nier l'effet d'affichage, pensez-vous, si l'on considère le nombre de places existant dans les centres de rétention français - elles seront plus nombreuses d'ici à quelques années -, pensez-vous que, statistiquement, il soit possible sans préparation, de trouver trente ou quarante personnes d'une même nationalité, durant le délai très court des sept jours plus trois, de leur passage en centre de rétention ?
Sur la question de la Guyane, l'un de nos collègues d'un groupe politique proche de la majorité, a indiqué qu'il était favorable à la régularisation de la situation des Haïtiens, très nombreux en Guyane, de l'ordre 20.000 ou 25.000. Sans doute est-ce dû au fait que les créoles tendent à devenir minoritaires et que des affinités se créent entre les Créoles et les Haïtiens. Si la régularisation n'intervenait pas, que faire de ces 25.000 personnes en situation irrégulière, venues de Haïti en Guyane ? Envisage-t-on une action d'ensemble ?
Enfin, hier, à la Préfecture de Meurthe-et-Moselle, une démonstration du système informatique Schengen nous a été faite à moi-même et à M. Léonard. Elle s'est révélée concluante. A propos d'un individu que la police ou la gendarmerie avait interpellé, nous avons demandé à Strasbourg s'il était fiché Schengen, ce qui était le cas. Nous nous sommes donc connectés au système français SIRÈNE. Et, là, ô stupeur ! On nous a expliqué qu'il fallait une dizaine de jours pour obtenir le renseignement.
Autant le système informatique Schengen fonctionne, autant le système français SIRENE qui fournit les données apparaît très lent. Pourquoi n'existe-t-il pas une corrélation informatique entre les deux ? Heureusement, la police était là ! Grâce au commissariat franco-allemand, le Directeur de la DICCILEC a obtenu l'information. D'une manière pragmatique, nous avons donc eu le renseignement, mais non par l'intermédiaire du système dont on nous avait parlé.
M. Jean-Louis DEBRÉ : Monsieur Le Déaut, franchement, je ne comprends pas votre première question Vous me demandez s'il faut donner un signal fort aux Parquets. Mais le Parquet est là pour appliquer la loi ! Nous n'avons pas à donner de signaux au Parquet. Le Procureur de la République dirige l'action publique sous la responsabilité de ses supérieurs hiérarchiques, et au sommet se trouve le Ministre de la Justice. Par conséquent, le Parquet se doit d'appliquer la loi, non de l'interpréter.
Pour ce qui est de la sévérité de la justice, il ne m'appartient pas de me prononcer car, je ne me prononce jamais sur des décisions prises par l'autorité judiciaire, par les juges.
Sur le Parquet ma position est claire : le Parquet est là pour appliquer la loi, pour appliquer les circulaires de la Chancellerie. Dans notre pays - on peut le regretter, en tout cas pas moi - le Parquet n'est pas indépendant. L'action publique est mise en mouvement par celui qui a la légitimité et l'autorité pour ce faire, à savoir le Ministre de la Justice, représenté par les parquetiers.
En ce qui concerne le travail clandestin, les poursuites sont en légère baisse. Une mission d'inspection a été décidée pour en étudier les raisons. Un certain nombre de dispositions législatives ne sont pas adaptées, il faudra les modifier. Je vous renvoie à ce que j'ai dit sur l'accès aux ateliers, question fondamentale si nous voulons un peu plus d'efficacité.
Pour les vols groupés, une préparation est organisée, notamment dans les prisons en vertu de la loi de février 1995, laquelle dispose que l'on peut mettre quelqu'un en libération conditionnelle s'il est frappé d'une mesure d'éloignement et si celle-ci est exécutable immédiatement. Dans les prisons, en particulier à Fleury-Mérogis, nous essayons de coordonner la préparation, pour que, si un individu est susceptible de bénéficier d'une libération conditionnelle, nous puissions exécuter la mesure d'éloignement.
Je laisse par ailleurs à la personne que vous avez rencontrée la responsabilité de ses propos au sujet de la Guyane. Des régularisations sont déjà intervenues. Je crois nécessaire de ne pas les poursuivre, car je crains que s'engager dans une régularisation systématique n'aboutisse à créer un appel d'air. Souvenez-vous, monsieur Le Déaut, de ce que l'on a fait dans le passé, même en métropole, à force de vouloir régulariser et " passer l'éponge " : on ne règle pas ainsi le problème mais on donne à d'autres personnes des espoirs qui, finalement, sont déçus.
Sur l'accès au fichier, vous demandiez s'il était immédiat ; pour le SIS, c'est le cas, mais il est parfois nécessaire d'avoir plus d'informations. Le SIRENE est l'intermédiaire, le délai de réponse dépend de nos partenaires. L'Allemagne, c'est vrai, est parfois trop lente en raison de son système fédéral. Le SIRENE français, après quelques tâtonnements, a été renforcé et fonctionne aujourd'hui dans de meilleures conditions.
M. le Président : Monsieur le Ministre, il me reste à vous remercier d'avoir bien voulu venir une seconde fois à la demande de la commission. Je suis persuadé que l'ensemble des commissaires a apprécié votre disponibilité.