Déclaration de M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, sur la reconnaissance des spécificités des villes moyennes, leur financement, leur place dans l'intercommunalité et le rôle des maires dans le projet de loi sur la prévention de la délinquance, Paris le 1er juin 2006.

Prononcé le 1er juin 2006

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblée générale de la Fédération nationale des villes moyennes à Paris le 1er juin 2006

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Je suis heureux de me trouver devant vous pour l'Assemblée Générale annuelle de votre Fédération.
Je voudrais évoquer avec vous quatre sujets :
1- la reconnaissance des spécificités des villes moyennes par le gouvernement ;
2- quelques sujets de nature financière ;
3- la place qui doit être la vôtre dans l'intercommunalité ;
4- le rôle des maires dans le projet de loi sur la prévention de la délinquance préparé par le Ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, Nicolas SARKOZY
I. La reconnaissance de villes moyennes par le Gouvernement
a) reconnaissance par le CIACT du 6 mars 2006
Les villes moyennes - c'est-à-dire en fait les aires urbaines de 30.000 à 200.000 habitants - n'avaient pas fait l'objet d'une initiative gouvernementale depuis 1973, à l'époque du lancement des "contrats de ville moyenne".
Durant ces 30 dernières années, la morphologie et le fonctionnement de notre territoire se sont largement modifiés : décentralisation politique, mutations industrielles, ouverture européenne, et même une inversion des flux migratoires avec la nouvelle attractivité des espaces périurbains et ruraux...
Et malgré toutes ces évolutions, l'on constate que les villes moyennes résistent, qu'elles sont toujours là, qu'elles jouent un rôle toujours aussi important. C'est d'ailleurs un phénomène unique en Europe occidentale où la tendance est plutôt à la désertification rurale ou à la "métropolisation" galopante.
Les villes moyennes s'affirment durablement comme la colonne vertébrale du territoire français, elles assurent un maillage territorial par delà les bouleversements démographiques de ces 200 dernières années.
Nous sommes en train de redécouvrir que cette spécificité française qu'est notre maillage de villes moyennes est non seulement précieuse en termes d'aménagement du territoire, mais aussi en termes de cohésion sociale dans la mesure où ces villes constituent un filet de sécurité pour certaines catégories de population, (souvent des couches sociales intermédiaires).
Je ne vous apprends pas que les villes moyennes connaissent certaines fragilités structurelles.
Leur population reste stable, mais elle vieillit.
L'économie de ces villes résiste, certes, mais se situe dans une phase intermédiaire, entre le déclin du secteur secondaire traditionnel et l'émergence du secteur tertiaire.
La richesse de ces villes est stable, mais les ressources tendent à provenir de plus en plus des transferts sociaux ou de l'emploi public.
Enfin, ces villes ont de plus en plus de difficultés à offrir les services publics que leurs populations sont en droit d'attendre, en particulier dans les domaines universitaire et hospitalier.
Ceci pour vous dire que, comme pour les zones rurales, la politique territoriale en direction des villes moyennes doit être réinventée.
Pour la première fois depuis longtemps et à l'initiative de Christian Estrosi, le CIACT du 6 mars dernier a donc été consacré à la situation des villes moyennes.
Ce CIACT a été l'occasion de poser clairement les éléments de diagnostic que nous venons d'évoquer, mais surtout d'identifier quelques enjeux principaux :
- d'abord, bien sûr, développer une offre de services aux populations de qualité dans les domaines des transports, des infrastructures hospitalières, et de l'enseignement supérieur...
Vous savez, à cet égard, que ce matin même, le Premier ministre visitait l'antenne universitaire de Chartres illustrant ainsi de façon très manifeste l'attachement du gouvernement à la présence de structure de formation universitaire dans les villes moyennes.
- le CIACT a aussi réaffirmé la nécessité de revaloriser l'habitat et les services de proximité dans les centres des villes moyennes pour faire revenir les populations, notamment les couches intermédiaires, vers les villes-centres ;
- et puis, évidemment, renforcer le dynamisme économique des villes moyennes, en diversifiant leurs activités économiques et en créant un environnement qui y soit favorable ;
Cette reconnaissance politique, c'est bien, mais me direz-vous, ce n'est pas tout. Quelle forme peut-elle prendre, au-delà de la reconnaissance des enjeux ?
Sans attendre, le gouvernement a décidé de mieux cibler les projets des villes moyennes dans la nouvelle génération des contrats de projet.
b) la nouvelle génération des "contrats de projet"
Votre association était porteuse d'une proposition : la proposition n°3 parmi vos 22 mesures.
Vous suggériez que soient mis en place des "contrats de centralité villes moyennes".
Sur la forme, je ne suis pas certain que l'intitulé de votre proposition soit pleinement retenu - vous êtes trop avisés pour ne pas imaginer ce que seraient les conséquences d'une telle logique catégorielle. Mais sur le fond, vous avez été entendus.
Les volets territoriaux des contrats de projets ciblent très explicitement les villes moyennes et les agglomérations comme étant des partenaires privilégiés de l'Etat.
Cela n'exclut évidemment pas que dans les contrats de projets eux-mêmes, vos villes - très certainement en tous cas les plus importantes d'entre elles - soient également très directement concernées par ce que l'on appelle les "grands projets".
II. Sur les questions de nature financière qui vous préoccupent
Au-delà des propositions que vous faites dans vos "22 mesures", je crois qu'on ne peut pas passer sous silence l'importante réforme de la Dotation de Solidarité Urbaine (DSU) qui a accompagné la loi de programmation pour la cohésion sociale.
a) le bilan de la réforme de la DSU
Comme vous le savez, l'article 135 de cette loi a prévu que la DSU augmenterait de 120 Meuros par an pendant 5 ans.
Le montant global de la DSU aura ainsi doublé à l'issue de cette période par rapport à son montant en 2004, pour représenter un transfert supplémentaire de 600 Meuros. En 2006, elle a atteint 879,6 Meuros, soit une augmentation de 15,8 %.
Ce même article modifie également, vous le savez, les règles de répartition de la DSU en introduisant deux coefficients multiplicateurs, l'un proportionnel à la part de la population en zone urbaine sensible (ZUS), l'autre proportionnel à la part de la population située en zone franche urbaine (ZFU).
Cette réforme met également en place une garantie de progression minimale de 5 % jusqu'en 2009 pour les communes éligibles.
Quel bilan peut-on faire de cette réforme ?
En 2006, la dotation moyenne par habitant des 943 communes de plus de 10 000 habitants s'élève, hors garantie, à 34,60 euros contre 29,79 euros en 2005, soit en 1 an + 4,87 euros en moyenne...
Cela signifie que dès la première année d'une réforme qui doit se poursuivre sur 5 ans, on a déjà une dotation qui progresse de presque 5 euros par habitant....
Sur les 693 communes éligibles, 246 voient leur dotation 2006 augmenter au-delà du taux de progression minimale de + 5 % par rapport à 2005. En moyenne, ces 246 communes voient leur dotation progresser de + 26,35 % avec parfois des hausses très importantes (Annemasse +109 % soit plus 433 000 euros ; Sarcelles +51 % soit +4 Meuros ; Villefranche-sur-Saône + 49,45 % soit + 500 000 euros ; Montfermeil +45,8 %, soit + 500 000 euros).
Sans multiplier les exemples, il me paraît évident que cette réforme de la DSU est, pour les communes de plus de 30 000 habitants que vous représentez, un signe de reconnaissance et d'accompagnement fort incontestable du gouvernement.
b) une dotation spécifique pour les "charges de centralité" ?
Mais au-delà je n'oublie pas que votre revendication porte toujours sur la création d'une dotation « villes centres ». La FMVM avait ainsi suggéré en 2005 de créer une dotation « charges de centralité » au sein de la dotation forfaitaire.
Une dotation que vous imaginez à 5 euros par habitant, pour les communes de moins de 100 000 habitants, isolées ou « centre » au sens de l'INSEE et faisant partie d'une unité urbaine.
C'est l'idée que vos communes offrent des services, des infrastructures qui profitent, au-delà de vos propres contribuables, à des bassins de vie beaucoup plus larges. Je crois que ce diagnostic est juste.
Très franchement, je ne suis pas certain que la solution - dont je mesure bien à quel point elle doit être populaire parmi vous - soit la bonne.
Je ne reviens pas sur ce que je viens de dire sur la progression de la DSU, mais je crois qu'au terme de cette réforme, un effort considérable aura été fait dont il conviendra de faire le bilan.
J'ai travaillé avec la DGCL sur ce sujet. Elle évoque 2 arguments, à vrai dire un peu technocratiques :
- une telle dotation serait contraire au principe de simplification des dotations de l'Etat, consistant à supprimer les concours particuliers, qui a présidé à la réforme de 2004 ;
- elle va, en outre, à l'encontre des recommandations du comité des finances locales, qui rappelle que la DGF n'a pas vocation à soutenir une politique particulière.
Ces arguments sont pertinents, mais sincèrement, les vraies difficultés sont ailleurs :
- d'abord, une telle dotation spécifique susciterait des demandes reconventionnelles nombreuses d'autres catégories de communes - je pense par exemple aux communes touristiques ... ;
- mais surtout, la répartition des dotations, vous le savez, est un exercice en vase clos ou à peu près.
Même si la reconduction du contrat de croissance reste mon objectif pour 2007, il ne faut pas se leurrer, ce "privilège" que le budget de l'Etat fait aux dotations aux collectivités locales n'est pas éternel en des périodes d'objectif de réduction du déficit public. L'exercice de répartition des dotations sera de plus en plus un jeu à sommes nulles.
En l'occurrence, en majorant la dotation forfaitaire, comme vous le proposez, on diminuerait d'autant les marges disponibles pour la péréquation. Je ne suis pas certain que ce soit l'objectif que vous recherchez.
Mais surtout, je ne m'abriterai pas derrière ces arguments car la raison de fond à laquelle je crois, c'est que la réponse aux charges de centralité, c'est l'intercommunalité.
III. la place qui doit être la vôtre dans l'intercommunalité
a) le diagnostic
Tout au long de l'année 2005, plusieurs rapports émanant de diverses institutions de la République - Cour des comptes, Conseil économique et social, Parlement - ont souligné diverses insuffisances et dysfonctionnements de l'intercommunalité telle qu'elle a été mise en place en France depuis quelques années.
Vous connaissez ces observations aussi bien que moi :
- périmètres retenus non pertinents ;
- intérêt communautaire parfois flou, voire inexistant ;
- persistance de nombreux SIVU, SIVOM,... s'appuyant sur des périmètres non homogènes et gérant des compétences qui devraient relever des intercommunalités ;
- enfin, l'intercommunalité n'a globalement pas contribué à mieux maîtriser les dépenses des collectivités locales mais au contraire a contribué - à hauteur d'1 milliard euros - à l'accroissement de la dépense publique.
Les problèmes recensés correspondent à des difficultés réelles, que nous ne pouvons feindre d'ignorer, faute de quoi nous courrons le risque de gâcher l'image de l'intercommunalité elle-même.
Les villes moyennes sont à l'évidence concernées au 1er chef par ce débat. Notamment parce que l'intercommunalité doit être, d'une manière ou d'une autre, le cadre de la réponse à la question des charges de centralité.
Elle doit l'être "par construction" à défaut, elle peut l'être par des mécanismes de solidarité internes qui peuvent encore être complétés.
b) les améliorations que nous devons apporter à l'intercommunalité doivent concourir à répondre à la question des charges de centralité :
- Je pense d'abord à la question de la définition de l'intérêt communautaire.
La question des charges de centralité ne devrait pas se poser dans une intercommunalité bien construite.
Dès lors qu'un équipement - piscine, médiathèque, théâtre - porté par la ville-centre sert de façon objective et évidente les communes périphériques avec lesquelles vous êtes en intercommunalité, il est assez objectivement normal que la charge de celui-ci soit transférée à l'intercommunalité.
La relative faiblesse du coefficient d'intégration fiscale des intercommunalités dont font partie les villes moyennes (entre 22 % et 26 % selon l'étude de votre Observatoire de l'intercommunalité) démontre à l'évidence qu'il existe des marges de progression.
Le plus souvent, c'est pour des raisons d'acceptabilité politique, par désir de ne pas trop charger la barque, que les statuts ont limité les transferts d'équipements qui auraient dû relever de l'intérêt communautaire.
La définition de l'intérêt communautaire d'ici le 16 août prochain, délai qui ne sera pas une nouvelle fois reporté, ne doit pas être une simple formalité administrative mais bien l'occasion d'apporter des réponses à une question fondamentale dans la construction d'une intercommunalité.
- Je pense aussi à la rationalisation des périmètres. En demandant aux Préfets de d'ouvrir la réflexion sur ce que doit être l'évolution à terme de la carte intercommunale, on ouvre évidement la question de la place des villes moyennes et, très clairement, de la superposition de la carte de l'intercommunalité - de vos agglomérations en général - et de celle des bassins de vie.
Un décalage trop important entre ces deux réalités n'est objectivement pas une bonne chose. Là encore, il vous appartient de profiter de ce débat ouvert pour faire entendre vos propositions.
- Je pense aussi au mode d'élection des délégués communautaires.
La proposition, issue du rapport de Pierre MAUROY remis au Premier ministre en 2001 et que j'ai remise sur la table, qui consiste à réfléchir à un scrutin de type PLM me semble susceptible de satisfaire à peu près tous les intérêts :
- celui du maintien de l'élection municipale comme rendez-vous électoral de base ;
- celui de la lisibilité de l'exécutif communautaire ;
- celui d'une plus grande cohérence politique au sein des agglomérations dès lors que les différentes équipes municipales seront amenées à faire campagne conjointement et de façon cohérente.
A l'évidence, le rôle des grandes villes "centre" serait clarifié, plutôt plus lisible, au sein des agglomérations. Je vous invite là encore à partager cette réflexion.
- Enfin, s'agissant des dotations, dans l'hypothèse où les statuts, ou la définition de l'intérêt communautaire, n'ont pas permis de régler pleinement la question du partage des charges de centralité, je suis ouvert à poursuivre la réflexion.
Dans quelle mesure l'EPCI pourrait mieux contribuer à soulager la commune centre d'une part de ces charges ou à l'aider financièrement à les assumer ?
Cela peut passer notamment par le biais de la dotation de solidarité communautaire. Cela pourrait également passer par le biais d'autres dotations intercommunales. En concertation avec le Comité des finances locales, cette piste pourrait être étudiée après la phase de définition de l'intérêt communautaire.
IV. La place faite aux maires dans le projet de loi de prévention de la délinquance
Je ne vais présenter devant vous l'ensemble des ambitions de ce projet de loi et les outils qu'il met en place.
Je souhaite, en revanche, évoquer ceux qui vous concernent très directement, parce qu'ils vous donnent les moyens d'être l'acteur central au niveau local de la prévention de la délinquance.
a) une méthode nouvelle
Ce projet de loi repose d'abord sur une méthode nouvelle. Cette méthode, c'est de sortir du cloisonnement et de la logique de guichet qui imprègnent encore l'action de l'administration et lui substituer une approche fondée sur la proximité, le travail en réseau, la présence permanente sur le terrain et la responsabilisation des acteurs.
Dès lors que l'on fait le choix de cette méthode, on ne peut que placer le maire au coeur du dispositif en cela qu'il est celui qui connaît le mieux, de la façon la plus complète et transversale, les situations locales.
Cette mise en réseau passe par des CLSPD [conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance] qui associeront, dans les villes de plus de 10 000 habitants, tous les acteurs qui ont un rôle à jouer dans ce domaine : élus, magistrats, forces de sécurité, travailleurs sociaux, associations, voire les familles elles-mêmes.
Ce projet de loi entend aussi affirmer un principe de responsabilisation pour sortir des logiques d'assistance et de sanction qui sont aujourd'hui les seules, notamment envers les familles.
C'est pourquoi ce projet de loi propose d'instituer des « conseils pour les devoirs et droits des familles » présidés par le maire. Ils pourront, en cas de carences, rappeler aux parents quelles sont leurs obligations légales et les aider à prendre en charge l'éducation de leurs enfants.
b) des objectifs nouveaux
Ce projet de loi entend aussi aborder de front les nouvelles pratiques délinquantes.
Je pense d'abord à la violence des mineurs, qui a progressé de 80 % en 10 ans et s'étend aujourd'hui à des populations de plus en plus jeunes.

Cela pose la question de l'école et de son rôle. Il existe déjà dans certains établissements des comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC), c'est une partie de la réponse, de même que la généralisation des plans de sécurité et de prévention de la délinquance.
C'est également à l'école que peut être organisé le suivi de la santé des enfants en difficulté, dont les familles sont trop souvent dépassées.
Au-delà des polémiques, on ne peut pas raisonnablement nier que les troubles du comportement révèlent des situations de mal-être, des difficultés familiales, bref, des fragilités qui peuvent conduire à des attitudes violentes. Il faut déceler ces troubles et leur apporter des réponses.
On doit aussi prendre à bras le corps la question de l'absentéisme scolaire. Ce que propose le projet de loi du gouvernement, c'est donc de mettre le maire en mesure de faire respecter l'obligation scolaire, en liaison avec la CAF et l'inspecteur d'Académie, qui devront là encore travailler ensemble.
Il ne s'agit pas de punir les familles des enfants qui ne vont pas en classe, mais de les aider à assumer la scolarité et ses obligations.
Ce texte est très novateur dans la place qu'il fait aux maires puisqu'il leur donne un rôle de coordination et d'animation de moyens - y compris de l'Etat - que l'Etat jusqu'ici avait entendu se réserver.
C'est une véritable rupture dans la relation entre l'Etat et les élus locaux - qui n'est pas comme la décentralisation une logique de "transfert" mais une logique de "partenariat" dans laquelle l'Etat reconnaît qu'il n'est pas toujours, nécessairement, forcément le mieux placé. Source http://www.interieur.gouv.fr, le 2 juin 2006