Discours de M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, sur l'encadrement du secteur des Jeux en France et le rôle du Comité consultatif pour l'encadrement des jeux et du jeu responsable (COJER), Paris le 27 juin 2006.

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Circonstance : Mise en place du Comité consultatif pour l'encadrement des jeux et du jeu responsable (COJER) à Paris le 27 juin 2006

Texte intégral

Madame Gisserot,
Mesdames, Messieurs les membres du COJER,
Mesdames, Messieurs,
Nous voilà réunis aujourd'hui pour un sujet qui passionne les Français : le secteur des jeux. C'est pour eux un divertissement, une activité de loisir.
Mais il faut d'emblée souligner que le jeu n'est pas une activité économique comme les autres. Il comporte, par nature, un certain nombre de risques. C'est la raison pour laquelle en France, comme d'ailleurs dans l'ensemble des autres pays, de façon générale, les jeux sont soumis à un contrôle spécifique et approfondi :
- parce que nous devons tout d'abord nous assurer de la probité du jeu : sans ressortir le folklore cinématographique, du film Casino de Martin Scorsese ou des Tontons flingueurs de Georges Lautner, il faut éviter que ne se greffent dans ce secteur le jeu clandestin et le crime organisé ;
- parce que nous devons ensuite protéger les publics les plus fragiles. Les risques d'addiction concernent une frange très réduite des joueurs mais c'est un vrai sujet. Sans exagérer sa dimension, il faut le traiter.
Aujourd'hui, le modèle français d'organisation de l'activité des jeux est pleinement en phase avec le droit européen. D'abord avec la jurisprudence européenne et notamment l'arrêt Gambelli de 2003, puisque le juge européen a clairement indiqué que les restrictions à l'offre de jeu étaient autorisées pour des motifs d'intérêt général. À l'occasion de la discussion de la très célèbre directive services (Bolkenstein), le Parlement est venu renforcer cette position, en excluant clairement les jeux du secteur des services à libéraliser.
Ce que nous faisons avec les casinos et la FdJ, avec la prise en compte croissante de la problématique du jeu responsable, montre que l'État assume totalement ses responsabilités. Sur ce sujet, la cohérence de l'action du Gouvernement est totale :
- D'abord, nous avons signé avec Nicolas Sarkozy et les syndicats de Casinos un « protocole du jeu responsable », en janvier dernier : il comprend toute une série de mesures concrètes dont la plus emblématique est la mise en place d'un vérification des identités à l'entrée des casinos, au 1er novembre prochain, pour faire respecter les listes des interdits de jeu.
- Le second volet, concerne la Française des jeux.
Par nature, le modèle économique de La Française des Jeux limite déjà fortement les risques, puisqu'il est fondé sur une logique « extensive », c'est-à-dire de petites mises mais avec beaucoup de joueurs. La mise moyenne en France est d'ailleurs très inférieure à celle d'autres pays d'Europe.
Le jeu responsable et la lutte contre l'addiction ne sont pas une préoccupation nouvelle. Mon ministère joue un rôle essentiel dans ce processus : je valide chaque année le programme commercial de l'entreprise et je suis parfois amené à refuser certains lancements. Cette année par exemple, j'ai autorisé l'installation de terminaux en libre service, mais j'ai refusé que le jeu Rapido soit offert sur ce vecteur.
Mais l'État doit aller plus loin et assumer totalement ses responsabilités en encadrant cette activité. C'est précisément le rôle que je souhaite confier au comité consultatif pour l'encadrement des jeux et du jeu responsable, le COJER.
Mais entendons-nous bien : il s'agit pas non plus de stigmatiser l'activité des jeux en France qui est globalement très saine ! Ce n'est pas une action « pompier » en réaction à une situation qui serait préoccupante : il s'agit en réalité de prendre date pour l'avenir et de mettre en place dès maintenant des outils de prévention pour nous assurer que la situation des jeux restera dans l'avenir très satisfaisante en France.
I) L'État doit améliorer et renforcer le contrôle de l'offre de jeu de la Française des Jeux
Lorsque le jeu est sous contrôle, il bénéficie à la société ; lorsqu'il échappe à tout contrôle, il profite à quelques intérêts privés et coûte à l'intérêt général.
La réforme initiée en février dernier conduit à inscrire les objectifs d'intérêt général auxquels doit se conformer l'opérateur national, qu'est la Française des jeux.
Mais il ne suffit pas d'inscrire ces objectifs dans les textes, il faut les faire respecter ! C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place une procédure de contrôle pour mesurer leur mise en oeuvre effective.
La démarche a donc consisté :
Première étape, à décliner les objectifs en obligations, avec des rendez vous fixés à l'entreprise, pour qu'elle me rende compte de ses actions. Concrètement, il s'agit de :
la validation du programme commercial annuel de l'entreprise ;
la pratique responsable du jeu. La FdJ devra me soumettre chaque année un plan d'actions, avec des indicateurs de suivi des objectifs ;
la lutte contre le blanchiment, sur laquelle la FdJ rendra compte annuellement de ses actions.
Deuxième étape : à faire émerger un organe de régulation distinct de la tutelle financièreà travers la création du COJER.
La direction du Budget, qui assure traditionnellement la tutelle du secteur des jeux pour le compte du Minéfi, était dans une situation peu satisfaisante pour concilier l'ensemble des objectifs : même si c'est clairement faux, elle pouvait être taxée de « conflit d'intérêts » et accusée de vouloir faire primer les seules préoccupations financières. Il fallait donc créer un organe distinct.
Dans cette affaire, il ne s'agit évidemment pas de nier la dimension financière de l'activité pour l'État - La Française des Jeux contribue aux recettes publiques à hauteur de plus de 2,5 milliards d'euros chaque année - mais d'afficher clairement, aux yeux de tous, que ce n'est pas là sa préoccupation essentielle.
Il parait en tout point légitime que le fruit de cette activité bénéficie à la collectivité tout entière, c'est-à-dire à l'ensemble des Français, à travers une affection directe au budget de l'État. Ce qui serait illégitime, ce serait une appropriation privée du fruit de cette activité !
Ce principe clair étant posé, je dois expressément préciser que la politique des jeux conduite par le Gouvernement n'est en rien guidée par des préoccupations financières : si c'était le cas, nous aurions depuis longtemps autorisé l'exploitation des machines à sous en dehors des casinos et dans des lieux publics.Nous aurions ainsi considérablement accru les recettes de l'État. Mais une telle politique serait totalement irresponsable !
L'État a, en effet, d'abord la responsabilité de préserver l'ordre social et l'ordre public. J'entends le réaffirmer avec force et nous donner les moyens de l'assumer avec plus de professionnalisme. C'est la mission première du COJER, le comité consultatif pour l'encadrement des jeux et du jeu responsable.
II) Le COJER, que nous installons aujourd'hui, sera au centre du dispositif
1) La composition du COJER
J'ai souhaité que les membres du Comité relèvent de différents horizons, portent différentes préoccupations, pour qu'aucune des thématiques ne soit oubliée.
J'ai souhaité que trois personnalités qualifiées puissent faire part de leur expertise et intègre le Comité :
Madame Hélène Gisserot, procureur général honoraire auprès de la Cour des Comptes, qui est l'un de nos plus éminents magistrats. Elle apportera au Comité, éthique, rigueur et indépendance. Il m'est naturellement apparu, plus que légitime, de lui confier la présidence du Comité ;
Monsieur Marc Valleur , psychiatreet psychothérapeute reconnu dans le domaine de l'addiction. Médecin chef du centre de soins et d'accompagnement des pratiques addictives de l'hôpital de Marmottan, il apportera au COJER sa compétence scientifique et son expérience pratique ;
Et Madame Monique Sassier , qui a occupé les fonctions de directrice générale de l'Union nationale des associations familiales, et qui vient d'être récemment nommée inspectrice générale de l'éducation nationale et de la recherche. Elle fera entendre au sein du COJER ses préoccupations visant le jeu des publics les plus fragiles, ou des mineurs. Elle connaît particulièrement bien ces problématiques puisqu'elle est membre d'une association spécialisée en la matière.
Le comité est également composé de représentants de l'État, ayant à connaître de l'activité des jeux :
- ordre public (avec un représentant du ministère de l'Intérieur)
- santé publique (avec un représentant du ministère de la Santé)
- éthique sportive (avec un représentant du ministère des Sports)
- et dimension financière enfin (avec un représentant du ministère des Finances).
2) Le rôle du COJER
Comme vous le savez, je suis à l'origine d'une réforme récente visant à limiter la création de commissions administratives et à moderniser leurs règles de fonctionnement. Lorsque leur utilité n'est pas démontrée, je considère, en effet, qu'elles peuvent favoriser la réunionite, surcharger les fonctionnaires et provoquer des coûts inutiles.
Dans ce cas précis, la création du COJER m'est apparue indispensable et nécessaire à la régulation du secteur des jeux et au besoin d'expertise exprimé sur les sujets d'ordre social.
Je souhaite donc fixer au COJER une double mission : d'une part me conseiller sur ces sujets délicats, et d'autre part éclairer les décisions que je serais amené à prendre concernant l'offre de l'entreprise.
Le Comité sera systématiquement saisi aux moments clefs des rapports entre l'entreprise et l'État :
a - Avant que je ne valide le plan d'action commercial annuel, en se penchant sur ce dernier de façon concrète, jeu par jeu, innovation par innovation.
Il ne s'agit pas d'avoir une approche prohibitive. Je souhaite une approche cohérente et systématique d'identification des risques et de la meilleure façon de les prendre en compte.
Il ne s'agit pas non plus d'interdire le développement de la Française des Jeux. Sa mission est de fournir une offre, encadrée et contrôlée. À défaut la place serait occupée par d'autres offres clandestines ou illégales.
Le COJER doit permettre de promouvoir un développement modéré, en un mot responsable.
b - Le COJER me donnera également son avis sur le plan d'action que l'entreprise doit me proposer chaque année pour prévenir le jeu excessif et favoriser la pratique du jeu responsable .
Et je ne manquerai pas de le consulter, comme m'y invitent les textes, sur les questions que je me pose en matière de contrôle et d'encadrement du jeu.
Si l'expérience du COJER est concluante, je ne verrais que des avantages à l'étendre progressivement, notamment à l'activité du PMU.
En conclusion, je pense que l'activité des jeux d'argent est une activité économique de nature très particulière .
Je suis un partisan de la libre concurrence, parce qu'elle profite en général et en premier lieu au consommateur. Mais il y a quelques exceptions, et le secteur des jeux d'argent en fait partie.
Ma conviction est que l'activité doit rester strictement encadrée par l'État. Ce point de vue n'est pas strictement français. Il est celui qui prévaut dans la plupart des pays de l'Union. C'est aussi la politique suivie par les États-Unis, que l'on peut difficilement suspecter d'être hostiles à la libre concurrence.
Je vous remercie.
Source http://www.minefi.gouv.fr, le 28 juin 2006