Interview de M. Christian Poncelet, président du Sénat, dans "La Tribune des petites villes" de décembre 2000, sur la proposition de loi tendant à assurer l'autonomie fiscale des collectivités locales, la modernisation des conditions d'exercice des élus locaux et le rôle du Sénat en tant que représentant des collectivités territoriales.

Prononcé le 1er décembre 2000

Intervenant(s) : 

Média : La Tribune des petites villes

Texte intégral

Question 1 : Vous êtes à l'origine d'une proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer l'autonomie fiscale des collectivités et garantissant que les impôts constituent une part " prépondérante " dans les ressources locales. Quels sont les motifs de votre démarche ? Qu'entendez-vous par " prépondérante " ?
Après la disparition de la " base salaires " de la taxe professionnelle, la diminution des droits de mutation, la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation et la suppression de la vignette automobile, force est de constater que l'autonomie fiscale des collectivités locales, fondement essentiel de leur libre administration, diminue comme une peau de chagrin.
Avant d'envisager une éventuelle spécialisation des impôts locaux, il faut, à l'évidence, donner un coup d'arrêt à cet inacceptable processus de démantèlement de la fiscalité locale.
C'est pourquoi, j'ai décidé de déposer avec mes collègues Jean-Paul DELEVOYE, Jean PUECH, Jean-Pierre RAFFARIN et Jean-Pierre FOURCADE une proposition de loi constitutionnelle qui a été adoptée par le Sénat le 26 octobre dernier.
Son objet est simple. Il s'agit d'inscrire clairement dans notre Constitution les principes fondamentaux de notre décentralisation, une " ligne jaune " que le législateur ne devra pas franchir. Car aujourd'hui, le protecteur de l'autonomie locale qu'est le Conseil Constitutionnel n'a pas encore défini le point en deçà duquel la restriction des ressources fiscales deviendrait une " entrave " à la libre administration des collectivités locales.
C'est pour l'aider dans cette recherche que nous avons décidé de poser le principe de prépondérance de ressources fiscales, librement perçues, au sein des budgets locaux.
Vous m'interrogez sur cette notion de " prépondérance ". Il s'agit, tout simplement, de fixer un minimum incompressible pour la part des recettes fiscales, catégorie par catégorie de collectivité locale. En aucun cas, nous ne souhaitons amorcer un mouvement de reflux des dotations en prônant leur remplacement par de nouveaux impôts.
Qu'on ne se méprenne pas, je ne préconise pas le " tout impôt ", mais je refuse le " tout dotations " qui trouverait très vite ses limites financières.
Par ailleurs, nous avons souhaité conditionner la suppression d'un impôt local par le transfert, en tout ou partie, d'autres ressources fiscales. En ce sens, le Sénat vient d'adopter la substitution d'impôts jusqu'à présent perçus par l'Etat (taxe sur les véhicules de société, impôts sur les donations et les cessions de commerce) à la vignette, en lieu et place d'une nouvelle compensation.
Enfin, il faut consacrer, dans la Constitution, afin qu'il ne soit plus transgressé, le principe, posé par les lois de décentralisation mais trop souvent bafoué, de compensation intégrale et concomitante de compétences et des charges transférées.
A mon sens, ces garanties constitutionnelles constituent le préalable à toute volonté, sincère ou de façade, de réforme de la fiscalité locale.
Question 2 : L'APVF a publié fin novembre un Livre blanc sur la modernisation des conditions d'exercice des mandats locaux. Quelle idée vous faites-vous d'un futur statut de l'élu ?
Aujourd'hui, le constat est partagé par tous : les Français ne sont pas égaux en matière d'accession aux mandats électifs. Or, pour moi, l'engagement et la participation de tous et de toutes à la vie locale sont essentiels car ils conditionnent la vitalité de la démocratie de proximité.
A la veille du renouvellement municipal de mars 2001, je crois qu'il est urgent d'instaurer un statut de l'élu enfin digne de ce nom. Je tiens d'ailleurs ici à saluer la pertinence des propositions de l'Association des Petites villes de France en la matière.
Car la désillusion et le " mal-être " qui sont en train de gagner les maires trouvent notamment leur explication dans la dégradation des conditions d'exercice des mandats.
Il faut bien le reconnaître la formation, la protection sociale, les indemnités, la réinsertion professionnelle sont totalement inadaptées aux responsabilités croissantes des élus locaux.
Alors dans ce contexte, le Sénat a, une nouvelle fois, pris ses responsabilités pour passer du stade de la réflexion à celui de l'action.
Ainsi, j'ai annoncé, à l'occasion du dernier Congrès des maires de France, l'examen par le Sénat, dès le 18 janvier 2001, de la proposition de loi de mon collègue Alain VASSELLE visant à définir un véritable statut.
En dépit des atermoiements de certains, cette démarche est à mon sens prioritaire si l'on veut enrayer l'inquiétante " crise de vocations " qui traverse notre démocratie. Je souhaite qu'elle rencontre le même succès que la loi sur les délits non intentionnels car si le statut peut avoir un coût -d'ailleurs limité-, la démocratie locale, elle, n'a pas de prix !
Il ne tient qu'à nous, responsables politiques, de faire aboutir une telle réforme dès le premier trimestre 2001.
Question 3 : La loi tendant à préciser la notion de faute non intentionnelle a été votée par le Parlement et vient de voir son efficacité prouvée à l'occasion d'un arrêt du tribunal de La Rochelle. Pensez-vous que le droit doit être encore modifié pour assurer davantage la sécurité juridique des maires ?
Pour le républicain que je suis, le phénomène de " judiciarisation " croissant de l'action publique locale est tout à fait inquiétant. Afin d'endiguer les risques de paralysie qui guettaient la gestion de proximité, j'ai donc décidé de faire campagne pour que les choses changent.
C'est ainsi que le Sénat s'est engagé, avec notre collègue Pierre FAUCHON, à mener à bien une réforme du code pénal.
L'objectif de la loi du 10 juillet 2000 sur les délits non intentionnels est simple. Il s'agit de redonner espoir aux élus locaux bien souvent désemparés face à la pénalisation de la gestion locale. Cette loi doit sécuriser davantage le cadre de leur engagement au quotidien, sans pour autant aboutir à des relaxes choquantes.
Alors, je ne puis que me réjouir avec vous des premières décisions rendues par le Tribunal de grande instance de La Rochelle et la Cour d'appel de Rennes sur la base de ces nouvelles dispositions. Je crois qu'elles vont dans le bon sens.
Très sincèrement, avant de savoir s'il convient d'aller au delà en matière de sécurité juridique, je crois qu'il faut déjà se féliciter de cette avancée essentielle et laisser les juridictions judiciaires appliquer, dans la sérénité, ce nouveau dispositif.
Question 4 : Le Sénat est-il toujours le " Grand conseil des communes de France " ?
Comme vous le savez, dès mon élection à la Présidence du Sénat, j'ai décidé de faire vivre le bonus constitutionnel dont bénéficie le Sénat, en tant que représentant des collectivités territoriales de la République.
C'est la raison d'être des États généraux des élus locaux que j'ai d'ores et déjà organisés dans six régions afin d'alimenter la réflexion du Sénat en matière de relance de la décentralisation. C'est pourquoi, je me suis déjà rendu devant les maires de près de cinquante départements.
Ces rencontres sont fort utiles car elles permettent au Sénat, " Assemblée des territoires de France " de remplir son rôle de " veilleur vigilant de la décentralisation ". Vous l'avez compris, les propositions de loi sur la responsabilité pénale, sur l'autonomie fiscale et le statut de l'élu trouvent là leur origine, fruits d'échanges souvent vifs mais toujours cordiaux et responsables.
Et croyez-moi, je suis déterminé à poursuivre mon combat pour cette " République territoriale ", véritable projet de société où les élus locaux, l'Etat et les citoyens seraient enfin réconciliés dans une France moderne, dynamique et solidaire.
Question 5 : Vous êtes maire de Remiremont, petite ville des Vosges. Quels sont, selon vous, les atouts et les difficultés de votre strate de communes ?
Remiremont compte un peu moins de 10.000 habitants, mais j'ai bien souvent l'impression d'être confronté, en tant que maire, à des difficultés que rencontrent des cités de taille plus importante.
Nous les maires de petites villes, nous sommes confrontés à des problèmes inversement proportionnels à notre poids démographique : sécurité, social, environnement, normes en tous genres...
Pourtant, à la différence des grandes cités ou même des villes moyennes, nous sommes bien souvent démunis pour répondre à ces mutations de la demande sociale. Nos marges de manoeuvre financières ne sont malheureusement pas extensibles, d'autant que les petites villes assument parfois des charges de " centralité " que seule une coopération intercommunale peut mutualiser. De plus, en raison des spécificités du statut de la fonction publique territoriale, nous manquons cruellement de moyens humains et de ressources adaptées afin de faire face aux nouveaux enjeux de la gestion locale.
Néanmoins, en dépit de ces difficultés, je crois que les petites villes remplissent plutôt bien leur rôle irremplaçable de maillage du territoire et de maintien des solidarités, dans une société toujours plus individualiste et mondialisée.
Alors, comptez sur moi pour le faire savoir et poursuivre, ensemble, notre combat pour une démocratie locale revivifiée, cette " République territoriale " qui fera entrer notre pays dans la modernité du troisième millénaire.
(Source http://www.senat.fr, le 5 février 2001)