Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à RMC le 4 mars 2008, sur le déroulement de la procédure judiciaire concernant les retraits suspects réalisés sur les comptes de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) et sur les modalités d'application de la loi sur la rétention de sûreté concernant les criminels dangereux.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- On va aborder [l'affaire] IUMM évidemment avec les conditions de départ de D. Gautier-Sauvagnac qui vont être réexaminées. Est-ce qu'il doit rendre toutes les sommes perçues ?
 
R.- D'abord, il y a une enquête judiciaire en cours depuis quelques mois. Il y a eu une enquête préliminaire, il y a eu des perquisitions ; il y a eu une mise en examen ; donc il y a des juges d'instruction qui sont saisies. Les contrats, d'ailleurs les conventions qui sont en cause, celles dont on parle, vont être remises au juge d'instruction. S'il y a nature à qualifier pénalement l'objet de ce contrat, l'enquête le déterminera. Là, où je vous rejoins, il faut évidemment que cette affaire aille jusqu'au bout.
 
Q.- Jusqu'au bout !
 
R.- Vraiment jusqu'au bout ! S'il y a des qualifications pénales, la justice est là pour poursuivre ceux qui auront commis des infractions.
 
Q.- Alors 20 millions d'euros en liquide sortis des caisses de l'UIMM ; l'affaire a éclaté en septembre ; le Parquet de Paris est saisi fin septembre ; mi décembre, le Parquet ouvre une information judiciaire. Pourquoi avoir attendu deux mois ? Il y a une raison ?
 
R.- Ce qu'il faut savoir, c'est que sur la manière de mener une enquête, vous avez plusieurs méthodes. Vous pouvez être sur une enquête préliminaire ; donc, cela permet au Parquet d'aller très vite, de faire des actes très rapidement. Cela veut dire que l'ouverture d'une information, la saisine d'un juge d'instruction, c'est souvent quand on a des difficultés à faire des perquisitions ou à faire des saisies. Sinon l'enquête préliminaire va beaucoup plus vite, va très vite. Donc, c'est ce qui se passe. Cela va très vite. Et au moment où il y a des indices - ce qu'on appelle des indices concordants - pour amener à une mise en examen, c'est ce qui s'est passé, il y a une ouverture...
 
Q.- Mise en examen le 15 janvier !
 
R.-...oui une ouverture d'une information judiciaire...
 
Q.- Mi décembre !
 
R.- ... le juge d'instruction est saisi. Et donc, là, le juge d'instruction procède à tous les actes d'investigation.
 
Q.- Alors, mise en examen le 15 janvier. Pourquoi aucune mesure de contrôle judiciaire n'a-t-elle été imposée à D. Gautier-Sauvagnac ? Il a pu rencontrer tranquillement tous les protagonistes de l'affaire. Dans l'affaire Kerviel, par exemple, de la Société Générale, il y a eu cette mesure de contrôle judiciaire.
 
R.- Les mesures de contrôle judiciaire, qui sont d'ailleurs demandées par le juge d'instruction, donc, on le demande - parce que le juge d'instruction peut demander ou le contrôle judiciaire ou le placement en détention - le procureur requiert en ce sens, le souhaite ou ne le souhaite pas. Cela n'a pas été demandé. Pourquoi ? Parce que le contrôle judiciaire c'est souvent pour éviter des concertations, pour éviter...
 
Q.- Oui, là ça aurait pu les éviter !
 
R.- Non, parce qu'il y a eu beaucoup, beaucoup d'auditions, beaucoup d'auditions. Les perquisitions ont été faites sans difficultés. Donc, le contrôle judiciaire n'empêchait pas... Il n'y avait pas... enfin, à mon sens, il n'y avait lieu de mettre un contrôle judiciaire compte tenu des éléments de l'enquête et de la manière dont s'est déroulée l'enquête dans lequel il n'y a pas d'obstacle. Les auditions ont eu lieu ; les perquisitions ont eu lieu ; les saisies ont eu lieu. Il n'y a pas eu d'obstacle à cela. Cela a été une décision également du juge de ne pas le placer sous contrôle judiciaire. Moi, j'ai toute confiance envers les magistrats qui mènent cette enquête et dans les services de police sous l'autorité de ces magistrats qui mènent cette enquête. Donc, laissons faire la justice.
 
Q.- Précisément, dernière question sur l'UIMM : nous avions il y a trois jours en direct l'avocat de D. Gautier-Sauvagnac qui nous disait : "Il sait à qui les 20 millions d'euros ont été distribués, où est allé l'argent. Il ne le dira pas pour préserver la paix sociale". Que demandez-vous à la justice ?
 
R.- Qu'elle mène à bien son travail. Les magistrats sont responsables et c'est leur métier. Ils savent mener les enquêtes. Sur des affaires financières, ils ont mené des enquêtes beaucoup plus complexes que cela. Et il y a eu des enquêtes qui ont abouti à des condamnations. Et donc, là, laissons faire l'enquête.
 
Q.- Vous avez envie de savoir où est allé l'argent R. Dati ?
 
R.- C'est l'objet de l'enquête.
 
Q.- Bien. La rétention de sûreté maintenant, deuxième sujet. Hier, le président de la République a reçu des associations, plusieurs associations de victimes. Il a dit qu'il fallait trouver des moyens constitutionnels avec la Cour de cassation. Des moyens constitutionnels pour essayer d'appliquer la loi. Vous savez que le Conseil constitutionnel - vous le savez mieux que moi, R. Dati - a estimé que la loi ne pouvait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou pour des faits commis antérieurement à cette publication. Comment faire ? Comment faire pour revenir sur cette interdiction de rétroactivité, si je puis dire ?
 
R.- Quel est l'objet de cette loi, d'abord ? Il faut repartir sur l'objectif. Et l'objet de cette loi, c'est d'empêcher les criminels les plus dangereux de récidiver, parce que c'est souvent le cas. Et c'est un sujet qui est récurrent. De nombreux rapports de parlementaires, de hauts magistrats - je rappelle celui de Burgelin, de Canivet - sur les criminels dangereux. Cela a toujours été un sujet de préoccupation. D'ailleurs, je rappelle que le rapport Canivet avait même préconisé la création de centre de soins fermés tel que nous l'avons créé par ce texte. Il s'agit d'empêcher les criminels les plus dangereux de récidiver : pédophiles, tueurs en série, violeurs en séries. Voilà, le champ de ce texte. Le texte tel que nous l'avons ou tel qu'il a été adopté par le Parlement disait que pour les criminels les plus dangereux, reconnus comme tels par des expertises - nous ne créons pas l'expertise, elle existe déjà, c'est-à-dire que le constat de la dangerosité est déjà inscrit dans nos textes à droit constant avant même l'entrée en vigueur de ce texte. Donc, si un criminel est considéré comme dangereux à l'issue de sa peine, dans le texte comme il a été initialement adopté par le Parlement, ceux qui ont été condamnés avant l'entrée en vigueur de la loi et ceux qui ont été condamnés après l'entrée en vigueur de la loi, auront le même régime. Cela veut dire considérés comme dangereux à l'issue de leur peine, il y a une décision judiciaire pour les placer dans ces centres de soins fermés. Le Conseil constitutionnel dit : "d'abord c'est une mesure de sûreté, ce n'est pas une peine". Donc, le principe, le problème de la rétroactivité ne se pose pas, puisque nous sommes sur une mesure de sûreté, nous ne sommes pas sur une peine. Donc, le Conseil constitutionnel valide le principe de la rétention de sûreté, première chose. La deuxième chose, il dit, s'agissant quand même d'une mesure privative de liberté puisqu'ils seront placés dans un centre de soins fermés, que ceux qui seront condamnés après l'entrée en vigueur de la loi, pas de problème, ils pourront être placés directement voire automatiquement dans ces centres de soins fermés. Pour ceux qui été condamnés avant l'entrée en vigueur de la loi, on considère qu'ils n'ont pas été informés, ce n'est pas un problème de rétroactivité, c'est-à-dire que les personnes condamnées avant l'entrée en vigueur de la loi n'ont pas été informées du risque ou de la probabilité qu'ils soient placés dans des centres de détention fermés. Donc pour ceux-là, le Conseil constitutionnel dit qu'avant de les mettre automatiquement en rétention de sûreté, il faut les placer sous surveillance judiciaire, sous surveillance de sûreté. Et s'ils violent les obligations qui sont dans ce texte - une obligation de soins, une interdiction de paraître, par exemple aux abords des écoles, une obligation de pointer au commissariat ou à la gendarmerie - s'ils violent une de ces obligations, alors ils seront placés dans ces centres de rétention de sûreté directement.
 
Q.- Ca ne vous paraît pas suffisant ?
 
R.- Je vous dis : voilà l'encadrement auquel a procédé le Conseil constitutionnel, cela permet de préciser les choses. Le président de la République a souhaité saisir V. Lamanda, plus haut magistrat, pour lui demander, dans le cadre de cet encadrement et de cet ajustement, comment on peut empêcher, efficacement, réellement et concrètement, que ces criminels les plus dangereux récidivent. Donc, nous avons demandé à V. Lamanda de nous faire des propositions pour éviter la récidive de ces criminels les plus dangereux. C'est le rôle d'un responsable politique de pouvoir protéger la société, c'est une demande des Français d'être protégés. Voilà.
 
Q.- Quelle solution lorsque le criminel dangereux qui sort de prison a accompli sa peine, aujourd'hui, quelle solution pour mieux l'encadrer à sa sortie de prison, c'est cela ? C'est ce que je comprends.
 
R.- Tout à fait, nous demandons à V. Lamanda de nous faire des propositions pour ces individus-là, comment les empêcher de récidiver lorsqu'ils sont reconnus comme dangereux.
 
Q.- Alors pourquoi ne pas mettre en place une perpétuité réelle ?
 
R.- Ca n'est pas notre droit, ce ne sont pas nos principes parce qu'on considère que quand quelqu'un est incarcéré, quand il y a une peine, il faut permettre la réhabilitation et laisser l'espoir de la réhabilitation.
 
Q.- Oui, c'est laisser l'espoir de la réhabilitation. Mais si on est en centre de rétention, la rétention est examinée tous les ans par un collège de magistrats, trois magistrats, c'est ça ?
 
R.- Et puis un collège de médecins.
 
Q.- Un collège de médecins. Des magistrats et des médecins.
 
R.- Parce que, souvent, ces détenus qui sont souvent des détenus modèles d'ailleurs en détention, refusent de se soigner en détention. Moi j'entends par ci, par là, en disant : oui...
 
Q.- Encore faut-il aussi avoir les moyens. On manque des psychiatres, c'est vrai R. Dati.
 
R.- Nous avons augmenté le nombre de psychiatres, nous avons augmenté le montant des vacations, nous avons signé, avec R. Bachelot, l'arrêté revalorisant cette indemnité et je vous dis que, par exemple sur les médecins coordonnateurs, d'ici la fin de l'année, il y en aura 500, nous étions à moins de 100, l'année dernière.
 
Q.- Ceci dit, les détenus ne sont pas obligés de se soigner.
 
R.- C'est ce que je voulais vous dire, ce n'est pas qu'une histoire de moyens. Si vous prenez le cas de F. Evrard, dont on connaît la suite puisqu'il a été réincarcéré, c'est quelqu'un qui se soigne à un moment donné, qui voit sa sortie arriver, qui refuse de se soigner, qui ne veut plus se soigner parce qu'il souhaite garder sa potentialité sexuelle. Le passé pénal de ce monsieur, ce sont uniquement des faits, crimes ou délits, commis sur des mineurs. Donc, il est absolument inacceptable que nous puissions remettre en liberté quelqu'un dont on connaît la forte probabilité de récidive.
 
Q.- La perpétuité réelle existe au Canada et en Belgique, je crois, R. Dati.
 
R.- Au Canada ou en Belgique, c'est-à-dire sur les criminels sexuels, on condamne, c'est-à-dire qu'on dit : « vous êtes responsable, vous êtes condamné mais nous ne vous mettons pas de quantum de peine, vous ne sortez pas tant que vous n'êtes pas soigné et tant que nous sommes pas sûrs que vous n'allez pas récidiver. C'est en Belgique et au Canada.
 
Q.- Dernière question sur les délinquants sexuels, les parents en Grande-Bretagne, c'est testé, peuvent vérifier auprès de la police si les personnes qui s'occupent de leurs enfants ont eu un passé pédophile. Est-ce qu'on devrait faire la même chose en France ?
 
R.- Nous avons fait passer une mesure, c'est-à-dire que pour les collectivités notamment, elles pourront demander au préfet, qui pourra demander à accéder aux informations liées notamment au casier judiciaire, pour recruter, parce que les Conseils généraux ou les Conseils régionaux peuvent recruter des personnes en contact avec des enfants. Donc il est important qu'on puisse connaître s'ils ont eu un passé pénal sur des faits sur des mineurs : des crimes, des délits, des agressions sexuelles ou des violences sur mineurs.
 
Q.- Pourquoi ne pas permettre aux parents de savoir, R. Dati ?
 
R.- Parce que c'est l'institution qui recrute l'éducateur, l'instituteur ou le moniteur de centre aéré. Donc l'institution aura à charge de contrôler avant de recruter la personne.
 
Q.- Et l'institution pourra informer les parents ?
 
R.- Elle ne recrutera pas. [...]
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 mars 2008