Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, sur le projet de loi relatif à la présomption d'innocence et aux droits des victimes, Paris le 23 mars 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes à l'Assemblée nationale (1ère lecture) le 23 mars 1999

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés.
Je dirai dabord quelques mots sur létat davancement de la réforme de la justice, la première réforme globale depuis 1958. Dans sa déclaration de politique générale de juin 1997, Lionel JOSPIN annonçait une réforme dampleur de la justice, et déclinait les engagements pris devant les Français pendant la campagne des élections législatives : rendre la justice plus proche des citoyens, plus respectueuse des libertés et plus indépendante.
Jai présenté les orientations de cette réforme au conseil des ministres du 29/10/97. Elles ont été débattues devant le parlement les 15 et 21 janvier 1998. Depuis, les textes évoqués ont été présentés au conseil des ministres, puis déposés sur les bureaux des assemblées. Il restera à élaborer les réformes en matière économique : celle des tribunaux de commerce, celle sur la modernisation de la loi sur les sociétés, et à engager celle sur le droit de la famille, qui fait actuellement lobjet dun groupe de travail.
Je souhaite profiter de loccasion qui mest donnée aujourdhui pour vous rappeler les axes de cette réforme globale.
1/ Une justice plus proche des citoyens :
la loi du 18/12/98 sur laccès au droit, clé de voûte de ce premier axe de la réforme, va permettre de renforcer la justice de proximité et de rendre ce service public plus adapté aux besoins de nos concitoyens. A ce titre je vous indique que 18 maisons de justice et du droit ont été ouvertes depuis le mois de juin 1997, dont 7 depuis le 01/01/99, et que 41 projets sont en cours dexamen. Je rappelle quavant juin 1997, 16 MJD, seulement, fonctionnaient. un décret réformant la procédure civile publié le 28/12/98 permettra, lui aussi, daccélérer la justice civile, celle qui concerne lessentiel des litiges entre particuliers. le projet de loi sur la simplification de la procédure pénale doit permettre à la justice dapporter des réponses rapides, adaptées et systématiques aux actes de la petite et moyenne délinquance, celle qui au quotidien, est vécue par nos concitoyens comme source dinsécurité. Par ailleurs ce texte prévoit des mesures de simplification permettant le renforcement de lefficacité de la procédure. Enfin, il tend à faciliter la coopération judiciaire internationale.
2/ Une justice plus respectueuse des libertés :
la loi sur la délinquance sexuelle du 17 juin 1998, protège mieux les victimes et notamment les mineurs. le projet qui nous réunit aujourdhui est au coeur de cette préoccupation.
3/ Une justice plus indépendante :
le projet de loi constitutionnel sur le CSM, adopté en termes conformes, par les deux assemblées, depuis le 18/11/98 est en attente du Congrès. Dés que celui ci aura adopté le projet de loi constitutionnel, les lois organiques dapplication pourront être déposées au Parlement. le projet de loi sur les relations parquet/chancellerie sera débattu en première lecture à lAssemblée Nationale, avant lété.
A peine plus dun an et demi après lannonce de la réforme je constate que le parlement est soit saisi des textes, soit les a déjà partiellement ou totalement adoptés. Aucun retard na été constaté.
Le gouvernement a tenu ses engagements, en terme de calendrier : il convient maintenant de terminer ce qui est largement engagé.
*
* *
Je voudrais dabord rappeler les principes du projet de loi sur la présomption dinnocence et les droits des victimes :
Le texte dont vous êtes aujourdhui saisis, sinspire très largement des travaux qui ont été conduits, dans ces dernières années. Je souhaite ici rendre hommage au travail important réalisé par la commission présidée par le Premier président TRUCHE, qui a rendu son rapport en juillet 1997. De nombreux points repris dans ce projet, sinspirent des conclusions de cette commission.
Comme le rappelle lexposé des motifs du projet de loi que jai lhonneur de défendre devant vous, la présomption dinnocence constitue le principe cardinal de toute procédure pénale dans un Etat de droit soucieux de respecter les libertés individuelles.
Il y a malheureusement loin de la théorie à la pratique et nombreuses sont les hypothèses dans lesquelles le principe de la présomption dinnocence paraît mis à mal.
Le constat est ancien : ces dernières années, de multiples modifications de notre droit ont été proposées. Certaines ont été adoptées par le Parlement, certaines ont été abrogées avant même leur entrée en vigueur, dautres nont été appliquées que pendant quelques mois.
Cest la raison pour laquelle il a paru indispensable au Gouvernement de présenter le présent projet de loi, qui procède à une réforme dampleur de notre procédure pénale. Je tiens à souligner que les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre ont été obtenus, et déjà mis en place, ce qui est sans précédent. Jamais, jusquici, les moyens navaient été déployés avant que la réforme ne soit adoptée par le Parlement. Jy reviendrai.
Quelles sont les principales caractéristiques de cette réforme ?
Cest dabord une réforme pour les justiciables, pour tous les justiciables.
En effet, lapport principal consiste à rendre notre justice pénale plus respectueuse des libertés, plus proche des citoyens, plus humaine et plus soucieuse de leurs préoccupations, quils soient victimes ou auteurs dinfractions.
Les victimes tout dabord, qui ont trop longtemps été les oubliées du procès pénal. Agir en leur faveur, cest agir en faveur des plus démunis de nos concitoyens. Cest aussi agir pour tous, car nous pouvons tous être, malheureusement, un jour victimes dune infraction pénale.
La réforme concerne ensuite les personnes suspectées, poursuivies ou mises en cause au cours dune procédure pénale, et dont la situation doit être améliorée, dans lentier respect des principes directeurs dégagés par la Convention européenne des droits de lhomme. Cette partie de la réforme concerne là encore de très nombreuses personnes. Je rappelle notamment que plus de 300 000 personnes sont placées chaque année en garde à vue, que plus de 60 000 sont mises en examen, et que plus de 30 000 sont placées en détention provisoire. Cette réforme touche tous les aspects de la procédure pénale : linstruction qui concerne 8% des affaires dont sont saisies les juridictions, mais aussi la citation directe, la convocation à délai rapproché, la comparution immédiate, qui elles représentent 92% des saisines des juridictions. Ces dernières procédures visent essentiellement la petite et la moyenne délinquance. La présence de lavocat en première heure de garde à vue, le renforcement des droits de la défense à laudience, les dispositions sur le droit des victimes et la communication sappliquent à toutes les affaires, et donc à toutes les personnes concernées par la procédure pénale.
Une réforme qui maintient la procédure inquisitoire tout en améliorant les droits de la défense.
En effet, la procédure accusatoire que connaissent les pays anglo-saxons ne constitue nullement la solution idéale, même si elle trouve de nombreux défenseurs et ici même dans votre assemblée.
Cette procédure est par nature inégalitaire et injuste. Elle favorise le fort au préjudice du faible. Elle accentue les différences sociales et culturelles, donnant un plus grand poids au riche qui a la possibilité de rémunérer les services dun ou plusieurs avocats.
Le système inquisitoire est meilleur tant en ce qui concerne lefficacité quen ce qui concerne les libertés individuelles. Je préfère, et je le dis clairement, un juge indépendant, qui instruit à charge et à décharge, à des policiers qui exécutent seuls, sans contrôle judiciaire, une large part des investigations.
Je tiens à rappeler que les pays qui connaissent un système accusatoire classique évoluent. Ils ont mis en place ou envisagent de le faire, des institutions proches de notre juge dinstruction. Le Canada et lAustralie ont créé récemment des « enquêteurs », magistrats chargés des affaires les plus sensibles. La Grande Bretagne, a mis en place une commission en 1993, dont les conclusions proposaient linstitution dun « juge enquêteur ».
Par ailleurs, les expériences récentes dadoption de la procédure accusatoire, mises en oeuvre par nos partenaires européens, ne sont pas convaincantes. Je tiens à rappeler que lItalie, après quelques années dexpérimentation du nouveau système, a été contrainte dadopter une législation particulière, « inquisitoire » pour permettre la poursuite des infractions mafieuses. Je ne souhaite pas que la France abandonne les armes indispensables, dont elle dispose par sa procédure, pour lutter contre le crime organisé, le terrorisme, la grande délinquance financière. Ce nest certainement pas, au moment où la criminalité se mondialise et sorganise quil nous faut renoncer à lefficacité dans la répression de cette délinquance.
Le juge dinstruction est un atout essentiel, de ce point de vue, dans notre dispositif, à la fois pour lefficacité de lenquête et pour la protection des libertés.
Cest pourquoi le présent projet de loi fait le choix assumé de maintenir le juge dinstruction. Jai dailleurs décidé de lui donner des moyens renforcés, comme le montre la création récente des pôles financiers, destinés à mieux lutter contre la délinquance économique et financière. Les dispositions du projet qui accentuent la fonction darbitre du juge dinstruction neutre entre les parties, recherchant la vérité, instruisant à charge et à décharge, vont dans le même sens.
Lexistence du juge dinstruction, dirigeant la police judiciaire, doté de pouvoirs importants dinvestigations et de prérogatives juridictionnelles, travaillant le cas échéant en équipe, est un gage defficacité de linstitution judiciaire, et une garantie pour les libertés individuelles. Cette idée doit être présente à nos esprits tout au long des débats.
Le projet qui vous est présenté est un texte déquilibre.
Equilibre entre les droits de laccusé et ceux de la victime. Renforcer chacun de ces droits ne constitue nullement deux objectifs contradictoires, mais deux objectifs complémentaires, qui sont lun et lautre aussi importants.
Equilibre entre lefficacité de lenquête et les droits des parties. Le renforcement des droits de la défense ne doit pas compromettre lefficacité des investigations et la nécessité de la répression.
Equilibre enfin entre la liberté dexpression et le respect de la présomption dinnocence. Lamélioration de la protection de la réputation des personnes mises en cause, quelque soit le stade de la procédure pénale, ne doit en aucune façon porter atteinte à la liberté de la presse.
Comme la plusieurs fois rappelé le Premier ministre, notamment lors de ses voeux à la presse, pour lannée 1999, aucune mesure conduisant à une limitation de la liberté dexpression, ne sera retenue par le gouvernement.
Cest pourquoi, la proposition de la commission TRUCHE visant à interdire la publication du nom des personnes mises en cause, na pas été reprise. Le choix du Gouvernement est celui du respect de linformation tout en protégeant la présomption dinnocence par plus de publicité et en sanctionnant les comportements les plus graves.
*
* *
Les questions soulevées par ce projet sont, on le voit, essentielles et complexes. Je tiens dans ces conditions à rendre un hommage tout particulier au travail de votre rapporteur à la commission des lois, Christine LAZERGES, qui vous a permis dapprofondir de façon exhaustive et constructive les enjeux de cette réforme. Je salue, aussi, les nombreux parlementaires qui ont bien senti la portée de ce texte, ont accepté son économie générale, et proposé des amendements pour lenrichir.
Je souhaite également remercier la présidente de votre commission, Catherine TASCA, qui a largement contribué à la réflexion sur ce projet. Je sais que de très nombreuses réunions se sont tenues, où les débats ont été constructifs et le travail particulièrement sérieux.
Le rapport de Madame LAZERGES, vous a permis danalyser de façon détaillée certaines propositions damendements au projet, pour finalement en retenir certaines et en écarter dautres.
Il en résulte que de nombreux amendements adoptés par votre commission des lois, le plus souvent à linitiative de votre rapporteur, améliorent grandement le projet du Gouvernement et reçoivent dès lors mon plein accord.
Sur certains points cependant, je ne peux être favorable aux solutions retenues par votre commission, parce quelles me paraissent remettre en cause certains des équilibres de la réforme, tels que je viens de vous les rappeler. Je suis toutefois persuadée que le débat à venir permettra de surmonter ces divergences.
*
* *
Présentation du projet de loi :
Le projet de loi tend dune part à mieux protéger la présomption dinnocence, dans son premier titre, et à améliorer les droits des victimes.
I. Le titre Ier du projet permet de mieux prendre en compte le principe selon lequel toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente.
Lénoncé de ce principe et de ses conséquences sera désormais inscrit en tête du code de procédure pénale.
Votre commission propose de réécrire une partie de cet article, pour le rendre plus complet et plus précis. Je souscris à cette proposition.
Ensuite le projet de loi prévoit quatre grandes séries de dispositions :
le renforcement des droits de la défense et du contradictoire
le renforcement des garanties en matière de détention provisoire
le droits dêtre jugé dans un délai raisonnable
la limitation des atteintes à la réputation.
1) Le projet de loi renforce tout dabord les droits de la défense et le respect du débat contradictoire :
a/ En premier lieu, il prévoit lintervention de lavocat au cours de la garde à vue dès la première heure de la mesure, sauf dans les cas de criminalité ou de délinquance organisée.
Actuellement, moins de 10 % des personnes gardées à vue peuvent sentretenir avec un avocat. En effet, la présence de lavocat est actuellement prévue à la vingtième heure, et toutes les gardes à vue ne se prolongent pas jusquà ce terme. Désormais, toute personne à qui il sera reproché une infraction de droit commun pourra, avant dêtre interrogée pendant 24 heures, voire 48 heures par la police ou la gendarmerie, recevoir les conseils avisés dun avocat, et dés le début.
Votre commission des lois a adopté plusieurs amendements concernant la garde à vue. Si certains recueillent mon approbation, dautres me paraissent soulever dimportantes difficultés sur lesquelles je reviendrais au cours des débats.
Je suis ainsi tout à fait favorable à lamendement permettant à un avocat de revenir à la vingtième heure de garde à vue, et pas seulement au moment de la prolongation comme le prévoyait le projet du Gouvernement.
b/ En deuxième lieu, le projet étend les droits des parties au cours de linstruction :
Celles-ci pourront demander au juge tous les actes quelles estiment nécessaires, et non plus uniquement certains actes limitativement énumérés ; leur avocat pourra demander à ce que certains des actes demandés soient effectués en sa présence.
Là encore, un exemple montre le bien-fondé de ces modifications. Si un avocat peut être présent lors de laudition dun témoin clef au cours de linstruction, il pourra peut-être lui poser des questions démontrant que laccusation est infondée, ce qui permettra alors un non-lieu. Actuellement, ces questions ne pourront être posées que lors de laudience devant le tribunal. Et même si laccusation seffondre à ce stade de la procédure et que le prévenu bénéficie dune relaxe, il eu été évidemment préférable pour lui de ne pas être renvoyé devant le tribunal.
Plusieurs amendements adoptés par votre commission des lois améliorent, dun point de vue technique, les dispositions du projet, et reçoivent ainsi laccord du Gouvernement.
c/ En troisième lieu, le projet améliore la procédure du témoin assisté, qui permet à une personne faisant lobjet dune accusation de bénéficier des droits de la défense sans être mise en examen.
On connaît lopprobre qui sattache à la mise en examen. Le projet permettra au juge, sans fragiliser la procédure, de choisir, dans un certain nombre de cas, de ne pas mettre en examen. Le texte permet à une personne, accusée, de se défendre sans pour autant être mise en examen. Là encore, des amendements de votre commission des lois viennent utilement compléter ou préciser le projet.
Le texte vise à inciter fortement les juges à recourir, à lutilisation la plus fréquente possible de la procédure du témoin assisté de préférence à la mise en examen.
d/ Enfin, le projet donne la possibilité aux avocats de poser directement des questions aux témoins au cours de laudience, ce qui nest pas possible actuellement.
Ce renforcement du contradictoire à laudience est évidemment un réel progrès des droits de la défense.
Je tiens à souligner que cette avancée concerne tous les procès, que le tribunal ait été saisi directement par le parquet par citation ou en comparution immédiate, ou quil soit saisi par un juge dinstruction.
Avec laccord du Gouvernement, votre commission étend à la procédure devant la cour dassises les dispositions du projet, qui ne concernaient que le tribunal correctionnel.
2/ Le projet du Gouvernement renforce ensuite les garanties en matière de détention provisoire, afin que cette mesure soit prononcée moins souvent et moins longtemps, et quelle devienne véritablement exceptionnelle.
a/ Le texte crée un juge de la détention provisoire.
Ce juge expérimenté, impartial et objectif aura désormais la responsabilité de décider des placements en détention provisoire, des prolongations de détention provisoire et de statuer sur les demandes de mise en liberté.
Cest là une garantie fondamentale, car elle signifie quune détention provisoire ne pourra intervenir que si deux magistrats - le juge dinstruction et le juge de la détention provisoire - en sont daccord. Les détentions considérées comme abusives, car ordonnées par un seul « juge-enquêteur », soupçonné de vouloir faire pression sur le mis en examen et obtenir ses aveux, pourront ainsi disparaître.
Je me félicite que cette partie essentielle de la réforme ait été aussi bien accueillie par votre commission. Nous aurons loccasion de revenir sur la question des moyens qui permettront la mise en place effective de cette partie de la réforme.
b/ Les conditions de placement en détention et les délais :
Le projet limite par ailleurs les conditions de placement en détention provisoire en matière correctionnelle, ainsi que la durée de la détention provisoire.
Cette partie du projet a soulevé beaucoup de discussions au sein de votre commission, et en soulevera encore en séance.
Il convient de distinguer la question des seuils et celles des délais.
En ce qui concerne les nouveaux seuils autorisant le placement en détention provisoire, je me félicite que votre commission ait accepté de retenir les propositions du Gouvernement.
Certes, il est toujours possible de « placer la barre plus haut » et dinterdire ainsi la détention pour certains faits. Mais lon risque alors de désarmer la répression dans des cas, où de tels faits justifient un placement en détention.
Actuellement, les seuils sont à lévidence trop bas : un an demprisonnement en cas de flagrance, deux ans dans les autres cas. Le projet supprime le seuil dun an et instaure un seuil de trois ans. Des exceptions ont prévues :
sil sagit dun délit contre les personnes, lEtat, la nation ou la paix publique, la détention provisoire sera possible si la peine demprisonnement encourue est égale au moins à deux ans ;
sil sagit dun délit contre les biens, et que la personne a déjà été condamnée, le seuil sera également de deux ans.
Ces nouveaux seuils me paraissent justes et équilibrés. Ils sont certes moins élevés que ceux adoptés il y a un an par lAssemblée nationale lors de lexamen dune proposition de loi déposée et défendue par M. Alain TOURRET.
Mais la situation est aujourdhui différente, car cette modification des seuils saccompagne de la création du juge de la détention, que ne prévoyait pas la proposition de M. TOURRET. Votre commission la bien compris, et je ne peux que me réjouir de cette décision.
Le projet modifie par ailleurs les règles relatives à la durée de la détention provisoire.
Il limite tout dabord lutilisation du critère du trouble à lordre public pour prolonger une détention au délit puni de dix ans demprisonnement. Votre commission souhaite aller plus loin, et nautoriser, quen matière criminelle, la prolongation dune détention en raison de limportance de ce trouble à lordre public résultant de linfraction. Je souscris à cette avancée.
Le projet limite ensuite les délais de la détention provisoire.
En matière criminelle, le droit actuel ne prévoit aucun délai. Le texte, il sagit dune avancée importante du texte, prévoit un délai maximale de 2 ans de détention provisoire pour les faits pour lesquels la peine encourue est de 10 et 15 ans, et de 3 ans quand la peine encourue est de 20 ans. Pour les peines de 30 ans et perpétuelles, le droit actuel est maintenu, ainsi que dans les cas où plusieurs crimes ont été commis par une même personne.
Jinsiste tout particulièrement sur ce dernier point. Il me parait tout à fait important de maintenir la possibilité dune détention plus longue lorsque linstruction, du fait de la multiplicité des faits, demande des investigations complexes. Je souhaite citer deux exemples : les faits de viols et dassassinat commis en 1996, à Boulogne sur Mer sur quatre jeunes filles, et la série de crimes commis récemment dans lEst de Paris. Ces faits, qui sont dune gravité particulière, ne peuvent pas être correctement instruits dans les délais retenus par votre commission. Par ailleurs, il serait tout à fait dommageable, pour une juste application de la loi pénale de dissocier ces faits.
Nous aurons loccasion de revenir sur ce point au cours des débats.
En matière correctionnelle, le texte prévoit aussi une limitation de la durée de la détention provisoire. Actuellement pour les faits qui sont punis dune peine égale à 10 ans, aucun terme nest prévu par la loi, pour la détention provisoire. Le projet propose de la limiter à 2 ans, sauf en ce qui concerne les infractions particulièrement graves comme le trafic de stupéfiants, le terrorisme, et la délinquance organisée.
Sur ce sujet des délais de détention provisoire, votre commission des lois fait des propositions importantes et variées, qui recevront un avis favorable de ma part pour la plupart dentre elles.
Par contre jattire lattention de votre assemblée, sur la suppression souhaitée par votre commission, des exceptions sur la durée maximale de détention dans les affaires graves dont je viens de parler et pour les crimes multiples. La diminution de la détention provisoire est un objectif prioritaire auquel le gouvernement souscrit pleinement. Néanmoins nous ne devons pas affaiblir la répression lorsquest mise en cause de manière grave notre sécurité. Je suis convaincue quil est indispensable de laisser à la justice les moyens de lutter efficacement contre une délinquance organisée, qui vise soit à déstabiliser lEtat, soit à commettre à un échelon national, voire international des infractions impliquant des réseaux.
c/ Lindemnisation des détentions et des frais engagés :
Le projet améliore enfin lindemnisation des détentions provisoires injustifiées, en prévoyant une réparation intégrale de tous les chefs de préjudice, à la suite dune décision motivée, prise au cours dun débat public.
Cette réforme est indispensable. Une partie se trouve déjà dans la proposition de loi TOURRET adoptée lannée dernière par lAssemblée nationale. Il est normal que lorsque la justice se trompe, elle répare le préjudice quelle a causé dans sa totalité et en toute transparence.
Je minterroge cependant sur le bien fondé de lamendement de la commission qui tend à mieux mettre en évidence le caractère obligatoire dune telle indemnisation, sauf dans certaines hypothèses limitativement énumérées, car la liste peut être sujette à controverses.
Dans le prolongement de la question de lindemnisation des détentions provisoires abusives, votre commission a adopté, sur la proposition de M. Alain TOURRET, un amendement permettant aux juridictions de mettre à la charge de lEtat une indemnisation des frais irrépétibles exposés par les personnes relaxées ou acquittées. Je le dis clairement : cet amendement, inspiré par dévidentes considérations déquité, est tout à fait justifié, et je remercie Monsieur TOURRET de lavoir déposé.
Jai donc déposé un amendement reprenant cette proposition afin de la préciser et de létendre aux personnes ayant fait lobjet dun non lieu. Il sagit là, dune avancée considérable, qui permettra aux justiciables poursuivis à tort dobtenir un dédommagement des frais engagés pour leur défense. Cette proposition contribuera à rendre notre justice plus proche des citoyens et plus accessible.
3/ Les délais raisonnables :
Le projet renforce le droit à être jugé dans un délai raisonnable, en instituant un contrôle de la durée des enquêtes (par le président du tribunal) et des instructions (par la chambre daccusation et son président), à la demande des personnes suspectées ou mises en examen.
Les dispositions les plus novatrices concernent lenquête. Une personne placée en garde à vue puis libérée, mais qui sait quelle continue de faire lobjet dune enquête depuis plus de huit mois, pourra demander au président du tribunal un débat public pour savoir si cette enquête, peut ou non se poursuivre. Votre commission propose de ramener le délai de 8 mois à 6 mois. Jy suis favorable.
Les dispositions concernant la durée de linstruction sont très importantes. Votre commission propose de remplacer le mécanisme prévu par le Gouvernement, qui permet la mise en place dun calendrier prévisionnel par le juge dinstruction, par un mécanisme plus contraignant, qui repose sur des délais fixes, dont léventuelle prolongation serait soumise à une procédure lourde devant la chambre daccusation.
Le projet du Gouvernement permet dinstaurer un véritable dialogue entre le juge et les parties. Il est fondé sur la confiance faite au juge et sur sa responsabilisation. Surtout, en évitant de fixer des limites impératives, il évite de mettre en péril des enquêtes longues dans des affaires graves, qui nécessitent des délais dinstruction prolongés. Je pense ici aux dossiers de délinquance économique et financière, qui sont complexes et connaissent souvent des développements inattendus. Je pense aussi à linstruction de lattentat du DC 10 de la compagnie U.T.A., ou à laffaire des « fiancées de Fontainebleau », où linstruction a duré plus de 10 ans, pour enfin connaître un aboutissement positif. Etait-il nécessaire dans ces affaires que le juge soit contraint, alors que les investigations étaient permanentes, de solliciter des prolongations de son enquête ? Je ne le pense pas.
Je tiens à vous mettre en garde contre des propositions qui seraient perçues comme un éventuel affaiblissement de la répression et de lenquête, comme une contrainte inutile sur le juge ou comme une volonté de mettre un terme à des affaires sensibles.
4/ La communication :
Enfin, le projet de loi permet de mieux limiter, prévenir, réparer ou réprimer les atteintes à la réputation dune personne qui résultent de sa mise en cause au cours dune procédure judiciaire.
Cette protection résulte de nombreuses dispositions de notre droit, dont certaines ne sont pas modifiées par le projet, mais quil convient de rappeler. Je pense notamment à larticle 9-1 du code civil, ainsi quaux dispositions du code de procédure civile relatives au référé. Ces dispositions ont par le passé démontré leur utilité, et il convient donc de les conserver.
Au-delà de la voie civile, le projet institue dautres garanties qui renforcent la protection de la présomption dinnocence.
Le projet de loi crée deux nouveaux délits punis de 100 000 F damende, celui de publication de limage dune personne menottée ou entravée, et celui de réalisation ou diffusion de sondages sur la culpabilité ou la peine dune personne poursuivie.
Il consacre par ailleurs dans le code de procédure pénale la pratique des communiqués du procureur de la République permettant les « mises au point », à condition quelles présentent un caractère objectif.
Dans le même esprit, il institue de nombreuses « fenêtres de publicité » au cours de la procédure, lors du contrôle de la durée de lenquête, du placement en détention et en cas daudience devant la chambre daccusation, permettant ainsi, à la demande de lintéressé, un débat public sur les charges. Il améliore les dispositions prévoyant que le juge dinstruction ou le tribunal correctionnel doit publier un communiqué en cas de non lieu ou de relaxe.
Il précise enfin que toute mesure utile doit être prise, dans des conditions compatibles avec les exigences de sécurité, pour éviter quune personne menottée ou entravée - hypothèse dont le caractère exceptionnel est rappelé par la loi - soit photographiée ou fasse lobjet dun enregistrement audiovisuel.
La loi indiquera ainsi clairement que des précautions doivent être mises en oeuvre, tant par le chef descorte que par le procureur de la République (qui doit si nécessaire faire en sorte que lescorte puisse pénétrer dans le tribunal par une porte non accessible au public), pour éviter la prise dimages de ces personnes. Actuellement, de telles règles ne sont prévues que par voie de circulaire. Elles seront désormais parties intégrantes du code de procédure pénale.
Le projet améliore enfin les dispositions sur le droit de réponse, en allongeant les délais et en rendant possible lintervention du procureur de la République.
Ces dispositions du projet font lobjet de nombreux amendements de votre commission.
Certains, qui ne font que préciser les dispositions du projet recueillent mon accord. Il en est de même pour celui supprimant le droit de réponse du parquet, auquel je me rallie.
Je ne suis par ailleurs pas favorable aux différents amendements qui interdiraient au juge de refuser les « fenêtres de publicité » au cours de lenquête ou de linstruction, lorsque cette publicité risque dentraver le bon déroulement des investigations. Cette exception à la publicité est fondamentale. Cest dailleurs elle qui justifie le principe, non remis en cause, du secret de lenquête et de linstruction. Il est donc absolument impératif de la conserver. Comment assurer à une enquête quelques chances de réussite, si, par exemple, dans une affaire de trafic de stupéfiants, la première personne arrêtée peut, par le truchement du débat public, prévenir directement ses complices, qui pourront alors prendre la fuite, ou dissimuler les produits de leurs trafics.
Enfin, je suis fermement opposée aux amendements qui ont pour conséquence de porter une atteinte excessive à la liberté dexpression.
Je resterai très ferme sur ce sujet et il appartiendra à lAssemblée nationale de prendre toutes ses responsabilités.
II. Le titre II du projet améliore la situation des victimes.
Comme je lai déjà indiqué, les victimes ont trop souvent été les parents pauvres du procès pénal. Certes, dimportants progrès ont été faits ces dernières années. Tout récemment, la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et la répression des infractions sexuelles a donné des droits concrets et significatifs aux victimes, et notamment lorsquelles sont mineures, de ces infractions.
Par ailleurs, jai adressé le 12 juillet 1998 à lensemble des juridictions une circulaire prescrivant de façon précise les actions quil convenait de mener en faveur des victimes.
Mais il convient daller plus loin.
1/ Les dispositions qui permettent aux victimes dêtre mieux entendues, défendues et indemnisées.
Dune façon générale, il est rappelé en tête du code de procédure pénale le principe - qui ne figure actuellement dans aucun texte - selon lequel lautorité judiciaire doit veiller à la garantie des droits des victimes tout au long de la procédure. Le projet consacre dans la loi le rôle joué par les associations daide aux victimes. Plus de 150 associations daide aux victimes, parmi lesquelles lINAVEM, sont actuellement des interlocuteurs privilégiés des juridictions, et ont passé des conventions avec le ministère de la justice. Cest cette réalité judiciaire, aujourdhui totalement ignorée du code de procédure pénale, que le projet légitime et renforce. Le projet de loi procède par ailleurs à trois modifications permettant déviter aux victimes de se déplacer lors du procès, en leur donnant la possibilité :
de se constituer partie civile par lettre pour demander des dommages et intérêts, quelque soit le montant de la demande ; de se constituer partie civile par télécopie ; de se constituer partie civile dès le stade de lenquête de police.
Dans le même esprit, le projet donne au tribunal correctionnel la possibilité, après avoir condamné le prévenu, de renvoyer à une audience ultérieure lexamen des demandes de la victime, afin de permettre à cette dernière de fournir ses justificatifs et de lui éviter dengager un second procès devant le juge civil.
Ces différentes réformes, dapparence technique, sont très importantes en pratique. Les victimes sont en effet trop souvent les laissées pour compte des « procédures rapides », qui ne leur permettent pas toujours de faire valoir leurs droits dans des conditions satisfaisantes. Je pense aux vols de voitures, aux dégradations, aux agressions qui sont le quotidien des procédures rapides. Sil est indispensable dapporter une réponse rapide à ces faits, il est aussi fondamental de préserver les droits des victimes.
Le projet permet également à la victime dobtenir un dédommagement de la part du condamné (ce qui lui permettra notamment de payer ses frais davocat) en cas de pourvoi abusif de ce dernier. Lindemnisation des victimes doit être améliorée.
Des avancées sont possibles pour permettre une meilleure prise en compte du dédommagement. Je pense que dans le cadre de la navette parlementaire des propositions pourront être faites. Par ailleurs, je compte sur les propositions du rapport de Marie Noëlle LIENEMAN qui doit être prochainement remis au Premier ministre, dici la fin du mois.
2/ La protection de la dignité des victimes :
Enfin, il crée deux nouveaux délits punis de 100.000 F damende, en cas de publication de limage dune victime dans des conditions portant atteinte à sa dignité, ainsi quen cas de publication de lidentité dune victime mineure. La première infraction répond à une nécessité incontestable, que lactualité récente a malheureusement mise en évidence, compte tenu de limperfection de notre législation.
En effet, à la suite de la publication par un hebdomadaire de la photo dune victime de lattentat terroriste de la station Saint-Michel du RER, dans des conditions qui portaient gravement atteinte à la dignité de cette personne, des poursuites engagées sur le fondement de larticle 38 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ont été annulées par la Cour dappel de Paris.
La Cour a considéré que le texte répressif était trop imprécis, et par là même contraire à la Convention européenne des droits de lhomme. La nouvelle infraction, dont les contours sont mieux définis, évite une telle critique.
Votre commission des lois a adopté plusieurs amendements qui viennent encore renforcer les droits des victimes. Pour la plupart, ces amendements inscrivent dans la loi certaines pratiques judiciaires que préconisait la circulaire que jai adressée en juillet 1998 aux juridictions. Ils ne peuvent dès lors que recueillir mon assentiment.
III/ Les moyens et la carte judiciaire :
La réforme présentée par le Gouvernement nécessite évidemment dimportants moyens, notamment en ce qui concerne la création du juge de la détention provisoire.
Je tiens ici à rappeler ma position, qui est constante depuis mon arrivée à la chancellerie : je ne proposerai pas de réforme sans avoir préalablement obtenu les moyens nécessaires à leur mise en oeuvre.
Cest bien évidemment le cas du texte dont nous débattons aujourdhui. Les lois de finances pour 1998 et 1999 ont permis la création de 70 et 140 postes de magistrats supplémentaires. Cest un effort considérable, unique depuis plus de 10 ans.
Parmi ces postes figurent, bien évidemment ceux, dont la création est rendue nécessaire pour la réforme dont nous débattons. Par une circulaire du 19/03/99, jai déjà procédé la localisation de 60 postes budgétaires, dans la perspective de la mise en place du juge de la détention.
Je souhaite avoir dans ce domaine une démarche pragmatique. Les tribunaux de grande instance sont divers dans leur taille et dans leur activité.
Les 22 décisions de détention provisoire prises par le tribunal de grande instance de Guéret ne peuvent donner lieu à une même réponse que les 2150 du tribunal de grande instance de Paris ou les 209 dAvignon.
Il est nécessaire de trouver des solutions multiples et adaptées. Il nest pas possible de répondre, sur tout le territoire par une solution unique.
Quatre hypothèses sont à cet égard concevables.
1/ Jai dores et déjà écarté un premier scénario, qui aurait consisté à nommer et créer un emploi de juge de la détention dans les 187 tribunaux de grande instance. Lactivité de linstruction à Morlaix, Cambrai ou Lure ne nécessite pas la présence dun juge de la détention à temps plein.
2/ Un second scénario pourrait être de nommer des juges de la détention dans un certain nombre de juridictions et de donner à ces juges de la détention une compétence territoriale inter-juridiction sur le modèle des juges des enfants. Cette organisation devrait permettre de mutualiser des moyens entre plusieurs juridictions dun même département.
Dans cette même optique, il est nécessaire de raisonner au niveau des cours dappel. Certaines dentre elles, comme celles de Limoges ou de Bourges, comportent un nombre important de petits tribunaux de grande instance à une et deux chambres. Il est possible denvisager, que magistrats placés auprès des chefs de cours, puissent, en délégation, remplir les fonctions de juge de la détention. La vingtaine de mandats de dépôt prononcés à Brive, ou Tulle peut être prise en charge par un juge placé auprès du premier président de la cour dappel de Limoges.
Enfin, une disposition prévue, dans le projet de loi sur les alternatives aux poursuites, devraient permettre de délocaliser certaines affaires, à linitiative des chefs de cours, quand le tribunal nest pas en capacité de les juger.
3/ Un troisième scénario pourrait être de spécialiser certaines juridictions à la fois pour le juge dinstruction et pour le juge de la détention et de leur donner une compétence inter-juridiction. Votre commission a dailleurs déposé un amendement en ce sens, qui supprime du code de lorganisation judiciaire la disposition prévoyant la présence de juges dinstructions dans chaque tribunal de grande instance.
Ce regroupement des juges dinstructions, et de la détention, en un même lieu, contribue par ailleurs à la nécessaire spécialisation de ces magistrats qui seront de plus en plus confrontés à une délinquance organisée.
4/ Enfin, dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, à plus long terme, des aménagements pourront être mis en place. Vous savez quen ce domaine, jai adopté, là aussi, une démarche pragmatique.
Jai demandé les observations et réflexions des juridictions sur lensemble de ces hypothèses, afin que puissent être dégagés de façon concertée des axes de travail réalisables.
Telles sont les principales dispositions de ce projet, qui dénotent un véritable changement de perspective dans lappréhension des principes généraux de la procédure pénale.
Conclusion :
Je voudrais pour conclure rappeler les deux idées forces qui ont prévalu dans lélaboration de ce projet.
Tout dabord, cette réforme a pour objectif de rendre les différents acteurs du procès pénal plus responsables.
En second lieu, notre procédure pénale doit impérativement concilier de façon équilibrée les libertés individuelles avec les nécessités de la répression, la protection de la présomption dinnocence et le respect de la liberté dexpression.
Ce sont donc ces deux objectifs - responsabilité et équilibre -qui doivent nous guider dans la discussion de ce texte, et qui permettront ladoption dune réforme ambitieuse et éclairée, nécessaire pour que la justice retrouve la confiance de lopinion publique.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 26 mars 1999 )