Texte intégral
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Notre maison abrite à la fois lAssemblée nationale et, ce qui se sait moins, le plus important site Internet institutionnel de France. A ce double titre et à beaucoup dautres, je vous souhaite une chaleureuse bienvenue, vous remerciant davoir accepté une invitation prosaïquement adressée par la poste et non par E-mail.
Représentants de la Nation, du département ou dune région, élus des villes et des villages, nous avons au moins deux convictions en commun. Une même volonté dentreprendre et de créativité. Une même solidarité pour éviter que, sajoutant aux inégalités de patrimoine et de revenus, un nouveau fossé, demain, se creuse entre inforiches et infopauvres. Cette fracture opposerait des individus, des entreprises, des collectivités, les uns disposant à profusion de linformation, richesse du siècle qui vient, les autres qui en seraient privés. Ce nest pas une fatalité.
Deux raisons me font partager lengouement de nos concitoyens pour les NTIC. A léchelle, certes modeste, dune commune de taille moyenne, je mefforce dacclimater ma mairie et sa gestion aux contraintes de formation et aux libertés dexpression dun univers en réseau. Nous avons construit une multimédiathèque qui, réunissant livres, disques, mémoires et écrans, a lambition de mettre le savoir à la portée de tous, équipé et mis en réseau les écoles, collèges et lycées sur la « toile » avant que ne sen préoccupe le ministère de léducation, lancé un site Internet qui rapprochera habitants et élus dans le dialogue pour que chacun donne son sentiment sur son environnement, pour que tous vivent mieux.
En tant que Président de lAssemblée, jattache aussi une attention particulière à ces avancées. Notre site connaît chaque mois 4 millions daccès-pages, un million dimpressions et plusieurs milliers de téléchargements de dossiers législatifs, budgétaires ou de contrôle. Cet effort saccompagne dexpériences internes de dématérialisation de la procédure, comme le dépôt électronique des amendements, et dun effort général déquipement dont la prochaine étape sera une carte multi fonctions interne au palais à la fois badge, porte monnaie, carte de bibliothèque ou de téléphone. Au delà de lexemple du Palais Bourbon, quels doivent être le rôle et la place des collectivités publiques dans la société de linformation ? Cest la question centrale de cette journée. Que peut apporter la société de linformation aux collectivités publiques, cest la question que je voudrais vous retourner. Pour faire face à 2 enjeux.
a) Sur le plan économique, social et culturel, les NTIC ont un rôle déterminant à jouer pour permettre un développement harmonieux des territoires. Jespère quelles seront un élément moteur de lélaboration et de la mise en uvre des contrats de plan Etat-Régions. Même si elles narrêteront pas, à elles seules, la désertification rurale, elles peuvent, grâce au télétravail ou au téléguichet, constituer un espoir de survie pour des zones défavorisées ou isolées.
b) Pour ce qui est du service public, elles doivent contribuer à améliorer la situation des usagers et le fonctionnement des collectivités. Les téléprocédures facilitent laccès à ladministration en réduisant les déplacements, les attentes, en saffranchissant des horaires. Internet permet la circulation dinformation et la communication directe et rapide entre citoyens et élus. Intranet renforce la coopération entre administrations locales en les dotant dun environnement de travail plus efficace, plus rationnel.
Des avantages, cest certain, mais aussi des risques. Sagissant des téléprocédures, comment définir un cadre sécurisé pour le développement du commerce électronique, éviter la vente des fichiers, les effractions virtuelles didentités réelles et empêcher les monopoles indus ou la domination dun Etat ? La faiblesse actuelle du cadre législatif relatif à la valeur juridique du document et de la signature électronique est un frein au développement de ce mode de vente. Je pense quil faudra modifier le code civil pour reconnaître la valeur probatoire du message électronique authentifié par une signature électronique fiable et favoriser la mise en place d'une offre de services de certification. Le Gouvernement prépare un projet de loi conforme aux orientations du projet de directive communautaire sur la signature électronique. Je souhaite que ce texte soit rapidement soumis au Parlement.
Second dérapage possible, celui qui naîtrait dinégalités supplémentaires, géographique ou sociologique, entre zones urbaines et zones rurales, entre couches sociales ou catégories socio-culturelles. Pour que napparaissent pas un Internet des villes et un Internet des champs, un réseau des riches et un autre des pauvres, il convient dabord de sensibiliser élus et responsables aux applications potentielles des NTIC, dorganiser la redistribution des informations, léchange dexpériences et de solutions par la création dune sorte de bourse aux innovations numériques. Cest aux pouvoirs publics dorganiser ce marché et à nous qui avons franchi le pas dapporter la parole. Cest aussi une des missions que sest fixée lAssociation des Villes Numériques. Son président, Jean-Michel Billaut, vous le dira.
Il faut ensuite que les collectivités locales aient la possibilité dinvestir dans les infrastructures de communication à hauts débits, notamment dans les zones à faible densité économique où labsence de concurrence ne favorise pas lapparition dune offre solvable. De fait, ces infrastructures sont désormais un élément indispensable de lattractivité des territoires. Le code des collectivités territoriales leur interdit dexercer une activité commerciale, sauf si la loi reconnaît leur compétence (comme cest le cas pour la gestion de leau) ou sil y a carence de linitiative privée ou publique. Si une collectivité peut poser des fibres optiques, elle na le droit ni de les louer à un opérateur, ni de percevoir de redevances pour leur utilisation. Ne faudrait-il pas considérer que la fibre est un élément du domaine public et non plus un de ses accessoires dont le code interdit la commercialisation ? Le gouvernement étudie les modifications à apporter aux textes. Essayons daller vite !
Autre dérive possible. Celle de la confusion entre la liberté du contenant et les messages contenus. Internet n'est qu'un instrument. Hiérarchiser, trier, préserver la qualité de l'information, là est le vrai défi dInternet. La multitude de renseignements, la documentation dans le désordre qui caractérisent « la toile », devront laisser place au savoir véritable, construit par l'éducation. En bref, il faudra que dans chaque école, il y ait une formation à limage, à sa signification, un apprentissage de lécran et de son utilisation, aux nouvelles technologies, aux nouveaux métiers quelles amèneront. Cest ainsi que se maîtrisera la société de linformation et cest par la maîtrise de linformation, mouvement indissociable dune éducation continuelle, que se développera le savoir. Formation des maîtres, équipements des établissements, il faudra y consacrer des moyens. Je pense tout particulièrement aux écoles primaires. Les opérateurs de télécommunications ne pourraient-ils solvabiliser ce chantier par leur contribution. Car, en attendant, cest aux collectivités locales quil revient dassurer ce financement souvent hors de leur portée.
Assurer légalité de laccès des citoyens aux nouvelles technologies, cest également multiplier les points daccès publics à Internet. Le Gouvernement veut installer des terminaux dans 1.000 bureaux de postes et offrir un accès gratuit à Internet aux demandeurs demplois dans les 800 agences de lANPE. Bravo mais il y a 36.000 communes. Nous disposons dun réseau qui offre un maillage très fin du territoire : celui des bibliothèques municipales. Ce sont par nature des lieux propices à lapprentissage et daccès libre. Pourquoi ne pas nous fixer comme objectif de connecter toutes nos bibliothèques avant la fin du siècle ?
La problématique de laccès pour tous contient la question du coût daccès à Internet par le réseau téléphonique. La « grève des internautes » a suscité de nombreuses réactions. Constatons ensemble aujourdhui que si la tarification na pas encore évolué, la prise de conscience de la réalité du problème sest affirmée. LAutorité de régulation des télécommunications a entamé une concertation avec lensemble des acteurs (fournisseurs daccès, opérateurs, associations). Il faut quelle aboutisse à une solution satisfaisante pour tous. Sinon, comme je lai déjà indiqué, le législateur devra se saisir de ce dossier et trouver une solution. Je continue de considérer que la meilleure serait linstauration dun forfait pour un nombre substantiel dheures. 100 francs pour 100 heures de connexion mensuelles reste un objectif à atteindre rapidement. Jobserve quon va beaucoup plus vite pour décider daugmenter les tarifs que pour les baisser. Il ne serait pas acceptable de dépasser juin.
Permettez-moi de conclure sur une réflexion plus large. La révolution numérique, révolution sans pavés ni barricades, nous conduit dune économie fondée sur la maîtrise et la transformation de la matière à une économie organisée autour de signaux invisibles, circulant à la vitesse de la lumière, ignorant les frontières des vieilles nations, leurs monnaies et parfois leurs lois. Au-delà de léconomie-monde, cest une culture-monde, un mode de vie-monde qui se profilent. Vie sociale, culture et écriture, système de formation, notion du temps, rapport aux autres, tout sera bouleversé. Les collectivités publiques numériques ont leur plein rôle à jouer. Internet, ouvert à tous, ne doit pas lêtre pas à n'importe quoi. Il faut donc protéger les droits des personnes, lintégrité de leur vie privée et lensemble de leurs libertés. Cest à la loi, à lEurope, à la communauté internationale de dire le nouveau droit. 50 ans après la déclaration universelle des droits de lhomme, à nous de savoir utiliser avec intelligence et honnêteté le progrès que représentent les « échanges en ligne ». Internet peut être une contrainte. Internet peut être une chance. Cela dépend de nous.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 20 mars 1999)
Notre maison abrite à la fois lAssemblée nationale et, ce qui se sait moins, le plus important site Internet institutionnel de France. A ce double titre et à beaucoup dautres, je vous souhaite une chaleureuse bienvenue, vous remerciant davoir accepté une invitation prosaïquement adressée par la poste et non par E-mail.
Représentants de la Nation, du département ou dune région, élus des villes et des villages, nous avons au moins deux convictions en commun. Une même volonté dentreprendre et de créativité. Une même solidarité pour éviter que, sajoutant aux inégalités de patrimoine et de revenus, un nouveau fossé, demain, se creuse entre inforiches et infopauvres. Cette fracture opposerait des individus, des entreprises, des collectivités, les uns disposant à profusion de linformation, richesse du siècle qui vient, les autres qui en seraient privés. Ce nest pas une fatalité.
Deux raisons me font partager lengouement de nos concitoyens pour les NTIC. A léchelle, certes modeste, dune commune de taille moyenne, je mefforce dacclimater ma mairie et sa gestion aux contraintes de formation et aux libertés dexpression dun univers en réseau. Nous avons construit une multimédiathèque qui, réunissant livres, disques, mémoires et écrans, a lambition de mettre le savoir à la portée de tous, équipé et mis en réseau les écoles, collèges et lycées sur la « toile » avant que ne sen préoccupe le ministère de léducation, lancé un site Internet qui rapprochera habitants et élus dans le dialogue pour que chacun donne son sentiment sur son environnement, pour que tous vivent mieux.
En tant que Président de lAssemblée, jattache aussi une attention particulière à ces avancées. Notre site connaît chaque mois 4 millions daccès-pages, un million dimpressions et plusieurs milliers de téléchargements de dossiers législatifs, budgétaires ou de contrôle. Cet effort saccompagne dexpériences internes de dématérialisation de la procédure, comme le dépôt électronique des amendements, et dun effort général déquipement dont la prochaine étape sera une carte multi fonctions interne au palais à la fois badge, porte monnaie, carte de bibliothèque ou de téléphone. Au delà de lexemple du Palais Bourbon, quels doivent être le rôle et la place des collectivités publiques dans la société de linformation ? Cest la question centrale de cette journée. Que peut apporter la société de linformation aux collectivités publiques, cest la question que je voudrais vous retourner. Pour faire face à 2 enjeux.
a) Sur le plan économique, social et culturel, les NTIC ont un rôle déterminant à jouer pour permettre un développement harmonieux des territoires. Jespère quelles seront un élément moteur de lélaboration et de la mise en uvre des contrats de plan Etat-Régions. Même si elles narrêteront pas, à elles seules, la désertification rurale, elles peuvent, grâce au télétravail ou au téléguichet, constituer un espoir de survie pour des zones défavorisées ou isolées.
b) Pour ce qui est du service public, elles doivent contribuer à améliorer la situation des usagers et le fonctionnement des collectivités. Les téléprocédures facilitent laccès à ladministration en réduisant les déplacements, les attentes, en saffranchissant des horaires. Internet permet la circulation dinformation et la communication directe et rapide entre citoyens et élus. Intranet renforce la coopération entre administrations locales en les dotant dun environnement de travail plus efficace, plus rationnel.
Des avantages, cest certain, mais aussi des risques. Sagissant des téléprocédures, comment définir un cadre sécurisé pour le développement du commerce électronique, éviter la vente des fichiers, les effractions virtuelles didentités réelles et empêcher les monopoles indus ou la domination dun Etat ? La faiblesse actuelle du cadre législatif relatif à la valeur juridique du document et de la signature électronique est un frein au développement de ce mode de vente. Je pense quil faudra modifier le code civil pour reconnaître la valeur probatoire du message électronique authentifié par une signature électronique fiable et favoriser la mise en place d'une offre de services de certification. Le Gouvernement prépare un projet de loi conforme aux orientations du projet de directive communautaire sur la signature électronique. Je souhaite que ce texte soit rapidement soumis au Parlement.
Second dérapage possible, celui qui naîtrait dinégalités supplémentaires, géographique ou sociologique, entre zones urbaines et zones rurales, entre couches sociales ou catégories socio-culturelles. Pour que napparaissent pas un Internet des villes et un Internet des champs, un réseau des riches et un autre des pauvres, il convient dabord de sensibiliser élus et responsables aux applications potentielles des NTIC, dorganiser la redistribution des informations, léchange dexpériences et de solutions par la création dune sorte de bourse aux innovations numériques. Cest aux pouvoirs publics dorganiser ce marché et à nous qui avons franchi le pas dapporter la parole. Cest aussi une des missions que sest fixée lAssociation des Villes Numériques. Son président, Jean-Michel Billaut, vous le dira.
Il faut ensuite que les collectivités locales aient la possibilité dinvestir dans les infrastructures de communication à hauts débits, notamment dans les zones à faible densité économique où labsence de concurrence ne favorise pas lapparition dune offre solvable. De fait, ces infrastructures sont désormais un élément indispensable de lattractivité des territoires. Le code des collectivités territoriales leur interdit dexercer une activité commerciale, sauf si la loi reconnaît leur compétence (comme cest le cas pour la gestion de leau) ou sil y a carence de linitiative privée ou publique. Si une collectivité peut poser des fibres optiques, elle na le droit ni de les louer à un opérateur, ni de percevoir de redevances pour leur utilisation. Ne faudrait-il pas considérer que la fibre est un élément du domaine public et non plus un de ses accessoires dont le code interdit la commercialisation ? Le gouvernement étudie les modifications à apporter aux textes. Essayons daller vite !
Autre dérive possible. Celle de la confusion entre la liberté du contenant et les messages contenus. Internet n'est qu'un instrument. Hiérarchiser, trier, préserver la qualité de l'information, là est le vrai défi dInternet. La multitude de renseignements, la documentation dans le désordre qui caractérisent « la toile », devront laisser place au savoir véritable, construit par l'éducation. En bref, il faudra que dans chaque école, il y ait une formation à limage, à sa signification, un apprentissage de lécran et de son utilisation, aux nouvelles technologies, aux nouveaux métiers quelles amèneront. Cest ainsi que se maîtrisera la société de linformation et cest par la maîtrise de linformation, mouvement indissociable dune éducation continuelle, que se développera le savoir. Formation des maîtres, équipements des établissements, il faudra y consacrer des moyens. Je pense tout particulièrement aux écoles primaires. Les opérateurs de télécommunications ne pourraient-ils solvabiliser ce chantier par leur contribution. Car, en attendant, cest aux collectivités locales quil revient dassurer ce financement souvent hors de leur portée.
Assurer légalité de laccès des citoyens aux nouvelles technologies, cest également multiplier les points daccès publics à Internet. Le Gouvernement veut installer des terminaux dans 1.000 bureaux de postes et offrir un accès gratuit à Internet aux demandeurs demplois dans les 800 agences de lANPE. Bravo mais il y a 36.000 communes. Nous disposons dun réseau qui offre un maillage très fin du territoire : celui des bibliothèques municipales. Ce sont par nature des lieux propices à lapprentissage et daccès libre. Pourquoi ne pas nous fixer comme objectif de connecter toutes nos bibliothèques avant la fin du siècle ?
La problématique de laccès pour tous contient la question du coût daccès à Internet par le réseau téléphonique. La « grève des internautes » a suscité de nombreuses réactions. Constatons ensemble aujourdhui que si la tarification na pas encore évolué, la prise de conscience de la réalité du problème sest affirmée. LAutorité de régulation des télécommunications a entamé une concertation avec lensemble des acteurs (fournisseurs daccès, opérateurs, associations). Il faut quelle aboutisse à une solution satisfaisante pour tous. Sinon, comme je lai déjà indiqué, le législateur devra se saisir de ce dossier et trouver une solution. Je continue de considérer que la meilleure serait linstauration dun forfait pour un nombre substantiel dheures. 100 francs pour 100 heures de connexion mensuelles reste un objectif à atteindre rapidement. Jobserve quon va beaucoup plus vite pour décider daugmenter les tarifs que pour les baisser. Il ne serait pas acceptable de dépasser juin.
Permettez-moi de conclure sur une réflexion plus large. La révolution numérique, révolution sans pavés ni barricades, nous conduit dune économie fondée sur la maîtrise et la transformation de la matière à une économie organisée autour de signaux invisibles, circulant à la vitesse de la lumière, ignorant les frontières des vieilles nations, leurs monnaies et parfois leurs lois. Au-delà de léconomie-monde, cest une culture-monde, un mode de vie-monde qui se profilent. Vie sociale, culture et écriture, système de formation, notion du temps, rapport aux autres, tout sera bouleversé. Les collectivités publiques numériques ont leur plein rôle à jouer. Internet, ouvert à tous, ne doit pas lêtre pas à n'importe quoi. Il faut donc protéger les droits des personnes, lintégrité de leur vie privée et lensemble de leurs libertés. Cest à la loi, à lEurope, à la communauté internationale de dire le nouveau droit. 50 ans après la déclaration universelle des droits de lhomme, à nous de savoir utiliser avec intelligence et honnêteté le progrès que représentent les « échanges en ligne ». Internet peut être une contrainte. Internet peut être une chance. Cela dépend de nous.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 20 mars 1999)