Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la justice et des libertés, à Europe 1 le 2 septembre 2009, sur la réforme de la procédure pénale envisagée par le gouvernement à la suite de la présentation du "rapport Léger", notamment sur la suppression du juge d'instruction.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Madame le ministre de la Justice, bonjour. C'est comme ça qu'il faut dire. Le ou la, encore une fois. D'ici 2010, votre réforme va supprimer le juge d'instruction, d'abord est-ce que la décision est prise, est-ce que c'est un fait acquis ?
 
Le juge de l'instruction, comme c'est recommandé par la commission Léger et comme d'ailleurs cela est souhaité assez généralement, va être remplacé par un juge de l'enquête et des libertés, qui est un magistrat du siège comme le juge d'instruction mais dont les pouvoirs vont être élargis. Des pouvoirs élargis d'abord parce qu'aujourd'hui le juge d'instruction, on ne le sait pas toujours, s'occupe de 3 à 5% des dossiers, c'est tout. Là c'est un juge qui va contrôler l'ensemble des dossiers, 100% des dossiers. Il aura la possibilité de contrôler l'enquête et donc les procureurs. Il pourra ordonner un certain nombre d'actes. Il pourra aller contre la décision d'un procureur de ne pas poursuivre. C'est donc un juge indépendant et extrêmement fort qui va permettre d'avoir une meilleure efficacité.
 
Donc le juge d'instruction actuel pourra devenir un juge de l'enquête et des libertés ?
 
En ce qui concerne les personnes, il est évident que les juges d'instruction actuels ont une vocation, s'ils le souhaitent et dans le cadre des affectations normales qui sont faites au sein de la magistrature, à devenir juges de l'enquête et des libertés.
 
Mais jusqu'à présent, ce qui est présenté c'est que c'est le procureur qui va disposer de tous les pouvoirs d'enquête et d'accusation. Et c'est là que le bât blesse quand on lit tous les documents parce que sa promotion dépend de l'exécutif ; il est nommé en Conseil des ministres, il est placé sous votre autorité, un Parquet à la botte des gouvernements ?
 
D'abord, je rappelle une chose, c'est que le procureur sera sous le contrôle de ce juge de l'enquête et des libertés. C'est donc une garantie supplémentaire par rapport à ce qui existe aujourd'hui. D'autre part, les procureurs...
 
Pourquoi le juge d'instruction, si on voit qu'il est important et qu'il est utile, pourquoi il est supprimé ?
 
Parce que c'est toute l'instruction que l'on veut regarder. Vous savez la suppression du juge d'instruction c'est une partie d'une des douze mesures qui sont préconisées par les commissions Léger.
 
Mais une des plus importantes, parce que le juge d'instruction a à s'occuper des affaires les plus délicates. Et c'est ça la crainte que l'on entend.
 
Mais aujourd'hui, la création d'un juge de l'enquête et des libertés permettra que ce soit l'ensemble des enquêtes qui soient effectivement contrôlées. Et d'autre part, cela permettra aussi d'avoir quelque chose de plus clair parce qu'aujourd'hui personne ne s'y reconnaît. Vous avez des enquêtes qui sont menées sous la direction du procureur, qui sont menées pour d'autres sous la direction du juge d'instruction, qui sont menées encore pour d'autres sous la direction de la police judiciaire, elle-même sous l'impulsion soit du procureur, soit du juge d'instruction...
 
Est-ce que vous nous dites ce matin qu'on n'a pas très bien compris...
 
...Il faut pour les Français, J.-P. Elkabbach, qu'ils s'y retrouvent dans la procédure. Si on veut réconcilier les Français et la justice, si on veut qu'ils aient confiance dans la justice, il faut que les choses soient claires. Les propositions qui sont faites sont des choses qui permettent d'être clair avec d'une part une instruction qui est menée très clairement par un procureur sous le contrôle d'un juge de l'enquête et des libertés, qui peut ordonner des mesures, qui peut aller contre la volonté du procureur.
 
Donc vous nous dites que nous n'avons peut-être pas tout à fait compris, quand on pense et qu'on lit partout dans les réactions de vos partis et d'abord de l'opposition, que c'est le procureur qui mènera les enquêtes et l'accusation. Mais d'une autre manière, le procureur, vous pouvez, vous ministre ordonner ce que vous voulez, vous pouvez lui demander d'étouffer des affaires qui vous gênent.
 
C'est tout à fait faux. D'abord je rappelle une chose, c'est que la commission qui était très diverse, qui n'a pas toujours donné des avis conformes, a été d'accord sur un point : c'est le fait que le procureur devait rester effectivement dans la hiérarchie et par conséquent pouvait recevoir des instructions. Des instructions générales, c'est ce que l'on appelle les circulaires de politique pénale pour que sur tout le territoire, on mette une priorité à poursuivre telle ou telle chose. Mais les instructions individuelles, je vais vous rappeler une chose, c'est que je n'ai nullement la possibilité de donner une instruction, de classer une affaire ou de ne pas poursuivre. Je ne peux donner d'instruction que de poursuivre, au contraire. Et en plus cette instruction doit être écrite, elle est dans le dossier, et depuis que je suis arrivée, j'ai exigé qu'elle soit motivée. Vous le voyez, vous avez là un véritable contrôle et il est tout à fait inadmissible, parce que c'est une contre-vérité, de dire effectivement que les procureurs ne seraient pas libres et je tiens à ce qu'il y ait une autonomie de leur enquête. Et le juge de l'enquête et des libertés va permettre effectivement de garantir encore mieux cette liberté, cette garantie.
 
Apparemment, vous ne supportez pas qu'on vous dise que l'indépendance des magistrats, ce serait fini. Mais quand vous entendez R. Badinter, le grand prédécesseur, décrire "une OPA du pouvoir sur les affaires les plus importantes de la justice pénale", qu'est-ce que vous lui dites ?
 
Je lui dis qu'il a un grand sens des formules, je lui dis aussi qu'il devrait avoir le sens des réalités et d'essayer de regarder réellement ce qui est fait, sans présupposés. Je crois que c'est ça aussi la grandeur du politique.
 
Les critiques sont unanimes, certains dossiers de politique...
 
Non les critiques ne sont pas unanimes.
 
Dans votre majorité on est obligé de dire "Garde à vous", d'accord.
 
Ce n'est pas simplement dans ma majorité. J'écoute depuis un certain nombre de temps, notamment des avocats et qui voient que cette réforme va garantir mieux les droits de la défense et garantir mieux les droits des victimes. Il ne faut pas l'oublier. Je crois que c'est un réel progrès. Cela est dit par un grand nombre de personnes, que ce soit des universitaires, que ce soit des avocats ou que ce soit des hommes politiques.
 
C'est vrai qu'il y a un certain nombre de points positifs. L'avocat sera présent dès la première heure, les gardes à vue seront réduites en nombre et en durée...
 
...Et mieux encadrés et mieux contrôlés.
 
... La défense sera renforcée, on réduira les détentions provisoires. Mais sur un certain point, les critiques sont unanimes parce que certains dossiers de politiques, de patrons, de stars, certaines corruptions ou affaires gênantes, on pense qu'elles seront enterrées.
 
C'est totalement faux. Et je dirai que c'est insultant pour les magistrats. Et c'est bien la raison pour laquelle je vous réponds parfois un peu vivement. Enfin c'est faire peu de cas à la fois de l'honneur, c'est faire peu de cas de l'indépendance de ces magistrats que sont aussi les procureurs. Et dans le système actuel, encore une fois, à partir du moment où des victimes, à partir du moment où des associations pourront demander au juge de l'enquête et des libertés sur tous les sujets, et pas simplement sur ces 3 ou 5% de dossiers.
 
Et avec le contrôle sur les procureurs, c'est un fait positif, et c'est vrai.
 
C'est un fait positif, c'est un fait globalement positif et je voudrais qu'avant de critiquer, on regarde le texte. Il a été remis hier au président de la République et je vais le faire publier pour que chacun en voie le contenu.
 
Nous l'avons lu et c'est vrai que le comité Léger dit : le juge n'est pas totalement un juge, il n'est pas totalement un enquêteur, et on peut ajouter il n'est pas totalement un saint, quand on voit comment il a mené les perquisitions chez J. Dray, chez D. de Villepin, quand on voit comment il s'est trompé à Outreau, quand on voit comment il s'est trompé dans l'affaire Kerviel. Bon. Est-ce que je peux revenir à l'affaire Clearstream, parce que le compte à rebours est engagé. Le 21 septembre s'ouvre le procès Clearstream. Toutes les parties aujourd'hui concernées cherchent à se placer, à dissuader, elles se durcissent et dans l'Express publié aujourd'hui, D. de Villepin dénonce l'instrumentalisation politicienne de l'affaire Clearstream. Est-ce qu'il a tort ?
 
Il y a un procès - il n'y a pas de procès politique dans notre pays - il y a un procès dans lequel il y a une accusation, dans lequel il y a une défense et c'est le juge qui tranchera et qui tranchera sur des moyens qui sont des moyens de droit et pas des moyens politiques.
 
Si vous êtes appelée par le tribunal, est-ce que vous témoignerez ? Est-ce que vous irez parce que vous avez été à un moment ou à un autre appelée, interrogée, concernée ?
 
J'ai été effectivement appelée comme témoin. Vous le savez dans cette affaire et je l'ai souvent dit, je veux connaître la vérité. Et je veux connaître la vérité parce que j'ai été en quelque sorte ciblée, j'ai été une des victimes potentielles à travers P. Ollier et je veux savoir pourquoi on a cherché à m'atteindre à travers P. Ollier dans cette affaire. Et c'est la raison pour laquelle, je souhaite cette vérité. Ceci dit, je suis garde des Sceaux, je dois donc être en dehors de tout ça et c'est la raison pour laquelle je n'ai même pas demandé la communication du dossier parce que je me fais une haute idée de ma fonction et que je ne veux pas intervenir. Ceci dit, dans ce domaine comme dans n'importe quel autre, je suis comme citoyenne au service de la justice. Si mon témoignage peut aider à trouver cette vérité, comme je le ferais si j'étais témoin d'un accident de voiture, et par conséquent je suis à la disposition des juges comme je l'ai toujours été.
 
Vous avez dit que ce n'est pas un procès politique mais est-ce qu'on ne va pas demander à un tribunal de trancher entre deux destins de grands politiciens ou de grands politiques ?
 
C'est une mauvaise conception du droit et de la justice que celle-ci. La justice est faite pour dire le droit et pas autre chose.
 
Merci d'être venue.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 septembre 2009