Texte intégral
Je suis heureux davoir loccasion de discuter avec vous de textes qui, outre quils ont un impact de plus en plus marqué sur notre législation, deviennent une source de notre droit en dehors du Parlement. Cest une évolution majeure, puisque, depuis la Révolution, il appartenait au Parlement de fixer les incriminations pénales, les peines et la procédure.
Plusieurs textes sont actuellement en négociation : les directives sur les garanties procédurales, les directives de droit pénal spécial relatives à la lutte contre la pédopornographie et la cybercriminalité, ou encore le projet de règlement sur les successions, inscrit à lordre du jour du Conseil « Justice et affaires intérieures » qui se tiendra ce vendredi 9 juin.
Ces textes, qui paraissent extrêmement techniques, concernent directement nos concitoyens comme tous les citoyens européens. Cest notamment le cas du projet de règlement sur les successions qui vise à simplifier le règlement des successions transfrontalières. Après trois années de travaux préparatoires dans lesquels la France sest beaucoup investie, nous approchons dun compromis sur plusieurs points. Nous pouvons considérer avec satisfaction quen dehors de la question de la limitation du champ de la loi successorale, la France est parvenue à sauvegarder lessentiel : le critère de détermination de la loi applicable, qui sera celui de la résidence habituelle, et le principe de la circulation de lacte authentique. Je poursuivrai la défense de ces deux avancées, vendredi, lors de la réunion du Conseil. En outre, malgré larrêt récent de la Cour de justice de lUnion européenne sur la condition de nationalité pour laccès à la profession de notaire en France, nous sommes parvenus à faire valoir notre position ; notre système est reconnu comme pertinent au niveau européen.
Dautres projets en discussion concernent plus directement les acteurs de la chaîne pénale. Cest le cas du projet de directive sur la décision denquête européenne, qui vise à établir au sein de lUnion européenne un régime unique et cohérent en matière de collecte des éléments de preuve dans le domaine pénal. Je souhaite que cet instrument apporte une réelle valeur ajoutée aux praticiens du droit. Pour cela, il est indispensable que les négociations en cours naboutissent pas à un compromis qui se situerait en deçà des standards actuels de lentraide judiciaire, notamment par la multiplication de motifs permettant de refuser les demandes de coopération.
Je souhaite évoquer plus longuement la proposition de directive sur laccès à lavocat, publiée aujourdhui, ainsi que le projet de Parquet européen qui intéresse particulièrement votre commission. Ces deux projets ont une dimension politique dautant plus évidente quils font écho aux discussions qui animent la scène politique intérieure.
Le projet de directive sur laccès à lavocat vient parachever la feuille de route relative aux garanties procédurales décidée par le Conseil en 2009. Deux mesures ont déjà été prises ; le droit à linterprétation et à la traduction des pièces de procédure, dont la négociation est achevée, et linformation des accusés et des suspects, actuellement en discussion au Parlement européen.
La troisième mesure, qui porte sur la garde à vue, entraîne de réelles difficultés car elle nassure pas léquilibre nécessaire entre la protection des droits de la défense et les nécessités de lenquête. Si, il y a quelques semaines, nous sommes parvenus à une loi nationale équilibrée, cette proposition me semble préjudiciable à lefficacité des enquêtes.
Le texte prévoit en effet lintervention systématique de lavocat, dont il étend la présence à dautres actes, tels les perquisitions et les prélèvements sur la personne gardée à vue. Il impose aux enquêteurs dattendre larrivée de lavocat pour tout acte daudition ou denquête qui demande la présence du gardé à vue. De plus, le texte permet à lavocat de poser des questions à tout moment : son intervention pendant les auditions nest pas encadrée comme le prévoit la loi française, et le renvoi au droit national est limité à la consignation de ses observations dans la procédure. Enfin, lentretien du gardé à vue avec lavocat nest pas limité dans le temps : il dure autant quil est nécessaire pour assurer les droits de la défense. Cette conception floue crée une forte insécurité juridique, et donc un risque de nullité.
Toutes ces mesures contraignent les enquêteurs à suivre le rythme imposé par lavocat du gardé à vue : il décide de la durée des entretiens, il peut bloquer une perquisition ou un prélèvement dADN, il peut monopoliser une audition. Le renforcement des droits de la défense est un des objectifs centraux de notre action, mais ce dispositif très contraignant pour les enquêteurs risque de freiner la manifestation de la vérité et de compromettre la réussite des enquêtes, au préjudice de la société et des victimes.
En outre, la proposition de directive ne reconnaît pas de régime dérogatoire de garde à vue pour le terrorisme et la criminalité organisée. Ne prévoyant aucun cadre de garde à vue adapté à cette forme de criminalité, elle ne permet donc aucun report de larrivée de lavocat, comme le prévoit notre droit. Cest toute la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée qui sera affectée par ces dispositions. Afin de tenir compte de la complexité des enquêtes, notre législation permet des dérogations à la présence de lavocat plus flexibles et plus longues pour ces formes de criminalité particulièrement graves. Mais elle exige pour ces dérogations, conformément à la jurisprudence européenne, une motivation in concreto.
Par ailleurs, le projet de directive entraîne un dévoiement du rôle de lavocat.
En effet, il prévoit que lavocat du gardé à vue aura le droit dinspecter les locaux de garde à vue au sein des commissariats et des brigades de gendarmerie. Cette mission relève en France des autorités publiques : procureur de la République, magistrat instructeur, parlementaires et contrôleur général des lieux privations de liberté. Ce contrôle fonctionne, et linstauration dun contrôle de nature privée naurait aucun sens. Ce ne peut être la mission des avocats.
Par ailleurs, le texte impose aux États membres de contrôler la qualité des conseils juridiques délivrés et donc celle du travail des avocats, une compétence qui relève en France des ordres professionnels. Ce nest pas acceptable, et pour une raison de principe et parce quen pratique le contrôle systématique de la qualité des prestations délivrées est irréalisable.
Les conséquences pratiques du projet de directive sont loin dêtre négligeables. Le dispositif retenu, qui impose la présence de lavocat à toutes les auditions des personnes suspectées davoir commis une infraction pénale, conduira à laugmentation mécanique du nombre de gardes à vue, compromettant ainsi les efforts que nous avons accomplis au cours des derniers mois pour remédier à une situation qui nétait plus tenable.
Ce dispositif a des conséquences budgétaires considérables, notamment en matière daide juridictionnelle. Or la Commission ne traite pas la question du financement, en renvoyant la responsabilité à chaque Etat. Mais si lon reproche souvent à la France sa place dans le classement du fonctionnement de la justice, on oublie de dire quelle occupe le premier rang pour la gratuité de laccès à la justice. Ce projet dinspiration individualiste avantagera les personnes qui pourront financer leur défense ; ce nest ni notre tradition ni notre façon de voir les choses.
La négociation doit donc porter aussi sur la question du financement : il en va de la validité même de cette réforme. Imposer un standard européen quaucun pays ne sera capable de supporter financièrement na pas de sens. Il me semble donc opportun de définir un tarif européen de laide juridictionnelle et le champ du financement public de lavocat, harmonisé au sein des États membres. En labsence de financement des nouveaux droits, nous nous orienterons vers une justice inégalitaire. Les deux questions ne peuvent donc être dissociées.
La politique pénale qui se dessine derrière cette proposition est une politique ultralibérale qui limite les capacités opérationnelles des États en matière de lutte contre la délinquance et témoigne dune défiance à légard des États membres. La Commission européenne ne se préoccupe que des droits de la défense, au détriment de ceux des victimes et surtout au détriment des moyens dinvestigation et de poursuite des policiers et du Parquet.
Nous devons être vigilants car ce projet de directive sinscrit dans une démarche plus globale qui peut faire craindre un certain recul au niveau judiciaire. En effet, la Commission européenne montre peu dentrain à développer lentraide judiciaire, et elle a récemment émis des critiques à légard des instruments dextradition dans sa communication sur le mandat darrêt européen, alors que cet instrument améliore considérablement lefficacité des investigations et donc de la lutte contre la criminalité.
Je suis persuadé que nous pouvons construire une autre politique pénale, plus équilibrée, qui permette de renforcer les instruments dentraide et qui propose des cadres adaptés aux attentes de tous les citoyens.
Les citoyens nattendent pas des États quils se désengagent dans ce domaine, tant sen faut, mais quils se fassent les promoteurs dune politique européenne responsable reposant sur des mesures qui peuvent être financées par les États, dune politique pénale équilibrée, protectrice des libertés mais permettant une justice efficace, garantissant la sécurité de tous les citoyens de lUnion et au sein de laquelle les victimes auront toute leur place.
Notre engagement pour la construction dune Europe de la justice doit se forger autour de ces axes forts, car cest grâce à une position cohérente et structurée que nous pourrons mener efficacement la négociation. La politique pénale européenne doit être ambitieuse, et reposer sur une coopération toujours croissante entre les États membres.
Jen viens au projet de création dun Parquet européen.
Depuis le Traité de Lisbonne, qui a concrétisé des réflexions nées une dizaine dannées plus tôt, les États membres ont la possibilité de créer un Parquet européen qui serait compétent pour poursuivre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de lUnion, voire pour lutter contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière. Cest une possibilité et non une obligation.
Aux termes de larticle 86 du traité sur le fonctionnement de lUnion, le Parquet européen, créé «à partir dEurojust», serait compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices de ces infractions, et exercer en la matière laction publique devant les juridictions compétentes des États membres. Le traité renvoie à des actes de droit dérivé le soin de définir ladmissibilité des preuves et les règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure.
Le traité a ainsi fixé un cadre souple, offrant une large gamme de possibilités. Mais avant de passer à létape de la définition et des choix, il est indispensable de tracer les contours de ce que devrait être véritablement ce Parquet européen et surtout de déterminer en quoi son efficacité serait supérieure à celle des Parquets nationaux.
A lévidence, la réflexion ne peut être considérée comme aboutie. Cest dailleurs la raison pour laquelle votre assemblée avait suggéré au Premier ministre de demander au Conseil dEtat une étude sur la question. Cette étude éclaire les enjeux multiples, et délicats, de la question. Je ne prétends pas apporter aujourdhui de réponses définitives, mais vous faire part de quelques réflexions.
Avant toute chose, il sera indispensable de définir clairement le champ de compétences du Parquet européen, ce qui revient à se poser la question des motifs qui doivent, ou pas, conduire à linstituer. Le traité mentionne à cet égard deux possibilités : atteintes aux intérêts financiers de lUnion et criminalité organisée. Jai tendance à penser quau moins dans un premier temps, si le Parquet européen devait être mis en place, il faudrait limiter sa compétence à la protection des intérêts financiers de lUnion. Cela éviterait que le Parquet européen ne se trouve en concurrence avec les Parquets nationaux.
Pour lorganisation du Parquet européen, deux modèles sont envisageables : un collège de procureurs nationaux, sur le modèle dEurojust, ou un Parquet européen intégré, dont les membres ne représentent plus les États membres mais un véritable ministère public européen.
Nous ne sommes pas en mesure daffirmer aujourdhui quun modèle est préférable à lautre. Le Parquet européen intégré permettrait, selon ses promoteurs, de gagner en réactivité, surtout si il devait disposer dun service denquête propre ; le Parquet européen rassemblant un collège de procureurs nationaux permettrait de conserver les spécificités nationales.
Il me paraît toutefois important que les attributions du Parquet ne se limitent pas, comme dans le modèle anglo-saxon, à soutenir laccusation à laudience. Dans la conception française que je défends, il doit également diriger les investigations, poursuivre et soutenir laction publique tout au long de la procédure. Un procureur européen doit avant tout, à linstar dun procureur français, être un magistrat.
Construire un Parquet européen, cest aussi se poser la question de son articulation avec les justices nationales et sur ce point la réflexion est inaboutie. Comment les juridictions nationales pourront-elles autoriser les perquisitions, les écoutes, la détention provisoire ou le contrôle judiciaire des personnes poursuivies ? De même, pour le jugement des infractions relevant du Parquet européen, quelles juridictions doivent être compétentes, en quelle langue doivent se dérouler les débats, et qui doit les financer ?
Par ailleurs, la mise en uvre dun Parquet européen ne suppose-t-elle pas luniformisation des incriminations qui relèveraient de sa compétence ? Les législations pénales nationales relatives à la protection des intérêts financiers de lUnion sont très variables. Pour éviter que le «forum shopping» autrement dit le choix de lEtat membre dans lequel se fera la poursuite, ne porte atteinte à légalité de traitement des justiciables, une telle harmonisation est sans doute nécessaire. Mais le Parlement français acceptera-t-il une modification des incriminations signifiant le cas échéant labaissement de léchelle des peines, au risque dincohérence avec le droit pénal national ?
Linstitution dun Parquet européen, parce quelle traduit une certaine forme dabandon de la souveraineté nationale, est un choix politique important qui doit être débattu par les citoyens, pour quils décident si un procureur installé à Bruxelles ou à Luxembourg protégera mieux les intérêts de la société quun procureur en fonction à quelques kilomètres de chez eux.
Construire lEurope, cest simpliquer dans des choix communs et définir ces choix ensemble. Défendre lEurope, ce nest pas laisser la Commission et même le Parlement européen seuls pour décider des règles qui simposent aux États et aux citoyens : cest investir lespace politique européen dans lequel la droite, le centre et la gauche expriment leurs positions sur les sujets qui concernent directement les citoyens.
Le débat politique sur les instruments juridiques soumis à la négociation est nécessaire, et même indispensable. Cest le signe de la maturité de la construction européenne. Si nous ne nous saisissons pas de ces sujets dintérêt commun, si nous laissons se faire, hors de tout débat, une politique pénale déséquilibrée, les citoyens voteront pour des partis anti-européens, non par hostilité envers la construction européenne mais par hostilité envers la politique menée par lUnion européenne, ce qui est tout autre chose. Derrière la nécessaire politisation du débat européen, cest le consensus autour du projet européen qui est en jeu.
Depuis le Traité de Lisbonne, lUnion européenne peut traiter de sujets qui touchent directement à la vie quotidienne des citoyens ; cest le cas de la justice pénale. Il ne faut pas laisser penser que le débat sur ces questions est technique et quil ne vise quà transposer une jurisprudence de la Cour européenne des droits de lHomme ou de la Cour de justice de lUnion européenne. Il sagit de débats politiques, de débats de société comme nous en avons eus lors des débats sur la loi portant réforme de la garde à vue. A lissue de ces débats, nous sommes parvenus à un texte garantissant léquilibre entre les libertés individuelles constitutionnellement garanties, le maintien de lordre public et la sécurité de nos concitoyens. Cest cet équilibre, qui me semble être une conception largement partagée de la justice, que je mattacherai à défendre au niveau européen.
(Interventions des parlementaires)
Cet intéressant débat a mis en lumière des positions sans doute moins antagonistes quon peut le penser. Lune des manières dêtre européen, cest de sen tenir aux grands principes et docculter les questions pratiques ; mais, selon moi, la seule façon de progresser consiste à tout mettre sur la table sans rien se cacher. Du projet de Parquet européen, le Conseil dEtat dit : «Limpression de relative retenue qui pourrait ( ) résulter (de létude) ne doit pas masquer la conviction que le Conseil dÉtat sest forgée, à loccasion de ses travaux, de la nécessité quil y a de progresser dans la voie du renforcement dun espace judiciaire européen par la création dun véritable organe commun de poursuites pénales.» On ne peut que partager ce point de vue. Mais il reste à définir la forme que lon souhaite donner au Parquet européen - Parquet intégré ou Eurojust renforcé - et à trancher les questions de fond qui demeurent irrésolues.
Un procureur poursuit des infractions légalement déterminées ; dans le cas dun Parquet européen, qui déterminera les incriminations ? Que fera-t-on en cas de «concours» dincriminations entre les États et le Parquet européen ? Dautre part, comment réglera-t-on les relations entre le Parquet européen et les Parquets nationaux ? Comment dessaisira-t-on, qui contrôlera, qui décidera ? Il est vrai, aussi, que décider dinstituer un procureur européen, cest aller vers une forme de fédéralisme.
Il est légitime de se poser ses questions, mais cela nempêche pas de construire lespace judiciaire européen en renforçant Eurojust et ainsi la coopération entre les États membres. Définir des incriminations pénales européennes, cest un abandon de compétence marquant pour un Parlement national, et comme cette définition ne peut relever que dun Parlement, cest reconnaître ce pouvoir au Parlement européen. Régler les questions pratiques - car je comprends le propos de M. Schneider, qui sagace de ce que les procédures quotidiennes continuent de différer dans des pays frontaliers - nempêche pas que lon puisse créer un espace judiciaire européen ; on peut avancer sur les deux fronts en même temps.
Je nai pas lintention de soutenir le texte de la proposition de directive sur laccès à lavocat qui, dans sa forme actuelle, est dangereusement déséquilibré. Les droits de la défense doivent évidemment être respectés, mais ceux de la société et des victimes doivent lêtre aussi ; je le dirai à Mme Reding. Je suis favorable à ce quen France la justice reste accessible à tous. Si, dans notre pays, 60 % du contentieux est dordre familial, cest que chacun peut accéder à la justice ; dans les autres pays, il faut payer pour cela. La manière dont la justice est organisée traduit notre culture, et lon peut avoir de fortes convictions européennes sans pour autant consentir à labandon de sa culture. Je suis très attaché à notre droit, qui fut un temps à la base du droit de nombreux pays européens et qui continue de lêtre dans certains États et je considère ce projet de directive comme inacceptable en létat. Je compte sur les membres de votre commission pour participer à la réflexion sur ces sujets.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 2011
Plusieurs textes sont actuellement en négociation : les directives sur les garanties procédurales, les directives de droit pénal spécial relatives à la lutte contre la pédopornographie et la cybercriminalité, ou encore le projet de règlement sur les successions, inscrit à lordre du jour du Conseil « Justice et affaires intérieures » qui se tiendra ce vendredi 9 juin.
Ces textes, qui paraissent extrêmement techniques, concernent directement nos concitoyens comme tous les citoyens européens. Cest notamment le cas du projet de règlement sur les successions qui vise à simplifier le règlement des successions transfrontalières. Après trois années de travaux préparatoires dans lesquels la France sest beaucoup investie, nous approchons dun compromis sur plusieurs points. Nous pouvons considérer avec satisfaction quen dehors de la question de la limitation du champ de la loi successorale, la France est parvenue à sauvegarder lessentiel : le critère de détermination de la loi applicable, qui sera celui de la résidence habituelle, et le principe de la circulation de lacte authentique. Je poursuivrai la défense de ces deux avancées, vendredi, lors de la réunion du Conseil. En outre, malgré larrêt récent de la Cour de justice de lUnion européenne sur la condition de nationalité pour laccès à la profession de notaire en France, nous sommes parvenus à faire valoir notre position ; notre système est reconnu comme pertinent au niveau européen.
Dautres projets en discussion concernent plus directement les acteurs de la chaîne pénale. Cest le cas du projet de directive sur la décision denquête européenne, qui vise à établir au sein de lUnion européenne un régime unique et cohérent en matière de collecte des éléments de preuve dans le domaine pénal. Je souhaite que cet instrument apporte une réelle valeur ajoutée aux praticiens du droit. Pour cela, il est indispensable que les négociations en cours naboutissent pas à un compromis qui se situerait en deçà des standards actuels de lentraide judiciaire, notamment par la multiplication de motifs permettant de refuser les demandes de coopération.
Je souhaite évoquer plus longuement la proposition de directive sur laccès à lavocat, publiée aujourdhui, ainsi que le projet de Parquet européen qui intéresse particulièrement votre commission. Ces deux projets ont une dimension politique dautant plus évidente quils font écho aux discussions qui animent la scène politique intérieure.
Le projet de directive sur laccès à lavocat vient parachever la feuille de route relative aux garanties procédurales décidée par le Conseil en 2009. Deux mesures ont déjà été prises ; le droit à linterprétation et à la traduction des pièces de procédure, dont la négociation est achevée, et linformation des accusés et des suspects, actuellement en discussion au Parlement européen.
La troisième mesure, qui porte sur la garde à vue, entraîne de réelles difficultés car elle nassure pas léquilibre nécessaire entre la protection des droits de la défense et les nécessités de lenquête. Si, il y a quelques semaines, nous sommes parvenus à une loi nationale équilibrée, cette proposition me semble préjudiciable à lefficacité des enquêtes.
Le texte prévoit en effet lintervention systématique de lavocat, dont il étend la présence à dautres actes, tels les perquisitions et les prélèvements sur la personne gardée à vue. Il impose aux enquêteurs dattendre larrivée de lavocat pour tout acte daudition ou denquête qui demande la présence du gardé à vue. De plus, le texte permet à lavocat de poser des questions à tout moment : son intervention pendant les auditions nest pas encadrée comme le prévoit la loi française, et le renvoi au droit national est limité à la consignation de ses observations dans la procédure. Enfin, lentretien du gardé à vue avec lavocat nest pas limité dans le temps : il dure autant quil est nécessaire pour assurer les droits de la défense. Cette conception floue crée une forte insécurité juridique, et donc un risque de nullité.
Toutes ces mesures contraignent les enquêteurs à suivre le rythme imposé par lavocat du gardé à vue : il décide de la durée des entretiens, il peut bloquer une perquisition ou un prélèvement dADN, il peut monopoliser une audition. Le renforcement des droits de la défense est un des objectifs centraux de notre action, mais ce dispositif très contraignant pour les enquêteurs risque de freiner la manifestation de la vérité et de compromettre la réussite des enquêtes, au préjudice de la société et des victimes.
En outre, la proposition de directive ne reconnaît pas de régime dérogatoire de garde à vue pour le terrorisme et la criminalité organisée. Ne prévoyant aucun cadre de garde à vue adapté à cette forme de criminalité, elle ne permet donc aucun report de larrivée de lavocat, comme le prévoit notre droit. Cest toute la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée qui sera affectée par ces dispositions. Afin de tenir compte de la complexité des enquêtes, notre législation permet des dérogations à la présence de lavocat plus flexibles et plus longues pour ces formes de criminalité particulièrement graves. Mais elle exige pour ces dérogations, conformément à la jurisprudence européenne, une motivation in concreto.
Par ailleurs, le projet de directive entraîne un dévoiement du rôle de lavocat.
En effet, il prévoit que lavocat du gardé à vue aura le droit dinspecter les locaux de garde à vue au sein des commissariats et des brigades de gendarmerie. Cette mission relève en France des autorités publiques : procureur de la République, magistrat instructeur, parlementaires et contrôleur général des lieux privations de liberté. Ce contrôle fonctionne, et linstauration dun contrôle de nature privée naurait aucun sens. Ce ne peut être la mission des avocats.
Par ailleurs, le texte impose aux États membres de contrôler la qualité des conseils juridiques délivrés et donc celle du travail des avocats, une compétence qui relève en France des ordres professionnels. Ce nest pas acceptable, et pour une raison de principe et parce quen pratique le contrôle systématique de la qualité des prestations délivrées est irréalisable.
Les conséquences pratiques du projet de directive sont loin dêtre négligeables. Le dispositif retenu, qui impose la présence de lavocat à toutes les auditions des personnes suspectées davoir commis une infraction pénale, conduira à laugmentation mécanique du nombre de gardes à vue, compromettant ainsi les efforts que nous avons accomplis au cours des derniers mois pour remédier à une situation qui nétait plus tenable.
Ce dispositif a des conséquences budgétaires considérables, notamment en matière daide juridictionnelle. Or la Commission ne traite pas la question du financement, en renvoyant la responsabilité à chaque Etat. Mais si lon reproche souvent à la France sa place dans le classement du fonctionnement de la justice, on oublie de dire quelle occupe le premier rang pour la gratuité de laccès à la justice. Ce projet dinspiration individualiste avantagera les personnes qui pourront financer leur défense ; ce nest ni notre tradition ni notre façon de voir les choses.
La négociation doit donc porter aussi sur la question du financement : il en va de la validité même de cette réforme. Imposer un standard européen quaucun pays ne sera capable de supporter financièrement na pas de sens. Il me semble donc opportun de définir un tarif européen de laide juridictionnelle et le champ du financement public de lavocat, harmonisé au sein des États membres. En labsence de financement des nouveaux droits, nous nous orienterons vers une justice inégalitaire. Les deux questions ne peuvent donc être dissociées.
La politique pénale qui se dessine derrière cette proposition est une politique ultralibérale qui limite les capacités opérationnelles des États en matière de lutte contre la délinquance et témoigne dune défiance à légard des États membres. La Commission européenne ne se préoccupe que des droits de la défense, au détriment de ceux des victimes et surtout au détriment des moyens dinvestigation et de poursuite des policiers et du Parquet.
Nous devons être vigilants car ce projet de directive sinscrit dans une démarche plus globale qui peut faire craindre un certain recul au niveau judiciaire. En effet, la Commission européenne montre peu dentrain à développer lentraide judiciaire, et elle a récemment émis des critiques à légard des instruments dextradition dans sa communication sur le mandat darrêt européen, alors que cet instrument améliore considérablement lefficacité des investigations et donc de la lutte contre la criminalité.
Je suis persuadé que nous pouvons construire une autre politique pénale, plus équilibrée, qui permette de renforcer les instruments dentraide et qui propose des cadres adaptés aux attentes de tous les citoyens.
Les citoyens nattendent pas des États quils se désengagent dans ce domaine, tant sen faut, mais quils se fassent les promoteurs dune politique européenne responsable reposant sur des mesures qui peuvent être financées par les États, dune politique pénale équilibrée, protectrice des libertés mais permettant une justice efficace, garantissant la sécurité de tous les citoyens de lUnion et au sein de laquelle les victimes auront toute leur place.
Notre engagement pour la construction dune Europe de la justice doit se forger autour de ces axes forts, car cest grâce à une position cohérente et structurée que nous pourrons mener efficacement la négociation. La politique pénale européenne doit être ambitieuse, et reposer sur une coopération toujours croissante entre les États membres.
Jen viens au projet de création dun Parquet européen.
Depuis le Traité de Lisbonne, qui a concrétisé des réflexions nées une dizaine dannées plus tôt, les États membres ont la possibilité de créer un Parquet européen qui serait compétent pour poursuivre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de lUnion, voire pour lutter contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière. Cest une possibilité et non une obligation.
Aux termes de larticle 86 du traité sur le fonctionnement de lUnion, le Parquet européen, créé «à partir dEurojust», serait compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices de ces infractions, et exercer en la matière laction publique devant les juridictions compétentes des États membres. Le traité renvoie à des actes de droit dérivé le soin de définir ladmissibilité des preuves et les règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure.
Le traité a ainsi fixé un cadre souple, offrant une large gamme de possibilités. Mais avant de passer à létape de la définition et des choix, il est indispensable de tracer les contours de ce que devrait être véritablement ce Parquet européen et surtout de déterminer en quoi son efficacité serait supérieure à celle des Parquets nationaux.
A lévidence, la réflexion ne peut être considérée comme aboutie. Cest dailleurs la raison pour laquelle votre assemblée avait suggéré au Premier ministre de demander au Conseil dEtat une étude sur la question. Cette étude éclaire les enjeux multiples, et délicats, de la question. Je ne prétends pas apporter aujourdhui de réponses définitives, mais vous faire part de quelques réflexions.
Avant toute chose, il sera indispensable de définir clairement le champ de compétences du Parquet européen, ce qui revient à se poser la question des motifs qui doivent, ou pas, conduire à linstituer. Le traité mentionne à cet égard deux possibilités : atteintes aux intérêts financiers de lUnion et criminalité organisée. Jai tendance à penser quau moins dans un premier temps, si le Parquet européen devait être mis en place, il faudrait limiter sa compétence à la protection des intérêts financiers de lUnion. Cela éviterait que le Parquet européen ne se trouve en concurrence avec les Parquets nationaux.
Pour lorganisation du Parquet européen, deux modèles sont envisageables : un collège de procureurs nationaux, sur le modèle dEurojust, ou un Parquet européen intégré, dont les membres ne représentent plus les États membres mais un véritable ministère public européen.
Nous ne sommes pas en mesure daffirmer aujourdhui quun modèle est préférable à lautre. Le Parquet européen intégré permettrait, selon ses promoteurs, de gagner en réactivité, surtout si il devait disposer dun service denquête propre ; le Parquet européen rassemblant un collège de procureurs nationaux permettrait de conserver les spécificités nationales.
Il me paraît toutefois important que les attributions du Parquet ne se limitent pas, comme dans le modèle anglo-saxon, à soutenir laccusation à laudience. Dans la conception française que je défends, il doit également diriger les investigations, poursuivre et soutenir laction publique tout au long de la procédure. Un procureur européen doit avant tout, à linstar dun procureur français, être un magistrat.
Construire un Parquet européen, cest aussi se poser la question de son articulation avec les justices nationales et sur ce point la réflexion est inaboutie. Comment les juridictions nationales pourront-elles autoriser les perquisitions, les écoutes, la détention provisoire ou le contrôle judiciaire des personnes poursuivies ? De même, pour le jugement des infractions relevant du Parquet européen, quelles juridictions doivent être compétentes, en quelle langue doivent se dérouler les débats, et qui doit les financer ?
Par ailleurs, la mise en uvre dun Parquet européen ne suppose-t-elle pas luniformisation des incriminations qui relèveraient de sa compétence ? Les législations pénales nationales relatives à la protection des intérêts financiers de lUnion sont très variables. Pour éviter que le «forum shopping» autrement dit le choix de lEtat membre dans lequel se fera la poursuite, ne porte atteinte à légalité de traitement des justiciables, une telle harmonisation est sans doute nécessaire. Mais le Parlement français acceptera-t-il une modification des incriminations signifiant le cas échéant labaissement de léchelle des peines, au risque dincohérence avec le droit pénal national ?
Linstitution dun Parquet européen, parce quelle traduit une certaine forme dabandon de la souveraineté nationale, est un choix politique important qui doit être débattu par les citoyens, pour quils décident si un procureur installé à Bruxelles ou à Luxembourg protégera mieux les intérêts de la société quun procureur en fonction à quelques kilomètres de chez eux.
Construire lEurope, cest simpliquer dans des choix communs et définir ces choix ensemble. Défendre lEurope, ce nest pas laisser la Commission et même le Parlement européen seuls pour décider des règles qui simposent aux États et aux citoyens : cest investir lespace politique européen dans lequel la droite, le centre et la gauche expriment leurs positions sur les sujets qui concernent directement les citoyens.
Le débat politique sur les instruments juridiques soumis à la négociation est nécessaire, et même indispensable. Cest le signe de la maturité de la construction européenne. Si nous ne nous saisissons pas de ces sujets dintérêt commun, si nous laissons se faire, hors de tout débat, une politique pénale déséquilibrée, les citoyens voteront pour des partis anti-européens, non par hostilité envers la construction européenne mais par hostilité envers la politique menée par lUnion européenne, ce qui est tout autre chose. Derrière la nécessaire politisation du débat européen, cest le consensus autour du projet européen qui est en jeu.
Depuis le Traité de Lisbonne, lUnion européenne peut traiter de sujets qui touchent directement à la vie quotidienne des citoyens ; cest le cas de la justice pénale. Il ne faut pas laisser penser que le débat sur ces questions est technique et quil ne vise quà transposer une jurisprudence de la Cour européenne des droits de lHomme ou de la Cour de justice de lUnion européenne. Il sagit de débats politiques, de débats de société comme nous en avons eus lors des débats sur la loi portant réforme de la garde à vue. A lissue de ces débats, nous sommes parvenus à un texte garantissant léquilibre entre les libertés individuelles constitutionnellement garanties, le maintien de lordre public et la sécurité de nos concitoyens. Cest cet équilibre, qui me semble être une conception largement partagée de la justice, que je mattacherai à défendre au niveau européen.
(Interventions des parlementaires)
Cet intéressant débat a mis en lumière des positions sans doute moins antagonistes quon peut le penser. Lune des manières dêtre européen, cest de sen tenir aux grands principes et docculter les questions pratiques ; mais, selon moi, la seule façon de progresser consiste à tout mettre sur la table sans rien se cacher. Du projet de Parquet européen, le Conseil dEtat dit : «Limpression de relative retenue qui pourrait ( ) résulter (de létude) ne doit pas masquer la conviction que le Conseil dÉtat sest forgée, à loccasion de ses travaux, de la nécessité quil y a de progresser dans la voie du renforcement dun espace judiciaire européen par la création dun véritable organe commun de poursuites pénales.» On ne peut que partager ce point de vue. Mais il reste à définir la forme que lon souhaite donner au Parquet européen - Parquet intégré ou Eurojust renforcé - et à trancher les questions de fond qui demeurent irrésolues.
Un procureur poursuit des infractions légalement déterminées ; dans le cas dun Parquet européen, qui déterminera les incriminations ? Que fera-t-on en cas de «concours» dincriminations entre les États et le Parquet européen ? Dautre part, comment réglera-t-on les relations entre le Parquet européen et les Parquets nationaux ? Comment dessaisira-t-on, qui contrôlera, qui décidera ? Il est vrai, aussi, que décider dinstituer un procureur européen, cest aller vers une forme de fédéralisme.
Il est légitime de se poser ses questions, mais cela nempêche pas de construire lespace judiciaire européen en renforçant Eurojust et ainsi la coopération entre les États membres. Définir des incriminations pénales européennes, cest un abandon de compétence marquant pour un Parlement national, et comme cette définition ne peut relever que dun Parlement, cest reconnaître ce pouvoir au Parlement européen. Régler les questions pratiques - car je comprends le propos de M. Schneider, qui sagace de ce que les procédures quotidiennes continuent de différer dans des pays frontaliers - nempêche pas que lon puisse créer un espace judiciaire européen ; on peut avancer sur les deux fronts en même temps.
Je nai pas lintention de soutenir le texte de la proposition de directive sur laccès à lavocat qui, dans sa forme actuelle, est dangereusement déséquilibré. Les droits de la défense doivent évidemment être respectés, mais ceux de la société et des victimes doivent lêtre aussi ; je le dirai à Mme Reding. Je suis favorable à ce quen France la justice reste accessible à tous. Si, dans notre pays, 60 % du contentieux est dordre familial, cest que chacun peut accéder à la justice ; dans les autres pays, il faut payer pour cela. La manière dont la justice est organisée traduit notre culture, et lon peut avoir de fortes convictions européennes sans pour autant consentir à labandon de sa culture. Je suis très attaché à notre droit, qui fut un temps à la base du droit de nombreux pays européens et qui continue de lêtre dans certains États et je considère ce projet de directive comme inacceptable en létat. Je compte sur les membres de votre commission pour participer à la réflexion sur ces sujets.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 2011