Texte intégral
1°) Lors des Etats généraux des élus locaux, le 15 juin, à Marseille, vous avez suggéré le passage de la décentralisation à " une République territoriale ". Que signifie ce concept ?
C'est tout simplement la reconnaissance des territoires et de leurs spécificités, et la consécration d'un Etat unitaire encore plus décentralisé. Pour passer enfin à l'acte II de la décentralisation, il faut donner aux collectivités locales les instruments d'une véritable autonomie, leur conférer de nouvelles compétences, leur reconnaître un pouvoir réglementaire et consacrer leur autonomie fiscale.
2°) Vous proposez de doter les collectivités de pouvoirs réglementaires. Dans quels domaines et jusqu'où ?
Il faut leur permettre, si elles le souhaitent, d'adapter la réglementation nationale aux réalités locales. On ne peut concevoir, pour un pays aussi divers que le nôtre, un même habit pour l'ensemble du territoire. Mais cette révolution culturelle ne doit pas se faire n'importe comment. Ce pouvoir réglementaire ne s'exercerait que dans le strict cadre des compétences dévolues aux collectivités. Il ferait l'objet d'une procédure solennelle dans chaque collectivité. Les délibérations concernant l'adaptation de la réglementation seraient prises à la majorité qualifiée des 3/5e de l'assemblée délibérante de la collectivité. Je m'inspire de l'exigence similaire incombant au Parlement réuni à Versailles lorsqu'il s'agit de procéder à une modification de la Constitution. Ensuite, la délibération de la collectivité serait adressée au préfet. En cas de conflit, c'est le Conseil d'Etat qui trancherait.
3°) Cette faculté d'adaptation serait strictement d'ordre réglementaire ?
Absolument. Les collectivités auraient la faculté d'exercer un pouvoir réglementaire à l'exclusion de toute forme de pouvoir législatif. La République est une et indivisible, même si elle doit reconnaître le droit à la différence. La loi doit s'appliquer à l'ensemble du territoire.
4°) Pourriez-vous donner des exemples d'adaptation du pouvoir réglementaire aux réalités locales ?
Prenons la gestion des déchets. La loi détermine l'obligation, pour les collectivités, de supprimer les décharges. Pourquoi ne pas prévoir, dans certaines régions granitiques ou minières, qui disposent de zones d'enfouissement naturelles, la possibilité de continuer à enfouir des déchets ? Un autre exemple, sensible, est celui de la loi sur la chasse, compétence qu'il conviendrait de transférer aux régions. Pourquoi ne pas adapter localement les dates d'ouverture et de fermeture ? Encore un exemple concernant la qualité de l'air : est-il normal que les mesures de restriction de la circulation automobile, lors de pics de pollution, soient décidées par les préfets et non par les exécutifs départementaux et communaux en fonction des réalités locales ?
5°) Vous prônez une décentralisation des compétences pour tous " à la carte ". Que recouvre cette notion ?
C'est très simple. Une collectivité peut solliciter, pour un temps déterminé et à titre expérimental, une compétence nouvelle, dès lors que son exercice a été prévu dans une loi-cadre. A cet égard, je déplore qu'à la faveur du débat sur le projet de loi relatif à la Corse, le gouvernement ait évoqué à la va-vite de possibles nouveaux transferts de compétences. Je regrette cette précipitation, cette législation subreptice et surtout le fait que le gouvernement ne s'intéresse qu'à une seule catégorie de collectivité.
6°) Dans quels domaines, par exemple ?
La sécurité ! Ce qui m'apparaît le plus urgent, aujourd'hui, c'est de permettre aux maires des moyennes et grandes villes d'instituer, sur la base du volontariat, une police territoriale de proximité, qui regrouperait, sous leur autorité, police municipale, police nationale et gendarmerie, afin de mieux répondre aux attentes de la population exaspérée devant la croissance de l'insécurité.
7°) La sécurité est toutefois un domaine qui incombe prioritairement à l'Etat...
Bien sûr, et il n'est pas question de transformer le maire en shérif. Simplement, le maire, dont je rappelle qu'il est officier de police judiciaire, serait le coordonnateur de la force publique. Parce que lui seul connaît les zones sensibles et parfois les délinquants, nul n'est mieux placé que lui pour orienter l'action de la police. Il ne s'agit pas de dépouiller la police et la gendarmerie de leurs prérogatives. Il s'agit simplement de coordonner réellement les forces de sécurité afin d'éradiquer les zones de non-droit où les lois de la République ne sont plus appliquées.
8°) Coordonner les acteurs de la sécurité est le principal objectif des contrats locaux de sécurité. Jugez-vous que ce dispositif a échoué ?
Je constate que les résultats des CLS ne sont pas satisfaisants. Je ne condamne pas cette initiative. Simplement, elle n'aboutit pas à un recul de l'insécurité et j'en tire les enseignements. Je ne comprends pas qu'après vingt ans de décentralisation on ne soit pas passé à une étape plus radicale en la matière.
9°) Quels sont les autres domaines où les collectivités pourraient intervenir ?
Par exemple l'enseignement. Pourquoi les départements et les régions devraient-ils éternellement se contenter de construire des bâtiments scolaires et de gérer des murs ? On pourrait concevoir qu'une région puisse élaborer des programmes de formation adaptés à ses réalités économiques. Je suis élu d'une région forestière où il y a pénurie de cadres dans le secteur du bois. Il serait donc logique de mettre au point des cursus de formation adaptés plutôt que de promouvoir des formations qui ne sont pas en relation avec l'économie locale. Un autre domaine de compétence à la carte pourrait concerner les aides au développement. Actuellement, la situation est anarchique. Pourquoi ne pas permettre aux collectivités de soutenir leur économie locale et de mettre en place des structures incitatives à la création d'activités nouvelles ?
10°) Sur ce dernier point, les amendements du gouvernement au projet de loi démocratie de proximité sont-ils insuffisants ?
Oui, car ils ne concernent que les régions. Pourquoi les départements et les communes n'auraient-ils pas, eux aussi, la possibilité d'intervenir ? Pourquoi ne pas croiser les compétences des différents niveaux de collectivités dans le domaine économique ? Mais pour cela, il faut un peu d'audace. Je déplore que ces amendements apparaissent sans que le gouvernement ait cru bon de lancer la moindre concertation avec les collectivités. Il semblerait que, devant l'action de fond menée par le Sénat, le gouvernement ait peur d'être dépassé. Le résultat est qu'il agit dans l'urgence, en proposant à la sauvette quelques amendements sans projet de fond.
11°) Quel serait le volet financier de cette " République territoriale " ?
Les collectivités doivent avoir les moyens de mener leurs actions et d'exercer de nouvelles compétences. Or, les collectivités ont hérité de l'Etat une fiscalité quasi obsolète fondée sur les " quatre vieilles ". Il y avait deux impôts évolutifs, la vignette et les droits de mutation. Ils ont été supprimés ou sont en voie d'extinction. Dans le même temps, la révision des bases de la taxe d'habitation n'a jamais été appliquée. Quant à la taxe professionnelle, dont le gouvernement Jospin a supprimé la part salariale, je prends le pari avec vous qu'un autre gouvernement supprimera bientôt la part investissement car il devra relancer l'activité économique.
Plus généralement, il faut donner aux collectivités un complément au produit des impôts traditionnels. Comment ? En prélevant un point de contribution sociale généralisée (CSG) attribué aux conseils généraux, en ventilant une partie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) aux conseils régionaux. Les communes conserveraient la taxe d'habitation et les taxes foncières, au besoin réformées. D'autres sources de complément pourraient être exploitées, le tout étant de doter les collectivités d'impôts modernes et évolutifs. Il faut aussi conforter la péréquation financière entre les collectivités, et créer une enveloppe spéciale pour financer l'intercommunalité.
12°) Le volet financier ne comporte-t-il que la rénovation des impôts locaux ?
Ce n'est pas suffisant. Il faut aussi donner une valeur constitutionnelle au principe d'autonomie fiscale des collectivités. Il est intolérable qu'en quelques années les gouvernements successifs aient grignoté plus de 80 milliards de francs sur les ressources propres des collectivités. Il est grand temps de donner un coup d'arrêt à cette dérive. Les ressources fiscales doivent représenter la part prépondérante des recettes de fonctionnement des collectivités. Il faut également prohiber le remplacement d'impôts locaux par des transferts financiers en provenance de l'Etat sous la forme de dotations à la merci de Bercy, qui varient au gré de la conjoncture économique. Il faut aussi conférer une valeur constitutionnelle au principe de la compensation concomitante et intégrale des charges et élaborer un véritable " pacte de confiance " que l'Etat doit s'engager à respecter avec les collectivités locales. Toutes ces mesures sont contenues dans la proposition de loi constitutionnelle " relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières ", dont j'ai pris l'initiative et que le Sénat a adoptée en première lecture. Ce texte n'est peut être pas parfait. Il revient à l'Assemblée de l'inscrire à son ordre du jour et, le cas échéant, de l'améliorer.
13°) Vous suggérez la création d'un " conseil des finances locales ". Pourquoi ?
Il faut qu'une autorité administrative indépendante, disposant de pouvoirs d'évaluation, d'injonction et de sanction, garantisse les ressources des collectivités, et notamment la juste compensation par l'Etat des transferts de compétences aux collectivités. Aujourd'hui, le Comité des finances locales rend des avis qui, hélas, ne lient pas les gouvernements. Le futur conseil des finances locales serait un gendarme qui veillerait à l'application d'un code de bonne conduite entre l'Etat et les collectivités.
14°) Des compétences à la carte, une faculté d'adapter la réglementation, un pouvoir d'expérimentation, la garantie de l'autonomie fiscale... Comment faudrait-il procéder pour engager ces changements majeurs ?
Il faut tout d'abord ouvrir un grand débat sur ces sujets. C'est ce que je m'efforce de faire à travers les Etats généraux que je réunis avec les élus locaux de toutes tendances politiques pour faire le point sur la décentralisation et élaborer des propositions de loi concrètes.
15°) Ce débat n'a-t-il pas été engagé par le gouvernement à travers la commission Mauroy sur l'avenir de la décentralisation ?
Il y a eu un débat mais non suivi d'effets, si ce n'est le projet de loi démocratie de proximité, engagé dans la précipitation. Au Sénat, nous n'avons pas attendu le projet de loi Vaillant pour faire adopter la proposition de loi Vasselle sur le statut des élus locaux, primordial aujourd'hui dans tous les domaines : formation, rémunération, reconversion, retraite. Le Sénat joue un rôle d'aiguillon et je m'en réjouis.
16°) Au-delà du grand débat, que faut-il faire ?
Il faut une réforme constitutionnelle pour confier un pouvoir réglementaire aux collectivités locales et consacrer leur autonomie financière, ainsi qu'une loi-cadre de dévolution de compétences nouvelles reconnaissant leur droit à l'expérimentation en la matière. Je pense qu'il existe aujourd'hui un consensus sur ces questions chez les élus locaux, quelle que soit leur appartenance politique. Encore faut-il les entendre, ce que le gouvernement actuel ne fait pas.
17°) Le pendant de la " République territoriale " n'est-il pas la réforme de l'Etat ?
Absolument. L'Etat doit réformer son organisation territoriale et ses modes d'intervention. Il doit s'appliquer à lui-même le principe de subsidiarité. Il doit renforcer les pouvoirs du préfet de département qui doit être un " régulateur " territorial et une véritable " tête de pont " de l'Etat. Les préfets doivent devenir les moteurs de " l'interministérialité de terrain ". Ils doivent devenir les interlocuteurs uniques des élus locaux et des interlocuteurs capables d'engager l'Etat. Pour cela, les préfets doivent être directement rattachés au Premier ministre. Parallèlement, l'Etat doit réorganiser ses sous-préfectures afin qu'elles deviennent des maisons des services publics et des conseillers des élus locaux. Sur le fond, il serait bien que l'on passe désormais de l'ère du soupçon à l'ère du conseil.
(source http://www.senat.fr, le 9 juillet 2001)
C'est tout simplement la reconnaissance des territoires et de leurs spécificités, et la consécration d'un Etat unitaire encore plus décentralisé. Pour passer enfin à l'acte II de la décentralisation, il faut donner aux collectivités locales les instruments d'une véritable autonomie, leur conférer de nouvelles compétences, leur reconnaître un pouvoir réglementaire et consacrer leur autonomie fiscale.
2°) Vous proposez de doter les collectivités de pouvoirs réglementaires. Dans quels domaines et jusqu'où ?
Il faut leur permettre, si elles le souhaitent, d'adapter la réglementation nationale aux réalités locales. On ne peut concevoir, pour un pays aussi divers que le nôtre, un même habit pour l'ensemble du territoire. Mais cette révolution culturelle ne doit pas se faire n'importe comment. Ce pouvoir réglementaire ne s'exercerait que dans le strict cadre des compétences dévolues aux collectivités. Il ferait l'objet d'une procédure solennelle dans chaque collectivité. Les délibérations concernant l'adaptation de la réglementation seraient prises à la majorité qualifiée des 3/5e de l'assemblée délibérante de la collectivité. Je m'inspire de l'exigence similaire incombant au Parlement réuni à Versailles lorsqu'il s'agit de procéder à une modification de la Constitution. Ensuite, la délibération de la collectivité serait adressée au préfet. En cas de conflit, c'est le Conseil d'Etat qui trancherait.
3°) Cette faculté d'adaptation serait strictement d'ordre réglementaire ?
Absolument. Les collectivités auraient la faculté d'exercer un pouvoir réglementaire à l'exclusion de toute forme de pouvoir législatif. La République est une et indivisible, même si elle doit reconnaître le droit à la différence. La loi doit s'appliquer à l'ensemble du territoire.
4°) Pourriez-vous donner des exemples d'adaptation du pouvoir réglementaire aux réalités locales ?
Prenons la gestion des déchets. La loi détermine l'obligation, pour les collectivités, de supprimer les décharges. Pourquoi ne pas prévoir, dans certaines régions granitiques ou minières, qui disposent de zones d'enfouissement naturelles, la possibilité de continuer à enfouir des déchets ? Un autre exemple, sensible, est celui de la loi sur la chasse, compétence qu'il conviendrait de transférer aux régions. Pourquoi ne pas adapter localement les dates d'ouverture et de fermeture ? Encore un exemple concernant la qualité de l'air : est-il normal que les mesures de restriction de la circulation automobile, lors de pics de pollution, soient décidées par les préfets et non par les exécutifs départementaux et communaux en fonction des réalités locales ?
5°) Vous prônez une décentralisation des compétences pour tous " à la carte ". Que recouvre cette notion ?
C'est très simple. Une collectivité peut solliciter, pour un temps déterminé et à titre expérimental, une compétence nouvelle, dès lors que son exercice a été prévu dans une loi-cadre. A cet égard, je déplore qu'à la faveur du débat sur le projet de loi relatif à la Corse, le gouvernement ait évoqué à la va-vite de possibles nouveaux transferts de compétences. Je regrette cette précipitation, cette législation subreptice et surtout le fait que le gouvernement ne s'intéresse qu'à une seule catégorie de collectivité.
6°) Dans quels domaines, par exemple ?
La sécurité ! Ce qui m'apparaît le plus urgent, aujourd'hui, c'est de permettre aux maires des moyennes et grandes villes d'instituer, sur la base du volontariat, une police territoriale de proximité, qui regrouperait, sous leur autorité, police municipale, police nationale et gendarmerie, afin de mieux répondre aux attentes de la population exaspérée devant la croissance de l'insécurité.
7°) La sécurité est toutefois un domaine qui incombe prioritairement à l'Etat...
Bien sûr, et il n'est pas question de transformer le maire en shérif. Simplement, le maire, dont je rappelle qu'il est officier de police judiciaire, serait le coordonnateur de la force publique. Parce que lui seul connaît les zones sensibles et parfois les délinquants, nul n'est mieux placé que lui pour orienter l'action de la police. Il ne s'agit pas de dépouiller la police et la gendarmerie de leurs prérogatives. Il s'agit simplement de coordonner réellement les forces de sécurité afin d'éradiquer les zones de non-droit où les lois de la République ne sont plus appliquées.
8°) Coordonner les acteurs de la sécurité est le principal objectif des contrats locaux de sécurité. Jugez-vous que ce dispositif a échoué ?
Je constate que les résultats des CLS ne sont pas satisfaisants. Je ne condamne pas cette initiative. Simplement, elle n'aboutit pas à un recul de l'insécurité et j'en tire les enseignements. Je ne comprends pas qu'après vingt ans de décentralisation on ne soit pas passé à une étape plus radicale en la matière.
9°) Quels sont les autres domaines où les collectivités pourraient intervenir ?
Par exemple l'enseignement. Pourquoi les départements et les régions devraient-ils éternellement se contenter de construire des bâtiments scolaires et de gérer des murs ? On pourrait concevoir qu'une région puisse élaborer des programmes de formation adaptés à ses réalités économiques. Je suis élu d'une région forestière où il y a pénurie de cadres dans le secteur du bois. Il serait donc logique de mettre au point des cursus de formation adaptés plutôt que de promouvoir des formations qui ne sont pas en relation avec l'économie locale. Un autre domaine de compétence à la carte pourrait concerner les aides au développement. Actuellement, la situation est anarchique. Pourquoi ne pas permettre aux collectivités de soutenir leur économie locale et de mettre en place des structures incitatives à la création d'activités nouvelles ?
10°) Sur ce dernier point, les amendements du gouvernement au projet de loi démocratie de proximité sont-ils insuffisants ?
Oui, car ils ne concernent que les régions. Pourquoi les départements et les communes n'auraient-ils pas, eux aussi, la possibilité d'intervenir ? Pourquoi ne pas croiser les compétences des différents niveaux de collectivités dans le domaine économique ? Mais pour cela, il faut un peu d'audace. Je déplore que ces amendements apparaissent sans que le gouvernement ait cru bon de lancer la moindre concertation avec les collectivités. Il semblerait que, devant l'action de fond menée par le Sénat, le gouvernement ait peur d'être dépassé. Le résultat est qu'il agit dans l'urgence, en proposant à la sauvette quelques amendements sans projet de fond.
11°) Quel serait le volet financier de cette " République territoriale " ?
Les collectivités doivent avoir les moyens de mener leurs actions et d'exercer de nouvelles compétences. Or, les collectivités ont hérité de l'Etat une fiscalité quasi obsolète fondée sur les " quatre vieilles ". Il y avait deux impôts évolutifs, la vignette et les droits de mutation. Ils ont été supprimés ou sont en voie d'extinction. Dans le même temps, la révision des bases de la taxe d'habitation n'a jamais été appliquée. Quant à la taxe professionnelle, dont le gouvernement Jospin a supprimé la part salariale, je prends le pari avec vous qu'un autre gouvernement supprimera bientôt la part investissement car il devra relancer l'activité économique.
Plus généralement, il faut donner aux collectivités un complément au produit des impôts traditionnels. Comment ? En prélevant un point de contribution sociale généralisée (CSG) attribué aux conseils généraux, en ventilant une partie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) aux conseils régionaux. Les communes conserveraient la taxe d'habitation et les taxes foncières, au besoin réformées. D'autres sources de complément pourraient être exploitées, le tout étant de doter les collectivités d'impôts modernes et évolutifs. Il faut aussi conforter la péréquation financière entre les collectivités, et créer une enveloppe spéciale pour financer l'intercommunalité.
12°) Le volet financier ne comporte-t-il que la rénovation des impôts locaux ?
Ce n'est pas suffisant. Il faut aussi donner une valeur constitutionnelle au principe d'autonomie fiscale des collectivités. Il est intolérable qu'en quelques années les gouvernements successifs aient grignoté plus de 80 milliards de francs sur les ressources propres des collectivités. Il est grand temps de donner un coup d'arrêt à cette dérive. Les ressources fiscales doivent représenter la part prépondérante des recettes de fonctionnement des collectivités. Il faut également prohiber le remplacement d'impôts locaux par des transferts financiers en provenance de l'Etat sous la forme de dotations à la merci de Bercy, qui varient au gré de la conjoncture économique. Il faut aussi conférer une valeur constitutionnelle au principe de la compensation concomitante et intégrale des charges et élaborer un véritable " pacte de confiance " que l'Etat doit s'engager à respecter avec les collectivités locales. Toutes ces mesures sont contenues dans la proposition de loi constitutionnelle " relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières ", dont j'ai pris l'initiative et que le Sénat a adoptée en première lecture. Ce texte n'est peut être pas parfait. Il revient à l'Assemblée de l'inscrire à son ordre du jour et, le cas échéant, de l'améliorer.
13°) Vous suggérez la création d'un " conseil des finances locales ". Pourquoi ?
Il faut qu'une autorité administrative indépendante, disposant de pouvoirs d'évaluation, d'injonction et de sanction, garantisse les ressources des collectivités, et notamment la juste compensation par l'Etat des transferts de compétences aux collectivités. Aujourd'hui, le Comité des finances locales rend des avis qui, hélas, ne lient pas les gouvernements. Le futur conseil des finances locales serait un gendarme qui veillerait à l'application d'un code de bonne conduite entre l'Etat et les collectivités.
14°) Des compétences à la carte, une faculté d'adapter la réglementation, un pouvoir d'expérimentation, la garantie de l'autonomie fiscale... Comment faudrait-il procéder pour engager ces changements majeurs ?
Il faut tout d'abord ouvrir un grand débat sur ces sujets. C'est ce que je m'efforce de faire à travers les Etats généraux que je réunis avec les élus locaux de toutes tendances politiques pour faire le point sur la décentralisation et élaborer des propositions de loi concrètes.
15°) Ce débat n'a-t-il pas été engagé par le gouvernement à travers la commission Mauroy sur l'avenir de la décentralisation ?
Il y a eu un débat mais non suivi d'effets, si ce n'est le projet de loi démocratie de proximité, engagé dans la précipitation. Au Sénat, nous n'avons pas attendu le projet de loi Vaillant pour faire adopter la proposition de loi Vasselle sur le statut des élus locaux, primordial aujourd'hui dans tous les domaines : formation, rémunération, reconversion, retraite. Le Sénat joue un rôle d'aiguillon et je m'en réjouis.
16°) Au-delà du grand débat, que faut-il faire ?
Il faut une réforme constitutionnelle pour confier un pouvoir réglementaire aux collectivités locales et consacrer leur autonomie financière, ainsi qu'une loi-cadre de dévolution de compétences nouvelles reconnaissant leur droit à l'expérimentation en la matière. Je pense qu'il existe aujourd'hui un consensus sur ces questions chez les élus locaux, quelle que soit leur appartenance politique. Encore faut-il les entendre, ce que le gouvernement actuel ne fait pas.
17°) Le pendant de la " République territoriale " n'est-il pas la réforme de l'Etat ?
Absolument. L'Etat doit réformer son organisation territoriale et ses modes d'intervention. Il doit s'appliquer à lui-même le principe de subsidiarité. Il doit renforcer les pouvoirs du préfet de département qui doit être un " régulateur " territorial et une véritable " tête de pont " de l'Etat. Les préfets doivent devenir les moteurs de " l'interministérialité de terrain ". Ils doivent devenir les interlocuteurs uniques des élus locaux et des interlocuteurs capables d'engager l'Etat. Pour cela, les préfets doivent être directement rattachés au Premier ministre. Parallèlement, l'Etat doit réorganiser ses sous-préfectures afin qu'elles deviennent des maisons des services publics et des conseillers des élus locaux. Sur le fond, il serait bien que l'on passe désormais de l'ère du soupçon à l'ère du conseil.
(source http://www.senat.fr, le 9 juillet 2001)