Texte intégral
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Mesdames, messieurs,
Je suis à la fois très heureux et très honoré de clore ce colloque consacré à la loi d'orientation pour l'outre-mer, dont l'importance, politique, économique, sociale et culturelle, a été très largement soulignée au cours de ces trois journées. La qualité des interventions et la richesse des débats qu'elles ont nourris prouvent que cette loi a profondément renouvelé la réflexion sur les liens qui unissent l'outre-mer à la République.
Je réjouis qu'une nouvelle fois, l'Institut de droit d'outre-mer de l'Université de Montpellier I offre le cadre de ce débat en collaboration avec les équipes des universités des Antilles, de la Guyane et de la Réunion.
La présence de nombreux élus de l'outre-mer démontre que cette rencontre, ses thèmes, sont au cur d'un débat public très dense engagé depuis des années, et que la loi du 13 décembre 2000 permet de relancer, avec enfin une perspective d'évolution et de progrès.
Vous le comprendrez, mon intervention se situera dans le registre de la responsabilité politique qui est la mienne, avec le souci d'apporter à votre débat l'éclairage d'une action, d'affirmer les principes qui la guident et de partager avec vous quelques motifs d'espérer.
Je n'hésite pas à le dire, pour les départements d'outre-mer, cette loi voulue par le gouvernement de Lionel Jospin est historique.
Elle l'est non seulement parce qu'elle prend en compte les réalités locales et leurs singularités, parce qu'elle rompt avec une vision uniforme de notre République, mais plus encore parce qu'elle a permis de dépasser l'opposition stérile entre évolution institutionnelle et développement économique et social.
Séparer ces deux perspectives, c'était ne pas voir que le développement ne peut être durable que s'il repose sur une capacité d'initiative locale. C'était ne pas voir qu'il faut aux populations d'outre-mer des institutions dans lesquelles elles puissent se reconnaître, et qui leur permettent de prendre en main leur destin, de valoriser les atouts que ces régions recèlent et de répondre aux difficultés qu'elles connaissent depuis trop longtemps.
La loi d'orientation pour l'outre-mer a réuni ces deux perspectives, plus encore, a montré qu'elles étaient indissociables. C'est sur la radicale nouveauté d'une telle approche de l'outre-mer, et de l'outre-mer dans la République, que je voudrais insister à présent devant vous. Car la loi d'orientation pour l'outre-mer s'inscrit bien dans un long cheminement : il faut rappeler ce qui l'a précédé, il faut aussi et surtout décrire ce qui commence aujourd'hui, ce qui s'élabore après elle et grâce à elle.
En évoquant ces deux moments, avant et après, je consacrerai mon propos devant vous essentiellement à la question institutionnelle. C'est que le volet économique et social de la LOOM recueille une large adhésion, à l'exception de quelques adeptes - peu nombreux - du toujours plus.
Pour autant, je sais l'urgence à agir en ce domaine.(deuxième vague de décrets signés hier). Je sais la nécessité d'imaginer des stratégies de développement durable. Je rappelle sans relâche la nécessité d'un usage efficace de l'argent public mobilisé dans les contrats de plan et les fonds européens. Je redis notre priorité, commune à l'Etat et aux départements d'outre-mer, de " gagner la seconde mi-temps ", c'est-à-dire l'application concrète de la loi d'orientation.
On ne pourra, ensemble, jouer le coup d'après, et construire de nouvelles perspectives, qu'après avoir réussi, et évalué, la partie qui se joue aujourd'hui.
* *
*
Si l'on revient donc en arrière, il y a encore quelques années, c'est la méfiance et l'incompréhension qui semblaient caractériser à nouveau les relations de l'outre-mer et de la République. Incompréhension de l'hexagone peu attentif à l'identité de ces régions, méfiance des populations là-bas à l'égard d'un pouvoir politique qui semblait peu disposé à prendre en compte leurs revendications.
Aux Antilles, les conflits sociaux se multipliaient. En Nouvelle-Calédonie, l'aspiration à une nouvelle étape se voyait contrariée par l'impasse dans laquelle se trouvait la négociation de ce qu'on a appelé le préalable minier.
L'avenir paraissait plutôt obscur, les perspectives fermées, alors même qu'un certain nombre d'échéances rendaient urgente l'invention d'une politique nouvelle. En effet, bien des dispositifs mis en place l'avaient été de manière transitoire et leur terme se profilait. Il en est ainsi des accords de Matignon, conclus en 1988 pour une durée de dix ans, ou encore de la loi de juillet 1994 dite " loi Perben ", prévue pour cinq ans.
Les perspectives étaient absentes et les discours, dès lors, commençaient inévitablement de se radicaliser : au postulat du statu quo institutionnel des uns, répondaient les surenchères des autres, et, ici ou là, c'est l'épouvantail du largage qu'on recommençait d'agiter, ou le procès d'intentions à l'encontre de la puissance publique qu'à nouveau on instruisait. Au-delà du gouvernement d'alors, c'est l'Etat qui se voyait critiqué, voire mis en cause et à travers lui, la République elle-même.
Pour les départements d'outre-mer, la loi d'orientation a mis fin à ces incertitudes. Lorsque viendra le temps des bilans - il n'est pas encore venu -, elle sera portée au crédit de cette législature. Mais il faut souligner que ce texte, pour majeur qu'il soit, participait lui-même d'une approche politique nouvelle qui concernait l'ensemble de l'outre-mer et qui se fondait sur trois grands principes :
- Premièrement, l'outre-mer a besoin de réformes profondes, et plus encore d'une inspiration qui les guide, qui les anime, qui leur donne leur cohérence. Cette inspiration, c'est la refondation pour l'outre-mer du pacte républicain. Davantage de citoyenneté sans renoncer à faire progresser l'égalité des droits, l'égalité sociale.
Autrement dit, ce qui est en jeu, c'est bien la place de l'outre-mer dans la République et donc une conception renouvelée de cette dernière.
- Deuxièmement, l'outre-mer est un ensemble composé de collectivités ayant chacune une histoire et donc une identité propres. Il n'est pas question, par conséquent, d'y appliquer une politique identique et uniforme. C'est l'approche " sur mesure ", défendue dès 1988 par Louis Le Pensec, alors ministre en charge de l'outre-mer, et réaffirmée par Lionel Jospin lors de la campagne législative de 1997.
- Troisièmement, et ce principe est la conséquence des deux précédents, si la refondation du lien avec la République implique inévitablement des évolutions statutaires, celles-ci ne peuvent en aucun cas être imposées depuis Paris. Elles doivent non seulement s'appuyer sur de larges convergences politiques, qui garantit leur réussite, mais en outre, ces évolutions supposent, pour être mises en uvre, que soit vérifié l'assentiment des populations.
C'est grâce à l'application de ces principes qu'ont été conclus les accords de Nouméa en mai 1998, auxquels ont participé toutes les communautés de Nouvelle-Calédonie ; c'est également ainsi que s'est construit l'accord sur l'avenir de Mayotte l'année dernière qui trouvera sa concrétisation statutaire, je l'espère, avant la fin du mois de juin. C'est enfin à partir d'eux que la loi d'orientation s'est bâtie.
Novatrice par ses principes, novatrice par ses aspirations, la loi d'orientation pour l'outre-mer l'est également, aussi, par la méthode qui a présidé à son élaboration. Le gouvernement a multiplié les consultations des élus et des acteurs de la vie économique et sociale. Ces consultations ont donné lieu à des rapports qui témoignent de leur qualité : le rapport MOSSE, consacré au développement économique de l'outre-mer, le rapport LISE-TAMAYA consacré à la responsabilité politique, le rapport FRAGONARD sur l'emploi, le rapport SENERS sur les Iles du Nord de la Guadeloupe. Plus de deux mille personnalités, outre-mer, furent consultées afin de préparer le projet de loi. Cette démarche est exemplaire. Elle a permis de démontrer sans ambiguïté une aspiration réelle à davantage de responsabilité et à davantage d'identité.
Cette méthode novatrice a porté ses fruits. Transcendant les clivages traditionnels, parfois malgré les consignes nationales, la grande majorité des députés des cinq collectivités d'outre-mer concernées ont voté la loi d'orientation.
Les mesures économiques et sociales font l'unanimité et les propositions politiques fondamentales ne sont plus contestées : la création d'un congrès des élus départementaux et régionaux, le droit pour chaque région à une évolution institutionnelle différenciée et adaptée, dans le respect de nos principes républicains et dans le cadre de l'Union européenne, enfin le principe de la consultation des populations.
L'application de ces principes a eu une autre conséquence essentielle. Pendant des années en effet, s'agissant des réformes institutionnelles à mettre en uvre outre-mer, la gauche française s'est trouvée confrontée à maints procès d'intentions voire à de véritables blocages : qu'on se souvienne de la bataille de l'assemblée unique dans les départements d'outre-mer de 1982. Désormais, et les précédents de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte y ont sans doute contribué, tous les observateurs auront pu observer que cette nouvelle approche politique de l'outre-mer avait rendu possible dans notre espace public une formidable évolution des esprits, et même pour certaines forces politiques, presque une révolution culturelle.
Il y eut certes des combats d'arrière-garde. N'était-il pas paradoxal, et les éminents juristes que vous êtes l'auront sûrement noté, de souscrire, ou de sembler souscrire, au principe de la consultation des populations et, en même temps, de saisir le Conseil constitutionnel pour examiner sa conformité.
Mais autres temps, autres interprétations de la Constitution. Contrairement à ce qu'avait pu laisser croire la décision rendue à l'occasion de la consultation à Mayotte, la Haute juridiction allait faire merci d'approches trop restrictives, sans s'embarrasser au demeurant de considérations juridiques détaillées.
Ne vous y trompez pas, cette décision du Conseil constitutionnel a définitivement validé le processus initié par la loi d'orientation. Elle signifie que dans les départements d'outre-mer comme dans les autres collectivités d'outre-mer, à la différence de la métropole, les populations intéressées peuvent être consultées sur leur avenir. Certes, ces consultations ne sauraient lier le législateur et encore moins le constituant. Certes, les populations consultées devront clairement en être informées, notamment si les orientations proposées supposent une révision de la Constitution. Mais qui peut nier leur force politique et morale, lorsqu'une fois faites, il s'agira de traduire en actes juridiques la volonté qu'elles auront exprimée.
Quoiqu'il en soit, je me réjouis aujourd'hui que l'outre-mer ne soit plus l'otage d'affrontements partisans entre les sensibilités politiques de notre pays. La recherche du consensus, l'implication des élus, l'appel à l'initiative locale ont mis fin à des controverses souvent stériles. Si cette tentation se manifestait à nouveau, il faudra savoir y résister, et dépasser des clivages trop souvent entretenus à dessein, où le sens de l'intérêt général finissait par se perdre.
Mesdames et messieurs, je souhaite, pour ma part, que cette évolution du regard porté vers l'outre-mer s'avère irréversible. Non seulement parce que je ne veux pas mettre en doute la sincérité et le zèle des nouveaux convertis, mais plus encore parce que j'ai toujours eu la conviction qu'il était vain de vouloir contraindre les aspirations profondes en ressuscitant les peurs et en agitant les vieux épouvantails.
*
* *
Certes, Mesdames et messieurs, dans son élaboration, par son adoption et enfin sa promulgation, la loi d'orientation est bien pour les départements d'outre-mer un texte majeur. C'est une loi d'orientation. Ce n'est pas une loi statutaire. Les lois statutaires viendront, au terme d'une nouvelle étape de débat public qui s'engage ou se poursuit, aux Antilles comme en Guyane. Elle ne représente en aucun cas un point d'arrivée : elle est, tout au contraire, un point de départ. Nous pourrons vérifier aux actes qu'elle engage qu'elle tient bien ses promesses.
Tout d'abord, en s'assurant que ses dispositions d'application immédiate se traduisent bien dans les faits ; dispositions économiques évidemment, mais aussi dispositions politiques. Ainsi, en est-il de l'accroissement des responsabilités internationales confiées aux départements d'outre-mer dans leur environnement régional.
En effet, la loi d'orientation a introduit en faveur de ces départements une disposition spécifique dont ne bénéficie aucune collectivité métropolitaine. Il s'agit de la possibilité, dans leur domaine de compétence, de contracter des accords internationaux, non avec des collectivités infra-étatiques, mais avec des Etats au sens du droit international. Autrement dit, il ne s'agit plus d'une simple coopération décentralisée entre collectivités locales de pays différents, mais de responsabilités internationales qui ne trouvent leurs limites que dans les articles 52 et 53 de la Constitution relatifs notamment aux pouvoirs du Président de la République. Encore faut-il, autre révolution culturelle, - au sein de notre appareil diplomatique, celle-là - rompre avec certains réflexes, et le faire sans tarder. A cet égard, comme je l'ai rappelé lors de la conférence de Basse-Terre en avril dernier, je veux ici vous confirmer l'intention du gouvernement, en liaison avec les instances régionales des trois départements concernés, d'initier les démarches diplomatiques nécessaires pour que la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane deviennent membres associés de l'Association des Etats de la Caraïbe (AEC).
Mais ces actes seront d'abord ceux de l'initiative locale. Les congrès des élus départementaux et régionaux se réuniront dans les trois départements français d'Amérique, dès le mois de juin : le 12, en Martinique, le 18 en Guadeloupe et enfin le 29 en Guyane. Le simple fait que ces réunions se tiennent dément les pronostics pessimistes, que certains affichaient plus ou moins ouvertement quant à la capacité des élus concernés d'ouvrir, de façon démocratique et sereine, le débat institutionnel dans ces départements.
Ce débat institutionnel dans les trois départements, Mesdames et messieurs, fondera à l'évidence des propositions qui iront au-delà de l'article 73 de la Constitution, et de l'actuel titre XII. Il est donc particulièrement heureux que désormais chacun s'inscrive dans cette perspective. Le reconnaître sous la forme d'une intention très générale est en soi salutaire, même si ce n'est pas une idée neuve. C'est pour beaucoup d'entre nous depuis longtemps une évidente nécessité.
Comment aborder le titre XII de la Constitution, qui comprend quatre articles (l'un d'entre eux ne concerne pas seulement l'outre-mer), et ses évolutions possibles?
Je veux ce matin évoquer quelques écueils qu'il convient d'éviter :
- Je souhaite bien sûr que la métropole bénéficie demain d'une nouvelle étape dans la décentralisation. Mais je souhaite que, sous couvert d'une réforme globale, ne soient pas retardées ou limitées des évolutions auxquelles aspireraient les départements français d'Amérique.
- Dans le même sens, imaginer pour l'outre-mer un cadre d'ensemble, par exemple de statut constitutionnel, ne doit pas aboutir à revenir sur l'objectif du sur-mesure qui est le nôtre depuis 1988. Il ne suffit pas de vouloir réformer le titre XII de la Constitution. Il faut affirmer le principe d'une évolution différenciée.
- Il faut aussi éviter, je pense ici à La Réunion, aboutir à ce que des changements de statut soient imposés contre le désir des populations. Les députés en ont ainsi décidé hier soir, à l'Assemblée nationale : la procédure du Congrès ne s'appliquera pas à La Réunion.
- Enfin, dernière observation, entonner l'air des réformes n'a de sens et de portée que si l'on sait créer les conditions politiques qui les rendent possibles. Les congrès à venir devront dégager des convergences et des majorités, plus qu'exacerber les différences. C'est à ce prix que la confiance populaire sera accordée.
Ces remarques étant faites, face aux propositions qui viendront, je crois qu'il faudra pour l'avenir adopter des positions sans ambiguïté, sachant que les élus des Antilles et de la Guyane ont clairement rappelé qu'ils entendaient se situer dans la République bien sûr, mais aussi dans l'Europe. Il importera que ce dialogue entre l'outre-mer et la République se poursuive sans délais, même si votre colloque a été l'occasion de rappeler les phases successives qui sont juridiquement nécessaires.
Dès lors, nous serons inévitablement appelés à reparler de l'assemblée unique car il n'est un secret pour personne que , dans les départements d'Amérique, la fusion des deux assemblées actuelles sera probablement proposée. Vous savez, que pour la majorité de la doctrine, (le professeur Luchaire étant l'un des tenants les plus prestigieux de la thèse inverse), une telle réforme suppose une révision constitutionnelle. Pour ma part, sous bénéfice des propositions qui pourront nous être faites, s'agissant du maintien d'un nécessaire équilibre des pouvoirs, je vous confirme, et vous n'en serez pas surpris, que je suis favorable à cette réforme. Si elle émane des congrès locaux, je proposerai au gouvernement de faire sienne cette idée. Elle n'implique pas nécessairement l'uniformité complète dans les trois départements, par exemple s'agissant du mode de scrutin de l'assemblée.
S'agissant, autre exemple, des transferts de compétences, chacun voit bien que l'accroissement des responsabilités locales outre-mer pourra s'avérer d'une toute autre ampleur qu'en métropole. Je pense ici à la maîtrise de l'espace ou à la gestion des infrastructures, tout simplement en raison de l'absence de continuité territoriale ou de problématiques qui n'existent pas dans l'hexagone. Dans le même temps, le choix européen contraint inévitablement la possibilité de certains transferts, je pense ici à la compétence douanière, lorsque ceux-ci ont déjà été opérés au profit de l'Union européenne. De même, il contraint l'exercice de certaines compétences qui doit en respecter les principes.
Telle est l'étape que nous vivons, à la lumière des dispositions issues de la loi d'orientation. C'est bien là une loi qui marquera notre temps. Elle l'est pour l'outre-mer, parce qu'elle lève enfin les ambiguïtés d'une doctrine qui, depuis un demi-siècle, a voulu opposer identité et égalité. Elle l'est pour notre République, parce qu'elle est un premier pas vers la nécessaire modernisation de nos institutions. L'outre-mer inspire la République : il l'incite à rompre avec une tradition plus consulaire que strictement républicaine, qui a nié souvent le pluralisme culturel et les aspirations identitaires et qui, ainsi, a fini par se couper d'une partie des citoyens. Il l'incite à redonner au peuple cette souveraineté qui n'appartient qu'à lui et dont le pouvoir exécutif l'a parfois dépossédé.
Les départements d'outre-mer, et je conclurai par ces mots, ne cessent de nous prouver, par leur implication citoyenne, que le sentiment d'appartenance à une communauté d'origine n'est en rien incompatible avec l'attachement aux principes républicains. A nous tous, intellectuels et universitaires, élus et responsables politiques d'entendre leur voix, et de faire ensemble le choix d'agir.
(source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 05 juin 2001)
Mesdames, messieurs,
Je suis à la fois très heureux et très honoré de clore ce colloque consacré à la loi d'orientation pour l'outre-mer, dont l'importance, politique, économique, sociale et culturelle, a été très largement soulignée au cours de ces trois journées. La qualité des interventions et la richesse des débats qu'elles ont nourris prouvent que cette loi a profondément renouvelé la réflexion sur les liens qui unissent l'outre-mer à la République.
Je réjouis qu'une nouvelle fois, l'Institut de droit d'outre-mer de l'Université de Montpellier I offre le cadre de ce débat en collaboration avec les équipes des universités des Antilles, de la Guyane et de la Réunion.
La présence de nombreux élus de l'outre-mer démontre que cette rencontre, ses thèmes, sont au cur d'un débat public très dense engagé depuis des années, et que la loi du 13 décembre 2000 permet de relancer, avec enfin une perspective d'évolution et de progrès.
Vous le comprendrez, mon intervention se situera dans le registre de la responsabilité politique qui est la mienne, avec le souci d'apporter à votre débat l'éclairage d'une action, d'affirmer les principes qui la guident et de partager avec vous quelques motifs d'espérer.
Je n'hésite pas à le dire, pour les départements d'outre-mer, cette loi voulue par le gouvernement de Lionel Jospin est historique.
Elle l'est non seulement parce qu'elle prend en compte les réalités locales et leurs singularités, parce qu'elle rompt avec une vision uniforme de notre République, mais plus encore parce qu'elle a permis de dépasser l'opposition stérile entre évolution institutionnelle et développement économique et social.
Séparer ces deux perspectives, c'était ne pas voir que le développement ne peut être durable que s'il repose sur une capacité d'initiative locale. C'était ne pas voir qu'il faut aux populations d'outre-mer des institutions dans lesquelles elles puissent se reconnaître, et qui leur permettent de prendre en main leur destin, de valoriser les atouts que ces régions recèlent et de répondre aux difficultés qu'elles connaissent depuis trop longtemps.
La loi d'orientation pour l'outre-mer a réuni ces deux perspectives, plus encore, a montré qu'elles étaient indissociables. C'est sur la radicale nouveauté d'une telle approche de l'outre-mer, et de l'outre-mer dans la République, que je voudrais insister à présent devant vous. Car la loi d'orientation pour l'outre-mer s'inscrit bien dans un long cheminement : il faut rappeler ce qui l'a précédé, il faut aussi et surtout décrire ce qui commence aujourd'hui, ce qui s'élabore après elle et grâce à elle.
En évoquant ces deux moments, avant et après, je consacrerai mon propos devant vous essentiellement à la question institutionnelle. C'est que le volet économique et social de la LOOM recueille une large adhésion, à l'exception de quelques adeptes - peu nombreux - du toujours plus.
Pour autant, je sais l'urgence à agir en ce domaine.(deuxième vague de décrets signés hier). Je sais la nécessité d'imaginer des stratégies de développement durable. Je rappelle sans relâche la nécessité d'un usage efficace de l'argent public mobilisé dans les contrats de plan et les fonds européens. Je redis notre priorité, commune à l'Etat et aux départements d'outre-mer, de " gagner la seconde mi-temps ", c'est-à-dire l'application concrète de la loi d'orientation.
On ne pourra, ensemble, jouer le coup d'après, et construire de nouvelles perspectives, qu'après avoir réussi, et évalué, la partie qui se joue aujourd'hui.
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Si l'on revient donc en arrière, il y a encore quelques années, c'est la méfiance et l'incompréhension qui semblaient caractériser à nouveau les relations de l'outre-mer et de la République. Incompréhension de l'hexagone peu attentif à l'identité de ces régions, méfiance des populations là-bas à l'égard d'un pouvoir politique qui semblait peu disposé à prendre en compte leurs revendications.
Aux Antilles, les conflits sociaux se multipliaient. En Nouvelle-Calédonie, l'aspiration à une nouvelle étape se voyait contrariée par l'impasse dans laquelle se trouvait la négociation de ce qu'on a appelé le préalable minier.
L'avenir paraissait plutôt obscur, les perspectives fermées, alors même qu'un certain nombre d'échéances rendaient urgente l'invention d'une politique nouvelle. En effet, bien des dispositifs mis en place l'avaient été de manière transitoire et leur terme se profilait. Il en est ainsi des accords de Matignon, conclus en 1988 pour une durée de dix ans, ou encore de la loi de juillet 1994 dite " loi Perben ", prévue pour cinq ans.
Les perspectives étaient absentes et les discours, dès lors, commençaient inévitablement de se radicaliser : au postulat du statu quo institutionnel des uns, répondaient les surenchères des autres, et, ici ou là, c'est l'épouvantail du largage qu'on recommençait d'agiter, ou le procès d'intentions à l'encontre de la puissance publique qu'à nouveau on instruisait. Au-delà du gouvernement d'alors, c'est l'Etat qui se voyait critiqué, voire mis en cause et à travers lui, la République elle-même.
Pour les départements d'outre-mer, la loi d'orientation a mis fin à ces incertitudes. Lorsque viendra le temps des bilans - il n'est pas encore venu -, elle sera portée au crédit de cette législature. Mais il faut souligner que ce texte, pour majeur qu'il soit, participait lui-même d'une approche politique nouvelle qui concernait l'ensemble de l'outre-mer et qui se fondait sur trois grands principes :
- Premièrement, l'outre-mer a besoin de réformes profondes, et plus encore d'une inspiration qui les guide, qui les anime, qui leur donne leur cohérence. Cette inspiration, c'est la refondation pour l'outre-mer du pacte républicain. Davantage de citoyenneté sans renoncer à faire progresser l'égalité des droits, l'égalité sociale.
Autrement dit, ce qui est en jeu, c'est bien la place de l'outre-mer dans la République et donc une conception renouvelée de cette dernière.
- Deuxièmement, l'outre-mer est un ensemble composé de collectivités ayant chacune une histoire et donc une identité propres. Il n'est pas question, par conséquent, d'y appliquer une politique identique et uniforme. C'est l'approche " sur mesure ", défendue dès 1988 par Louis Le Pensec, alors ministre en charge de l'outre-mer, et réaffirmée par Lionel Jospin lors de la campagne législative de 1997.
- Troisièmement, et ce principe est la conséquence des deux précédents, si la refondation du lien avec la République implique inévitablement des évolutions statutaires, celles-ci ne peuvent en aucun cas être imposées depuis Paris. Elles doivent non seulement s'appuyer sur de larges convergences politiques, qui garantit leur réussite, mais en outre, ces évolutions supposent, pour être mises en uvre, que soit vérifié l'assentiment des populations.
C'est grâce à l'application de ces principes qu'ont été conclus les accords de Nouméa en mai 1998, auxquels ont participé toutes les communautés de Nouvelle-Calédonie ; c'est également ainsi que s'est construit l'accord sur l'avenir de Mayotte l'année dernière qui trouvera sa concrétisation statutaire, je l'espère, avant la fin du mois de juin. C'est enfin à partir d'eux que la loi d'orientation s'est bâtie.
Novatrice par ses principes, novatrice par ses aspirations, la loi d'orientation pour l'outre-mer l'est également, aussi, par la méthode qui a présidé à son élaboration. Le gouvernement a multiplié les consultations des élus et des acteurs de la vie économique et sociale. Ces consultations ont donné lieu à des rapports qui témoignent de leur qualité : le rapport MOSSE, consacré au développement économique de l'outre-mer, le rapport LISE-TAMAYA consacré à la responsabilité politique, le rapport FRAGONARD sur l'emploi, le rapport SENERS sur les Iles du Nord de la Guadeloupe. Plus de deux mille personnalités, outre-mer, furent consultées afin de préparer le projet de loi. Cette démarche est exemplaire. Elle a permis de démontrer sans ambiguïté une aspiration réelle à davantage de responsabilité et à davantage d'identité.
Cette méthode novatrice a porté ses fruits. Transcendant les clivages traditionnels, parfois malgré les consignes nationales, la grande majorité des députés des cinq collectivités d'outre-mer concernées ont voté la loi d'orientation.
Les mesures économiques et sociales font l'unanimité et les propositions politiques fondamentales ne sont plus contestées : la création d'un congrès des élus départementaux et régionaux, le droit pour chaque région à une évolution institutionnelle différenciée et adaptée, dans le respect de nos principes républicains et dans le cadre de l'Union européenne, enfin le principe de la consultation des populations.
L'application de ces principes a eu une autre conséquence essentielle. Pendant des années en effet, s'agissant des réformes institutionnelles à mettre en uvre outre-mer, la gauche française s'est trouvée confrontée à maints procès d'intentions voire à de véritables blocages : qu'on se souvienne de la bataille de l'assemblée unique dans les départements d'outre-mer de 1982. Désormais, et les précédents de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte y ont sans doute contribué, tous les observateurs auront pu observer que cette nouvelle approche politique de l'outre-mer avait rendu possible dans notre espace public une formidable évolution des esprits, et même pour certaines forces politiques, presque une révolution culturelle.
Il y eut certes des combats d'arrière-garde. N'était-il pas paradoxal, et les éminents juristes que vous êtes l'auront sûrement noté, de souscrire, ou de sembler souscrire, au principe de la consultation des populations et, en même temps, de saisir le Conseil constitutionnel pour examiner sa conformité.
Mais autres temps, autres interprétations de la Constitution. Contrairement à ce qu'avait pu laisser croire la décision rendue à l'occasion de la consultation à Mayotte, la Haute juridiction allait faire merci d'approches trop restrictives, sans s'embarrasser au demeurant de considérations juridiques détaillées.
Ne vous y trompez pas, cette décision du Conseil constitutionnel a définitivement validé le processus initié par la loi d'orientation. Elle signifie que dans les départements d'outre-mer comme dans les autres collectivités d'outre-mer, à la différence de la métropole, les populations intéressées peuvent être consultées sur leur avenir. Certes, ces consultations ne sauraient lier le législateur et encore moins le constituant. Certes, les populations consultées devront clairement en être informées, notamment si les orientations proposées supposent une révision de la Constitution. Mais qui peut nier leur force politique et morale, lorsqu'une fois faites, il s'agira de traduire en actes juridiques la volonté qu'elles auront exprimée.
Quoiqu'il en soit, je me réjouis aujourd'hui que l'outre-mer ne soit plus l'otage d'affrontements partisans entre les sensibilités politiques de notre pays. La recherche du consensus, l'implication des élus, l'appel à l'initiative locale ont mis fin à des controverses souvent stériles. Si cette tentation se manifestait à nouveau, il faudra savoir y résister, et dépasser des clivages trop souvent entretenus à dessein, où le sens de l'intérêt général finissait par se perdre.
Mesdames et messieurs, je souhaite, pour ma part, que cette évolution du regard porté vers l'outre-mer s'avère irréversible. Non seulement parce que je ne veux pas mettre en doute la sincérité et le zèle des nouveaux convertis, mais plus encore parce que j'ai toujours eu la conviction qu'il était vain de vouloir contraindre les aspirations profondes en ressuscitant les peurs et en agitant les vieux épouvantails.
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Certes, Mesdames et messieurs, dans son élaboration, par son adoption et enfin sa promulgation, la loi d'orientation est bien pour les départements d'outre-mer un texte majeur. C'est une loi d'orientation. Ce n'est pas une loi statutaire. Les lois statutaires viendront, au terme d'une nouvelle étape de débat public qui s'engage ou se poursuit, aux Antilles comme en Guyane. Elle ne représente en aucun cas un point d'arrivée : elle est, tout au contraire, un point de départ. Nous pourrons vérifier aux actes qu'elle engage qu'elle tient bien ses promesses.
Tout d'abord, en s'assurant que ses dispositions d'application immédiate se traduisent bien dans les faits ; dispositions économiques évidemment, mais aussi dispositions politiques. Ainsi, en est-il de l'accroissement des responsabilités internationales confiées aux départements d'outre-mer dans leur environnement régional.
En effet, la loi d'orientation a introduit en faveur de ces départements une disposition spécifique dont ne bénéficie aucune collectivité métropolitaine. Il s'agit de la possibilité, dans leur domaine de compétence, de contracter des accords internationaux, non avec des collectivités infra-étatiques, mais avec des Etats au sens du droit international. Autrement dit, il ne s'agit plus d'une simple coopération décentralisée entre collectivités locales de pays différents, mais de responsabilités internationales qui ne trouvent leurs limites que dans les articles 52 et 53 de la Constitution relatifs notamment aux pouvoirs du Président de la République. Encore faut-il, autre révolution culturelle, - au sein de notre appareil diplomatique, celle-là - rompre avec certains réflexes, et le faire sans tarder. A cet égard, comme je l'ai rappelé lors de la conférence de Basse-Terre en avril dernier, je veux ici vous confirmer l'intention du gouvernement, en liaison avec les instances régionales des trois départements concernés, d'initier les démarches diplomatiques nécessaires pour que la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane deviennent membres associés de l'Association des Etats de la Caraïbe (AEC).
Mais ces actes seront d'abord ceux de l'initiative locale. Les congrès des élus départementaux et régionaux se réuniront dans les trois départements français d'Amérique, dès le mois de juin : le 12, en Martinique, le 18 en Guadeloupe et enfin le 29 en Guyane. Le simple fait que ces réunions se tiennent dément les pronostics pessimistes, que certains affichaient plus ou moins ouvertement quant à la capacité des élus concernés d'ouvrir, de façon démocratique et sereine, le débat institutionnel dans ces départements.
Ce débat institutionnel dans les trois départements, Mesdames et messieurs, fondera à l'évidence des propositions qui iront au-delà de l'article 73 de la Constitution, et de l'actuel titre XII. Il est donc particulièrement heureux que désormais chacun s'inscrive dans cette perspective. Le reconnaître sous la forme d'une intention très générale est en soi salutaire, même si ce n'est pas une idée neuve. C'est pour beaucoup d'entre nous depuis longtemps une évidente nécessité.
Comment aborder le titre XII de la Constitution, qui comprend quatre articles (l'un d'entre eux ne concerne pas seulement l'outre-mer), et ses évolutions possibles?
Je veux ce matin évoquer quelques écueils qu'il convient d'éviter :
- Je souhaite bien sûr que la métropole bénéficie demain d'une nouvelle étape dans la décentralisation. Mais je souhaite que, sous couvert d'une réforme globale, ne soient pas retardées ou limitées des évolutions auxquelles aspireraient les départements français d'Amérique.
- Dans le même sens, imaginer pour l'outre-mer un cadre d'ensemble, par exemple de statut constitutionnel, ne doit pas aboutir à revenir sur l'objectif du sur-mesure qui est le nôtre depuis 1988. Il ne suffit pas de vouloir réformer le titre XII de la Constitution. Il faut affirmer le principe d'une évolution différenciée.
- Il faut aussi éviter, je pense ici à La Réunion, aboutir à ce que des changements de statut soient imposés contre le désir des populations. Les députés en ont ainsi décidé hier soir, à l'Assemblée nationale : la procédure du Congrès ne s'appliquera pas à La Réunion.
- Enfin, dernière observation, entonner l'air des réformes n'a de sens et de portée que si l'on sait créer les conditions politiques qui les rendent possibles. Les congrès à venir devront dégager des convergences et des majorités, plus qu'exacerber les différences. C'est à ce prix que la confiance populaire sera accordée.
Ces remarques étant faites, face aux propositions qui viendront, je crois qu'il faudra pour l'avenir adopter des positions sans ambiguïté, sachant que les élus des Antilles et de la Guyane ont clairement rappelé qu'ils entendaient se situer dans la République bien sûr, mais aussi dans l'Europe. Il importera que ce dialogue entre l'outre-mer et la République se poursuive sans délais, même si votre colloque a été l'occasion de rappeler les phases successives qui sont juridiquement nécessaires.
Dès lors, nous serons inévitablement appelés à reparler de l'assemblée unique car il n'est un secret pour personne que , dans les départements d'Amérique, la fusion des deux assemblées actuelles sera probablement proposée. Vous savez, que pour la majorité de la doctrine, (le professeur Luchaire étant l'un des tenants les plus prestigieux de la thèse inverse), une telle réforme suppose une révision constitutionnelle. Pour ma part, sous bénéfice des propositions qui pourront nous être faites, s'agissant du maintien d'un nécessaire équilibre des pouvoirs, je vous confirme, et vous n'en serez pas surpris, que je suis favorable à cette réforme. Si elle émane des congrès locaux, je proposerai au gouvernement de faire sienne cette idée. Elle n'implique pas nécessairement l'uniformité complète dans les trois départements, par exemple s'agissant du mode de scrutin de l'assemblée.
S'agissant, autre exemple, des transferts de compétences, chacun voit bien que l'accroissement des responsabilités locales outre-mer pourra s'avérer d'une toute autre ampleur qu'en métropole. Je pense ici à la maîtrise de l'espace ou à la gestion des infrastructures, tout simplement en raison de l'absence de continuité territoriale ou de problématiques qui n'existent pas dans l'hexagone. Dans le même temps, le choix européen contraint inévitablement la possibilité de certains transferts, je pense ici à la compétence douanière, lorsque ceux-ci ont déjà été opérés au profit de l'Union européenne. De même, il contraint l'exercice de certaines compétences qui doit en respecter les principes.
Telle est l'étape que nous vivons, à la lumière des dispositions issues de la loi d'orientation. C'est bien là une loi qui marquera notre temps. Elle l'est pour l'outre-mer, parce qu'elle lève enfin les ambiguïtés d'une doctrine qui, depuis un demi-siècle, a voulu opposer identité et égalité. Elle l'est pour notre République, parce qu'elle est un premier pas vers la nécessaire modernisation de nos institutions. L'outre-mer inspire la République : il l'incite à rompre avec une tradition plus consulaire que strictement républicaine, qui a nié souvent le pluralisme culturel et les aspirations identitaires et qui, ainsi, a fini par se couper d'une partie des citoyens. Il l'incite à redonner au peuple cette souveraineté qui n'appartient qu'à lui et dont le pouvoir exécutif l'a parfois dépossédé.
Les départements d'outre-mer, et je conclurai par ces mots, ne cessent de nous prouver, par leur implication citoyenne, que le sentiment d'appartenance à une communauté d'origine n'est en rien incompatible avec l'attachement aux principes républicains. A nous tous, intellectuels et universitaires, élus et responsables politiques d'entendre leur voix, et de faire ensemble le choix d'agir.
(source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 05 juin 2001)