Interview de M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, à RTL le 4 mars 2013, sur le projet de réforme pénale et la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, les agressions de policiers, les enseignements de l'affaire Merah et la proposition de loi du PCF sur l'amnistie pour les délits commis dans le cadre de l'action syndicale.

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Texte intégral

JEROME CHAPUIS
Vous avez proposé ce week-end que les agressions contre les forces de l'ordre soient plus sévèrement punies. Pourquoi ? Est-ce que vous avez des raisons de penser que la justice est laxiste sur ce sujet ?
MANUEL VALLS
Il y a eu 5 630 blessés, en 2012, lors d'une mission anti délinquance et maintien de l'ordre, dont 276 policiers par armes à feu ou par armes blanches, donc cela veut bien dire que c'est un problème, et que cette augmentation des agressions à l'égard des forces de l'ordre, elle est là, elle est présente depuis plus de 5 ans.
JEROME CHAPUIS
Et la justice n'est pas assez sévère.
MANUEL VALLS
Non, la justice, elle peut être sévère, mais elle est confrontée au problème de l'engorgement des tribunaux. Mais pour autant, quand on s'attaque à un policier, quand on l'insulte, quand on caillasse des policiers, des gendarmes, quand on s'attaque à son intégrité physique, il faut que la justice passe et qu'elle soit particulièrement sévère.
JEROME CHAPUIS
Mais jusqu'où, dans quelles proportions est-ce qu'il faut alourdir ces peines ?
MANUEL VALLS
Il faut déjà appliquer la loi. Le code pénal est déjà très sévère à l'égard de toutes les agressions vis-à-vis de ceux qui représentent l'autorité, policiers, gendarmes, fonctionnaires, enseignants, sapeurs-pompiers, qui sont souvent agressés, parce qu'il y a aujourd'hui, dans notre société, une contestation de l'autorité. Mais, notamment, pour les premières agressions, trop souvent on prononce des peines, qui ne sont pas de prison ferme, et très souvent, la prison serait pour autant utile.
JEROME CHAPUIS
C'est un message en direction des magistrats qui vont encore trouver que le ministre de l'Intérieur les trouve trop laxistes.
MANUEL VALLS
Non, mais il y a un débat qui s'ouvre sur la réforme pénale, et toute réforme pénale, elle est nécessaire, sans aucun doute, celle-ci doit se faire avec les policiers, elle ne peut pas se faire sans les policiers et encore moins contre les policiers.
JEROME CHAPUIS
Est-ce que vous êtes certains que la garde des Sceaux va vous suivre sur ce dossier ?
MANUEL VALLS
Mais bien évidemment ! Et vous savez que nous ne voulons pas, nous, participer à ce vieux débat, inutile, qui opposerait la garde des Sceaux, le garde des Sceaux, le ministre de la Justice, au ministre de l'Intérieur. La justice et la police, c'est l'autorité de l'Etat, et cette autorité de l'Etat, doit être renforcée.
JEROME CHAPUIS
Je vous pose la question, parce qu'il y avait eu un message, semble-t-il, un peu contradictoire, en tout cas c'est ce que l'on comprend de ce que vous dites ce week-end, avec la conférence de consensus, qui va… qui a rendu ses conclusions il y a une quinzaine de jours, qui va inspirer le texte qui est en préparation pour le printemps, qui sera soutenu par Christiane TAUBIRA, et au fond, qui disait que, enfin, qui insistait sur le choix de la libération conditionnelle, et qui expliquait que la prison créait la récidive. Il n'y a pas une contradiction avec votre message ?
MANUEL VALLS
La conférence de consensus ne ferme pas le débat, elle l'ouvre, et notamment parce qu'il y a de vrais problèmes, la surpopulation carcérale qui crée la récidive, des dizaines de milliers de peines qui ne sont pas appliquées, donc il faut ouvrir un débat et apporter des solutions, mais la prison, l'enfermement, sont utiles, aussi, pour les petites peines. Le vrai problème c'est de savoir comment on prépare la sortie des détenus, leur réinsertion, pour éviter la récidive, et nous allons y travailler, bien évidemment, avec Christiane TAUBIRA.
JEROME CHAPUIS
Vous avez pris la parole après l'agression d'un policier ce week-end à Marseille, vous vous exposez aux mêmes critiques que Nicolas SARKOZY par le passé, un fait divers, une loi, qu'est-ce que vous répondez ?
MANUEL VALLS
Mais parce que j'entends aussi la colère, l'inquiétude des policiers comme des gendarmes. Deux policiers ont trouvé la mort il y a quelques jours, un policier de Marseille a été renversé, volontairement, par un chauffard, une voiture, donc cela veut bien dire qu'il y a un problème et qu'il faut protéger aussi nos forces de l'ordre. Je suis à leurs côtés. Je suis contre, évidemment, contre toute loi qui serait liée à l'émotion, mais il y a une réalité sur le terrain, il y a cette atteinte à l'autorité qui doit trouver une réponse.
JEROME CHAPUIS
Manuel VALLS, il y a un an tout juste, Mohamed MERAH s'apprêtait à passer à l'acte, vous avez pointé des erreurs, des failles, des fautes dans le travail des services de renseignements. Est-ce que ça veut dire que les sept assassinats auraient pu être évités ?
MANUEL VALLS
C'est une question beaucoup trop difficile. Il est normal que les familles se posent cette question. Nous, nous devons tout faire pour tirer les enseignements de ce drame qui a frappé notre pays il y a un an.
JEROME CHAPUIS
Et quels enseignements est-ce que vous avez tirés ?
MANUEL VALLS
Nous les avons déjà tirés, d'abord par une réorganisation de la Direction centrale du renseignement intérieur, pour gagner en efficacité, pour faire face à cette nouvelle menace à cet ennemi intérieur. La France…
JEROME CHAPUIS
Elle est achevée, cette réorganisation ?
MANUEL VALLS
Elle est en voie d'achèvement. La France n'avait pas connu d'attentats depuis 15 ans, donc il est normal que nous en tirions les enseignements, malheureusement après ce drame, et puis j'ai fait voter la loi antiterroriste, par une très large majorité, à l'Assemblée et au Sénat, qui là aussi donne plus de moyens aux forces de l'ordre, aux renseignements, pour s'attaquer au terrorisme. Nous avons démantelé, au cours de ces derniers mois, des groupes terroristes, des filières, des réseaux, des individus, qui avaient déjà commis des actes en France. Je vous rappelle qu'il y a eu un attentat, qui heureusement n'a pas tué, mais qui devait tuer, le 19 septembre dernier, à Sarcelle. Donc, cette politique d'harcèlement, cette stratégie d'harcèlement, elle va évidemment se poursuivre, parce que le terrorisme est une menace ; cette menace, nous la combattons aussi au Mali, avec beaucoup de force, avec beaucoup de courage de la part de nos soldats, mais nous la combattons aussi en France.
JEROME CHAPUIS
D'un mot, l'homme qui dirigeait les renseignements intérieurs au moment de l'affaire MERAH, Bernard SQUARCINI, veut quitter la police et passer dans le privé ; selon LE POINT, il n'attend plus que le feu vert du ministère de l'Intérieur. Vous allez le lui donner ?
MANUEL VALLS
Mais oui, bien évidemment.
JEROME CHAPUIS
On l'évoquait en ouverture du journal de 07h30, le magazine AUTO PLUS est parvenu à se fournir sur Internet, des plaques d'immatriculation, sans aucun contrôle d'identité ni de carte grise. Les usurpations d'immatriculations ont augmenté de 50 % l'an dernier. Qu'est-ce que le ministre de l'Intérieur que vous êtes, va donner comme réponse à ce problème ?
MANUEL VALLS
Rappeler que la loi prévoit 5 ans d'emprisonnement pour une fausse plaque, 7 ans pour une usurpation d'immatriculation, 30 000 € d'amende, donc c'est un délit particulièrement grave, il faut sans doute que les contrôles soient plus efficaces.
JEROME CHAPUIS
Et au-delà des contrôles, est-ce qu'il ne faut pas légiférer, pour un peu mieux réguler ce système ? Puisque manifestement il est très facile de se fournir une plaque d'immatriculation.
MANUEL VALLS
Oui, et puis Internet a démultiplié sans aucun doute ces facilités, le problème est posé, nous allons l'examiner, mais il faut déjà appliquer la loi.
JEROME CHAPUIS
On ne vous a pas entendu, Manuel VALLS, sur la proposition de loi communiste adoptée la semaine dernière au Sénat, amnistie pour les délits commis dans le cadre de l'action syndicale. Qu'est-ce que vous en pensez, au fond ? On a le sentiment que vous n'êtes pas forcément fanatique.
MANUEL VALLS
Eh bien le périmètre, d'ailleurs, de cette loi, a été réduit, ça ne concerne que les conflits du travail, et le reste, je crois que les atteintes aux biens, avec des peines inférieurs ou égales à 5 ans. Mais pour ma part, je reste sceptique sur le principe de l'amnistie, et je crois d'abord aux exigences du dialogue social, mur, responsable dans une démocratie, c'est ça, au fond, qui permet de lutter contre les dérives, qui permet de lutter pour l'emploi, et c'est tout le sens, d'ailleurs, de la loi qui va être adoptée au Conseil des ministres, qui donne plus de souplesse aux entreprises et davantage de sécurité aux salariés.
JEROME CHAPUIS
Vous dites que vous êtes sceptique, ça veut dire que, enfin, pourquoi est-ce que vous ne l'avez pas dit plus fermement ?
MANUEL VALLS
Mais d'abord, c'est une initiative parlementaire, le Parlement peut adopter ce type de proposition de loi. Il faut comprendre, aussi, la colère et le désespoir des salariés et des ouvriers, en but à des patrons qui se sont très mal comportés.
JEROME CHAPUIS
Pourquoi le gouvernement ne s'est pas opposé…
MANUEL VALLS
Il faut d'abord se battre pour l'emploi, pour conserver l'outil du travail, et le dialogue social est un élément, aujourd'hui, aussi, de la modernisation de nos démocraties. Nous avons besoin de réformer en profondeur ce pays, et nous devons le faire par le dialogue, et moi je rends hommage, toujours, aux organisations syndicales, qui s'engagent dans ce dialogue.
JEROME CHAPUIS
Juste, d'un mot, un exemple. En avril 2009, des ouvriers de l'usine CONTINENTAL de Clairoix ont saccagé la sous-préfecture de Compiègne, ces personnes sont potentiellement concernées par l'amnistie. Est-ce que vos services comprennent ?
MANUEL VALLS
Mais, d'abord, c'est à la justice de passer par là.
JEROME CHAPUIS
Non, mais en l'occurrence ce sont les députés qui font la loi, et le gouvernement a la possibilité de s'y opposer.
MANUEL VALLS
Oui, mais attention… attention à ne pas mettre du sel sur des plaies, vis-à-vis, encore une fois, de salariés qui ont perdu un emploi, qui ont perdu leur outil de travail. Mais, la colère, la violence, ne sont pas possible dans une démocratie comme la nôtre, nous avons besoin d'apaisement, nous avons besoin de dialogue, c'est tout le sens, encore une fois, de ce contrat qui a été signé entre les partenaires sociaux, qui va être transcrit dans la loi, et c'est ça, aujourd'hui, qu'il faut privilégier, à l'instar de ce qui existe dans les grandes démocraties du Nord de l'Europe.
JEROME CHAPUIS
D'un mot, Manuel VALLS, Alain DUHAMEL l'évoquait juste avant, impopularité du président de la République, est-ce que l'impopularité est une fatalité pour l'exécutif en temps de crise ?
MANUEL VALLS
La situation est très difficile, pas pour nous, pas pour l'exécutif, pas pour le président de la République ou le gouvernement, mais d'abord pour les Français. Il y a beaucoup d'inquiétude, en même temps je suis convaincu que le cap, aujourd'hui, est clair : tout faire pour l'emploi, tout faire pour la compétitivité, désendetter notre pays, avec une grande volonté de dialogue social.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 mars 2013