Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Au moment où je monte à cette tribune, je mesure la gravité du sujet qui nous occupe, et l'importance du travail commun que nous devons poursuivre pour faire émerger le meilleur texte de loi possible. Qui peut nier l'état de tension qui est celui de notre pays ? Les difficultés nous blessent et les peurs nous assaillent. La tentation du repli sur soi innerve chaque pan de notre vie sociale. Si bien qu'à ceux qui pensent qu'il y aurait d'un côté une crise identitaire et de l'autre une crise sociale, je suis obligée de répondre que le mal qui vient naît de la conjonction de ces deux périls, et qu'il nous faut répondre aux deux aspects de la crise qui frappe notre pays, si nous voulons continuer à défendre ensemble les mêmes valeurs républicaines. Ces valeurs sont attaquées, non pas seulement par la montée des populismes, mais aussi par la dissolution de l'esprit de solidarité.
C'est donc en ayant en tête que notre mission est bien la construction d'une république qui fait place à chacun que j'aborde notre débat. Faire France ensemble, voilà l'objectif. La cohésion sociale est bel et bien l'horizon de nos politiques publiques. Or, chacun sait que les questions relatives à l'urbanisme et au logement sont centrales dans la construction de notre cohésion sociale. Forte de cette conviction j'ai l'honneur de défendre la loi Alur devant vous.
Il vous appartient de tout faire pour donner à ce texte l'efficacité la plus grande, et je suis persuadée que vous vous y emploierez. J'ai pu mesurer l'intérêt qui est celui de cette chambre pour l'objet qui nous occupe. Je vous remercie d'ores et déjà du souci que vous avez manifesté pour la discussion qui s'ouvre.
Ces remerciements, je les formule non pas uniquement en mon nom propre, mais au nom d'une certaine idée de la République et de la défense de l'intérêt général.
Je le répète, et à dessein, dans les mêmes termes que j'ai utilisés devant l'Assemblée Nationale. Ce qui est en jeu, en discussion, en gestation, c'est la situation de millions de femmes et d'hommes qui veulent pouvoir se loger dignement, et mettre leur famille à l'abri des difficultés de l'existence. Je veux le dire ici paisiblement, mais avec solennité : nous avons un devoir de réussite.
Aussi, je tiens à ce que chaque sénateur et chaque sénatrice mesure l'impérieuse nécessité de se départir de nos réflexes partisans traditionnels, dans ce qu'ils ont de confortables mais aussi parfois de sclérosant. Nous ne sommes pas la pour mesurer nos capacités d'influences respectives, ou même nous écharper dans de vaines querelles, mais bel et bien pour construire l'outil législatif adapté à la situation d'urgence que traverse notre pays.
Je le dis d'autant plus que chaque républicain sait les tensions qui pèsent sur le champ démocratique : la montée des extrémismes, phénomène puissant sur tout le continent européen, trouve dans notre pays une traduction particulière qui ne peut être combattue, que si chacun, à la place qui est la sienne, s'attache à redonner à l'action publique ses lettres de noblesse. J'espère donc que le débat qui va nous animer sera de qualité.
Quel est l'enjeu ? La réalité, c'est que notre pays est confronté à une fracture résidentielle d'une telle ampleur qu'elle constitue une bombe à retardement qu'il nous faut absolument désamorcer. La loi Alur entend le faire, en rétablissant une égalité d'accès au logement. Pour ce faire, il fallait tourner le dos à une vision trop longtemps en cours, selon laquelle le marché pouvait, seul, parvenir à répondre aux besoins collectifs en matière de logement.
Nous avons souhaité ouvrir une voie nouvelle, adaptée à la violence de la crise vécue par nos concitoyens. Elle est basée sur le volontarisme et la prise en compte de la complexité. Volontarisme parce que l'Etat doit jouer un rôle de régulateur des excès du marché pour garantir à chacun la possibilité de se loger. Complexité parce qu'il est impératif que les enjeux économiques, sociaux, écologiques et au final civiques soient embrassés d'un même mouvement, pour qu'une politique publique du logement soit efficiente.
C'est l'esprit et la lettre du texte qui est ici en discussion.
Le moteur du projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui se résume en un objectif : favoriser l'accès au logement pour tous. De ce tous, nul ne doit être exclu, et surtout pas les plus précaires frappés de plein fouet par la crise du logement.
Je souhaite, si vous me le permettez, vous citer des mots de l'Abbé Pierre : « Quand la loi est ainsi faite que, pour les travailleurs, avec leur salaire légal, il est impossible d'avoir un logis pour abriter humainement un foyer, un berceau, ce n'est pas d'entreprendre une construction sans permis, c'est la loi qui est illégale ».
La logique qui a largement prévalu ces dernières années, tendait à croire qu'il suffisait pour régler la crise de laisser le marché agir. Funeste illusion que de croire que le laisser faire pouvait offrir des garanties d'accès au logement, d'équité et de cohésion sociale.
Notre projet de loi tire les leçons de l'expérience et propose une autre voie : celle de la détermination et de l'action régulatrice de la puissance publique. Ce faisant, notre texte marque une rupture salutaire et rétablit le logement à sa juste place, c'est-à-dire celle d'un bien de première nécessité.
Pour ce faire, le texte ici défendu concrétise d'abord un engagement du Président de la République, à travers l'encadrement des loyers.
Le bon sens, qui n'est le monopole d'aucune formation politique, commande de bien saisir l'urgente nécessité d'une telle démarche. Cette mesure repose avant tout sur un constat unanime. Les loyers ont augmenté, dans certaines zones, deux fois plus vite que l'indice des prix provoquant ainsi un véritable décrochage avec le niveau de revenu. Les locataires du parc locatif privé supportent les taux d'effort les plus élevés. Pour illustrer ce phénomène, il faut noter qu'en 2010, ils dépensaient en moyenne plus de 26% de leurs revenus pour se loger et pour certains jusqu'à 40% ou même 50%. Cette situation n'est pas soutenable. Elle n'est pas acceptable.
A travers le dispositif proposé, nous avons souhaité, avec pragmatisme et réalisme, limiter les excès sans pour autant entrer dans une logique de prix administrés.
L'examen du texte à l'Assemblée nationale et à la Commission des affaires économiques du Sénat ont renforcé notre mécanisme, le rendant à la fois plus lisible et plus efficace, notamment en fixant un seuil au loyer médian minoré.
Pour s'assurer que l'encadrement des loyers profite aux plus modestes nous avons précisé que la fixation des loyers médians de référence s'opérait au niveau des loyers au mètre carré. Vivant dans des logements de plus petite superficie, ce sont en effet les ménages les plus défavorisés qui payent des loyers au m² les plus élevés.
Enfin, votre commission s'est saisie du sujet en affirmant que les caractéristiques du complément de loyer seront exceptionnelles.
Les avancées issues du débat parlementaire sont donc conséquentes et je pense que nous devons poursuivre cette dynamique et ce dialogue. C'est ensemble que nous aboutirons à un dispositif fonctionnel et pérenne qui puisse répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens.
Une autre mesure du projet de loi est particulièrement représentative du volontarisme qui est le nôtre. Je veux ici, parler de la GUL.
La garantie universelle des loyers porte l'ambition d'ouvrir, à terme un nouvel âge de la recherche de logement. Cette ambition n'est pas vaine. Le parcours du combattant que décrivent des centaines de milliers de personnes désireuses de se loger dignement doit trouver un terme. La GUL permettra d'apaiser les relations entre propriétaires et locataires, en les protégeant contre les coups durs de l'existence, dont nul n'est à l'abri.
L'effet de la GUL, si nous lui donnons vie, sera de pacifier les relations entre les acteurs : entre le locataire qui ne sera pas laissé seul lorsqu'il est frappé par un drame de la vie et le propriétaire qui ne sera plus démuni face à l'impayé. Un tiers sera chargé de prendre en charge à la fois le risque et la responsabilité, ce seront les professionnels dont l'intervention sera agréée par un cahier des charges et régulée.
Il est essentiel d'adopter cette mesure, qui je le pense, est une mesure de concorde et, je pèse mes mots, de progrès social. La première injustice, en matière de logement n'est-elle pas en effet, de s'en voir refuser l'accès, ou d'être obligé de produire des preuves exorbitantes de solvabilité. Nous devons faire reculer l'angoisse face au sentiment d'arbitraire.
Les jeunes, les précaires, les familles monoparentales, les personnes âgées et en particulier les femmes disposant d'une faible retraite, les personnes dont l'origine, la couleur ou le patronyme les exposent à la discrimination sont autant de catégories de la population qui désirent sortir de l'angoisse face au logement.
La GUL permettra de lutter contre toutes les discriminations à l'entrée du logement en recréant les conditions de la confiance.
Avec la GUL, les propriétaires et les locataires seront accompagnés :
- les propriétaires seront indemnisés, se verront proposer un plan d'apurement réaliste pour garantir leurs revenus plus souvent modestes qu'on ne dit, on donnera l'assistance nécessaire s'il y a lieu pour faire face à un locataire de mauvaise foi ;
- aux locataires de bonne foi, on offrira la main tendue dont chacun peut avoir besoin, on proposera l'accompagnement nécessaire dans la recherche d'un nouveau logement.
La GUL sera un outil nouveau au service de la détection et de la prévention des situations d'urgence sociale avant que la spirale de la dette ne devienne infernale.
C'est pourquoi, lorsque nous avons réfléchi à la mise en place de la caution solidaire pour les jeunes promise par le Président de la République, il est vite apparu que la seule solution est de mutualiser les risques sur la base la plus large, sur l'ensemble du parc locatif privé.
Cette solution ne tombe pas du ciel, elle est le fruit de plusieurs années de réflexion et d'engagements ; c'est aussi celle que recommandait la HALDE en 2010 pour faire cesser les discriminations dans le secteur du logement, si la GRL ne réussissait pas.
On entend ici et là poindre l'argument selon lequel les locataires se trouveraient déresponsabilisés, par avance absouts de leurs impayés Naturellement, non ! C'est l'inverse que permet la GUL. Les locataires de mauvaise foi, seront poursuivis de manière efficace, car ils seront redevables vis-à-vis d'un système organisé et protecteur des propriétaires. Au propriétaire démuni face à l'impayé se substituera le relais de professionnels à la fois de l'accompagnement du locataire et du recouvrement qui permettra de recouvrer efficacement en limitant l'extension indéfinie de la dette de locataires qu'on laisse s'enfoncer.
Est-ce que cela veut dire que le Gouvernement veut créer une nouvelle administration ? En aucun cas. Pour mettre en œuvre cette mission nouvelle d'indemnisation et de prévention, le Gouvernement s'appuiera sur ceux qui savent faire et ne sont pas nécessairement dans cette matière, des agents publics.
Vous l'aurez compris, la GUL est une avancée législative majeure, parce qu'elle défend des principes de justice et les ancre dans la réalité de la vie quotidienne. Je postule qu'une fois adoptée, cette mesure qui suscite aujourd'hui des débats fera partie de notre patrimoine de droits républicains précieux. C'est à vous qu'il revient d'accomplir ce pas en avant.
Favoriser l'accès au logement pour tous : c'est l'objectif de ce projet de loi, je le répète.
Dans cet esprit, je tiens à mettre en exergue devant vous deux enjeux essentiels auxquels s'attaque le projet de loi : l'orientation de la politique d'hébergement vers le logement d'une part, et la prévention des expulsions d'autre part. Je suis ici parfaitement lucide, ces dispositions n'auront rien ni de magique, ni d'instantané. Pour autant elles sont capitales.
Depuis trop longtemps, les secteurs de l'hébergement et du logement fonctionnent comme deux ensembles distincts, deux mondes étrangers qui ne communiquent pas. Cette séparation condamne les personnes les plus en difficulté, qui n'ont pour quotidien que des allers et retours entre la rue et les centres d'hébergement. Les mesures du projet de loi consacrées aux services d'insertion d'accueil et d'orientation (SIAO) et aux plans départementaux d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD) ont le mérite de construire les ponts pour rapprocher ces secteurs. L'hébergement est un moyen lorsqu'il est nécessaire, mais le logement demeure l'objectif primordial, assorti d'un accompagnement adapté aux personnes qui ont besoin d'un soutien avant d'être à même de vivre de manière autonome.
Une articulation plus fine entre ces mondes de l'hébergement et du logement permettra, j'en suis convaincue, de favoriser l'accès et l'insertion durable dans un logement digne et adapté des personnes les plus démunies.
Le second enjeu que je mentionnais est celui de la prévention des expulsions. Améliorer les dispositions en la matière signifie contribuer à enrayer la mécanique de l'exclusion et agir pour anticiper les ruptures.
En période de crise, cette réalité se pose avec d'autant plus d'acuité. Le chemin qui mène à l'expulsion n'est pas si long, le décrochage peut être brutal et pousser n'importe quelle personne, pour une raison ou une autre fragilisée par la vie, dans la rue ou des solutions très précaires d'hébergement. La perte du logement est souvent synonyme de fêlure, de brisure des liens sociaux et même familiaux. C'est un effondrement, une humiliation, une blessure terrible pour celui qui la subit.
Améliorer la prévention des expulsions c'est tout faire pour que les ménages puissent se maintenir dans leur logement. J'étais très attachée à ce que le projet de loi contiennent des mesures visant à traiter les impayés le plus en amont possible et à renforcer le rôle des instances chargées de coordonner la prévention des expulsions.
Mais je tiens à souligner combien le travail parlementaire a permis de renforcer ce volet : le signalement obligatoire des impayés à la CCAPEX a été élargi, les possibilités du juge d'accorder des délais aux ménages en impayés ont été accrues, le maintien des aides personnelles au logement pour les allocataires de bonne foi a été inscrit dans le projet de loi. Je me réjouis de savoir que nombre d'entre vous partagent ma volonté de poursuivre la réflexion sur ce sujet et que nous aurons ainsi l'occasion d'en débattre dans cet hémicycle.
Enfin, le projet de loi prévoit aussi de développer, sur des bases plus larges, la participation des personnes en situation de pauvreté et de précarité à l'élaboration et au suivi des politiques publiques. Promouvoir des méthodes de co-construction et d'évaluation participative, c'est assumer que la meilleure appréciation du bien-fondé d'une politique émane de celles et ceux qui en vivent les effets.
En dernier lieu, mon intervention n'aurait pas de sens si je n'abordais pas la question de la construction de logements.
La nécessité de développer l'offre de logements pour lutter contre la crise du logement nous engage tous, chacun dans nos responsabilités.
La responsabilité du Gouvernement, c'est de conduire la politique de la Nation. Et la politique de ce Gouvernement, c'est de faire confiance à la démocratie plutôt qu'au marché, d'être attentif aux femmes et aux hommes de ce pays plutôt qu'à la rentabilité. Je suis ministre du logement et je ne peux me satisfaire de la manière dont le marché du logement fonctionne, en produisant de l'exclusion. Quand je dis que le logement est un bien de première nécessité, je veux vous rappeler à quel point il conditionne tout le reste, la scolarité des enfants, l'accès à l'emploi. Qu'on ne s'y trompe pas : bien plus que de parcours résidentiel, on parle de trajectoire de vie.
La responsabilité du législateur, c'est de voter la loi et de déterminer les règles qui vont permettre d'organiser la société. En matière de logement, force est de constater que ces règles ne sont pas satisfaisantes. J'y reviendrai. En matière de politiques foncières, d'urbanisme ou d'aménagement, la loi vient définir les outils qui seront à la disposition des élus locaux pour organiser le fonctionnement du territoire dont ils ont la responsabilité.
La responsabilité des élus locaux, de nos villes comme de nos campagnes, c'est de se saisir de ces outils au service d'un projet pour leur territoire, dans le respect de la loi. Pour résoudre la crise du logement, il faut que chacun soit tourné vers cet objectif et contribue à lever les difficultés, les blocages, mette à disposition les moyens.
L'Etat en prend sa part en mobilisant le foncier public susceptible d'accueillir des projets de logement.
A travers les premières ordonnances publiées depuis juillet, le Gouvernement crée les conditions les plus favorables à une relance de la construction, celles qui permettront de lever les freins et les contraintes techniques qui font qu'un projet ne se fait pas, non pas parce qu'il est mauvais mais parce qu'il est singulier, ponctuel et doit être fait sur-mesure.
Au-delà de ces mesures d'urgence, ce projet de loi vous propose d'adopter des dispositions structurelles. L'orientation de ce Gouvernement, que je suis fière de porter, consiste à affronter les questions qui se posent, avec détermination, avec courage et avec fermeté.
Rendre possible ce qui n'est aujourd'hui que souhaitable, c'est affronter la question de la préservation des terres naturelles et agricoles. On ne peut plus faire ou laisser faire le contraire de ce que chacun reconnaît comme une fuite en avant : on ne peut plus continuer à consommer des terres naturelles et agricoles de manière inconséquente au rythme où nous le faisons.
Pour lutter efficacement contre l'étalement urbain, il faut non seulement une politique de maîtrise et d'anticipation foncière intelligente. Mais il faut aussi aux élus les moyens de cette politique.
Les communes et les intercommunalités doivent disposer de l'ingénierie foncière la plus efficace pour répondre aux besoins spécifiques de chaque territoire, ce qui veut dire disposer des moyens qui leur permettront au mieux de concrétiser leurs stratégies de développement et mettre en œuvre des projets de réhabilitation de leurs centres anciens, leurs projets d'aménagement résolument tournés vers l'avenir.
C'est la raison pour laquelle je souhaite que les opérateurs fonciers se développent, qu'ils s'agissent d'établissements publics fonciers d'Etat ou locaux : les uns comme les autres sont au service des territoires. La différence entre les deux ? C'est que l'Etat, au nom de l'égalité des territoires et de l'intérêt général ait la capacité d'intervenir quand la volonté ou les moyens sont défaillants. L'Etat intervient pour garantir le respect des orientations stratégiques qu'il fixe et qui visent, par exemple, à ce que l'opérateur foncier dont il assure la tutelle permette aux collectivités qui sont en situation de carence d'optimiser la ressource foncière pour respecter la loi SRU. En revanche, là où des établissements fonciers publics locaux existent et remplissent déjà leur mission de façon satisfaisante, le projet de loi vient conforter leur mission et étayer leurs outils.
En portant le projet de loi Alur, c'est un droit de l'urbanisme rénové que je vous présente aujourd'hui, un régime de planification réformé et résolument tourné vers la transition écologique des territoires.
Je veux remettre au cœur de l'objectif de la construction de logements, la question de l'aménagement du territoire. Trop longtemps on a refusé de voir que l'urbanisme est un enjeu politique qui se trouve aux confluents de la question de la géographie sociale, de la question environnementale, des questions économiques et de la question sociale. L'urbanisme, c'est l'espace, vécu, ressenti, parfois subi.
Ces dernières années, par choix ou par renoncement, les ménages se sont essentiellement tournés vers la périphérie des villes. Aujourd'hui, ce sont plus de 80% de la population et des emplois qui trouvent place dans l'espace périurbain et, nous le savons malheureusement bien, la périurbanisation est synonyme de consommation excessive de nos espaces naturels.
Pourtant, l'urbanisation galopante n'est pas une fatalité.
Un autre modèle urbain est indispensable, mais il ne pourra émerger sans un changement d'approche. Tirons les leçons de l'intelligence écologique accumulée depuis de longues années : rien de ce qui détruit indûment des espaces naturels ne saurait être considéré comme durablement profitable à l'intérêt général.
Nos terres naturelles, forestières et agricoles doivent être préservées, elles sont devenues un bien précieux qui nécessite d'être protégé, un bien commun dont la préservation constitue un devoir républicain à part entière.
Il est temps de mettre un terme à l'artificialisation des sols. Là encore, je fais confiance aux élus pour qu'ils définissent les conditions de constructibilité sur leur territoire à travers des documents de planification. En revanche, il faut mettre un terme à la logique des dérogations partielles, au coup par coup qui sont le contraire d'une politique en la matière. La constructibilité limitée en l'absence de document d'urbanisme est avant tout une invitation aux élus à se doter de documents d'urbanisme et à faire le choix de la planification.
Nous devons être ambitieux en engageant une mutation de notre habitat au sens large, autrement dit de nos quartiers, de nos villes, de nos territoires.
Le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové donne à voir une façon nouvelle de penser, de fabriquer, et au final d'habiter la ville. C'est une vision à long terme, bien sûr. Le tournant écologique ne se réalisera pas en un jour, mais je prends ma part de cet aggiornamento dans le champ ministériel dont j'ai la charge : la ville durable verra le jour.
Elle dépendra largement de nos stratégies de développement mises en œuvre à travers les politiques d'aménagement et d'urbanisme et de notre capacité à construire plus tout en construisant mieux, c'est-à-dire là où sont les besoins.
Les documents de planification seront demain plus que jamais essentiels à cette démarche de transition écologique des territoires à laquelle nous travaillons. C'est pourquoi ils doivent gagner en sécurité juridique, en lisibilité, et remplir les objectifs qui leur sont assignés à chaque échelle du territoire.
C'est dans ce sens que sera renforcé le schéma de cohérence territoriale. Il assurera demain l'intégration de l'ensemble des politiques d'aménagement à l'échelle du bassin de vie. Le plan local d'urbanisme traduira les objectifs du Scot au niveau opérationnel.
Si le Scot définit des espaces naturels à préserver, le PLU organise leur protection jusqu'à l'échelle la plus fine, celle des parcelles, en classant les espaces boisés, en adaptant le zonage et son dispositif réglementaire, en formulant des orientations d'aménagement et de programmation spécifiques ou encore en organisant la maîtrise de l'étalement urbain par la densification des zones déjà bâties.
Cette organisation spatiale de nos territoires sera d'autant plus pertinente qu'elle aura associé à son élaboration l'ensemble des communes à l'échelle intercommunale.
Vous le savez, je suis convaincue que l'aménagement durable passe par l'élaboration de documents d'urbanisme à l'échelle intercommunale. Je connais les réserves qui s'expriment sur certains bancs de cette assemblée et je souhaiterais ici tâcher d'y répondre et, j'espère, de vous convaincre.
L'élaboration à l'échelle intercommunale, par la mutualisation des moyens et des compétences qu'elle permet, exprime et incarne la solidarité entre les territoires que nous appelons de nos vœux.
L'efficacité d'abord. Nous le savons, les Français ne travaillent plus là où ils vivent. Il s'agit donc de se doter d'une politique qui, au plus près des territoires, met en cohérence les politiques de l'aménagement, du logement et de l'urbanisme choisies et décidées par les élus. L'intercommunalité vise à coordonner et non pas à se substituer à l'action des communes.
La mutualisation des moyens ensuite. A l'heure où l'état des finances publiques, au niveau local comme national, exige de nous une plus grande efficacité, cela doit nous permettre de mettre en commun les savoir-faire, de favoriser la rencontre des ingénieries et des expertises, de choisir l'intelligence commune.
La solidarité enfin. C'est le meilleur niveau pour que s'exprime une véritable solidarité entre les collectivités, chose à laquelle je suis particulièrement sensible en tant que Ministre de l'Egalité des Territoires. C'est parce que nous saurons aménager de manière équitable et équilibrée que nous pourrons garantir à nos concitoyens un égal accès aux services publics et une véritable mixité des espaces, que nous établirons la confiance.
C'est pour ces raisons que de nombreux maires ont fait le choix de ce niveau. Tous ceux qui sont passés au PLU intercommunal s'en félicitent aujourd'hui. Il me semble qu'il est temps pour nous de consacrer dans la loi ce niveau comme l'échelon pertinent de la planification.
Je ne veux déposséder aucun élu de sa faculté à exercer les compétences. J'entends les craintes des maires et des élus, à commencer par ceux des territoires ruraux. La volonté d'efficacité ne doit pas mettre en danger le niveau communal, qui est celui de la proximité et de l'expression de la volonté des citoyens. A aucun moment, l'élaboration d'un PLU intercommunal ne les privera de cette prérogative essentielle que sont les autorisations d'urbanisme.
Je veux décentraliser et faire confiance aux collectivités et à leurs élus. Aujourd'hui plus de 40% des communes sont encore soumises au règlement national d'urbanisme où c'est l'Etat qui instruit et délivre les autorisations d'urbanisme. Faute de documents d'urbanisme, ces élus, souvent en territoire ruraux, se trouvent privés de toute maîtrise de la politique d'urbanisme. En généralisant les PLU, nous leur donnons les moyens de devenir demain les maîtres de leurs territoires.
Mon pari c'est la confiance, ma méthode c'est la conviction. Je vous propose une direction volontaire : je veux faire avec vous le pari de la responsabilité des élus locaux, qui auront à cœur de déterminer ce qui est le mieux pour leurs administrés. Je souhaite que la question du PLU intercommunal soit posée dans chaque EPCI pour que cet échange ait lieu et que chacun exprime et mesure les conséquences concrètes pour l'avenir de son territoire.
L'amendement que vous avez adopté en Commission des Affaires Economiques, sur proposition du rapporteur, me semble alors relever de la meilleure méthode. Demain, l'intercommunalité pourra être la règle et non plus l'exception, mais dès lors que les maires ne le souhaiteront pas, ils auront dans leurs mains les outils pour que leur volonté soit respectée. Je souhaite transférer sans imposer. Je veux le dialogue comme pratique et la volonté des élus comme méthode. C'est pour moi la voie pour une politique d'urbanisme mise au service de l'intérêt général et appuyée sur les projets des territoires et de leurs élus.
Voilà ce que je souhaitais souligner en ouverture de notre discussion que je souhaite franche et féconde. Notre pays ne peut pas renoncer face à la crise du logement : c'est à nous, c'est à vous, qu'il revient de lui donner les moyens d'affronter la dureté de la période.
Je vous remercie.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 23 octobre 2013