Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique, sur les enjeux de la réforme territoriale dans le processus historique de la décentralisation, à Paris le 17 septembre 2014.

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Circonstance : Conférence débat à l'Institut d'études politiques de Paris organisé à l'initiative du Mouvement des jeunes socialistes sur le thème "Quelle réforme territoriale pour demain ?", à Paris le 17 septembre 2014

Texte intégral

Merci de m'accueillir. Merci de me donner l'occasion de débattre avec les étudiants et les citoyens engagés que vous êtes, de la future organisation territoriale de notre République. C'est toujours très stimulant, en effet, de pouvoir répondre à vos interrogations, réagir à vos interpellations et construire avec vous une réflexion sur l'avenir de notre pays.

Construire l'avenir de notre pays, c'est aussi là l'ambition de la réforme territoriale que le gouvernement a engagé. Car même si elle semble parfois cantonnée à un débat de spécialistes, la réforme territoriale concerne le quotidien de tous les Français. Elle concerne l'ensemble de nos politiques publiques, leur efficacité, leur réussite. Elle concerne l'égalité et la solidarité entre le s territoires et les personnes ; l'accès au droit et aux services fondamentaux de tous nos concitoyens.
Nous avons en France un modèle unique d'action publique. Un modèle qui est regardé par de nombreux pays. Nous avons en France, une longue tradition décentralisatrice qui a permis de faire de nos collectivités des laboratoires de l'innovation publique et des garants de nos services publics. Il ne faut pas l'oublier. Mais, pour faire de ces atouts une véritable force, il nous faut aujourd'hui réorganiser ce modèle : pas pour décentraliser plus ou pour faire un énième acte de décentralisation mais pour décentraliser mieux. La question, ça n'est pas qui gagne des compétences ou qui en perd mais les compétences sont-elles exercées à la bonne échelle, les territoires et les acteurs publics ont-ils la capacité de les porter efficacement ?
Depuis 1982 et les premières lois de décentralisation, notre pays a connu des transformations majeures. Elles ont bouleversé les espaces, affecté les dynamiques territoriales et changé les mobilités. Elles ont également modifié les attentes des citoyens et leur relation à la puissance publique.
L'organisation territoriale de notre République n'assure plus aujourd'hui une répartition claire des compétences ni une lisibilité suffisante de l'action publique. Elle s'adosse sur des structures trop nombreuses, dont les périmètres et les frontières ne correspondent pas aux réalités vécues par nos concitoyens. Elle ne permet pas de résorber les inégalités entre les territoires.
Nous le constatons tous: l'hyper pauvreté côtoie bien trop souvent l'hyper-richesse ; les services publics désertent certains territoires - ce qui conduit bien souvent les habitants à s'en aller aussi - tandis que là où les services publics sont présents, ils ne répondent pas toujours efficacement aux besoins de usagers. Je pourrais développer si vous le voulez l'exemple du tourisme, mais on voit bien que certaines adaptations notamment au numérique ne se sont pas faites.
Notre analyse, c'est qu'à force d'empiler les strates, de décentraliser par petits bouts, nous sommes passé d'un grand espoir de proximité et de progrès à une concurrence exacerbée entre les territoires. C'est cette concurrence que constatent les géographes que je rencontre, comme Béatrice Giblin, Romain Pasquier, ou encore Christophe Guilluy qui dépeint « la France périphérique ». Loin de résorber ces fractures, les politiques publiques, parce qu'elles sont trop souvent parallèles au lieu d'être complémentaires, ont tendance à les renforcer.
Les deux enjeux principaux de cette réforme, c'est donc bien ça : la coopération et la solidarité. Car c'est par la solidarité et la coopération que nous permettrons à chacun d'être accompagné par les collectivités locales et l'Etat, dans un même mouvement coordonné. Et c'est par la coopération et la solidarité que nous donnerons les moyens à la puissance publique – qu'elle soit collectivités ou Etat - d'être tourné vers toutes celles et ceux qu'elle doit soutenir et protéger.
A la fin de l'année dernière, nous avons franchi, avec la loi de modernisation de l'action publique territoriale, une première étape. En posant les préalables à une répartition plus claire des compétences et en donnant, aux grandes agglomérations de France, les moyens de leur développement.
Cette loi d'affirmation des métropoles est parti d'un constat simple et – je crois pouvoir le dire – assez unanimement partagé. Dans notre économie mondiale, les grandes agglomérations jouent un rôle considérable. Elles disposent d'atouts évidents et sont souvent motrices pour l'innovation. Mais elles sont également confrontées à des défis majeurs : concentrations de pauvreté et de chômage, blocages en matière d'infrastructures et taux de pollution élevés, difficultés d'accès aux services essentiels que sont le logement ou l'éducation. Et, leur développement ne pourra être durable que s'il se fait en lien avec le reste du territoire.
C'est pourquoi notre ambition avec les métropoles a été la suivante : créer les conditions pour que ces espaces de fort dynamisme économique ne deviennent pas des espaces à deux vitesses et pour que leur rayonnement bénéficie à tous les territoires de France. C'est la raison pour laquelle également, nous avons mis en place des organisations « sur-mesure » à Paris, Lyon et Marseille. Pour répondre aux enjeux particuliers auxquels ces villes sont aujourd'hui confrontées et pour favoriser leur articulation avec le reste du territoire.
La loi MAPTAM, ce n'est pas uniquement les métropoles, contrairement à l'idée qui est trop souvent véhiculée. C'est aussi des avancées majeures en faveur de la coordination et de la mutualisation. Ainsi, avec les conférences territoriales de l'action publique, nous avons créé dans chaque région, un véritable lieu de débat où seront conduites les discussions entre les acteurs publics locaux. Cette conférence, c'est l'outil qui permettra aux collectivités et à l'Etat d'organiser la répartition des compétences pour les politiques qui demeurent partagée et ce, en fonction des spécificités locales.
Depuis le mois de juin, nous poursuivons ce mouvement vers une action publique rénovée. Une nouvelle carte des régions a été votée avant l'été au Parlement. Elle a fait beaucoup parlé, suscité de nombreux débats, Mais, ce que l'examen parlementaire nous a montré, c'est que les lignes peuvent bouger. Il y a quelques mois encore, la modification des frontières régionales semblait en effet impossible.
La carte des Régions date de 1956, il était nécessaire de la revisiter. C'est une idée assez ancienne d'ailleurs qu'avait développé déjà le club Jean Moulin, que vous devez bien connaitre. Ce groupe de réflexion avait ainsi publié dès 1968 un ouvrage intitulé, « Les citoyens aux pouvoir – 12 régions, 2000 communes ».
Il devenait aujourd'hui nécessaire de revisiter cette carte pour que les grands bassins d'emploi et de développement qui coopèrent au quotidien, parfois depuis longtemps, puissent enfin lier leurs destins. On pense souvent aux Normandies, mais Rhône- Alpes et l'Auvergne coopéraient déjà, notamment sur les questions liées à la montagne.
Il devenait nécessaire aujourd'hui de la revisiter pour mobiliser plus efficacement les moyens en faveur des territoires les plus fragiles. Parce que créer une grande région implique une meilleure territorialisation des politiques, un meilleur ancrage et donc une attention plus grande portée au lien avec la proximité. C'est nécessaire dans tous les domaines de l'action publique, y compris par exemple dans celui de la Santé, dont on ne parle pas assez quand on parle des territoires. Si les hôpitaux et les autres lieux de soin peuvent mieux travailler ensemble et en réseau, c'est la protection des citoyens qui se verra améliorée. C'est bien là tout l'enjeu : car l'action publique est une, toutes les fonctions publiques - d'Etat, territoriale mais aussi hospitalière - doivent y concourir en bonne intelligence.
Alors, malgré les passions que cette carte peut parfois susciter, il est primordial de ne pas perdre de vue l'essentiel: si nous faisons de grandes régions, c'est pour les rendre plus fortes et leur permettre d'assumer pleinement les compétences qui sont les leurs, favoriser les coopérations et renforcer les solidarités. C'est pourquoi d'ailleurs, en complément de cette loi sur la carte des régions, nous faisons une loi sur les compétences. Car si nous mettons en cohérence les pouvoirs politiques locaux, c'est pour mettre en cohérence aussi, à travers eux, les politiques publiques et les services publics qu'ils portent.
Ainsi, avec le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui sera débattu dans quelques semaines au Parlement, nous allons mettre en place le cadre nécessaire à une plus grande efficacité.
En matière de développement économique, le projet de loi donne aux régions la force et la puissance nécessaires pour assurer leur rôle stratégique.
• Pour favoriser la croissance et l'emploi, partout et pour tous.
•Pour mieux coordonner les politiques locales et porter l'innovation.
• Pour que les entreprises ne délocalisent plus de quelques dizaines de kilomètres leurs sites de production, dans la Région d'à côté, parce qu'elle offrirait plus d'aides publiques.
Elles élaboreront ainsi un Schéma Régional de Développement Economique, d'Innovation et d'Internationalisation des entreprises. Prescriptif, il permettra de lutter contre le gaspillage d'argent public et de cibler les aides sur leurs priorités.
Pour la transition énergétique, nous donnons les moyens à nos territoires d'être les moteurs d'un nouveau modèle de croissance qui prendra mieux en compte la notion de rareté. A cette fin, les régions seront confortées dans leur mission d'aménagement. Elles concevront pour ce faire un schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire à vocation prescriptive. Cela permettra aussi de réduire de manière considérable le nombre de schémas qui rendent actuellement notre action peu lisible et coûtent chers en temps, en homme et en cabinets de consultants (désolé pour ceux d'entre vous qui privilégient cette piste professionnelle).
Le développement durable de nos territoires, c'est aussi une meilleure organisation des mobilités. C'est pourquoi les régions disposeront des leviers nécessaires pour assurer la cohérence de la politique des transports, en interrogeant toute la chaine, qu'il s'agisse des trains régionaux, des bus, des routes, des aéroports ou des ports. Ainsi, nous rendrons les lieux de vie plus accessibles. Et nous mettrons fin aussi aux situations ubuesques qui voient aujourd'hui le bitume neuf refait, s'arrêter net à la limite du canton ou du département.
Et pour mieux former encore notre jeunesse, nous donnerons aux régions, - qui sont déjà responsables des lycées et de la formation professionnelle - la gestion des collèges. Il nous fallait en effet regrouper collèges et lycée pour une plus grande cohérence.
Pour la proximité des services publics, nous mettrons en adéquation notre architecture institutionnelle avec le quotidien de nos concitoyens. Aujourd'hui 3 français sur 4 ne travaillent pas dans leur commune de résidence : il faut leur faciliter la vie. L'école, le travail, les loisirs, la maison de retraite des parents, tous ces lieux qui organisent notre vie de tous les jours, nous devons pouvoir y accéder sans nous soucier des limites communales ou départementales.
C'est le sens de la rationalisation de l'intercommunalité. Avec l'intercommunalité nous donnons aux communes, cellule de base de la démocratie locale, les moyens de développer des services plus nombreux, plus divers, mieux adaptés aux besoins des citoyens. Nous garantissons également que chaque territoire se développe à une vitesse comparable et nous évitons qu'à quelques kilomètres de distance, l'offre de services publics ne soit trop inégale. Il s'agit aussi – même s'ils ne sont pas la norme – de mettre fin aux comportements opportunistes qui voient certaines communes profiter des services de ses voisines sans participer du tout à leur financement.
Nous avons choisi un seuil ambitieux - 20 000 habitants minimum - qui permet de faire advenir institutionnellement les 1000 territoires du quotidien de nos concitoyens. Ne prenons qu'un seul exemple. En matière d'emploi, environ 1000 agences de pôles emplois aujourd'hui. Avec 1000 intercommunalités, nous pourrons plus facilement nous assurer que tous ceux qui ont besoin du service qu'elles apportent soient en mesure d'y accéder. Mais, nous ne serons pas arcboutés sur des seuils démographiques. En zone de montagne par exemple, il faut prendre en compte la réalité des moyens de transport disponibles et ajuster la taille des intercommunalités en fonction.
Vous le savez sans doute, l'évolution de notre paysage institutionnel interroge aujourd'hui l'avenir des conseils départementaux. Là non plus la réflexion n'est pas nouvelle. Le club Jean Moulin le disait déjà. En plus de la promotion d'une douzaine de régions et des fusions de communes, il écrivait dans l'ouvrage cité précédemment : « on ne saurait envisager la survivance du département actuel que dans un nombre de cas très limité, lorsque ses limites géographiques coïncident avec celle du syndicat intercommunal le plus approprié ».
Concernant les conseils départementaux donc, que voulons-nous faire ? Une partie de leurs compétences va d'ores et déjà être transférée dans le cadre du projet de loi NOTRe. Mais, le temps que la nouvelle organisation territoriale de la République soit pleinement opérationnelle, ils resteront en charge, en lien avec le bloc communal, de la solidarité humaine et territoriale. La conférence territoriale de l'action publique, dont je vous ai parlé tout à l'heure, permettra de faire le lien entre ces différentes échelles de l'action publique et de trouver des solutions adaptées aux spécificités de chaque territoire.
Trouver des solutions adaptées aux particularités de tous les territoires, c'est ce qui doit prévaloir dans la réflexion sur l'avenir des conseils départements. On ne fera pas la même chose dans les métropoles, qui peuvent mettre en synergie les compétences sociales du département et leurs compétences sociales et économiques ; au sein des intercommunalités moyennes qui peuvent constituer des fédérations pour coopérer sur des sujets techniques ; ou encore dans les territoires ruraux ou de montagne qui peuvent avoir besoin de conserver un échelon intermédiaire comme le conseil départemental.
Adaptation aux réalités territoriales de notre temps, c'est donc bien là l'objectif de cette nouvelle organisation territoriale. J'ai l'occasion d'en débattre avec les élus et les fonctionnaires dans le cadre de la concertation qui a été engagé par le gouvernement. J'ai l'occasion d'en débattre aussi, lors des différents déplacements que j'effectue pour présenter mon projet de loi dans toute la France. J'ai l'occasion aujourd'hui d'en débattre avec vous. C'est pourquoi je ne serai pas plus longue afin que nous puissions dès maintenant échanger.
Je vous remercie.
Source https://fr.scribd.com, le 15 octobre 2014