Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique, sur la clarification et le renforcement des compétences locales dans le cadre du projet de loi NOTRe, au Sénat le 16 décembre 2014.

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Circonstance : Discussion générale sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), au Sénat le 16 décembre 2014

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la commission des lois,
Monsieur le Président de la délégation aux collectivités territoriales,
Messieurs les rapporteurs,
Mesdames et messieurs les rapporteurs pour avis,
Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs,
C'est toujours un privilège pour moi, de me retrouver dans cet hémicycle afin de défendre un projet de loi. Les débats que nous avons eus, tant au cours de mes déplacements que devant votre commission des lois, ont démontré notre souhait commun de réussir cette réforme. Le Sénat, y aura largement contribué.
Le président de la République, comme le Premier ministre attendent ainsi de nous que nous trouvions un maximum d'accords, tout en respectant - bien sûr - l'Assemblée Nationale.
C'est grâce aux Etats généraux du Sénat de septembre 2012, que nous avons créé un conseil national d'évaluation des normes - installé le 3 juillet dernier. C'est à la suite de ces mêmes Etats généraux que le gouvernement a soutenu la proposition de loi sur le statut de l'élu, qui sera bientôt voté définitivement.
Dans le rapport de Messieurs RAFFARIN et KRATTINGER, la CTAP était évoquée sous un autre nom ; elle a été votée dans la loi précédente.
Je pense aussi aux initiatives qui ont été effectivement inscrites dans ce texte comme la diminution des syndicats locaux proposés par Monsieur MEZARD ; celles qui ont été introduites dans la loi – la décentralisation du stationnement payant ainsi que les pôles d'équilibres territoriaux et ruraux suggérés par la Commission du Développement Durable, la compétence gestion de l'eau et des inondations, issus du rapport de Messieurs ANZIANI et COLLOMBAT.
L'étape d'aujourd'hui doit nous permettre de redire le sens de l'action publique au 21ème siècle.
Depuis les lois de décentralisation de Gaston Deferre, les textes successifs ont généré de nombreuses structures, les centres de décisions se sont multipliés, l'action publique s'est complexifiée.
Notre débat doit nous conduire à adapter ces structures aux attentes légitimes de nos concitoyens. Car même si ces attentes résultent d'injonctions contradictoires - moins de dépenses publiques mais plus de services – elles nous obligent.
Ces structures ne correspondent pas suffisamment aux réalités vécues, elles ne permettent plus de résorber les inégalités ni de porter les services publics nécessaires à nos concitoyens. Nous n'acceptons pas que l'hyper richesse côtoie l'hyper pauvreté. Dans trop de territoires, urbains ou ruraux, les élus relaient un sentiment d'abandon.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, c'est bien là que se trouve l'enjeu : retrouver le sens de l'action publique, rendre l'organisation de la vie quotidienne plus facile, donner de meilleure chance à nos concitoyens de maîtriser leur avenir et celui de leurs enfants, leur donner l'envie de s'impliquer davantage, d'être des citoyens engagés. Plus impliqués, plus concernés donc, plus engagés, ils reprendront le chemin du collectif, de l'attention aux autres. Plus confiants, ils reprendront le chemin des urnes.
Chaque Français doit se sentir bien, vivre mieux et être accompagné là où il habite. Il doit pouvoir travailler a un temps acceptable de transport de son lieu d'habitation S'il n'a pas de travail, il doit être accompagné dans sa recherche d'emploi comme dans sa formation.
Nous devons toujours avoir en tête ceux qui se sentent abandonnés de la promesse républicaine, ceux qui n'en peuvent plus d'attendre que leur pays se redresse pour en retrouver la fierté, ceux qui se perdent dans le repli sur soi quand ce n'est pas dans le rejet de l'autre.
Nous croyons à la force de notre pays et nous avons confiance en nos élus.
Nous devons mettre fin à la concurrence. La concurrence n'est pas une valeur, elle est un fait. Et c'est par la coopération que nous devons y répondre ; par la coopération entre nos territoires.
La concurrence crée la complexité et gaspille de la dépense publique ; celle du dumping territorial. Opposons lui, une saine coopération qui donne à chaque territoire des fonctions à assumer, des responsabilités à porter. La France est comme un patchwork magnifique de territoires différents ; la coopération c'est le fil qui tient le tout.
Il est temps d'en finir avec les rivalités inutiles entre territoires et entre élus ; rivalités qui font perdre de l'énergie, et du temps à tout le monde. Montrons aux français que les élus savent s'entendre, et travailler ensemble, dès lors que l'intérêt général est en jeu. Si nous passons de la concurrence à la coopération alors, nous sauverons la parole publique.
C'était déjà le sens de la loi précédente :
- changer d'approche,
- reconnaître la diversité de nos territoires
- adapter l'action publique à cette diversité.
Dans notre pays, il arrive qu'à seulement 30 kilomètres de distance, les paysages changent, l'architecture change ; la cuisine ou encore l'accent soient différents.
Sans une action publique qui prend en compte cette diversité, nous serons incapable de résorber les inégalités, de mettre fin aux injustices :
- dans les métropoles,
- dans les quartiers défavorisés,
- les villes moyennes ;
- dans les villages,
- à la montagne,
- dans les territoires ultramarins ;
- aux côtés de chacune et de chacun de nos concitoyens.
Reconnaître les spécificités, ce n'est pas avantager certains territoires par rapport à d'autres. C'est justement leur permettre de se développer au regard des atouts et des besoins qui sont les leurs.
Pour les métropoles et les grandes villes, c'est assumer la responsabilité de la recherche, de la santé comme de l'accueil des étudiants et apprentis…Et cela sert les territoires ruraux.
Pour les territoires ruraux, c'est assurer l'indépendance alimentaire de la France et de l'Europe ; indépendance en danger quand disparaît en 10 ans, l'équivalent d'un département en terre agricole, c'est aussi porter l'innovation, la créativité et des nouvelles filières économiques.
Chaque territoire a son identité. Il faut la préserver, l'enrichir. Ni la fusion de régions, n'y la fusion d'autres collectivités n'y portera atteinte.
De la diversité réaffirmée à la cohérence, l'organisation territoriale de la République doit refaire société et porté progrès de la démocratie.
Ceci est d'autant plus nécessaire que la clarification et le renforcement des compétences locales doivent aller de pair avec des contre-pouvoirs forts. Sinon, c'est le risque de voir s'accentuer le fossé entre l'action et l'opinion publique.
Si comme le suggère Paul Valéry, « Un Etat, est d'autant plus fort qu'il peut conserver en lui ce qui vit et agit contre lui », alors si nous voulons des collectivités fortes, nous devons pouvoir en faire des espaces de débats éclairés, transparents, contradictoires.
La vivacité démocratique de nos territoires ne se décrète pas ; elle n'est pas facile à écrire, de même que la réalité des pouvoirs de l'assemblée délibérante vis-à-vis de l'exécutif d'une région, ou encore les limites du pouvoir de l'opposition.
Néanmoins, il n'est pas impossible que quelques parlementaires aient des idées fécondes en la matière.
La vivacité démocratique de nos territoires, c'est aussi celle de nos communes. Car nos 36 000 communes sont 36 000 points d'accès à la démocratie, 36 000 repères pour nos concitoyens.
En ces temps difficiles, la commune est un échelon essentiel, un échelon d'évidence. C'est pourquoi le projet de loi que je vous présente, a vocation à la préserver, en lui donnant la force du regroupement.
Je ne suis pas la Ministre des éditorialistes et des think tanks libéraux, de ceux qui proposent, dans tous les tabloïds, de déchirer au plus vite les départements ou de balayer les communes.
Au contraire, avec ce projet de loi, nous permettons aux communes de de répondre à leurs difficultés, grâce à l'intercommunalité.
Dans la droite ligne de la proposition de loi « communes nouvelles » que vous avez votée hier, notre texte garantit la communes. Il est un formidable outil pour unir sans détruire.
Demain, il n'existera plus de communes fortes sans intercommunalités fortes.
Des communes trop petites ne peuvent assumer toutes les missions aujourd'hui attendues des collectivités territoriales par nos concitoyens.
Nous entendons les élus nous dire que la réforme territoriale peut remettre en cause la proximité. Je pense au contraire, qu'il ne faut pas confondre proximité et morcellement. Car du morcellement au recul des services publics, il n'y a qu'un pas.
Cette question du recul des services publics est essentielle. C'est là que se joue – à mon sens – notre plus grand défi. Car les extrémismes s'immiscent dans les failles de l'action publique.
L'intercommunalité permet de repenser la présence physique de la puissance publique sur nos différents territoires. Ainsi, grâce au projet de loi NOTRe, les EPCI pourront définir des obligations de service public. Nos maisons de services publics doivent se bâtir vite, nous nous en fixons un objectif de 1000 pour commencer.
Attention à ne pas tout confier au numérique, même si une « transition numérique » peut également apporter des solutions. Je dis « une » transition numérique, car c'est une transition choisie qui refuse de verser dans l'unanimisme béat du digital.
Plutôt que de « dématérialiser » la présence physique des pouvoirs publics sur nos territoires, l'outil numérique doit à l'inverse, permettre de la renforcer (comme les travaux d'Yves ROME le montrent).
Mesdames et Messieurs les sénateurs, nous le constatons tous – chacun d'entre nous au sein de nos territoires - l'intercommunalité, c'est là où les gens vivent, où ils habitent.
Il est temps de faire en sorte que les limites de notre organisation ne soient plus jamais pour eux, une barrière de complexité. Pour ce faire, il faut trouver l'échelle institutionnelle à même de représenter leurs territoires vécus. Il nous faut donc franchir un palier supplémentaire, installer la coopération intercommunale au niveau approprié.
C'est ce que nous pourrons faire avec un OBJECTIF de 20 000 habitants qui devra bien sûr pouvoir être modulé, en fonction de la densité démographique, des temps de déplacement, des frontières naturelles ou nationales…
Le Gouvernement proposera de préciser – au cours des débats que nous allons avoir – les aménagements possibles au regard de ces critères. Sachez que je serai, sur cette question, très attentive aux propositions que vous pourrez formuler.
Le projet de loi que nous vous présentons redéfini le rôle du département. Ils sont recentrés sur les enjeux de solidarités.
- Solidarités territoriales dont l'aide aux projets de territoires, l'ingénierie qui manque à trop de communautés de communes aujourd'hui.
- Solidarités envers les personnes pour lesquelles cette réforme doit être l'occasion de repenser les financements. Je pense en particulier à celui des allocations individuelles de solidarité.
Les régions quant à elles, avec leurs compétences nouvelles, leur force porteront davantage le progrès et l'anticipation. Garantes de l'avenir de nos concitoyens et de nos territoires, elles devront permettre une meilleure répartition de l'activité.
Nous agirons pour les citoyens, ceux qui cherchent un emploi, qui vivent dans un territoire en reconversion, et ceux qui cherchent à se former. Et chacun doit savoir - quelque que soit sa situation - que sa reconversion et son avenir sont assurés.
Sur les questions d'emplois, de formation, de développement économique des territoires, le Sénat a fait des propositions. Nul doute qu'elles viendront alimenter nos discussions.
A propos des structures d'accompagnement, le gouvernement a entendu le message de la commission des lois, et partage l'idée selon laquelle la Région - chef de file des politiques de formation et d'orientation professionnelles - et renforcée sur le développement économique, doit être plus impliquée.
Cependant, compte tenu de l'urgence dans laquelle notre pays se trouve face au chômage, il pourrait être dangereux de déstabiliser un système qu'il faut d'abord mieux faire fonctionner. Il faut clarifier les domaines de compétences de l'Etat et des Régions et préciser leurs modalités de coordination.
Les Régions nous les voulons espace de partage pour l'avenir de nos territoires. Ainsi, nous pourrons promouvoir un nouveau modèle de développement et assurer la transition énergétique. Ce sont nos régions qui qui travaillent à l'anticipation économique et l'émergence d'idées nouvelles. Elles interviennent dans trois domaines essentiels : l'économie, le logement, le transport.
Elles assurent :
- La responsabilité des aides directes et des entrées au capital des entreprises.
- Le Schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation des entreprises
- Et comme rien ne se fait sans cohésion, la Schéma Régional d'Aménagement et de Développement Durable du Territoire permettra d'être attentif à l'équilibre des territoires et à la solidarité avec les territoires en déprise.
Enfin, chaque jeune aura les moyens de préparer au mieux sa vie future parce qu'il aura accès à une formation de qualité. C'est le sens du transfert des collèges, qui – je le sais – fait débat. Chaque CTAP doit répondre à la question des cités scolaires.
Les régions pourront enfin, par des contrats infrarégionaux, accompagner le volet territorial des contrats de plans, la gestion des fonds européens, qu'elles assument pleinement.
Par ce partage des responsabilités mais aussi cette confrontation des idées et des projets au sein de la Conférence Territoriale de l'Action Publique que nous avons créée, nous pouvons maintenant supprimer la clause de compétence générale pour les régions et les départements, conjuguant ainsi efficacité et clarté avec échanges et confiance.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, la nouvelle organisation territoriale de la République porte de grandes ambitions pour notre pays, pour la qualité de vie de nos concitoyens et l'avenir de nos territoires. C'est un devoir pour nous – gouvernement et élus de la République – que de la réussir.
C'est la raison pour laquelle, il faudra apporter une attention particulière à la période de transition et ce, dans l'ensemble de nos territoires. La phase de transition, ce n'est pas une phase d'attente ou d'attentisme : bien au contraire.
Réussir la réforme, c'est aussi accompagner les agents publics, ces hommes et ces femmes qui font vivre nos services publics.
Les agents publics travaillent pour nous tous au quotidien. Ils nous soignent, nous éduquent, nous orientent... Nous attendons d'eux l'exemplarité et l'incarnation de nos valeurs républicaines. A nous d'incarner les employeurs irréprochables et à la hauteur de l'enjeu. Associons-les à nos réformes, nous le leur devons.
La réforme territoriale va emporter pour eux des conséquences importantes, des conséquences pour leur quotidien, qui pourront aller - pour quelques-uns - jusqu'à des mobilités. C'est pourquoi le projet de loi leur apporte des garanties quant à leurs situations personnelles : conservation de leurs emplois, de leurs niveaux de rémunération, de leur protection sociale complémentaire.
Au-delà, cette réforme doit aussi conduire à donner un nouveau sens à leurs missions et conforter leur engagement pour l'intérêt général.
Réussir la réforme enfin, c'est - au-delà - de la question institutionnelle, réfléchir à la question des moyens. Je sais que cette question vous interroge – c'est bien normal – je sais qu'elle est source d'inquiétude aussi, dans de nombreux territoires. Mais, cela doit se faire dans un cadre où les solidarités sont renforcées, les charges réelles des collectivités mieux prises en compte et les investissements d'avenir encouragés.
C'est pourquoi, depuis deux ans, la péréquation a été garantie et amplifiée (DSR, DSU). Et, grâce aux mesures du PLF, les territoires les plus pauvres contribuent 8 fois moins que les plus riches à la baisse des dotations.
Dans les 2 années à venir, une réforme de la dotation globale de fonctionnement nous permettra de conforter ce mouvement : en renforçant la transparence et l'équité, en encourageant la mutualisation, et en prenant en compte les spécificités des territoires.
Nombreux sont ceux au sein de cette assemblée à réfléchir à ces questions, notamment Monsieur DALLIER, ou Monsieur GUENE.
Enfin, nous soutiendrons les investissements publics locaux d'avenir. Je pense aux espaces publics - compléments indissociables de la construction de logements -, aux équipements publics – rendus indispensables par la démographie croissante de nombreuses communes de France. Plus de crèches, des classes supplémentaires et de meilleurs transports publics.
En conclusion, revenons à notre ambition fondamentale. Au soir du vote la question qui devra se poser à vous, à nous, ne sera pas qui a fait quelle réforme ? La question qui devra se poser sera : A-ton amélioré la vie des citoyens ? A-t-on renforcé les solidarités ? A-t-on permis à ceux qui n'ont rien, d'être accompagné par la puissance publique ?
Alors soyons optimistes : nous pourrions peut-être même faire la dernière réforme d'organisation de nos territoires.
Mon rêve, partagé je n'en doute pas, par tous les élus de la nation, c'est que l'organisation territoriale ne soit plus un sujet de débat tous les 5 ans
Elle ne sera pas un sujet de débat car si elle est adaptée à la réalité de nos territoires et à la vie des gens. Elle ne sera plus un sujet car nos structures et notre droit auront conjugué la souplesse et la confiance. Avec la société du contrat nous installons celle de la confiance entre l'Etat et les collectivités, entre les tenants de l'exécutif et les élus territoriaux, entre les élus eux-mêmes.
Si nous pouvions avec cette loi avoir permis :
- à tel citoyen de réaliser son projet,
- à un celui-ci de retrouver un emploi,
- à un autre de sortir de la précarité,
- à un autre encore d'accéder à la culture et à la créativité
- à un jeune enfin de connaître l'émancipation
Alors OUI nous pourrions être fiers. De nous, de notre travail, de ce que nous avons fait pour la République et pour la France.
Je vous remercie.
Source http://www.action-publique.gouv.fr, le 18 décembre 2014