Texte intégral
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale du Québec, Président de la Délégation de l'Assemblée nationale pour les relations avec l'Assemblée nationale française,
Monsieur le Président du groupe d'amitié France-Québec,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui pour répondre à la demande que vous m'avez faite de m'auditionner sur le thème du développement des régions éloignées. Depuis 1960, la France entretient avec le Québec des relations directes et privilégiées. Les liens qui nous unissent sont forts : économiques, politiques, culturels, historiques.
Je dirai même que ce sont des liens de chair. Depuis 1979, à l'initiative de Jacques Chaban-Delmas et de Clément Richard, une commission interparlementaire franco-québecoise se réunit afin d'échanger, de réfléchir et d'impulser des actions de coopérations menées conjointement par nos deux assemblées. C'est donc avec beaucoup de plaisir que je m'inscris dans cette démarche et que je vous parlerai aujourd'hui de nos Outre-mer qui sont, pour la France, ce que l'on pourrait appeler, pour reprendre l'intitulé de votre thème de travail : « nos régions éloignées ».
En vue de rendre cette audition la plus éclairante et la plus limpide pour vous, je tâcherai de vous présenter brièvement le statut spécifique de nos différents territoires, puis de vous faire état des outils de développement qui sont les nôtres, ainsi que des partenaires avec lesquels nos territoires sont amenés à collaborer.
Le statut des outre-mer
La Constitution française les mentionne tous et les classe selon leur statut. Il y a ainsi :
- les départements et régions d'outre-mer : Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion et Mayotte ;
- les collectivités d'outre-mer : Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française et les îles Wallis et Futuna ;
- la Nouvelle-Calédonie ;
- Clipperton et les Terres australes et antarctiques françaises (archipel de Crozet, archipel des Kerguelen, les îles Saint-Paul et Amsterdam, la terre Adélie et les îles Eparses - les Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India et Tromelin).
Le statut de chaque outre-mer fixe le cadre de son développement :
1°) les départements et régions d'outre-mer sont soumis au principe de l'identité législative, ce qui signifie que les lois et les règlements s'y appliquent de plein droit. Ils peuvent néanmoins être adaptés aux « caractéristiques et contraintes » particulières.
Les assemblées délibérantes (conseil général ou conseil régional) peuvent être habilitées, à leur demande :
- à adapter les lois et règlements ;
- à adopter, dans un nombre limité de matières, des règles pouvant relever du domaine de la loi, pour tenir compte de leurs spécificités, en dehors des matières régaliennes.
2) les collectivités d'outre-mer sont soumises au principe de la spécialité législative, ce qui signifie que les lois y règlements ne s'y appliquent que s'ils le mentionnent expressément. Chaque collectivité d'outre-mer possède un statut qui lui est propre.
Certaines d'entre elles sont dotées de l'autonomie - Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin - et peuvent dès lors prendre des mesures préférentielles au profit de leur population, en matière d'emploi ou de protection du patrimoine foncier. Elles bénéficient également d'une plus grande protection de leurs compétences contre les incursions du législateur (elles peuvent saisir, à cet effet, le Conseil constitutionnel) et peuvent être associées - sous de strictes conditions - à l'exercice des compétences régaliennes.
3) la Nouvelle-Calédonie jouit d'un statut particulier, fixé par la Constitution, qui renvoie à l'accord de Nouméa de 1998. Les principales composantes spécifiques du statut de la Nouvelle-Calédonie sont :
- une « citoyenneté » locale, fondée sur un corps électoral restreint pour l'élection au congrès et des assemblées de province ;
- un pouvoir législatif dans certaines matières, avec des « lois du pays » soumises à l'avis préalable obligatoire du Conseil d'État et au contrôle éventuel du Conseil constitutionnel ;
- une préférence locale en matière d'emploi ;
- un transfert de compétences irréversible de l'État vers la Nouvelle -Calédonie ;
- une autodétermination programmée pour la période 2014-2018.
4) Clipperton et les Terres australes et antarctiques françaises n'ont pas de population permanente. Clipperton est administrée par le Haut-Commissaire de la République en Polynésie française et les TAAF par un préfet qui siège à Saint-Pierre de La Réunion. Au regard du droit communautaire, les outre-mer relèvent soit du statut de Région Ultra-Périphérique (RUP), soit de celui de Pays et Territoire d'Outre-Mer (PTOM).
La Guyane, la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion, Saint-Martin et Mayotte sont des régions ultrapériphériques (RUP). En tant que telles, elles font partie intégrante de l'Union européenne et sont pleinement assujetties au droit communautaire. Le statut de RUP est défini par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (article 349 TFUE) qui énumère les « facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement » : l'éloignement, l'insularité, la faible superficie, le relief et le climat difficiles, la dépendance économique vis à-vis d'un petit nombre de produits.
Saint-Barthélemy, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises sont des pays et territoires d'outre-mer (PTOM). Bien que rattachés à un État membre, ces pays et territoires ne font pas partie de l'Union européenne. Le droit communautaire ne leur est pas applicable. Ils sont associés à l'Union européenne (article 198 TFUE).
Les outils du développement des régions éloignées. Les départements et régions d'outre-mer sont des collectivités territoriales de droit commun et disposent de ce fait des mêmes outils de développement que ceux déployés au niveau national. La départementalisation acquise dès 1946 pour les « quatre vieilles » et très récemment pour Mayotte (2011) est synonyme d'égalité des droits pour tous.
Cette égalité des droits s'est traduite par une égalité sociale avec un alignement des prestations sociales et la recherche d'une qualité de vie comparable à celle de la France métropolitaine. Les infrastructures en matière d'éducation, de santé et de soins sont ainsi aux standards français et européens.
Néanmoins, les territoires ultramarins accusent, à des échelles diverses, de nombreux retards et il y a encore, dans certains territoires, des manques criants au niveau de l'assainissement, des déchets, voire en matière de santé. Dans certains endroits, la situation est même pire : ainsi en est-il à Mayotte, dans certaines zones en Guyane ou en Polynésie française...
Il faut donc se battre à la fois dans un contexte budgétaire français mais aussi européen très tendu pour poursuivre cette politique de rattrapage et en même temps créer les conditions d'un développement économique local.
Dans ces conditions, les transferts publics restent essentiels au développement économique local. Par ailleurs, l'adaptation aux contraintes particulières locales a conduit à des dispositifs d'aide au développement spécifiques pour les outre mer.
Les mesures d'aides fiscales Plusieurs mesures fiscales incitatives relèvent de politiques spécifiques. Ainsi en est-il de :
- la défiscalisation : principal dispositif d'aide au développement des investissements des entreprises, le principe de la défiscalisation est de faire appel à l'initiative privée, y compris métropolitaine, mobilisée grâce à l'effet attractif de l'avantage fiscal, pour réaliser des investissements outre-mer.
- la réduction de la taxe sur les salaires pour les entreprises : ce dispositif favorise la diminution du coût du travail et conforte les exonérations de charges sociales.
- le régime fiscal des DOM est caractérisé par l'existence de taux spécifiques en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) : qu'il s'agisse d'exonérations de certains produits importés ou de la réduction des taux, ces dispositifs assurent une neutralité fiscale pour les importations et les productions locales dans un système d'équilibre avec l'octroi de mer.
- la construction de logements locatifs et en accession à la propriété a fait l'objet d'efforts conséquents et d'un dispositif d'incitation fiscale.
- les aménagements généraux du barème de l'impôt : il existe ainsi un abattement de l'impôt sur le revenu de 30% pour la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion et de 40% pour la Guyane et Mayotte.
- les zones franches d'activité (ZFA) dans lesquelles les résultats des entreprises éligibles à la défiscalisation font l'objet d'un abattement fiscal à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés, afin de réduire l'écart de compétitivité existant entre elles et leurs concurrentes directes dans leur environnement régional.
- un crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) renforcé dans les DOM.
La politique contractuelle A travers cette politique contractuelle, l'État soutient les politiques publiques dans les outre-mer et les accompagne dans une perspective de développement et d'aménagement durables au regard des handicaps et des inégalités géographiques. Cette politique contractuelle garantit la visibilité de l'action de l'État dans chaque territoire avec la définition préalable et concertée d'un périmètre d'intervention et d'une enveloppe de crédits. A travers cette politique contractuelle, l'accompagnement de l'État est adapté à chaque territoire et est ainsi modulé en fonction du cadre institutionnel et du degré d'autonomie du territoire d'une part, de la répartition des compétences entre l'État et les collectivités d'autre part.
Dans les DOM, l'outil de cette politique contractuelle est le Contrat de Projets État-Région (CPER). Ce contrat est un document par lequel l'État et une région s'engagent sur la programmation et le financement pluriannuels de projets importants (logement, équipements structurants, développement de l'emploi).
Dans les COM, l'outil de cette politique contractuelle est le Contrat de Développement ou le Contrat de Projet (CD / CP).
Les fonds européens dans les RUP et PTOM
RUP Au plan financier, l'Union européenne intervient dans les RUP à travers les fonds structurels et d'investissement et les fonds de la politique agricole et de la politique de pêche, par périodes annuelles de 7 ans.
PTOM L'association des PTOM à l'Union européenne s'articule autour de deux axes :
- la promotion du développement économique et social des PTOM
- l'approfondissement des relations entre ces territoires et l'Union européenne. Les interventions des fonds européens dans les PTOM s'inscrivent dans le cadre du fonds européen de développement (FED), instrument hors budget de l'Union européenne.
Les partenaires du développement des régions éloignées Outre l'Union européenne, les partenaires du développement des régions éloignées sont, d'une part, l'Agence Française de Développement (AFD) et, d'autre part, les pays voisins à travers la coopération régionale.
Le rôle de l'AFD
L'Agence Française de Développement (AFD) est un organisme français, ayant à la fois le statut d'établissement public à caractère industriel et commercial et d'institution financière spécialisée. Elle finance des projets de développement économique et social dans de nombreux pays en développement en tant qu'opérateur pivot du dispositif français d'aide publique au développement et assure l a promotion de l'économie de la France d'outre-mer. Elle est placée sous la tutelle du Ministère de l'Economie, du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de l'Intérieur et du Ministère des outre-mer. La part des financements de l'AFD consacrés aux outre-mer représentante environ 20% de ses financements totaux.
La coopération régionale
Un des enjeux de la coopération régionale est évidemment le développement économique et social des collectivités : le développement des actions internationales des territoires ultramarins favorise l'accroissement des échanges, eux-mêmes facteurs de développement économique et social. Les spécificités des outre-mer constituent des atouts considérables qui méritent d'être mis en exergue dans leur environnement régional : population jeune, patrimoine naturel, richesse culturelle, infrastructures performantes (aéroports, hôpitaux, universités, instituts de recherche), pôles d'excellence reconnus (lutte contre les catastrophes naturelles, filières pêche/aquaculture...).
Les collectivités situées outre-mer se sont toutes vues reconnaître des compétences en matière de coopération régionale, même si ces compétences diffèrent d'une collectivité à une autre : elles peuvent ainsi, avec l'autorisation des autorités de la République, négocier voire signer des accords internationaux. Elles peuvent également, avec l'accord des autorités de la République, adhérer à des organisations régionales. Ainsi, dans le Pacifique, Wallis et Futuna, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie sont membres à part entière de certaines organisations régionales.
Les relations bilatérales entre une collectivité d'outre-mer et un État voisin peuvent par ailleurs être renforcées avec la création de mécanismes de dialogue régulier, tels la mise en place de commissions mixtes transfrontalières. Ainsi, la coopération entre Saint-Pierre-et-Miquelon et les quatre Provinces Atlantiques canadiennes qui entourent l'archipel (Nouvelle-Écosse, Nouveau Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador) repose sur un accord signé le 2 décembre 1994 entre la France et le Canada. Des commissions mixtes franco-canadiennes se réunissent tous les ans, alternativement sur le territoire de l'une ou l'autre partie.
Au plan financier, il existe un fonds de coopération régionale (FCR) pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte. Il existe également un fonds spécifique pour le Pacifique. Ces fonds financent des projets favorisant l'intégration et l'insertion économique des outre-mer dans leur environnement régional tout en affirmant la présence française dans ces zones.
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale du Québec, Monsieur le Président du groupe amitié France-Québec et mesdames et messieurs les députés, j'espère avoir pu contribuer, par cette radiographie succincte et ce bref état des lieux, à éclairer votre lanterne sur les modalités juridiques, économiques et politiques qui structurent nos outre-mer et qui organisent leur développement.
C'est avec grand plaisir que j'accueillerai maintenant les questions que vous voudrez bien me poser.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 2 juin 2015