Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur les forces et les faiblesses du traité d'Amsterdam et les grands axes du projet européen du gouvernement, Paris le 4 septembre 1997.

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Circonstance : 50ème assemblée plénière du Conseil supérieur des Français de l'étranger du 1° au 4 septembre 1997.

Texte intégral

J'ai déjà eu le plaisir de vous rencontrer brièvement lundi, à l'occasion du cocktail offert par Hubert Védrine. Il m'est agréable d'avoir aujourd'hui un échange plus long avec vous qui représentez les hommes et les femmes de notre pays qui ont choisi de vivre à l'étranger. Mes fonctions me porteront à me rendre prioritairement dans les pays de l'espace européen, et ne me permettront pas de vous rencontrer tous dans vos pays de résidence, ainsi que j'ai pu le faire, par exemple, à Bruxelles aux côtés du président de la République. Je connais aussi votre intérêt pour l'Europe et votre attachement à l'idéal européen. C'est pourquoi cette occasion d'évoquer les questions européennes, déterminantes pour l'avenir de notre pays et pour l'ensemble du monde, également avec nos compatriotes des autres continents, est particulièrement intéressante.

Cette session se tient à un moment décisif pour la France et l'Union européenne. Nous entrons dans une période qui sera rythmée par des étapes majeures pour l'avenir de notre pays et de l'Union européenne. Permettez-moi de les rappeler : Conseil européen extraordinaire sur l'emploi, signature puis engagement de la procédure de ratification du Traité d'Amsterdam, lancement du processus d'élargissement de l'Union européenne, sélection des pays participant à la monnaie unique, et réforme des politiques communes et révision des perspectives financières.

Je veux, bien sûr, me tourner devant vous vers l'avenir, et vous parler du projet européen de la France. Mais, revenons un instant en arrière, si vous le voulez bien, sur Amsterdam. Certes, nous éprouvons une certaine frustration et même de la déception, voire un sentiment d'échec sur la question institutionnelle, devant les résultats de ce Conseil européen. Mais nous les assumons et proposerons la ratification du nouveau traité qui en découle. D'abord, parce que la parole de la France est engagée puisque le résultat a été accepté, à Amsterdam, par le président de la République et le nouveau Premier ministre, Lionel Jospin. Ensuite, parce que ces résultats, contrastés, traduisent un point d'équilibre entre de multiples contraintes, et sont aussi le produit de circonstances exceptionnelles que le nouveau gouvernement a dû gérer, quelques jours seulement après sa formation, dans le respect parfaitement normal et partagé des engagements déjà pris au nom de la France.

Les résultats obtenus ne sont pour autant pas négligeables. Sans entrer dans le détail à ce stade - nous pourrons y revenir à l'occasion de vos questions si vous le souhaitez -, je citerai simplement quelques-uns des points essentiels pour la France sur lesquels nous avons obtenu des résultats très positifs : l'introduction d'un chapitre sur l'emploi et l'intégration dans le corps du Traité du Protocole social signé à Onze à Maastricht ; la possibilité de recourir à la formule des coopérations renforcées à la majorité qualifiée ; la reconnaissance de la spécificité des services publics ; la reconnaissance du rôle des parlements nationaux et leur meilleure association aux travaux du Conseil ; l'inscription dans le Traité du siège du Parlement européen à Strasbourg ; enfin, la reconnaissance du statut des régions ultrapériphériques

Mais ce qu'il faut souligner, au-delà de ces demandes spécifiques, c'est l'introduction in fine, grâce à l'engagement résolu du gouvernement, d'une tonalité nouvelle. Il a réussi à faire partager à ses partenaires ses préoccupations en matière de croissance et d'emploi et contribuer ainsi à rapprocher la construction européenne des véritables aspirations de ses peuples.

Je constate, en effet que les populations, les hommes et les femmes, semblent avoir pris une certaine distance avec l'Europe. Depuis le Traité de Rome, dont le quarantième anniversaire a été célébré au printemps dernier à Rome, nous avons travaillé par ajouts successifs, rendant à chaque étape les textes et l'édifice dont ils forment la base, plus complexes et plus abstraits, c'est-à-dire plus difficiles à appréhender par les citoyens et, en tout cas, trop éloignés de leurs préoccupations prioritaires.

C'est pour cela que le gouvernement veut travailler aujourd'hui à rendre l'Europe populaire, dans la double acception de ce terme : que l'Europe serve les peuples et que les peuples aiment l'Europe, telle est mon ambition. Des efforts continueront à être demandés aux habitants de l'Union, mais les effets positifs de ces ajustements ne doivent plus être postulés pour un futur plus ou moins proche, en fait sans cesse repoussé. Ils doivent apparaître clairement et emporter la conviction. Notre action doit porter un projet, celui d'une Europe sociale et politique, avec, pour moteur, la démocratie.

Sachez que je ne ménagerai pas mes efforts pour continuer à faire connaître et aimer l'Europe. Un certain nombre d'actions de communication et d'information ciblées et décentralisées sur l'Europe sont en préparation, s'appuyant sur les enseignements des expériences passées. Mon souhait est d'informer le mieux possible, mais aussi d'écouter ce que nos concitoyens de tous les milieux, économiques, syndicaux et associatifs, ont à dire sur l'Europe et ce qu'ils en attendent.

Mais voyons plus précisément ce que veut dire rapprocher l'Europe des citoyens. Concrètement, qu'est ce qu'une Europe plus proche des citoyens ?

C'est une Europe qui répond à une vision ambitieuse de son avenir, une Europe plus proche des préoccupations quotidiennes des gens, c'est-à- dire une Europe qui apporte des réponses concrètes à leurs attentes en matière d'emploi, en matière sociale au sens le plus large, en matière de liberté et de sécurité aussi. Une vision ambitieuse, c'est aussi celle d'une Europe ouverte, capable d'accueillir, dans des conditions acceptables par tous et pour tous, tous les membres de la grande famille européenne.

J'évoquerai donc successivement les points suivants : l'Union économique et monétaire, l'emploi, les questions de liberté et de sécurité, enfin l'élargissement et l'Agenda 2000.

Premier point, le passage à la monnaie unique, qui représente le grand rendez-vous de 1998. Ce point sera exposé ultérieurement de manière approfondie par le Commissaire européen Yves-Thibault de Silguy. Mais j'aimerais vous en dire quelques mots, car sur cette question aussi, la France nourrit de grandes ambitions pour l'Europe.

L'UEM, c'est d'abord l'euro, le prolongement naturel du marché unique. Pour ceux d'entre vous qui travaillent dans des pays membres de l'Union, je sais que cela représente une attente très concrète. Quand on a l'habitude, en effet, de se déplacer au sein de l'Union, dans ces pays qui ne sont plus la France, mais pas tout à fait l'étranger non plus, parce qu'ils sont très proches et parce qu'ils partagent dans beaucoup de secteurs les mêmes normes que nous, celles qui structurent le marché unique, on comprend tout l'intérêt que revêt l'instauration d'une monnaie commune.

Pour autant, vous le savez, l'objectif n'est pas facile à atteindre. Il suppose l'acceptation de contraintes et d'efforts soutenus. Nous sommes convaincus qu'ils valent la peine d'être réalisés pour que la France participe au premier train de la monnaie unique dans les délais, sans aucun report et aux conditions de stabilité macro-économiques prévues par le Traité. C'est la position du gouvernement et soyez assurés qu'il sera d'une fermeté totale Mais il faut pour cela veiller à ce que cette entreprise historique soit lancée sur des bases solides, en étant capable de se projeter dès à présent au-delà du printemps 1998. A cet égard, deux orientations sont déterminantes :

- la consolidation budgétaire doit être inscrite dans la durée. La politique économique et sociale du gouvernement, qu'il s'agisse des mesures d'ajustement de l'été ou du projet de loi de finances pour 1998 qui sera présenté prochainement au Parlement, s'inscrit dans la logique de ce choix, avec un fort degré de crédibilité. Après s'en être rapproché fin 1997, l'objectif est d'atteindre en 1998 la valeur de référence de 3 % du PIB en matière de déficit public, alors que le niveau de l'endettement est inférieur au seuil de 60 % du PIB.

- l'assise politique et sociale de la monnaie européenne doit par ailleurs être assurée. Cette approche plaide en faveur de la création, à côté - et non au-dessus, ou même en face - d'une banque centrale garante de la stabilité monétaire, d'un pôle de coordination économique. C'est une exigence qui s'impose au nom de la légitimité démocratique et de l'équilibre institutionnel. Ce pôle aurait pour mission de répondre de la cohérence, et donc de l'efficacité, des politiques nationales au service de la croissance. Cette question de la coordination des politiques économiques sera à l'ordre du jour du Conseil européen de décembre. Cette approche met également en évidence toute l'importance des initiatives en faveur de l'emploi pour que, enfin, l'euro ne soit plus perçu seulement comme une contrainte, mais également comme une spectaculaire affirmation d'une Europe-puissance dans un monde global et comme un formidable accélérateur de la construction européenne.
Nous entrons dans une période délicate et, nous le voyons tous les jours, des remous sont possibles. Sachez que pour sa part, le gouvernement fera tout pour maintenir le cap, en affirmant avec force sa volonté et sa conviction.

Deuxième point, rechercher un modèle de développement plus solidaire et plus riche en emplois, retrouver une croissance forte. Le gouvernement a obtenu à Amsterdam un infléchissement important de la construction européenne. Celui-ci s'est traduit concrètement par l'insertion d'un chapitre emploi dans le Traité, l'adoption d'une résolution sur la croissance et l'emploi, ainsi que la convocation d'un Conseil européen extraordinaire sur ce sujet en novembre prochain. C'est ce que l'on pouvait espérer de mieux dans le contexte particulier de ce sommet. En consacrant l'emploi et le social par deux chapitres du nouveau traité, l'Union les a inscrits au rang de ses objectifs explicites. Notre souhait est que le Conseil extraordinaire de Luxembourg consacré à l'emploi, décidé à l'initiative de la France, débouche sur des conclusions opérationnelles et concrètes. Pour y parvenir, il faut exploiter les nouvelles dispositions adoptées et exploiter toutes leurs potentialités.

Nous avons transmis à la présidence luxembourgeoise, à sa demande, des propositions concrètes en vue de ce sommet, en insistant tout particulièrement sur les trois axes qui doivent, selon guider notre action à Quinze :

- premièrement, la mise en uvre d'une véritable coordination des politiques nationales de l'emploi ;

- deuxièmement, la relance des actions communautaires en faveur de l'emploi. D'une manière générale, les politiques communautaires doivent prendre davantage en compte leur impact sur l'emploi : la BEI doit dans ce contexte être mobilisée ;

- troisièmement, le renforcement du dialogue social européen, en premier lieu sur l'organisation et l'aménagement du temps de travail. Les modalités de participation des partenaires sociaux aux procédures prévues par le nouveau traité doivent être précisées sans tarder et être organisée du Conseil européen extraordinaire même.

Troisième point : garantir à la fois la liberté et la sécurité des citoyens, deux notions à la fois complémentaires et fondamentales au sein d'une Europe dont les ressortissants doivent se sentir partout les citoyen De nouveaux progrès ont été accomplis en ce qui concerne la mise en oeuvre des droits spécifiques attachés à la citoyenneté. Comme vous le savez, la citoyenneté conférée par le Traité de Maastricht à tous les ressortissants des Etats membres veut impliquer davantage le citoyen dans le processus d'intégration européenne, par le renforcement de sa participation et de ses droits et par la promotion d'une identité européenne.

Les avantages pratiques que confère cette citoyenneté s'ajoutent à ceux qui découlent de la citoyenneté nationale, la citoyenneté de l'Union ne pouvant être acquise ou perdue sans l'acquisition ou la perte de l'identité de la nationalité de l'un des Etats membres.

Le droit de pétition devant le Parlement européen et le droit d'accès au médiateur sont les voies nouvelles auxquelles les citoyens peuvent recourir lorsqu'ils rencontrent une difficulté liée au fonctionnement de l'Union. Elles sont désormais largement utilisées et ont fait preuve de leur utilité. Depuis 1994, 4131 pétitions ont été adressées au Parlement européen. Quant au médiateur européen, nommé le 12 juillet 1995, il a reçu, entre sa prise de fonctions et décembre 1996, 1140 plaintes !

Se sentir citoyen, c'est non seulement pouvoir exprimer un avis critique, une plainte, mais aussi pouvoir exprimer des choix, participer à la vie publique, voter. En ce qui concerne le droit de vote et l'éligibilité des ressortissants communautaires aux élections municipales en France, je puis vous dire que c'est une priorité du gouvernement. Un retard très important a été pris dans la transposition de la directive de 1994. Nous tenons à le rattraper et, le projet de loi organique adopté en Conseil des ministres dès le 2 juillet dernier, devrait être examiné par le Sénat dans les semaines à venir.

Etre citoyen de l'Union européenne, c'est également pouvoir se déplacer et s'installer librement en toute sécurité. Nous savons que les citoyens se heurtent encore souvent à des difficultés. Cela s'améliorera avec l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam, qui permettra l'harmonisation des dispositions qui régiront ce domaine. Voilà une matière dans laquelle le nouveau Traité apporte un vrai progrès.

La libre circulation est un des objectifs premiers de la construction européenne et nous voulons l'atteindre rapidement et dans les meilleures conditions de sécurité possible. La liberté de circuler au sein de l'Union ne doit pas être synonyme de moindre sécurité pour nos concitoyens. C'est en ce sens que la France a plaidé tout au long de la Conférence intergouvernementale. Ainsi, nous avons obtenu que le développement de la coopération en matière policière et judiciaire soit étroitement lié aux mesures visant à faciliter la libre circulation au sein de l'Union et le Conseil européen a mis l'accent sur la lutte contre trois grands fléaux : la criminalité organisée internationale, la drogue et le terrorisme.

En outre, il a été décidé à Amsterdam, d'intégrer les dispositions de la Convention de Schengen dans le Traité. Cette intégration devra se faire, tout comme l'élargissement progressif de l'espace Schengen à de nouveaux membres (dans les prochains mois, l'Italie, l'Autriche et la Grèce, et, d'ici l'an 2000, les pays nordiques) avec la même rigueur.

Enfin, quatrième et dernier point, l'élargissement de l'Union européenne et l'Agenda 2000. C'est un défi sans précédent, en raison du nombre, de la taille et de la situation des pays candidats. Il est politiquement impératif de relever ce défi. Mais la réintégration dans la famille européenne des pays d'Europe centrale et orientale, séparés d'elle par la guerre, puis la guerre froide doit être préparée avec le même souci de mettre le politique et le social au premier plan. Nous ne devons ni dilapider l'acquis dans l'intérêt même des nouveaux Etats membres, ni créer de nouvelles fractures sur notre continent. Ceci suppose, d'une part, une réforme préalable des institutions, d'autre part, l'association de tous les pays candidats au processus d'élargissement. Je m'explique :

- d'abord, il faut, comme l'ont clairement indiqué le président de la République, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, une véritable réforme, sinon les institutions ne pourront pas fonctionner correctement dans une Europe élargie. Cette réforme indispensable, qui n'a pu aboutir à Amsterdam, ne saurait attendre la veille de l'entrée de nos futurs partenaires dans l'Union. Il ne s'agit pas de se lancer à nouveau dans une négociation complexe, mais simplement de régler les points essentiels pour le bon fonctionnement des institutions et le respect de la démocratie : la composition de la Commission, qui doit être restreinte et collégiale et les règles de vote au sein du Conseil, qui doivent être plus conforme à l'exigence d'efficacité et à l'impératif de démocratie.

- ensuite, il faut associer tous les pays candidats au processus. L'élargissement doit être une dynamique positive qui tire tous les candidats vers le haut. Tel est l'objet de la proposition française de "conférence européenne" destinée à permettre d'inclure l'ensemble des candidats dans un même processus, même si formellement toutes les négociations ne pourront s'ouvrir en même temps.

Mesdames et Messieurs, vous qui vivez au contact quotidien des hommes et des femmes de ces pays, vous savez combien il est important pour l'image de la France que notre attitude soit bien perçue. Nous sommes très attachés à l'élargissement et c'est pour cette raison que nous voulons qu'il s'opère dans de bonnes conditions. C'est en se sens que nous posons un préalable institutionnel : afin que l'élargissement, dans l'intérêt même des pays adhérents, débouche sur une Europe qui fonctionne.

Parallèlement, et je n'en dis qu'un mot, vont commencer les travaux sur l'Agenda 2000, c'est-à-dire l'adaptation du cadre financier et des politiques communes à la perpective de l'élargissement. Ils devront concilier le légitime souci de limiter la progression des dépenses et l'impératif catégorique de préservation des politiques communes qui donnent sa substance à la Communauté
Je tiens à souligner, à cet égard, une seule chose : que la France n'entend pas être le seul Etat membre à supporter le poids des ajustements nécessaires.

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L'Europe doit être à la hauteur des grands rendez-vous qu'elle s'est fixés cette année. La France entend bien y contribuer de manière décisive.

Faire l'Europe, sans défaire la France : cette phrase du Premier ministre, qui regrette de n'avoir pu assister à vos travaux, mais a adressé un message à votre assemblée, reste pleinement d'actualité. Les Français de l'étranger ont un rôle à jouer dans la définition de cette politique que nous voulons équilibrée et ambitieuse.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2001)