Déclaration de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, sur la prolongation de l'état d'urgence pour une durée de deux mois, à l'Assemblée nationale le 19 mai 2016.

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Circonstance : Débat sur le projet de loi après engagement de la procédure accélérée, prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, à l'Assemblée nationale le 19 mai 2016

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, prorogeant l'application de la loi no 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'État d'urgence (nos 3732, 3753).

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, en raison de la persistance de graves menaces terroristes susceptibles de frapper l'ensemble du territoire national, le Gouvernement soumet à votre examen une troisième loi de prorogation de l'état d'urgence, pour une durée supplémentaire limitée à deux mois.

Je tiens, tout d'abord, à remercier le président Raimbourg et le co-rapporteur Poisson pour le suivi très méticuleux de l'état d'urgence qu'ils ont conduit depuis plusieurs mois. En commission des lois, le président Raimbourg nous a présenté un compte rendu très exhaustif qui permet d'avoir une photographie précise des mesures que nous avons mises en œuvre : cela a été précieux pour la tenue des débats en commission.

Le contrôle du Parlement a, vous le savez, permis de faire la transparence et de lever les craintes et les inquiétudes qui s'étaient exprimées, ici ou là, au sujet de la mise en œuvre de l'état d'urgence.

Chacun a pu constater que l'état d'urgence n'est pas synonyme d'arbitraire et que les actes et les décisions pris sur son fondement étaient tous prévus et strictement encadrés par le droit, tout comme les raisons justifiant d'y avoir recours et de le prolonger.

Je veux que les choses soient ici clairement dites : les mesures de police administrative que nous prenons en application de l'état d'urgence présentent un caractère exceptionnel. Elles sont, conformément aux principes constitutionnels et de droit, strictement proportionnées à la nature de la menace ainsi qu'au contexte d'ordre public qui en découle.

Le Conseil constitutionnel l'a d'ailleurs très clairement rappelé dans sa décision du 19 février dernier : les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence doivent concilier la prévention des atteintes à l'ordre public avec le respect des droits et des libertés, parmi lesquels figurent le droit et la liberté d'expression des idées et des opinions.

L'État et les forces de l'ordre disposent, du reste, des moyens juridiques et matériels nécessaires pour réprimer, avec la fermeté la plus grande, les débordements survenus à l'occasion des récentes manifestations, ainsi que pour interpeller, systématiquement, les casseurs qui se rendent coupables d'agissements intolérables.

J'en veux pour preuve le très grand nombre d'interpellations réalisées depuis le début de ces événements il y a deux mois : plus de 1 400 individus ont en effet été interpellés pour des faits de violence commis lors des manifestations contre le projet de loi travail. J'ajoute que 885 d'entre eux ont été placés en garde à vue et que 61 ont d'ores et déjà été condamnés par la justice, en comparution immédiate.

Quant aux manifestations qui se sont déroulées hier à Paris, et qui avaient été interdites, elles se sont traduites par six interpellations ayant donné lieu à six gardes à vues, dont trois pour participation à une manifestation interdite et détention de substances ou de produits incendiaires ou explosifs, deux pour participation à une manifestation interdite et une pour outrage à personne dépositaire de l'autorité publique.

Je veux le redire ici, solennellement, devant la représentation nationale : ce qui s'est produit hier à Paris, c'est-à-dire l'agression de deux policiers et l'incendie de leur véhicule, constitue des actes criminels d'une extrême gravité pour lesquels le procureur de la République a enclenché l'action publique pour des motifs qualifiant les actes en question de tentative d'homicide à l'encontre de personnes détentrices de l'autorité publiques.

Ces actes appellent la plus grande sévérité : c'est la raison pour laquelle de premières interpellations ont eu lieu dès hier. Elles permettront, à travers l'enquête et les auditions en cours, de déterminer la responsabilité exacte des interpellés dans les violences intervenues hier.

Je ne m'attarderai pas sur l'enquête : il convient, en ces matières, de respecter rigoureusement la séparation des pouvoirs. Il appartiendra donc, bien entendu, au procureur de la République de Paris de communiquer sur les faits qui se sont produits ainsi que sur le résultat des gardes à vue.

Je veux néanmoins d'ores et déjà dire que la police judiciaire, notamment la direction de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris procède, sous l'autorité du procureur de la République, à l'exploitation de l'ensemble des éléments qui ont été rassemblés hier par les services, de manière à ce qu'il puisse être procédé à d'autres interpellations afin que tous ceux qui se trouvent à l'origine de ces actes en répondent devant la justice, de manière à ce que le droit passe rapidement et avec la plus grande sévérité.

Je me suis rendu hier soir au chevet du policier qui, avec beaucoup de maîtrise et de sang-froid, a protégé sa collègue et s'est protégé lui-même face à des actes de haine que j'ai trouvés d'une extrême barbarie. J'ai aussi trouvé extrêmement choquant de voir des individus autour du véhicule récupérer des images au moyen de caméras, sans bouger, sans intervenir, comme si c'était l'ordre normal des choses. Alors que des policiers étaient agressés avec la violence que l'on a vue, il y avait autour d'eux des individus en nombre, qui filmaient et ne bougeaient pas.

J'aurais énormément de difficulté à considérer qu'il y a chez ces hordes sauvages quelque chose qui ressemble à de l'humanité ou, a fortiori, à un début d'idéal. Il n'y a derrière tout cela que de la violence, de la brutalité, et cela traduit un abandon de tous les principes d'humanisme qui sont le fondement de notre civilisation et des valeurs républicaines.

Je veux aussi dire très calmement à l'opposition et à ceux qui la représentent ici que des violences dans des manifestations, il y en a eu souvent. Lorsqu'il y a un tel niveau de tension, on peut préférer les charmes de la politique à l'exigence éthique de vérité, mais, dans la responsabilité qui est la mienne, il n'y a qu'une chose qui compte, c'est l'exercice de l'État, au nom des principes républicains, avec pour seule boussole le sens de l'État et l'application du droit dans sa plus grande rigueur. Laisser penser qu'il y aurait, au sein de l'administration ou, a fortiori, du Gouvernement une forme de mansuétude à l'égard de ceux qui commettent de tels actes est faux et très injuste à l'égard des préfets qui, placés sous mon autorité, travaillent quotidiennement à la sécurité des Français, à l'identification des casseurs et à la judiciarisation de leur situation.

Si nous avons interpellé 1 400 personnes et procédé à des gardes à vue en nombre comme je viens de l'indiquer, si 71 personnes ont d'ores et déjà été lourdement condamnées, notamment dans les villes où les exactions ont été les plus nombreuses, c'est parce qu'il y a un travail inlassable de la police judiciaire, un travail inlassable des préfets, un travail d'investigation continu des services placés sous la responsabilité du ministère de l'intérieur.

Je le dis amicalement à Éric Ciotti, à Guillaume Larrivé et à l'ensemble des parlementaires du groupe Les Républicains et à leurs leaders, y compris à un certain nombre de membres de leur organisation qui ont exercé des responsabilités au sein du ministère de l'intérieur, si l'on veut apprécier les consignes données par un ministre à son administration, il y a une manière très simple de le faire, c'est d'exercer le contrôle parlementaire, de récupérer les télégrammes adressés aux préfets, les ordres d'opération donnés par les préfets aux forces de l'ordre sur la base des consignes qui leur sont adressées. Alors, grâce à un effort de transparence et à la bonne foi, il sera possible d'établir très clairement ce qu'il en est.

Mme Élisabeth Guigou. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends que la passion de la politique, les échéances qui se préparent, la volonté de positionnement des uns et des autres puissent conduire à d'autres discours et à d'autres comportements mais moi, devant les Français, je ne veux m'assigner qu'un seul et unique devoir, protéger les Français contre les violences et rendre compte scrupuleusement devant la représentation nationale de l'action qui est conduite et de la fermeté qui est celle du Gouvernement sur ces questions.

En même temps, ce qui fait la force, la fermeté, l'autorité de l'État lorsqu'il y a une situation difficile comme celle à laquelle nous sommes confrontés, c'est le respect rigoureux et scrupuleux de tous les principes de droit lorsque l'État agit car c'est dans la force du droit que l'État puise aussi son autorité. Je ne peux donc pas prendre de disposition qui ne soit pas en toute occasion conforme aux principes de droit, et je vais prendre un exemple extrêmement concret.

Comme hier soir, j'avais donné avant-hier des instructions pour qu'une interdiction de paraître dans des manifestations soit notifiée à des individus violents…

M. Christophe Caresche. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …et pour que leur judiciarisation soit facilitée au cas où ils s'y présenteraient, afin de prot��ger aussi les manifestants sincères de la violence des casseurs. L'un de ceux qui ont été interpellés hier soir avait fait l'objet d'une décision cassée par le juge.

Je ne commente pas la chose jugée, je la respecte. Je ne cherche pas à faire pression sur les juges, ce qui, dans la responsabilité qui est la mienne, serait totalement inconvenant et contraire au principe de la séparation des pouvoirs. Je cherche simplement à faire œuvre de pédagogie et à montrer la difficulté du problème à tous ceux qui, dans le vacarme, s'emploient à laisser penser, parfois avec la plus grande démagogie, que ce qui doit être fait ne l'est pas, ou que c'est une façon d'essayer d'être plus efficace.

Non, notre détermination est totale, notre volonté d'acier, et le respect du droit doit être la modalité d'intervention.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Sinon, il n'y a plus de République, d'État de droit, de principes. Un ministre de l'intérieur qui veut faire en sorte que le droit passe ne peut pas s'éloigner des principes de droit en faisant preuve de démagogie. Face à un tel niveau de tension, il ne peut pas puiser son inspiration dans la pensée et les comportements de Donald Trump, même si ce dernier semble inspirer d'autres acteurs dans la classe politique française.

Mme Élisabeth Guigou. Très bien !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Il fallait le dire !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je voudrais maintenant dire quelques mots du bilan de l'état d'urgence.

L'état d'urgence, je le rappelle, s'est traduit par 594 suites judiciaires après des perquisitions administratives, 223 pour infraction à la législation sur les armes, 206 pour infraction à la législation sur les stupéfiants. En outre, 28 informations judiciaires ont été ouvertes, 67 peines ont été prononcées à l'issue de ces procédures, et 56 personnes ont été placées en détention, soit des résultats particulièrement significatifs.

L'efficacité des mesures que nous avons prises va bien au-delà du bilan chiffré et des suites judiciaires. En effet, elles participent d'une stratégie cohérente et accélérée de détection et de déstabilisation des filières terroristes qui opèrent dans notre pays ou bien qui recrutent et acheminent des combattants vers les zones de conflit au Moyen-Orient. Nous avons ainsi pu empêcher ou retarder des projets de départ vers les théâtres d'opérations djihadistes, limiter les contacts entre les individus signalés comme appartenant à des groupes terroristes ou encore entraver des actions de soutien à ces mêmes groupes. Depuis 2013, pas moins de douze attentats ont été déjoués, dont sept depuis janvier 2015.

Je veux par conséquent saluer le travail réalisé par les services de renseignement, notamment la Direction générale de la sécurité intérieure, qui est saisie en propre ou avec la police judiciaire du suivi de 261 dossiers judiciaires concernant 1 157 individus pour leur implication dans des activités liées au terrorisme djihadiste. Parmi eux, 353 ont d'ores et déjà été interpellés, 13 font l'objet d'un mandat d'arrêt international, 223 ont été mis en examen, 171 ont été écroués et 52 font l'objet d'un contrôle judiciaire.

Ces chiffres montrent bien à quel point l'action quotidienne des services, sous l'autorité de la justice, porte ses fruits, permettant ainsi d'empêcher que des actions violentes et des attentats ne soient commis sur notre sol.

J'en viens à présent à la prorogation de l'état d'urgence et aux raisons pour lesquelles nous le croyons à nouveau absolument nécessaire.

Au cours des derniers mois, plusieurs attentats, qu'ils soient d'ampleur comparable ou bien inférieure à ceux du 13 novembre, ont été commis à l'étranger, visant les intérêts nationaux ou ceux de nos ressortissants. Les groupes djihadistes ont également visé des alliés directs de la France.

Le 22 mars, la Belgique a été frappée par un attentat d'une extrême gravité perpétré à Bruxelles, à l'aéroport de Zaventem et à la station de métro de Maelbeek. Grâce aux investigations menées, nous savons que les terroristes impliqués dans cet attentat appartenaient à la cellule qui a planifié et exécuté les attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis. En outre, le parquet fédéral belge a confirmé que les attentats du 22 mars avaient initialement été envisagés et programmés pour la France, avant que les terroristes, pris de cours par les investigations judiciaires menées en Belgique, ne soient contraints de précipiter leur action dans la capitale belge.

Daech a donc toujours le projet et les capacités de conduire des opérations terroristes d'envergure sur le sol européen, et a d'ailleurs, au mois de décembre dernier, explicitement appelé à cibler un certain nombre de sites.

La menace terroriste demeure donc à un niveau élevé. La France, comme l'Union européenne, représente une cible, en raison du combat résolu qu'elle mène contre les djihadistes au Sahel, en Irak et en Syrie, mais aussi, plus profondément, en raison des principes universels de liberté, de laïcité et d'émancipation qui sont les nôtres depuis plus de deux siècles et qui font horreur aux terroristes djihadistes.

Pour toutes ces raisons, et quelles que soient les précautions que nous prenons, il ne nous est pas permis de nous croire à l'abri, ni de considérer que le péril imminent qui a justifié en novembre dernier la proclamation de l'état d'urgence a disparu.

J'ajoute que, dans les mois qui viennent, les enjeux de sécurité seront particulièrement importants pour des raisons qui tiennent à l'organisation de cette grande manifestation qu'est l'Euro 2016 et d'autres manifestations estivales, qui devront mobiliser toute notre vigilance et faire l'objet de notre part de toutes les précautions.

C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité que soit maintenu et poursuivi le contrôle aux frontières. C'est la raison pour laquelle nous maintenons le déploiement sur le territoire national de 110 000 policiers, gendarmes et militaires de nos armées dans le cadre de l'opération Sentinelle. C'est la raison pour laquelle a été adoptée la proposition de loi présentée par votre collègue Gilles Savary, qui va permettre à notre pays de se doter de moyens supplémentaires dans la lutte contre l'insécurité dans les transports. C'est la raison pour laquelle nous avons fait adopter le projet de loi de Jean-Jacques Urvoas renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme, son financement, texte qui améliore l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Je veux enfin vous apporter certaines précisions concernant les mesures que nous comptons mobiliser dans le cadre de cette troisième prorogation de l'état d'urgence.

Comme l'autorise la loi du 3 avril 1955, le Gouvernement envisage de ne pas activer, dans ce cadre, l'article 11, qui permet de mettre en œuvre des perquisitions administratives dans des lieux que l'on pense fréquentés par des individus constituant une menace pour l'ordre et la sécurité publics.

Cette mesure, que nous avons largement utilisée en essayant de jouer sur la stratégie de la sidération après les attentats du 13 novembre, ne présente plus le même intérêt opérationnel, la plupart des lieux identifiés ayant déjà fait l'objet d'investigations poussées. En outre, l'invalidation par le Conseil constitutionnel de la disposition permettant de réaliser la copie des données informatiques recueillies au cours des perquisitions administratives fait perdre une partie de son utilité à cette mesure.

En revanche, les autres mesures continueront d'être mobilisées pour maintenir les individus assignés à résidence, interdire à ceux qui font l'objet d'une interdiction de sortie du territoire mais qui n'ont pas été assignés à résidence de se trouver à proximité de certains lieux jugés particulièrement sensibles, ou encore établir des périmètres de protection. Ces mesures de maintien de l'ordre public en situation de crise grave seront bien sûr activées si elles se révèlent nécessaires.

Cette nouvelle prorogation de l'état d'urgence, dont nous sollicitons l'approbation par le Parlement, a de nouveau pour objet de concilier la protection de l'ordre et de la sécurité publics, dans le contexte d'une grave menace terroriste, avec ce à quoi nous tenons tous le plus ici, la protection des droits et des libertés garantis par notre Constitution.

Si nous sommes si déterminés sur la sécurité, c'est parce que nous savons qu'elle est la condition de la protection de nos valeurs et de nos principes républicains et démocratiques. C'est pour permettre au Gouvernement d'atteindre ces objectifs que nous proposons la prolongation de l'état d'urgence.

Je veux conclure mon propos en rendant une nouvelle fois un hommage vibrant aux forces de sécurité, qui, avec une énergie considérable et une grande dignité, – je l'ai encore vu hier soir à l'hôpital Bégin où j'ai rendu visite au policier qui avait été agressé – remplissent des missions dans un contexte extrêmement difficile et tendu. J'invite tous les théoriciens des violences policières à regarder les images d'hier,…

Mme Élisabeth Guigou. Des images honteuses !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …à voir où était la violence et à voir aussi la manière très digne dont ce policier s'est protégé…

M. Yves Goasdoué. Tout à fait !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …sans à aucun moment sortir son arme ou même y toucher.

Lorsque je l'ai vu hier soir, il m'a dit l'avoir fait pour des raisons qui tenaient à la formation qui lui avait été donnée, aux principes républicains auxquels il est attaché et à la volonté d'exemplarité qui est la sienne, comme policier, face à des violences qui sont autant de provocations destinées à engendrer d'autres violences, dont la manipulation permet ensuite de théoriser les violences policières.

Dans le contexte particulier dans lequel nous nous trouvons, il n'y a qu'une attitude à avoir – et quel que soit le contexte, elle sera la mienne – : la sagesse plutôt que l'outrance ; le respect du droit plutôt que la démagogie ; la protection des forces de l'ordre, exemplaires et magnifiques dans leurs missions, parce qu'on leur doit cette gratitude plutôt que la stigmatisation ; la fermeté et la détermination les plus grandes à l'égard de ces casseurs qui ne sont que des hordes violentes et barbares et qui doivent être punis par la loi avec la plus grande rigueur. Je veux, à ce propos, adresser également mes remerciements aux préfets, aux forces de l'ordre et aux procureurs de la République qui, par leur action, permettent l'application du droit.

Enfin, je veux aussi souhaiter que, dans ce contexte particulier – je n'ai aucune naïveté et je connais les échéances –, nous puissions toujours privilégier par notre discours l'attachement, qui doit être à chaque instant le nôtre, aux valeurs et aux principes de la République, plutôt que de nous laisser aller à l'abaissement de la politique dans des polémiques qui n'ont pas lieu d'être. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

(…)

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Comme à l'accoutumée, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt et d'attention les interventions ; des questions, en séance et en commission, ont été posées et appellent de la part du Gouvernement des réponses très circonstanciées.

Monsieur Larrivé, vous critiquez le fait que 99 % des personnes figurant dans le fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste – FSPRT – ne fassent pas l'objet d'une assignation à résidence. Vous êtes juriste et savez parfaitement qu'un gouvernement ne peut prendre des arrêtés d'assignation à résidence sans tenir compte de la jurisprudence du juge administratif.

Toutes les personnes fichées au FSPRT ne relèvent pas de l'assignation à résidence ; certaines émettent des signaux faibles. Or l'assignation à résidence doit reposer sur le principe de proportionnalité. Nous avons tenu compte de ce principe pour assigner à résidence toutes les personnes qui devaient l'être en début de période. Lorsque ces décisions ont été attaquées, le juge administratif, notamment le Conseil d'État, a considéré que les éléments concourant à l'assignation devaient être beaucoup plus accusatoires, alors que les mesures initiales avaient un caractère préventif.

Une assignation à résidence, dans le cadre d'une mesure de police administrative, n'est pas le résultat d'une condamnation. Il s'agit d'une mesure de prévention d'un risque, prise en raison d'informations dont on dispose. Récemment, le Conseil d'État a demandé que lui soient communiqués des éléments inclus dans des dossiers à caractère judiciaire – ce que le procureur de la République a accepté de faire dans un cas et refusé dans un autre.

S'il existe moins d'assignations à résidence que de personnes fichées au FSPRT, c'est que toutes ne relèvent pas de l'assignation à résidence et que nous devons tenir compte de la jurisprudence administrative. Je le redis à l'opposition, avec solennité ; je ne peux adhérer à ce raisonnement qui tend à faire croire que le Gouvernement est faible lorsqu'il respecte le droit – voté par le législateur et interprété par le juge. La force de l'État, face à ceux qui se dressent contre son autorité, est de toujours être dans la conformité au droit !

Mme Marie-George Buffet. Exactement.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J'appelle chacun à la responsabilité. Monsieur Ciotti, vous avez énoncé à la tribune un certain nombre de choses fausses. Vous m'avez demandé pourquoi la manifestation d'hier n'avait pas été interdite. Mais elle l'était, monsieur le député ! La manifestation d'hier, à laquelle un certain nombre d'organisations ont appelé, était interdite.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Je n'ai pas dit cela !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous m'avez demandé les raisons pour lesquelles nous ne profitons pas de l'état d'urgence pour procéder à l'interdiction des manifestations. Je vous réponds très clairement : nous avons interdit toutes les manifestations qui, en droit, pouvaient l'être. Lorsqu'une manifestation de casseurs est organisée à Rennes, nous l'interdisons.

M. Éric Ciotti. C'est la première fois !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous avons interdit une manifestation à Nantes.

M. Pierre Lellouche. Mais vous n'avez pas interdit Nuit debout !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Lellouche, les raisons pour lesquelles nous ne l'avons pas fait tiennent à la décision du Conseil constitutionnel du 19 février, rendue au terme d'une question prioritaire de constitutionnalité, qui définit très clairement le cadre juridique dans lequel il peut être procédé à des interdictions.

M. Éric Ciotti. Vous n'avez pas même essayé !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. La différence entre l'opposition et le Gouvernement, c'est que le Gouvernement entend faire tout ce qui doit être fait dans la plus grande fermeté, mais dans le respect rigoureux des principes de droit, et notamment des principes constitutionnels.

M. Pierre Lellouche. Commencez par agir, vous vous interrogerez sur la conformité ensuite !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous estimons, avec raison, que si nous procédons à des interdictions en contravention avec les principes de droit définis par le législateur et rappelés par le Conseil constitutionnel, nous nous exposons à l'annulation des décisions. Dans le contexte actuel, annuler ces interdictions serait de nature à affaiblir l'autorité de l'État et à créer des tensions supplémentaires. Alors que la tension prévaut, nous considérons que nous devons veiller à ce que chaque décision soit rigoureusement conforme au droit. C'est là que réside la différence entre vous et nous !

On ne peut confondre le droit et le tordu : le droit doit s'appliquer pleinement. Préempter ces sujets en les instrumentalisant à des fins politiques, au risque de créer des tensions, est totalement irresponsable. Je le répète : laisser accroire qu'un gouvernement qui se conforme rigoureusement aux principes de droit, sans autres marges de manœuvre juridiques que celles dont il dispose, fait montre de faiblesse est de nature à créer dans le pays un climat délétère. Je vous appelle donc de nouveau à la responsabilité !

M. Pierre Lellouche. Vous êtes le Gouvernement, agissez !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. De la même manière, je considère qu'il est irresponsable d'affirmer, sur internet, dans la presse, ou dans des prises de position politique, que la violence est consubstantielle à la police. Lorsque l'on écrit à longueur d'éditoriaux que les policiers sont des individus par nature violents, il ne faut pas s'étonner ensuite des réactions auxquelles nous avons assisté hier ! Ce sont de véritables appels à la violence qui sont lancés, dans l'irresponsabilité la plus totale.

M. Gérard Bapt et M. Jean-Luc Laurent. Très juste !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous rappelle aussi, messieurs de l'opposition, que toute personne dans cet hémicycle peut être appelée à exercer des responsabilités gouvernementales. Des violences, à l'occasion d'autres manifestations, se sont déjà produites ! Je pense aux manifestations contre le CPE, qui ont donné naissance aux groupes radicaux qui agissent aujourd'hui. Je pense aussi aux émeutes urbaines qui ont duré trois semaines, en plein état d'urgence, et alors que des couvre-feux avaient été instaurés. Aucun d'entre vous, alors, n'était dans la théorisation de la chienlit !

M. Éric Ciotti. Et vous, que disiez-vous ? Je vais vous citer !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Dans l'opposition, je me suis bien gardé, sur tous les sujets que j'ai eus à traiter, de tomber dans la démagogie et les discours à l'emporte-pièce.

M. Éric Ciotti. Ce n'était pas le cas de François Hollande !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Un jour ou l'autre, on se retrouve en situation de siéger au banc du Gouvernement, et les choses deviennent beaucoup moins simples.

Vous avez été dans la majorité et un certain nombre d'entre vous au Gouvernement. Vous savez la complexité des choses, la difficulté de faire face à ces groupes, pour des raisons qui tiennent à leur organisation et à ce qui est l'état du droit. Pourtant, des responsables de l'opposition, dont certains ont exercé des responsabilités éminentes dans l'administration du ministère de l'intérieur, tiennent des propos irresponsables. Ils laissent à penser que les instructions n'ont pas été données de manière à ce qu'il y ait la plus grande fermeté à l'égard des casseurs.

M. Éric Ciotti. Non !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour être clair, c'est ce que dit M. Péchenard ! C'est de la petite politique, monsieur Ciotti, mais je vais vous dire ce que j'ai fait : je viens de transmettre aux présidents des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat la totalité des instructions signées par mes soins et qui font l'objet d'ordres d'opération donnés par les préfets aux forces de police. Vous exercerez ainsi votre contrôle parlementaire, et j'espère que le Parlement rétablira la vérité.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les personnes qui s'expriment de la sorte devraient feraient preuve d'un esprit de responsabilité d'autant plus prononcé qu'elles ont exercé des fonctions importantes au sein du ministère de l'intérieur. Lorsqu'elles s'expriment ainsi, elles mettent en cause leurs anciens collègues, ce qui traduit d'ailleurs une culture de la confraternité assez curieuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.) Je tenais à le dire. Il faut un minimum de déontologie lorsque l'on exerce des responsabilités politiques. Ce genre de choses ne se font pas, ne sont pas convenables. Afin de mettre fin à cette campagne de manipulation, je transmets ce matin la totalité des instructions qui ont été adressées, par mes soins, par télégramme, à l'ensemble des préfets de France.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous pourrez consulter les ordres d'opérations. Je pense que l'on pourra ainsi mettre fin à une polémique aussi irresponsable que totalement indigne (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste), je le dis à regret. On ne peut pas dire en permanence que les policiers sont formidables, qu'ils font preuve d'un grand professionnalisme, qu'ils font tout ce qu'ils doivent faire, mais que cela est le fruit du hasard.

Mme Pascale Crozon et Mme Cécile Untermaier. Très juste !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. En d'autres termes, ils ne feraient pas tout cela parce qu'ils reçoivent des instructions, sont encadrés et appliquent une politique publique, mais par hasard. Eh bien, non : ils ne le font pas par hasard ! Ils le font parce qu'il y a des directeurs généraux dans cette maison, des préfets, que, pour ma part, je respecte. Je respecte les préfets, je respecte le directeur général de la police nationale, je respecte le directeur général de la gendarmerie nationale, je respecte les directeurs des services de renseignements. Ils travaillent quotidiennement avec moi, ils appliquent les instructions, ils sont dans la loyauté, et le discours que vous tenez, je le redis, ne correspond pas à la réalité – on va l'établir – et n'est pas responsable. J'appelle encore une fois chacun à la responsabilité.

Mme Cécile Untermaier. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ensuite, vous dites qu'aucune mesure n'est prise pour éviter ces heurts : c'est faux ! Nous avons pris des arrêtés d'interdiction de paraître dans des manifestations qui concernaient des membres de groupes violents.

M. Éric Ciotti. Oui, avant-hier !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous l'avons fait à l'occasion des manifestations qui se sont révélées les plus violentes, ce qui montre que nous avons eu raison. Nous avons ainsi pris, pour le 17 mai, cinquante-quatre interdictions de manifester, dont quarante et une pour Paris et treize pour les autres départements. Aujourd'hui, nous en avons pris quarante.

M. Jacques Myard. Il faut dissoudre tous ces malfrats !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous fais remarquer, messieurs les députés, que les interdictions de paraître que nous avons prises ont fait l'objet de recours et qu'un certain nombre d'entre elles ont été annulées. C'est bien la preuve qu'il faut veiller constamment à la conformité au droit des dispositions que l'on arrête et que l'on ne peut pas prendre de risque. Monsieur Larrivé, vous me reprochez de n'avoir pas fait appel. Mais il s'agissait de référés-liberté ! On n'était donc pas au fond, et le résultat de l'appel serait intervenu à une date où l'interdiction aurait perdu tout intérêt.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà pourquoi nous n'avons pas fait appel – non que nous ne souhaitions pas conduire la démarche à son terme, mais, dans le cadre de ce dispositif, nous n'avions pas la possibilité temporelle de le faire. À chaque fois que nous prenons des décisions de police administrative pour protéger le pays contre des casseurs et qu'il nous est possible d'interjeter appel, nous le faisons systématiquement. Je vous ferai d'ailleurs remarquer, monsieur Larrivé, que j'ai repris, concernant les mêmes individus que ceux qui ont fait l'objet d'arrêtés cassés par la justice, des interdictions de paraître – les mêmes, ce qui atteste notre persévérance. Chacun doit prendre ses responsabilités ; je prends les miennes. Au moment où nous parlons, où vous êtes dans la polémique vis-à-vis du Gouvernement, le préfet de police de Paris, le procureur de la République de Paris, le directeur de la police judiciaire de Paris sont en train de conduire des investigations nuit et jour pour identifier les individus, les judiciariser et les mettre hors d'état de nuire. Eh bien, pour ma part, je leur rends hommage pour le travail qu'ils font sous la direction du procureur de la République et la mienne. Telle est la vérité, et la vérité doit être dite aux Français !

M. Pierre Lellouche. Elle n'est pas brillante !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si nous laissons à penser aux Français que, face à des actes d'une telle violence, la fermeté la plus réelle ne s'applique pas, nous risquons de créer, dans le pays, un climat de violence renforcée, de susciter des réactions d'autodéfense, de provoquer des antagonismes encore plus violents, ce qui est le contraire de la République. C'est la raison pour laquelle, je veux dire, en toute sincérité, devant la représentation nationale, à quel point je suis indigné de ces campagnes qui ne correspondent pas à la réalité de ce que nous faisons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Madame Maréchal-Le Pen, vous m'interrogez, vous aussi, et je respecte tout à fait vos interrogations, auxquelles j'ai d'ailleurs répondu pour partie. Mais je voudrais à mon tour vous faire quelques remarques. En effet, vous appelez de vos vœux la plus grande fermeté mais, lorsque nous avons présenté les projets de loi antiterroristes, dans lesquels nous proposions de bloquer les sites qui appellent et provoquent au terrorisme, de combattre les terroristes en les identifiant sur internet, vous avez voté contre, au nom de la liberté d'expression, reprenant ici les propos de ceux qui sont les plus irresponsables face à la lutte contre le terrorisme.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Vous me parlez sans daigner me regarder !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Lorsque je suis allé devant la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures – LIBE – du Parlement européen et que j'ai demandé le soutien des parlementaires pour le vote de la directive sur les données concernant les passagers aériens, dite PNR, de manière à établir la traçabilité de ceux qui rentrent des théâtres de combat terroriste, la présidente de votre parti s'est fait désigner rapporteure pour avis de ce texte, pour s'y opposer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.) Lors du vote sur la loi renseignement, qui permet, afin de prévenir les actes terroristes, de doter les services de renseignement des moyens nécessaires pour comprendre les messages cryptés que s'échangent les terroristes en vue de nous frapper, qui s'est opposé, dans cet hémicycle, à ce texte ? Vous, madame Maréchal-Le Pen, ainsi que le député Collard. Et vous venez aujourd'hui nous donner des leçons de fermeté et de sécurité ! (Mêmes mouvements.)

M. Christophe Caresche. Démasquée !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame Maréchal-Le Pen, la présidente de votre parti a demandé hier ma démission.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Vous persistez à ne pas vouloir me regarder ; je suis là, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je lui dis aujourd'hui, compte tenu de ses actes, de ses propos, ainsi que des propos manipulateurs de toutes les organisations d'extrême-droite (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste) – que vous reprenez à votre compte, par exemple en laissant entendre, sur France Inter, en frelatant la réalité, que j'aurais indiqué, lors d'une émission de radio à laquelle je n'ai jamais participé, que prôner le djihad n'était pas un délit – : non seulement je ne démissionnerai pas,…

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Dommage !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …mais je combattrai ce que vous faites et ce que vous dites, qui reposent sur la manipulation, le mensonge, l'extrémisme, le contraire de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Je vous le dis, dans cet hémicycle, avec la plus grande fermeté et la plus grande netteté : quand on prend des positions comme les vôtres, qui visent à créer des problèmes partout, en votant contre toutes les solutions, on ne donne aucune leçon de sécurité à ceux qui sont en charge de la sécurité des Français ! (Mêmes mouvements. - Les députés du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste se lèvent et applaudissent.)


source http://www.assemblee-nationale.fr, le 25 mai 2016