Texte intégral
Merci de votre accueil, merci monsieur le Maire, cher Jean-Pierre d'être à mes côtés, merci au Président Michel TEILLEUX d'être aussi avec nous. Nous sommes en réalité ici chez lui, dans une manifestation qui je crois fait honneur à Chartres et au-delà de Chartres puisqu'il s'agit maintenant d'une manifestation de renommée nationale, une manifestation qui fait honneur à tout le monde artisanal.
Et c'est vrai que nous sommes accueillis ici par les tailleurs de pierre, particulièrement à l'honneur et ceci me remémore une phrase d'une grande figure de l'artisanat aujourd'hui disparu, Président des Chambres des Métiers : mon ami Jean Paquet. Et Jean avait l'habitude de citer cette petite histoire : c'est celle d'un maître compagnon qui arrive sur un chantier et qui voit des ouvriers en train de tailler une pierre. Au premier ouvrier il lui dit qu'est-ce que tu fais, et celui-ci répond : "Bah, je taille une pierre !". Au second il lui dit qu'est-ce que tu fais, et le second dit : "Je gagne ma vie". Au troisième il lui dit qu'est-ce que tu fais : "Je construis une cathédrale". Et c'est vrai que derrière le travail de l'artisanat il y a en permanence une oeuvre, une création, le sentiment d'être utile, la réconciliation grâce à la main de l'homme ou de la femme, du beau et de l'utile. Et ces métiers de l'artisanat, que l'on croyait un instant promis à une sorte de survivance traditionnelle un peu archaïque du passé, nous réalisons aujourd'hui qu'ils représentent de formidables métiers d'avenir. Vieux métiers de tradition, jeunes métiers du nouvel artisanat.
Et l'on voit bien aujourd'hui que l'artisanat constitue ce que l'on appelle la première entreprise de France, comme aiment souvent à le marquer, par de petits autocollants, de nombreux artisans sur leurs camions ou leurs voitures, l'artisanat aujourd'hui est une préfiguration d'un nouveau monde économique où les grandes entreprises seront peut-être un peu moins grandes, ou si elles sont tout aussi grandes elles seront en tout cas plus lointaines, mais d'un monde économique à taille humaine. Et que dire du rôle de l'artisanat dans la vie de nos quartiers ou dans la vie de notre monde rural ? Et comme j'aime souvent le souligner, ce monde artisanal il n'est pas seulement producteur de richesse, de valeur ajoutée. Je crois que dans un monde en crise, l'artisanat, comme d'ailleurs les professions entreprenantes ou la petite entreprise, l'artisanat représente des valeurs d'équilibre. Il ne crée pas seulement de la valeur ajoutée, l'artisan et sa famille sont producteurs de valeurs sociales. Car l'artisanat est avant tout une école de liberté et de responsabilité. Et dans cette période difficile où beaucoup d'entre nous retrouvent une inquiétude en ce qui concerne l'emploi, leur emploi, l'emploi de leurs enfants ou l'emploi de leurs petits-enfants, je crois qu'il est bon de rappeler que la petite entreprise et le monde de l'artisanat représentent sans doute le plus formidable gisement d'activités et d'emplois de notre pays.
Il y a eu un rapport, il y a quelques années, qui a dit qu'il y avait quatre à cinq millions d'emplois inexploités dans le secteur de l'artisanat, du commerce, de la restauration et de l'hôtellerie, par rapport à ce que sont ces métiers dans d'autres pays autour de nous. La tâche qui nous attend c'est de libérer ces métiers. Dans les métiers ou l'on travaille sans doute beaucoup plus de 35h par semaine, 50h et même d'ailleurs pour un quart des artisans, plus de 65h. Et ici, sur ce stand des meilleurs ouvriers de France, lorsque je regardais ces purs chefs-d'uvre on ne me répondait pas : cela représente vingt fois 35h, trente fois 35h. On me disait : "Oui, là il y a 600 heures de travail, 1200 heures de travail, 1800 heures de travail". C'est-à-dire un métier où l'on ne compte pas son temps, parce que derrière ce temps de travail il y a la passion du travail bien fait. Voilà pourquoi je crois que le monde de l'artisanat doit être aujourd'hui très fortement encouragé, et pas seulement encouragé par de beaux discours. La période qui va venir pour les hommes politiques, sera celle des beaux discours.
Permettez-moi de rappeler que derrière les mots que je prononce, de chaleur et d'estime vis-à-vis du monde artisanal, il y a aussi l'action que j'ai menée il y a quelques années lorsque j'en ai eu la possibilité.
Je ne suis pas allé aussi loin dans ce que j'aurais aimé faire pour le monde artisanal, mais c'est vrai que la loi de 1994 qui portait mon nom, représente assurément une avancée pour les conjoints d'artisans, pour l'égalité sociale par rapport aux travailleurs salariés, pour un début de simplification administrative ou pour des droits ouverts à la constitution d'une retraite à égalité avec d'autres Français. Mais aujourd'hui je crois, plus que jamais, qu'il nous faut aller plus loin. C'est la raison pour laquelle vous n'attendez pas, je n'attends pas un programme de mesurettes, piochées dans l'excellent travail d'ailleurs, réalisé par l'union professionnelle de l'artisanat. Mais vous attendez des mesures choc, susceptibles de donner un nouveau départ au monde de l'artisanat. Et s'il fallait me résumer autour de quelques mesures, j'en verrais sept :
La première est très simple : l'exonération totale des droits de succession sur l'outil de travail des artisans. Car en effet il me parait absolument nécessaire d'assurer la pérennité et la transmission des efforts de toute une famille pour une génération suivante. Je crois qu'il y a là une mesure simple, l'Italie vient de le faire pour l'ensemble des droits de succession. C'est d'ailleurs ce que j'aimerais faire aussi pour l'ensemble des droits de succession de tous les Français. En tout état de cause, ce que l'Italie a fait pour tous les Italiens il faut le faire au moins pour l'outil de travail de nos artisans. Donc première mesure : exonération totale des droits de succession sur l'outil de travail des artisans.
Deuxième mesure, je l'avais esquissée en 1994, mais il faut aller plus loin pour protéger le patrimoine familial de l'artisan. Ne pas ajouter, le cas échéant, à un échec professionnel un drame familial, c'est la raison pour laquelle il y a une première solution qui consiste à donner un patrimoine affecté et enregistré sur le registre des métiers. Le patrimoine affecté est le seul patrimoine professionnel qui puisse garantir les prêts affectés à l'entreprise. La deuxième solution, elle n'est pas exclusive de la première, elle la complète, c'est celle qui consiste à élargir le régime des biens de famille insaisissables, c'est une vieille loi, c'est la loi de 1909. Par ces deux moyens en tout cas une volonté doit s'affirmer : protéger la famille de l'artisan des échecs professionnels. Et il m'arrive souvent de dire que l'on a bien sûr protégé nos hauts technocrates responsables de tant de scandales et de faillites financières, au Crédit Lyonnais ou ailleurs ; ils avaient moins de mérite que beaucoup d'artisans. Voilà pourquoi c'est une deuxième mesure tout à fait indispensable.
Troisième mesure : donner aux artisans les moyens financiers de leur installation et de leur développement. Je l'avais initiée dans la loi de 1994 sous la forme d'un avantage fiscal donné à l'argent investi dans la création et le développement des entreprises. Il faut aujourd'hui aller plus loin : élargir cet avantage fiscal et le cibler au travers notamment de la mobilisation des sociétés, de cautions mutuelles, le cibler sur le secteur de l'artisanat. Les artisans très souvent disent : "mais les banques sont trop frileuses !". Et c'est vrai, et peut-être que le rôle des banquiers n'est pas toujours de prendre des risques avec de l'argent. C'est la raison pour laquelle, à coté du secteur bancaire (car on ne saurait faire prêter à un banquier qui n'a pas envie de prêter, pas plus qu'on ne saurait faire boire un âne qui n'a pas soif), à coté du secteur bancaire nous avons besoin de créer un système de cautions mutuelles de petites sociétés de prêts, participatives ou pas participatives, alimenté par l'extension de l'avantage fiscal de 1994.
Quatrième mesure : un droit du travail spécifique au monde de l'artisanat et aussi de la petite entreprise. Les relations sociales et humaines dans la petite entreprise, dans l'entreprise à taille humaine, n'ont rigoureusement rien à voir avec les relations sociales dans la grande entreprise. Et pourtant c'est très souvent le même droit du travail, d'où l'angoisse pour beaucoup, de l'effet de seuil du 11ème ou du 50ème salarié. Absurde ! Ces relations sociales, elles doivent être adaptées. Et moi qui souhaite une refondation sociale, je dis que particulièrement dans le domaine de l'artisanat, nous avons besoin davantage de contrats adaptés, sur mesure, et un peu moins de lois nationales. Et il y a une mesure très simple sur laquelle je voudrais attirer votre attention : on a réussi à faire un droit du travail à peu près adapté au monde agricole, pourquoi ? Parce que le droit du travail du monde agricole ne dépend pas du ministère du travail. Eh bien de la même façon je suggère que le droit du travail de l'artisanat ne soit pas rattaché au ministère du travail, mais soit rattaché au ministère en charge de l'artisanat. Ce sera la meilleure façon de faire le droit du travail sur mesure dont les artisans ont besoin.
Cinquième mesure : j'en viens à la fiscalité de l'activité artisanale. L'activité artisanale est très différente de l'activité salariée. Le revenu est variable, il y a des bons et il y a des mauvais jours. C'est la raison pour laquelle il faut adapter la fiscalité à ces hauts et à ces bas de l'activité artisanale, à commencer par les cotisations sociales, et je pense notamment aux cotisations de droits de retraite qui devraient pouvoir être adaptées aux revenus réels de l'artisan, et donc pouvoir être variables tout au cours de la vie. Mais puisque je parle de la fiscalité du monde artisanal, permettez-moi d'insister sur le fait que j'ai toujours dénoncé notre fiscalité d'ensemble comme étant une fiscalité qui constitue au bout du compte une machine à étouffer les artisans. C'est vrai tout particulièrement si vous prenez ce que représente aujourd'hui pour un salarié, un cadre salarié, la somme qu'il doit gagner pour pouvoir au bout du compte, après la cascade d'impôts et de charges, payer une heure d'artisan simplement au tarif du SMIC. Si vous faites la cascade de ces impôts, le multiplicateur de l'artisan, trois ou quatre, le marginal d'impôt sur le revenu du cadre, les charges sociales qui pèsent sur le salaire de ce cadre, vous vous apercevez que pour payer au bout du compte une heure de SMIC à un compagnon artisan, il faut gagner sept ou huit heures de SMIC. Et là j'ai pris simplement le cas d'un cadre salarié, si j'avais pris le cas d'une profession libérale, un notaire ou un dentiste, ce serait quinze, vingt, voire jusqu'à vingt-deux SMIC qu'il faudrait gagner, c'est-à-dire que cette cascade des impôts et des charges elle étouffe l'artisanat, elle fait que très souvent on a recours au travail au noir, au troc ou au bricolage au-delà de ce qu'il serait nécessaire. Parce que le coût du travail artisanal est aujourd'hui surchargé, surfiscalisé. Voilà pourquoi, au-delà de la souscription des droits de retraite à la carte que je viens d'évoquer, je crois qu'il est absolument nécessaire d'inscrire une réforme fiscale spécifique aux artisans dans le cadre d'une réforme fiscale d'ensemble qui vise globalement à alléger l'impôt sur les Français.
S'agissant simplement des artisans, je dis que les artisans doivent être imposés sur leur revenu réel, et exclusivement sur leur revenu réel, comme les sociétés. Mais en réalité vous le savez aussi bien que moi et mieux que moi, les artisans payent l'impôt non seulement sur le revenu de leur travail comme tout le monde, mais aussi sur l'ensemble de leurs activités incluant et le capital et les charges sociales, c'est la source d'une profonde injustice. Il y a quelques décennies les plus anciens d'entre nous s'en souviennent, il y avait une formule, on appelait ça le salaire fiscal, eh bien je crois que s'inspirant de la même idée il faut revenir au principe même : les artisans doivent payer l'impôt sur leur revenu réel, et seulement sur leur revenu réel.
Dernière idée : C'est en ce qui concerne le poids des charges qui pèsent sur l'artisanat. On ne doit pas diminuer spécifiquement le poids des charges sur les artisans, ce serait contraire à l'Europe, ce serait contraire à l'équité vis-à-vis d'autres professions. En revanche, moi je plaide pour une TVA à taux réduit sur l'ensemble des activités à forte intensité de main-d'uvre, et bien évidemment les activités artisanales sont les toutes premières concernées. Je mène depuis quelque temps une bataille, certains le savent, pour la baisse de la TVA sur le secteur de la restauration parce que c'est aujourd'hui profondément injuste, mais je ne veux pas arrêter cette bataille aux portes de nos restaurants, car en réalité c'est une bataille pour l'ensemble des secteurs à forte main-d'uvre ajoutée. Et puisque pour cela il nous faut modifier non pas seulement notre législation française, mais il nous faut modifier nos règles européennes, je propose de faire de cette idée d'une TVA réduite pour toutes les activités de main-d'uvre, non pas seulement une idée française, mais une idée européenne. Déjà à deux reprises, et le Conseil des ministres européen en 1996 et la Commission européenne en 1999 se sont prononcés favorablement dans cette direction. J'espérais que nous pourrions profiter de la présidence française pour faire avancer ce dossier, hélas, cela n'a pas été le cas. Mais ce dossier est d'un intérêt économique européen car nous voyons bien que dans la nouvelle économie telle quelle se crée, il va y avoir des secteurs à fortes valeurs ajoutées, et qu'il faut laisser libre l'argent de ces secteurs à fortes valeurs ajoutées de se déverser sur une masse de service et notamment d'entreprises artisanales. Et c'est de cet ensemble-là que nous aurons une économie forte, à forte croissance et que nous pourrons retrouver le plein emploi.
Voilà Mesdames et messieurs, sept mesures, sept mesures choc qui me paraissent être de nature à redonner confiance à l'artisanat. Permettez-moi d'ajouter peut-être un dernier mot particulièrement sur ce stand des meilleurs ouvriers de France. Il y a un autre problème, c'est celui de la formation professionnelle. Et nous voyons bien ici au travers des meilleurs ouvriers de France, comme je l'ai vu il y a quelques instants au travers des compagnons comme au travers des formations qui sont dispensées par les chambres des métiers qu'il y a là de formidables gisements d'emplois et qu'il nous faut revaloriser les métiers, et revaloriser la formation. Un bon métier, il faut le dire à nos enfants, vaut mieux qu'un mauvais diplôme, et c'est la raison pour laquelle moi je souhaite que vous puissiez tout faire ici (je dis ça particulièrement à mes amis Michel TEILLEUX et Jean-Pierre GORDES parce que je sais que ce sont des idées qui leur tiennent à cur), pour favoriser la revalorisation de ces métiers. Je leur fais une suggestion, celle que nous avons appliquée dans ma Bretagne, dans ma circonscription et que le Président de la République est venu inaugurer il y a quelques jours. Nous avions fait un campus universitaire avec des étudiants, plein d'étudiants, de grandes écoles, et puis nous avons décidé de mettre la Chambre des Métiers, le centre de formation d'apprentis sur ce campus avec pratiquement le même statut que les étudiants :
- "Qu'est-ce que tu fais ?"
- "Je suis au campus"
- "Qu'est-ce que fait ton enfant ?"
- "Eh bien il est à l'école polytechnique des métiers, sur le campus universitaire de Kerlane".
Je vous assure que ce sont des petites choses, mais ce sont ces petites choses-là qui font de grands métiers. Et moi j'ai un rêve, un grand rêve, c'est le rêve selon lequel un jour les trois initiales prestigieuses ENA, qui signifient aujourd'hui malheureusement Ecole Nationale d'Administration. - Vous savez, cette école de technocrates bien loin des petites entreprises qui préfèrent pantoufler dans les grandes entreprises, c'est pour ça qu'ils aiment bien les grandes entreprises et qu'ils accordent si peu d'attention aux petites entreprises artisanales -, eh bien permettez-moi de rêver du jour où ces trois initiales signifieront Ecole Nationale d'Apprentissage, parce que nous aurons su revaloriser nos métiers et mettre l'artisanat au cur de l'économie française.
Merci
(Source http://www.alainmadelin.com, le 30 octobre 2001)
Et c'est vrai que nous sommes accueillis ici par les tailleurs de pierre, particulièrement à l'honneur et ceci me remémore une phrase d'une grande figure de l'artisanat aujourd'hui disparu, Président des Chambres des Métiers : mon ami Jean Paquet. Et Jean avait l'habitude de citer cette petite histoire : c'est celle d'un maître compagnon qui arrive sur un chantier et qui voit des ouvriers en train de tailler une pierre. Au premier ouvrier il lui dit qu'est-ce que tu fais, et celui-ci répond : "Bah, je taille une pierre !". Au second il lui dit qu'est-ce que tu fais, et le second dit : "Je gagne ma vie". Au troisième il lui dit qu'est-ce que tu fais : "Je construis une cathédrale". Et c'est vrai que derrière le travail de l'artisanat il y a en permanence une oeuvre, une création, le sentiment d'être utile, la réconciliation grâce à la main de l'homme ou de la femme, du beau et de l'utile. Et ces métiers de l'artisanat, que l'on croyait un instant promis à une sorte de survivance traditionnelle un peu archaïque du passé, nous réalisons aujourd'hui qu'ils représentent de formidables métiers d'avenir. Vieux métiers de tradition, jeunes métiers du nouvel artisanat.
Et l'on voit bien aujourd'hui que l'artisanat constitue ce que l'on appelle la première entreprise de France, comme aiment souvent à le marquer, par de petits autocollants, de nombreux artisans sur leurs camions ou leurs voitures, l'artisanat aujourd'hui est une préfiguration d'un nouveau monde économique où les grandes entreprises seront peut-être un peu moins grandes, ou si elles sont tout aussi grandes elles seront en tout cas plus lointaines, mais d'un monde économique à taille humaine. Et que dire du rôle de l'artisanat dans la vie de nos quartiers ou dans la vie de notre monde rural ? Et comme j'aime souvent le souligner, ce monde artisanal il n'est pas seulement producteur de richesse, de valeur ajoutée. Je crois que dans un monde en crise, l'artisanat, comme d'ailleurs les professions entreprenantes ou la petite entreprise, l'artisanat représente des valeurs d'équilibre. Il ne crée pas seulement de la valeur ajoutée, l'artisan et sa famille sont producteurs de valeurs sociales. Car l'artisanat est avant tout une école de liberté et de responsabilité. Et dans cette période difficile où beaucoup d'entre nous retrouvent une inquiétude en ce qui concerne l'emploi, leur emploi, l'emploi de leurs enfants ou l'emploi de leurs petits-enfants, je crois qu'il est bon de rappeler que la petite entreprise et le monde de l'artisanat représentent sans doute le plus formidable gisement d'activités et d'emplois de notre pays.
Il y a eu un rapport, il y a quelques années, qui a dit qu'il y avait quatre à cinq millions d'emplois inexploités dans le secteur de l'artisanat, du commerce, de la restauration et de l'hôtellerie, par rapport à ce que sont ces métiers dans d'autres pays autour de nous. La tâche qui nous attend c'est de libérer ces métiers. Dans les métiers ou l'on travaille sans doute beaucoup plus de 35h par semaine, 50h et même d'ailleurs pour un quart des artisans, plus de 65h. Et ici, sur ce stand des meilleurs ouvriers de France, lorsque je regardais ces purs chefs-d'uvre on ne me répondait pas : cela représente vingt fois 35h, trente fois 35h. On me disait : "Oui, là il y a 600 heures de travail, 1200 heures de travail, 1800 heures de travail". C'est-à-dire un métier où l'on ne compte pas son temps, parce que derrière ce temps de travail il y a la passion du travail bien fait. Voilà pourquoi je crois que le monde de l'artisanat doit être aujourd'hui très fortement encouragé, et pas seulement encouragé par de beaux discours. La période qui va venir pour les hommes politiques, sera celle des beaux discours.
Permettez-moi de rappeler que derrière les mots que je prononce, de chaleur et d'estime vis-à-vis du monde artisanal, il y a aussi l'action que j'ai menée il y a quelques années lorsque j'en ai eu la possibilité.
Je ne suis pas allé aussi loin dans ce que j'aurais aimé faire pour le monde artisanal, mais c'est vrai que la loi de 1994 qui portait mon nom, représente assurément une avancée pour les conjoints d'artisans, pour l'égalité sociale par rapport aux travailleurs salariés, pour un début de simplification administrative ou pour des droits ouverts à la constitution d'une retraite à égalité avec d'autres Français. Mais aujourd'hui je crois, plus que jamais, qu'il nous faut aller plus loin. C'est la raison pour laquelle vous n'attendez pas, je n'attends pas un programme de mesurettes, piochées dans l'excellent travail d'ailleurs, réalisé par l'union professionnelle de l'artisanat. Mais vous attendez des mesures choc, susceptibles de donner un nouveau départ au monde de l'artisanat. Et s'il fallait me résumer autour de quelques mesures, j'en verrais sept :
La première est très simple : l'exonération totale des droits de succession sur l'outil de travail des artisans. Car en effet il me parait absolument nécessaire d'assurer la pérennité et la transmission des efforts de toute une famille pour une génération suivante. Je crois qu'il y a là une mesure simple, l'Italie vient de le faire pour l'ensemble des droits de succession. C'est d'ailleurs ce que j'aimerais faire aussi pour l'ensemble des droits de succession de tous les Français. En tout état de cause, ce que l'Italie a fait pour tous les Italiens il faut le faire au moins pour l'outil de travail de nos artisans. Donc première mesure : exonération totale des droits de succession sur l'outil de travail des artisans.
Deuxième mesure, je l'avais esquissée en 1994, mais il faut aller plus loin pour protéger le patrimoine familial de l'artisan. Ne pas ajouter, le cas échéant, à un échec professionnel un drame familial, c'est la raison pour laquelle il y a une première solution qui consiste à donner un patrimoine affecté et enregistré sur le registre des métiers. Le patrimoine affecté est le seul patrimoine professionnel qui puisse garantir les prêts affectés à l'entreprise. La deuxième solution, elle n'est pas exclusive de la première, elle la complète, c'est celle qui consiste à élargir le régime des biens de famille insaisissables, c'est une vieille loi, c'est la loi de 1909. Par ces deux moyens en tout cas une volonté doit s'affirmer : protéger la famille de l'artisan des échecs professionnels. Et il m'arrive souvent de dire que l'on a bien sûr protégé nos hauts technocrates responsables de tant de scandales et de faillites financières, au Crédit Lyonnais ou ailleurs ; ils avaient moins de mérite que beaucoup d'artisans. Voilà pourquoi c'est une deuxième mesure tout à fait indispensable.
Troisième mesure : donner aux artisans les moyens financiers de leur installation et de leur développement. Je l'avais initiée dans la loi de 1994 sous la forme d'un avantage fiscal donné à l'argent investi dans la création et le développement des entreprises. Il faut aujourd'hui aller plus loin : élargir cet avantage fiscal et le cibler au travers notamment de la mobilisation des sociétés, de cautions mutuelles, le cibler sur le secteur de l'artisanat. Les artisans très souvent disent : "mais les banques sont trop frileuses !". Et c'est vrai, et peut-être que le rôle des banquiers n'est pas toujours de prendre des risques avec de l'argent. C'est la raison pour laquelle, à coté du secteur bancaire (car on ne saurait faire prêter à un banquier qui n'a pas envie de prêter, pas plus qu'on ne saurait faire boire un âne qui n'a pas soif), à coté du secteur bancaire nous avons besoin de créer un système de cautions mutuelles de petites sociétés de prêts, participatives ou pas participatives, alimenté par l'extension de l'avantage fiscal de 1994.
Quatrième mesure : un droit du travail spécifique au monde de l'artisanat et aussi de la petite entreprise. Les relations sociales et humaines dans la petite entreprise, dans l'entreprise à taille humaine, n'ont rigoureusement rien à voir avec les relations sociales dans la grande entreprise. Et pourtant c'est très souvent le même droit du travail, d'où l'angoisse pour beaucoup, de l'effet de seuil du 11ème ou du 50ème salarié. Absurde ! Ces relations sociales, elles doivent être adaptées. Et moi qui souhaite une refondation sociale, je dis que particulièrement dans le domaine de l'artisanat, nous avons besoin davantage de contrats adaptés, sur mesure, et un peu moins de lois nationales. Et il y a une mesure très simple sur laquelle je voudrais attirer votre attention : on a réussi à faire un droit du travail à peu près adapté au monde agricole, pourquoi ? Parce que le droit du travail du monde agricole ne dépend pas du ministère du travail. Eh bien de la même façon je suggère que le droit du travail de l'artisanat ne soit pas rattaché au ministère du travail, mais soit rattaché au ministère en charge de l'artisanat. Ce sera la meilleure façon de faire le droit du travail sur mesure dont les artisans ont besoin.
Cinquième mesure : j'en viens à la fiscalité de l'activité artisanale. L'activité artisanale est très différente de l'activité salariée. Le revenu est variable, il y a des bons et il y a des mauvais jours. C'est la raison pour laquelle il faut adapter la fiscalité à ces hauts et à ces bas de l'activité artisanale, à commencer par les cotisations sociales, et je pense notamment aux cotisations de droits de retraite qui devraient pouvoir être adaptées aux revenus réels de l'artisan, et donc pouvoir être variables tout au cours de la vie. Mais puisque je parle de la fiscalité du monde artisanal, permettez-moi d'insister sur le fait que j'ai toujours dénoncé notre fiscalité d'ensemble comme étant une fiscalité qui constitue au bout du compte une machine à étouffer les artisans. C'est vrai tout particulièrement si vous prenez ce que représente aujourd'hui pour un salarié, un cadre salarié, la somme qu'il doit gagner pour pouvoir au bout du compte, après la cascade d'impôts et de charges, payer une heure d'artisan simplement au tarif du SMIC. Si vous faites la cascade de ces impôts, le multiplicateur de l'artisan, trois ou quatre, le marginal d'impôt sur le revenu du cadre, les charges sociales qui pèsent sur le salaire de ce cadre, vous vous apercevez que pour payer au bout du compte une heure de SMIC à un compagnon artisan, il faut gagner sept ou huit heures de SMIC. Et là j'ai pris simplement le cas d'un cadre salarié, si j'avais pris le cas d'une profession libérale, un notaire ou un dentiste, ce serait quinze, vingt, voire jusqu'à vingt-deux SMIC qu'il faudrait gagner, c'est-à-dire que cette cascade des impôts et des charges elle étouffe l'artisanat, elle fait que très souvent on a recours au travail au noir, au troc ou au bricolage au-delà de ce qu'il serait nécessaire. Parce que le coût du travail artisanal est aujourd'hui surchargé, surfiscalisé. Voilà pourquoi, au-delà de la souscription des droits de retraite à la carte que je viens d'évoquer, je crois qu'il est absolument nécessaire d'inscrire une réforme fiscale spécifique aux artisans dans le cadre d'une réforme fiscale d'ensemble qui vise globalement à alléger l'impôt sur les Français.
S'agissant simplement des artisans, je dis que les artisans doivent être imposés sur leur revenu réel, et exclusivement sur leur revenu réel, comme les sociétés. Mais en réalité vous le savez aussi bien que moi et mieux que moi, les artisans payent l'impôt non seulement sur le revenu de leur travail comme tout le monde, mais aussi sur l'ensemble de leurs activités incluant et le capital et les charges sociales, c'est la source d'une profonde injustice. Il y a quelques décennies les plus anciens d'entre nous s'en souviennent, il y avait une formule, on appelait ça le salaire fiscal, eh bien je crois que s'inspirant de la même idée il faut revenir au principe même : les artisans doivent payer l'impôt sur leur revenu réel, et seulement sur leur revenu réel.
Dernière idée : C'est en ce qui concerne le poids des charges qui pèsent sur l'artisanat. On ne doit pas diminuer spécifiquement le poids des charges sur les artisans, ce serait contraire à l'Europe, ce serait contraire à l'équité vis-à-vis d'autres professions. En revanche, moi je plaide pour une TVA à taux réduit sur l'ensemble des activités à forte intensité de main-d'uvre, et bien évidemment les activités artisanales sont les toutes premières concernées. Je mène depuis quelque temps une bataille, certains le savent, pour la baisse de la TVA sur le secteur de la restauration parce que c'est aujourd'hui profondément injuste, mais je ne veux pas arrêter cette bataille aux portes de nos restaurants, car en réalité c'est une bataille pour l'ensemble des secteurs à forte main-d'uvre ajoutée. Et puisque pour cela il nous faut modifier non pas seulement notre législation française, mais il nous faut modifier nos règles européennes, je propose de faire de cette idée d'une TVA réduite pour toutes les activités de main-d'uvre, non pas seulement une idée française, mais une idée européenne. Déjà à deux reprises, et le Conseil des ministres européen en 1996 et la Commission européenne en 1999 se sont prononcés favorablement dans cette direction. J'espérais que nous pourrions profiter de la présidence française pour faire avancer ce dossier, hélas, cela n'a pas été le cas. Mais ce dossier est d'un intérêt économique européen car nous voyons bien que dans la nouvelle économie telle quelle se crée, il va y avoir des secteurs à fortes valeurs ajoutées, et qu'il faut laisser libre l'argent de ces secteurs à fortes valeurs ajoutées de se déverser sur une masse de service et notamment d'entreprises artisanales. Et c'est de cet ensemble-là que nous aurons une économie forte, à forte croissance et que nous pourrons retrouver le plein emploi.
Voilà Mesdames et messieurs, sept mesures, sept mesures choc qui me paraissent être de nature à redonner confiance à l'artisanat. Permettez-moi d'ajouter peut-être un dernier mot particulièrement sur ce stand des meilleurs ouvriers de France. Il y a un autre problème, c'est celui de la formation professionnelle. Et nous voyons bien ici au travers des meilleurs ouvriers de France, comme je l'ai vu il y a quelques instants au travers des compagnons comme au travers des formations qui sont dispensées par les chambres des métiers qu'il y a là de formidables gisements d'emplois et qu'il nous faut revaloriser les métiers, et revaloriser la formation. Un bon métier, il faut le dire à nos enfants, vaut mieux qu'un mauvais diplôme, et c'est la raison pour laquelle moi je souhaite que vous puissiez tout faire ici (je dis ça particulièrement à mes amis Michel TEILLEUX et Jean-Pierre GORDES parce que je sais que ce sont des idées qui leur tiennent à cur), pour favoriser la revalorisation de ces métiers. Je leur fais une suggestion, celle que nous avons appliquée dans ma Bretagne, dans ma circonscription et que le Président de la République est venu inaugurer il y a quelques jours. Nous avions fait un campus universitaire avec des étudiants, plein d'étudiants, de grandes écoles, et puis nous avons décidé de mettre la Chambre des Métiers, le centre de formation d'apprentis sur ce campus avec pratiquement le même statut que les étudiants :
- "Qu'est-ce que tu fais ?"
- "Je suis au campus"
- "Qu'est-ce que fait ton enfant ?"
- "Eh bien il est à l'école polytechnique des métiers, sur le campus universitaire de Kerlane".
Je vous assure que ce sont des petites choses, mais ce sont ces petites choses-là qui font de grands métiers. Et moi j'ai un rêve, un grand rêve, c'est le rêve selon lequel un jour les trois initiales prestigieuses ENA, qui signifient aujourd'hui malheureusement Ecole Nationale d'Administration. - Vous savez, cette école de technocrates bien loin des petites entreprises qui préfèrent pantoufler dans les grandes entreprises, c'est pour ça qu'ils aiment bien les grandes entreprises et qu'ils accordent si peu d'attention aux petites entreprises artisanales -, eh bien permettez-moi de rêver du jour où ces trois initiales signifieront Ecole Nationale d'Apprentissage, parce que nous aurons su revaloriser nos métiers et mettre l'artisanat au cur de l'économie française.
Merci
(Source http://www.alainmadelin.com, le 30 octobre 2001)