Texte intégral
PIERRE DE VILNO
Nicole BELLOUBET, Madame la garde des Sceaux, bonjour.
NICOLE BELLOUBET
Bonjour.
PIERRE DE VILNO
D'abord une question d'actualité inhérente aux incendies. La justice va-t-elle durcir les mesures contre les pyromanes, même si à l'heure actuelle, bien sûr, on n'a pas encore d'aboutissements d'enquêtes là-dessus ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, il est évident que c'est tellement grave d'allumer des feux, alors que nous voyons les conséquences terribles que ça a, que la justice, évidemment, sera sévère si elle doit l'être, il n'y a aucun doute là-dessus.
PIERRE DE VILNO
Les députés travaillent sur la loi de moralisation de la vie politique, cette nuit l'Assemblée a voté en faveur d'un statut pour les collaborateurs parlementaires, ce qui est notable, notamment, c'est l'interdiction d'emplois de collaborateurs familiaux, référence au « Penelopegate » bien sûr, c'est acté pour les ministres. Vous êtes confiante que cela passe aujourd'hui pour les députés ?
NICOLE BELLOUBET
Oui, mais cela a été adopté, il n'y a pas de doute là-dessus, hier soir pour évidemment les ministres, cela va passer pour les parlementaires, il n'y a pas de doute là-dessus. Il y a une volonté de l'Assemblée, parce que ça correspond à une exigence éthique qui est très puissante, et, aujourd'hui des pratiques qui hier étaient encore tolérées, deviennent absolument inacceptables, et donc il faut absolument réagir de ce point de vue-là, c'était la volonté du gouvernement, les parlementaires vont le faire.
PIERRE DE VILNO
Lorsque le député Damien ABAD, des Républicains, dit « il restera un emploi familial dans le quinquennat, ce sera celui de Brigitte MACRON », vous lui répondez quoi ?
NICOLE BELLOUBET
Je lui réponds que ce n'est pas l'objet de cette loi. Cette loi elle a des axes très puissants et je crois qu'il ne faut pas de dérivatifs qui ne sont pas en lien avec le texte que nous votons.
PIERRE DE VILNO
L'amendement anti-lobbies qui a été voté quasi-unanimement, 273 voix contre 14, y compris par des députés En Marche lundi, vous étiez défavorable à cet amendement, pourquoi ?
NICOLE BELLOUBET
Si vous voulez, nous, ce qu'on essaie de faire, c'est de garder une cohérence très puissante à ce texte, parce qu'il y a déjà beaucoup d'avancées sur l'inéligibilité des personnes qui auraient manqué à des obligations de dignité ou de probité, il y a des éléments sur les emplois familiaux, il y a des éléments sur la suppression de la réserve parlementaire, je ne sais pas si nous en parlerons
PIERRE DE VILNO
Nous en parlerons, bien sûr.
NICOLE BELLOUBET
Il y a des éléments sur les indemnités des parlementaires, il y a des éléments sur le financement des candidats, donc on essaie de garder une cohérence à l'ensemble de ce texte. Mais cela dit, nous acceptons parfaitement les travaux qui sont conduis par les parlementaires, et on peut faire valoir
PIERRE DE VILNO
Donc les amendements ?
NICOLE BELLOUBET
Absolument, vous voyez bien qu'il y en a qui sont acceptés.
PIERRE DE VILNO
Mais quand même, des parlementaires, ou en tout cas des collaborateurs parlementaires, rémunérés par des lobbies, il y a des députés qui sont tombés de haut, qui pensaient que ça n'existait pas.
NICOLE BELLOUBET
Eh bien gageons que cela sera définitivement éradiqué désormais.
PIERRE DE VILNO
Vous, ça ne vous choque pas en tout cas ?
NICOLE BELLOUBET
Ah non, je n'ai pas dit que ça ne me choquait pas, je dis simplement qu'il faut qu'il y ait une cohérence aux dispositions que nous prenons.
PIERRE DE VILNO
Mais pourquoi est-ce que vous vouliez que ça se règle aux bureaux politiques du coup ?
NICOLE BELLOUBET
Que ça se règle au
PIERRE DE VILNO
Aux bureaux de l'Assemblée.
NICOLE BELLOUBET
Si vous voulez, on estime que pour les collaborateurs parlementaires nous venons de fixer dans le texte de la loi un certain nombre de dispositions qui ont été adoptées hier et ces dispositions renvoient aux bureaux des Assemblées pour fixer le statut, car il y a un principe d'autonomie des Assemblées dans notre République, et donc on considérait que tout cela relevait de la capacité des bureaux des Assemblées à régler ces questions. Mais ce n'est pas une objection de fond.
PIERRE DE VILNO
Je comprends. Question connexe, Nicole BELLOUBET. Un parlementaire peut-il avoir un autre métier et, du coup, être rémunéré par le privé ?
NICOLE BELLOUBET
Il n'y a aucun doute là-dessus, et nous l'avons dit. En revanche, et ce sera un des axes de cette loi, nous estimons que lorsqu'il y a des conflits d'intérêts, lorsqu'il y a des choses qui se heurtent à la portabilité de l'intérêt public, eh bien là il doit y avoir des freins.
PIERRE DE VILNO
Ça veut dire quoi exactement ?
NICOLE BELLOUBET
Ça veut dire concrètement que si vous êtes, je ne sais pas, si vous êtes boucher, ou si vous êtes médecin, vous pourrez continuer à exercer vos fonctions, en revanche, si vous êtes avocat qui donnez des conseils dans une société qui a à voir avec l'intérêt public, vous ne pourrez pas le faire.
PIERRE DE VILNO
Comment est-ce que ça s'articule justement cette pensée ? Beaucoup de députés et d'observateurs étaient contre le fait d'être à la fois un entrepreneur privé et à la fois un député de la Nation.
NICOLE BELLOUBET
Je ne sais pas si beaucoup, comme vous le dites, étaient contre. Je crois qu'un député de la Nation il représente la Nation, il ne doit pas être pour autant coupé de la réalité de cette Nation, et c'est la raison pour laquelle la coupure n'intervient que s'il y a des conflits d'intérêts possibles, et c'est précisément l'objet de cette loi de mieux définir les conflits d'intérêts et de les sanctionner, s'il y en a.
PIERRE DE VILNO
Donc on fait ça au cas par cas.
NICOLE BELLOUBET
Non, pas au cas par cas, la loi fixe des règles extrêmement claires, ce n'est pas au cas par cas.
PIERRE DE VILNO
Le « non » au casier judiciaire vierge, bien, pas bien ?
NICOLE BELLOUBET
Si vous voulez, nous, ce qui nous importe, pour le gouvernement, et je crois que de ce point de vue l'objectif politique est atteint, c'est que des personnes qui pour des raisons, soit parce qu'ils ont accompli des crimes, ou un certain nombre de délits, qui sont larges, des délits financiers, des délits également qui sont liés à des injures raciales, des violences sexistes, que ces personnes-là soient inéligibles. Et je crois que cela c'est efficace, parce que nous sommes obligés de respecter un principe fondateur de notre République, c'est l'individualisation des peines.
PIERRE DE VILNO
La suppression de la réserve parlementaire justement, venons-en, ça suscite pas mal de critiques. Quel est votre point de vue là-dessus ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, pour moi ça se rapporte, je crois, à ce que doit être un parlementaire. Un parlementaire, de mon point de vue, il vote la loi, il n'est pas là pour distribuer un certain nombre de subsides, et de ce point de vue-là nous réintégrons, en supprimant la réserve parlementaire, je dirai la pureté du rôle du parlementaire. Je comprends que cela suscite des inquiétudes, parce que c'était des pratiques qui étaient anciennes, et donc je comprends parfaitement cela. Nous proposerons, et nous le dirons évidemment, que les fonds qui étaient affectés à cette réserve parlementaire, puissent revenir dans le cadre normal de l'affectation à des projets d'intérêt général.
PIERRE DE VILNO
Ça pourra revenir donc à des projets d'intérêt général, on le note ce matin Nicole BELLOUBET. Où est-ce qu'on en est de la carte judiciaire ? Rachida DATI s'était attaquée à ces juridictions judiciaires qui n'ont pas forcément de rapport avec la carte administrative, des cours d'appel chargées de couvrir des zones très éloignées. Est-ce que vous allez vous attaquer à ce gros chantier ?
NICOLE BELLOUBET
Il me semble qu'il est important je n'ai pas encore une expérience très importante, mais je suis déjà allée dans des tribunaux il me semble qu'il est important de répondre aux attentes du milieu judiciaire. Et donc, il faut absolument mener une réforme globale qui à la fois aidera les magistrats au quotidien - c'est tout ce qui est la numérisation, qui aura un enjeu très puissant, c'est également tout ce qui s'attachera à la simplification des procédures, à la révision de ces procédures pénales ou civiles, qui me semble importante et ce n'est que dans le cadre de cette réflexion globale qu'on pourra réfléchir à l'évolution du réseau de nos juridictions. Le président de la République, là-dessus, a pris des engagements assez forts, qui étaient évidemment de maintenir la proximité de la justice, parce qu'on considère que c'est un élément essentiel, et donc l'évolution que nous conduirons elle sera aussi en lien avec ce souci de garder la proximité.
PIERRE DE VILNO
Sur la simplification justement, vous en parlez, nous avons ce matin une circulaire de Matignon : « toute nouvelle norme devra être compensée par la suppression de deux normes existantes. » Ce sont des propos d'Edouard PHILIPPE. Qu'est-ce que ça veut dire ?
NICOLE BELLOUBET
Ça veut dire c'est l'idée, si vous voulez, je dirai que l'habitude française c'est un peu la sédimentation des normes, c'est-à-dire qu'on en a chaque jour des nouvelles et on sédimente. Là il y a une incitation à réfléchir au fait que quand on prend une nouvelle norme, peut-être une nouvelle règle de droit, une norme c'est une règle de droit eh bien peut-être on peut en supprimer une ou deux autres.
PIERRE DE VILNO
Qui ne servent à rien ou ?
NICOLE BELLOUBET
Qui ne servent plus, ou qui datent, ou qui peuvent être revues et réactualisées dans la nouvelle norme.
PIERRE DE VILNO
Sur le désengorgement des tribunaux, vous envisagez des évolutions j'ai lu en matière de procédures. Lesquelles précisément ?
NICOLE BELLOUBET
C'est ce dont nous parlions à l'instant
PIERRE DE VILNO
Sur la numérisation.
NICOLE BELLOUBET
La numérisation, ça c'est un appui technique je dirai, mais plus que cela d'ailleurs aussi, mais nous envisageons par exemple d'évoluer vers la forfaitisation d'un certain nombre de peines.
PIERRE DE VILNO
C'est quoi la forfaitisation ?
NICOLE BELLOUBET
C'est par exemple l'idée
PIERRE DE VILNO
Parce que, comme ça, quand on l'entend de loin, on dirait un prix de gros, donc c'est pardonnez-moi l'expression !
NICOLE BELLOUBET
Non, mais c'est l'idée, par exemple c'est l'idée que sur des peines, je dirai assez sur des infractions assez courantes, genre utilisation de stupéfiants ou permis de conduire c'est déjà le cas d'ailleurs pour les permis de conduire eh bien il y a un système qui est plus automatisé, qui est forfaitisé, donc ça permet évidemment d'aller plus vite, tout en adaptant à la personne qui
PIERRE DE VILNO
Et sur les diversifications de peine ?
NICOLE BELLOUBET
Alors là c'est une autre idée. Si vous voulez, je crois qu'on a besoin - cela existe déjà mais il faut vraiment que nous le mettions en oeuvre on a besoin, avant le prononcé de la peine, de réfléchir à toutes les hypothèses possibles. C'est-à-dire que, face à une personne qui a commis une infraction, la réponse n'est pas automatiquement la mise en dépôt, il y a bien d'autres possibilités, les travaux d'intérêts généraux, enfin toutes sortes de possibilités, et nous voudrions avoir une réflexion beaucoup a été fait d'ailleurs dans ce domaine-là mais nous voudrions avoir une réflexion soutenue sur ce sujet, parce que c'est en lien avec les questions de la détention, évidemment.
PIERRE DE VILNO
Quand vous dites « nous allons avoir une réflexion », c'est avec qui, avec quels acteurs ?
NICOLE BELLOUBET
Avec l'ensemble des magistrats qui travaillent sur ce sujet-là.
PIERRE DE VILNO
Sur le projet de loi antiterroriste, que répondez-vous aux juristes comme Mireille DELMAS-MARTY, qui voit dans cette extension de l'état d'urgence un risque pour le citoyen ?
NICOLE BELLOUBET
Oui, je connais évidemment cette thèse, notamment autour de l'idée d'une justice qui serait prédictive. Je crois que le texte qui a été porté par le gouvernement, et qui a beaucoup évolué depuis sa première écriture, d'une part limite les mesures d'une part, intervient dans le cadre de la fin de l'état d'urgence, et donc ensuite prend un certain nombre de dispositions, qui n'interviendront que lorsqu'il y a éventuellement un risque terroriste
PIERRE DE VILNO
Oui, mais qui seront inscrites dans le droit commun.
NICOLE BELLOUBET
Non, ces dispositions ne seront activées qu'à partir du moment où il y a un risque terroriste, elles ne seront pas activées en permanence, elles seront activées quand on considérera qu'un comportement peut entraîner des risques en matière de terrorisme, d'une part, et d'autre part le juge judiciaire a été réintroduit à plusieurs étapes des mesures qui pourraient éventuellement être prises. Donc, vous avez, dans un certain nombre de cas, le juge judiciaire, le JLD, qui va pouvoir donner des autorisations, et en toute hypothèse vous avez également un juge qui, après la mesure, pourra également venir la sanctionner si elle n'est pas régulière.
PIERRE DE VILNO
Sur toutes ces réformes à venir, Nicole BELLOUBET, la secrétaire générale de l'USM, syndicat des magistrats, Marie-Jeanne ODY, a quelques inquiétudes on l'a entendue dans le journal de 8h00 sur l'indépendance du Parquet, « pas d'annonce, pas de contenu » dit-elle. Allez-vous, enfin, dire clairement que vous n'êtes pas le chef des procureurs de France ?
NICOLE BELLOUBET
Il y a une révision constitutionnelle qui va avoir lieu, cela a été annoncé, nous travaillons que ce sujet-là, et dans le cadre de cette révision constitutionnelle, il est évident que nous souhaitons aller vers plus d'indépendance de la justice, nous l'avons dit, c'est un objectif puissant. Il y a plusieurs voies pour y parvenir, des propositions de révision constitutionnelle ont d'ailleurs déjà été adoptées, et donc nous Actuellement je suis dans une phase où j'écoute l'ensemble des acteurs, j'étais, je crois, il y a 48 heures, au Conseil Supérieur de la Magistrature, je reçois les organisations syndicales, dont le Syndicat de la magistrature, mais les autres encore, et je n'ai pas évidemment fini mes consultations et il est évident que nous remettrons un projet de révision constitutionnelle à l'automne, fin d'automne sans doute. Je suis dans une phase de consultations, mais il est évident que l'objectif c'est bien celui d'arriver à plus d'indépendance.
PIERRE DE VILNO
L'autre inquiétude, vous l'avez entendu, de la secrétaire général de l'USM, c'est que vous lui donnez l'impression que ce n'est pas vous qui décidez, que c'est l'Elysée.
NICOLE BELLOUBET
Je viens de vous dire que je suis en train d'organiser des consultations sur ce sujet-là
PIERRE DE VILNO
Donc ce n'est pas l'Elysée qui décide ?
NICOLE BELLOUBET
Il est évident que ce sera fait en accord avec l'ensemble du gouvernement.
PIERRE DE VILNO
Mais ça accrédite la thèse jacobine, comme quoi tout part de l'Elysée et que vous ne faites qu'appliquer les décisions de l'Elysée.
NICOLE BELLOUBET
En aucun cas, puisque je suis en train de vous expliquer que j'écoute les acteurs.
PIERRE DE VILNO
Et l'Elysée aussi.
NICOLE BELLOUBET
Mais, enfin écoutez Monsieur, il est évident que sur un sujet comme celui de la révision constitutionnelle, qui suppose que les Parlements interviennent les deux Chambres du Parlement, c'est elles qui vont porter la révision constitutionnelle il faut bien entendu qu'il y ait un accord du gouvernement sur le texte qui sera proposé au vote des Parlements pour aboutir à la révision constitutionnelle.
PIERRE DE VILNO
Merci Madame la garde des Sceaux, Nicole BELLOUBET, d'avoir été en direct sur Europe 1.
source : Service d'information du Gouvernement, le 31 juillet 2017